N° C.19.0054.F
…,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
1. …,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
2. …,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
défendeurs en cassation,
3. …,
défenderesse en cassation ou, à tout le moins, partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 7 juin et 25 octobre 2018 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente sept moyens.
III. La décision de la Cour
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par la première défenderesse et le défendeur, et déduite de ce que le demandeur n’est, à défaut d’intérêt, pas recevable à critiquer les décisions de l’arrêt attaqué du 25 octobre 2018 contre lesquelles sont dirigés les troisième à cinquième moyens :
L’irrecevabilité éventuelle d’un ou plusieurs moyens est sans incidence sur la recevabilité du pourvoi.
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par la première défenderesse et déduite de ce qu’il est prématuré en tant qu’il critique la décision d’avant dire droit de l’arrêt attaqué du 25 octobre 2018 d’ordonner la réalisation d’un test génétique comparant l’acide désoxyribonucléique de la première défenderesse, celui du demandeur et celui de la seconde défenderesse :
En vertu de l’article 1077 du Code judiciaire, le recours en cassation contre les jugements d’avant dire droit n’est ouvert qu’après le jugement définitif.
Aux termes de l’article 19, alinéa 1er, de ce code, le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi.
La notion de jugement définitif implique que le point sur lequel porte la décision ait été soumis au débat.
Le demandeur a conclu devant la cour d’appel au rejet de la demande de la première défenderesse tendant à entendre ordonner une expertise génétique, non seulement pour des raisons d’opportunité, mais aussi sur la base de l’irrecevabilité de cette demande compte tenu du lien de filiation qui unit la première défenderesse au défendeur, en faisant valoir qu’elle « ne pourrait être examinée que dans l’hypothèse où [la cour d’appel] viendrait à mettre à néant les jugements [entrepris] du 27 novembre 2014 et du 28 mars 2017 ».
En considérant que « la mesure sollicitée peut être admise dès lors que [la première défenderesse], dont l’action en contestation de la paternité [du défendeur] est accueillie par le présent arrêt, justifie d’un intérêt apparent suffisant pour rechercher la paternité d’un autre homme ; [qu’]en effet, dès lors que la cour [d’appel] réforme le jugement entrepris du 28 mars 2017 (notamment) en ce qu’il a statué sur le fondement de l’action en contestation de la paternité [du défendeur] introduite par [la première défenderesse], et qu’elle dit cette action fondée, le droit sur lequel [la première défenderesse] se fonde et qu’elle soutient être ‘gravement menacé’, au sens de l’article 18, alinéa 2, du Code judiciaire, n’est plus purement hypothétique ; que l’autorité de la chose jugée dont le jugement entrepris du 28 mars 2017 était revêtu ne peut plus [lui] être opposée et qu’il importe peu que le présent arrêt ne soit pas passé en force de chose jugée, dès lors que la ‘menace objective et actuelle’ d’un litige est établie », la cour d’appel a épuisé sa juridiction sur la recevabilité de la demande d’expertise génétique.
Elle a ainsi rendu une décision définitive qui peut faire l’objet d’un pourvoi immédiat.
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par la première défenderesse et déduite de ce que, en tant qu’il est dirigé contre l’arrêt du 7 juin 2018, le pourvoi attaque une décision qui n’est pas définitive :
Il ressort de la réponse à la seconde fin de non-recevoir opposée par la première défenderesse au pourvoi dirigé contre l’arrêt du 25 octobre 2018 que cette dernière décision est définitive.
Le pourvoi dirigé contre l’arrêt du 7 juin 2018 n’est, dès lors, pas prématuré.
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
La première défenderesse et le défendeur seront, dès lors, condamnés aux dépens de la signification de leur mémoire en réponse.
Sur le premier moyen :
(…)
Quant aux première et troisième branches réunies :
Aux termes de l’article 1054, alinéa 1er, du Code judiciaire, dans sa version applicable au litige, la partie intimée peut former incidemment appel à tout moment, contre toutes parties en cause devant le juge d’appel, même si elle a signifié le jugement sans réserve ou si elle y a acquiescé avant sa signification.
En vertu de l’article 1056, 4°, du même code, l’appel peut être formé par conclusions à l’égard de toute partie présente ou représentée à la cause.
L’appel incident n’est soumis à aucune autre règle de forme que celles qui sont prévues pour les conclusions, de sorte qu’une demande insérée dans les motifs d’un écrit de conclusions est régulièrement soumise au juge, même si elle n’est pas réitérée dans le dispositif de cet écrit.
Conformément à l’article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire, tout appel d’un jugement définitif ou d’avant dire droit saisit du fond du litige le juge d’appel.
L’arrêt attaqué du 25 octobre 2018 constate que l’appel principal du défendeur dirigé contre le jugement du 27 novembre 2014 (15/FA/176) a intimé la première défenderesse.
Dans les motifs de ses conclusions additionnelles et de synthèse d’appel déposées le 13 mars 2018 et visant également le demandeur, la première défenderesse faisait valoir, à propos de « l’action en contestation de paternité intentée par [elle] à l’encontre du [défendeur] » et plus particulièrement à propos des « personnes concernées par cette demande », que, « dans ses conclusions additionnelles d’appel du 12 février 2018, [le demandeur] n’avance aucun argument neuf ; qu’il souligne que, dans son jugement du 27 novembre 2014, le tribunal a confirmé qu’il pouvait prendre part au débat judiciaire sur cette action […] ; que la cour [d’appel] peut réformer cette décision et, selon [la première défenderesse], au vu de la jurisprudence, doit le faire nonobstant les voies d’introduction de la demande combinée ; qu’il n’est pas dans la logique du droit de la filiation qu’une autre personne que les titulaires réservés de l’action en contestation prenne une part (active) au débat, pas même en intervention, comme le confirme la jurisprudence […] ; que [le demandeur] fut partie à la cause en [première] instance par le seul effet du droit judiciaire, et seulement dans l’action en recherche de paternité, puisque celle-ci fut introduite simultanément par [la première défenderesse], notamment pour éviter tout risque de prescription ».
