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16/12/2019 | BELGIQUE | N°S.18.0068.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 16 décembre 2019, S.18.0068.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.18.0068.F
OFFICE NATIONAL DE SÉCURITÉ SOCIALE, établissement public, dont le siège est établi à Saint-Gilles, place Victor Horta, 11,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

A. A. Z.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 juin 2018 par la cour

du travail de Bruxelles.
Le 27 novembre 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des con...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.18.0068.F
OFFICE NATIONAL DE SÉCURITÉ SOCIALE, établissement public, dont le siège est établi à Saint-Gilles, place Victor Horta, 11,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

A. A. Z.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 juin 2018 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 27 novembre 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

Article 42, alinéas 4 et 5, de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt, déclarant l'appel de la défenderesse recevable et fondé, annule la décision du 23 mars 2015 par laquelle le demandeur a annulé l'assujettissement de la défenderesse pour le quatrième trimestre 2011, au motif que le demandeur n'établit pas que la défenderesse a, en connaissance de cause, participé à un assujettissement frauduleux, de sorte que l'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 ne lui est pas applicable, et aux motifs que
« L'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 n'est pas applicable à [la défenderesse] ; il en résulte que le délai de sept ans n'est pas applicable à la décision qui a été prise à [son] égard [...]. Cette décision, qui concerne une période échue depuis plus de trois ans, est tardive et doit par conséquent être annulée ;
Même s'il fallait considérer que le délai applicable à la décision [d'annulation d'assujettissement] intervenant en l'absence d'intention frauduleuse n'est pas légalement fixé, il y aurait lieu de considérer que [le demandeur] n'a pas statué dans un délai raisonnable suivant l'audition du 5 avril 20[1]2 ;
Dans la présente affaire, le respect d'un délai raisonnable se justifie spécifiquement par le fait que, pour certaines prestations de sécurité sociale susceptibles d'être affectées par la décision [d'annulation d'assujettissement], comme c'est le cas pour les soins de santé, le délai de prescription applicable à la reconnaissance du droit sur une autre base est particulièrement court (deux ans) ;
En l'espèce, il n'est pas raisonnable de la part [du demandeur] d'avoir attendu le 23 mars 2015, soit plus de deux ans et onze mois après l'audition de [la défenderesse] pour lui notifier une décision [d'annulation d'assujettissement] ;
La circonstance que l'employeur de [la défenderesse] serait impliqué dans différents autres dossiers ne dispensait pas [le demandeur] d'agir à l'égard de [la défenderesse] dans un délai raisonnable ».

Griefs

Première branche

L'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs dispose que, « en cas d'assujettissement frauduleux à la sécurité sociale des travailleurs salariés, l'Office national de sécurité sociale dispose d'un délai de sept ans à compter du premier jour du trimestre qui suit celui au cours duquel l'infraction a eu lieu pour procéder à l'annulation de ces assujettissements frauduleux ».
L'arrêt considère que cette disposition « suppose la constatation d'une infraction dans le chef de celui à qui on l'oppose » et qu'« en l'espèce, l'Office n'établit pas que [la défenderesse] a, en connaissance de cause, participé à un assujettissement frauduleux », de sorte que, pour la cour du travail, « l'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 n'est pas applicable ».
La disposition légale se réfère bien ici au droit subjectif du travailleur vis-à-vis de l'Office et non au droit du travailleur vis-à-vis de l'employeur, lequel n'est nullement l'objet de ce cinquième alinéa, qui ne règle que la situation particulière d'un assujettissement refusé (totalement ou partiellement) par l'Office.
Plus particulièrement, l'arrêt considère que cette disposition « n'est pas applicable à [la défenderesse] ; il en résulte que le délai de sept ans n'est pas applicable à la décision qui a été prise à l'égard de [la défenderesse]. Cette décision, qui concerne une période échue depuis plus de trois ans, est tardive et doit par conséquent être annulée ».
C'est uniquement dans le chef de l'employeur que l'assujettissement frauduleux doit être constaté. C'est en effet l'employeur qui, en application des articles 21 et 23 de la loi du 27 juin 1969, doit s'identifier comme employeur assujetti à l'Office national de sécurité sociale, introduire les déclarations trimestrielles dans les délais requis et retenir et payer les cotisations de sécurité sociale dues à l'Office.
Dès lors que la fraude est établie dans son chef, l'Office lui notifie sa décision dans le délai prévu à l'article 42, alinéa 4, précité.
Le travailleur, ou le prétendu travailleur, est certes informé de la décision parce que celle-ci a un effet direct à son égard : l'alinéa 5 du même article 42 précise à ce propos que « l'action intentée contre l'Office national de sécurité sociale par un travailleur en reconnaissance de son droit subjectif à l'égard de l'Office doit, à peine de déchéance, être introduite dans les trois mois de la notification par l'Office de la décision d'assujettissement ou de refus d'assujettissement ».
C'est précisément ce qu'a fait la défenderesse en déposant le 22 juin 2015 une requête en vue de solliciter la mise à néant de la décision d'annulation de son assujettissement « du chef des déclarations effectuées par l'employeur », qui lui avait été notifiée le 23 mars 2015.
Et l'alinéa 5 de l'article 42 dispose très précisément que le travailleur doit intenter à l'égard du demandeur son action en reconnaissance de son droit subjectif, à peine de déchéance, « dans les trois mois de la notification par l'Office de la décision [...] de refus d'assujettissement ».
Ainsi, en ce qui concerne la reconnaissance du droit subjectif du travailleur lié à l'assujettissement frauduleux, l'article 42 ne dispose pas que la notification intervenue au-delà d'un délai de trois ans ne saurait avoir d'effet : au contraire, toute décision d'annulation d'un assujettissement frauduleux légalement prise pendant le délai de sept ans, dûment communiquée au travailleur, permet à ce dernier d'intenter son action en reconnaissance de son droit subjectif à tout moment après cette notification et pendant un délai de trois mois. En d'autres termes, la loi n'a pas prévu qu'à défaut d'annulation d'une décision d'assujettissement frauduleux « plus de deux ans et onze mois après l'audition » du travailleur, les droits subjectifs de ce dernier à l'égard du demandeur seraient maintenus (ou rétablis) de plein droit. Au contraire, dans ce cas, le travailleur doit intenter une action en reconnaissance de ce droit subjectif.
Mais ce droit subjectif signifie que le travailleur peut réclamer à l'Office le bénéfice de l'assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés dans les conditions de l'article 42, alinéa 5, et, si l'action est fondée, la décision de justice aura pour effet d'entraîner l'annulation de la décision d'assujettissement frauduleux notifiée à l'employeur en ce qui concerne ce travailleur.
Il en résulte qu'en affirmant que l'article 42, alinéa 4, précité ne pourrait pas être invoqué à l'égard de la défenderesse vu l'absence d'intention frauduleuse dans son chef, l'arrêt viole cette disposition légale en ajoutant une condition supplémentaire à son application et, plus particulièrement, à la notion légale d'« assujettissement frauduleux » qu'elle contient, celle-ci supposant dans l'esprit de la cour du travail que la fraude soit aussi démontrée dans le chef du travailleur pour que la prescription de sept ans lui soit opposable.
En faisant dépendre la prescription de l'action intentée par un travailleur en reconnaissance de son droit subjectif à l'égard de l'Office national de sécurité sociale du délai dont dispose légalement cet office pour procéder à l'annulation d'un assujettissement frauduleux, et non de la date de la notification par celui-ci au travailleur de la décision d'annulation ou de refus d'assujettissement, l'arrêt viole également l'alinéa 5 de cette disposition.
Seconde branche

L'arrêt décide aussi que, « même s'il fallait considérer que le délai applicable à la décision [d'annulation d'assujettissement] intervenant en l'absence d'intention frauduleuse n'est pas légalement fixé, il y aurait lieu de considérer que [le demandeur] n'a pas statué dans un délai raisonnable suivant l'audition du 5 avril 20[1]2 » et qu'« en l'espèce, il n'est pas raisonnable de la part [du demandeur] d'avoir attendu le 23 mars 2015, soit plus de deux ans et onze mois après l'audition de [la défenderesse], pour lui notifier une décision [d'annulation d'assujettissement] ».
Mais, dès lors que le demandeur a annulé l'assujettissement litigieux dans le délai de prescription prévu à l'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969, l'arrêt n'a pu, sans violer cette disposition légale, lui imputer une faute déduite du seul dépassement d'un délai raisonnable justifiant d'annuler la décision litigieuse.
L'arrêt considère certes que ce qui est déraisonnable de la part du demandeur, c'est « d'avoir attendu le 23 mars 2015, soit plus de deux ans et onze mois après l'audition [de la défenderesse], pour lui notifier une décision [d'annulation d'assujettissement] ».
Mais il résulte de la lettre recommandée adressée à la défenderesse le 23 mars 2015 que la décision [d'annulation d'assujettissement] a précisément été prise ce même 23 mars 2015, de sorte qu'il ne saurait être reproché à l'Office d'avoir tardé à notifier une décision prise longtemps auparavant.
Il en résulte qu'en décidant, même à titre subsidiaire, que la décision du demandeur du 23 mars 2015 doit être annulée pour avoir été prise dans un délai déraisonnable après l'audition du 5 avril 2012, l'arrêt viole l'article 42 visé en tête du moyen.

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

En vertu de l'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, en cas d'assujettissement frauduleux à la sécurité sociale des travailleurs salariés, l'Office national de sécurité sociale dispose d'un délai de sept ans à compter du premier jour du trimestre qui suit celui au cours duquel l'infraction a eu lieu pour procéder à l'annulation de ces assujettissements frauduleux.
Cette disposition ne requiert, pour que l'office puisse, dans le délai qu'elle prévoit, annuler l'assujettissement d'un travailleur, aucune participation de celui-ci à la fraude entachant cet assujettissement.
En considérant, pour dire tardive et annuler la décision annulant l'assujettissement de la défenderesse pour le quatrième trimestre 2011, que l'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 « suppose la constatation d'une infraction dans le chef de celui à qui on l'oppose », que « l'absence d'intention frauduleuse » de la défenderesse est démontrée et que le demandeur « n'établit pas que [la défenderesse] a, en connaissance de cause, participé à un assujettissement frauduleux », l'arrêt viole cette disposition légale.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Quant à la seconde branche :

Dès lors qu'il ressort de la réponse à la première branche du moyen que la décision d'annulation de l'assujettissement litigieux n'a pas été légalement déclarée tardive, l'arrêt n'a pu, sans méconnaître le droit du demandeur de procéder à l'annulation d'un assujettissement frauduleux aussi longtemps que le délai prévu à l'article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 n'est pas expiré, lui imputer une faute déduite du seul dépassement d'un délai raisonnable justifiant de maintenir en faveur de la défenderesse le bénéfice de pareil assujettissement.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent trente et un euros quatre-vingt-neuf centimes envers la partie demanderesse et à la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du seize décembre deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.18.0068.F
Date de la décision : 16/12/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-12-16;s.18.0068.f ?

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