Dans le dispositif de ses conclusions, la première défenderesse demandait à la cour d’appel de « joindre les causes 15/FA/176 [appel principal du défendeur] et 17/FA/343 [appel principal de la première défenderesse] pour connexité » et de « dire recevables et fondés les appels incident en la cause 15/FA/176 et principal en [la cause] 17/FA/343 ».
Elle demandait plus particulièrement à la cour d’appel de « réformer partiellement le jugement […] du 27 novembre 2014 en ce qu’il a dit pour droit que la possession d’état était établie entre [le défendeur] et [la première défenderesse] ; de dire irrecevable pour défaut de qualité et d’intérêt l’intervention volontaire du [demandeur] dans l’action en contestation de paternité intentée par [le défendeur] à l’encontre [des défenderesses] ; de réformer le jugement prononcé le 28 mars 2017 par […] le tribunal de [la famille] en ce qu’il a déclaré l’action en contestation de paternité mue par la [première défenderesse] non fondée ; d’écarter des débats les moyens et arguments formés par [le demandeur] en ce qu’ils tendent à contester la recevabilité ou le fondement de l’action en contestation de paternité formée par [la première défenderesse] à l’encontre [du défendeur], et de déclarer donc la demande en contestation de paternité formée par [la première défenderesse] à l’encontre du [défendeur] recevable et fondée ».
L’arrêt attaqué du 25 octobre 2018 a pu légalement déduire des conclusions de synthèse de la première défenderesse que celle-ci formait un appel incident contre le jugement du 27 novembre 2014 en tant qu’il avait refusé d’écarter les moyens et arguments du demandeur sur l’action en contestation de paternité de la première défenderesse et statuer sur cet appel incident.
Et la violation prétendue de l’article 19 du Code judiciaire est tout entière déduite de celle, vainement alléguée, des autres dispositions légales visées au moyen en ces branches.
Le moyen, en ces branches, ne peut être accueilli.
(…)
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Quant aux premier et sixième rameaux réunis :
Aux termes de l’article 318, § 1er, du Code civil, dans sa version applicable, à moins que l’enfant ait la possession d’état à l’égard du mari, la présomption de paternité peut être contestée par la mère, l’enfant, l’homme à l’égard duquel la filiation est établie et par la personne qui revendique la paternité de l’enfant.
L’action en contestation de paternité est une action attitrée qui n’est ouverte qu’aux personnes ainsi visées.
L’homme dont la paternité est recherchée, qui ne revendique pas la paternité de l’enfant, n’a pas l’intérêt et la qualité requis pour intervenir dans la procédure en contestation de paternité.
Lorsqu’il a été mis à la cause, dans le cadre de l’action en recherche de paternité, par la même citation que celle qui tend à la contestation de la paternité, il ne peut, partant, faire valoir ses moyens et arguments sur l’action en contestation de paternité.
Le moyen, qui, en ces rameaux, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant aux deuxième, troisième et quatrième rameaux réunis :
En vertu de l’article 322, alinéa 1er, du Code civil, applicable au litige, lorsque la paternité n’est établie ni en vertu des articles 315 ou 317 ni par une reconnaissance, elle peut l’être par un jugement aux conditions fixées par l’article 332quinquies.
Le demandeur est partie à la procédure en recherche de paternité intentée contre lui par la première défenderesse et pourra dans ce cadre réfuter toutes les preuves de sa paternité apportées par les autres parties.
Il s’ensuit que l’impossibilité pour le demandeur de faire valoir ses moyens et arguments dans le cadre de l’examen de l’action en contestation de la paternité du défendeur ne méconnaît pas ses droits de défense, qui englobent le principe du contradictoire.
Le moyen, en ces rameaux, ne peut être accueilli.
Quant au cinquième rameau :
Dans la mesure où il invoque la méconnaissance du principe général du droit relatif à la cohérence et à loyauté procédurale, qui n’existe pas, le moyen, en ce rameau, est irrecevable.
Pour le surplus, il ne résulte d’aucune des dispositions légales visées au moyen, en ce rameau, que la partie qui introduit, par un même acte, des demandes distinctes contre deux défendeurs s’oblige à permettre à chacun de ceux-ci de faire valoir ses moyens à l’égard de toutes les demandes.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en ce rameau, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
En écartant des débats consacrés à l’action de la première défenderesse en contestation de la paternité du défendeur les moyens et arguments du demandeur au motif que celui-ci, qui ne revendique pas la paternité de la première défenderesse, n’a pas intérêt et qualité pour faire valoir ces moyens et arguments dans le cadre de cette procédure, l’arrêt ménage la pondération des intérêts du demandeur au respect de sa vie privée avec l’intérêt de la première défenderesse à faire établir la vérité de sa filiation biologique et, partant, ne viole pas les dispositions légales et ne méconnaît pas les principes généraux du droit visés au moyen.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
(…)
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la première défenderesse et le défendeur aux dépens de la signification de leur mémoire en réponse, et le demandeur aux autres dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille quarante-sept euros vingt-six centimes envers par la partie demanderesse, à la somme de quatre cent septante-sept euros quatre-vingt-trois centimes envers la première partie défenderesse, à la somme de cinq cent soixante-huit euros nonante-sept centimes envers la deuxième partie défenderesse et à la somme de six cent cinquante euros dus à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du treize décembre deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.