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13/11/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0267.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 13 novembre 2019, P.19.0267.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0267.F
I. ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Ida Bollingh, avocat au barreau de Bruxelles, et représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

1. C. E., P., R.,
2. U. M.,
3. D. S,
4. V.M.V., D., K.,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,

5. Maître Ilse VAN DE MIEROP, avocat, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, agissant en ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0267.F
I. ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Ida Bollingh, avocat au barreau de Bruxelles, et représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

1. C. E., P., R.,
2. U. M.,
3. D. S,
4. V.M.V., D., K.,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
5. Maître Ilse VAN DE MIEROP, avocat, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme Dussmann Service,
6. DUSSMANN STIFTUNG & Co KGaA, société de droit allemand, dont le siège est établi à Berlin (Allemagne), Friedrichstrasse, 90,
ayant pour conseil Maître Hans Van Bavel, avocat au barreau de Bruxelles,
prévenus,
défendeurs en cassation,

II. DUSSMANN STIFTUNG & Co KGaA, mieux qualifiée ci-dessus,
prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Alain Claes, Hans Van Bavel et Elisabeth Baeyens, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi du demandeur est dirigé contre les arrêts rendus les 5 décembre 2018 et 13 mars 2019 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le pourvoi de la demanderesse est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen et la demanderesse en invoque deux, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur le pourvoi formé par l'Etat belge contre l'arrêt du 5 décembre 2018 :

Le demandeur se désiste de son pourvoi.

B. Sur le pourvoi formé par l'Etat belge contre l'arrêt du 13 mars 2019 :

Sur le moyen :

Le moyen est pris de la violation des articles 442quinquies et 458, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, 73sexies et 93undecies E du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, et 17 du Code judiciaire.

Quant à la première branche :

Le moyen reproche aux juges d'appel d'avoir décidé que l'action civile de l'Etat, ayant pour objet la réparation du préjudice correspondant à l'équivalent de l'impôt et de la taxe éludés et exercée à charge de prévenus reconnus coupables en qualité d'auteurs ou de complices de la fraude, ne peut être admise, nonobstant l'entrée en vigueur des articles 442quinquies et 93undecies E précités, dans la mesure où il existe, dans la législation fiscale, une possibilité propre de réparation d'un tel dommage.

Aux termes de l'article 442quinquies du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'inséré par l'article 79 de la loi du 26 mars 2018 relative au renforcement de la croissance économique et de la cohésion sociale, les dispositions dudit code ne font pas obstacle au droit pour l'Etat de demander, par la constitution de partie civile ou par l'action en responsabilité, la réparation du dommage pouvant consister dans le non-paiement des impôts et des précomptes, des intérêts, des amendes fiscales, des accroissements et des accessoires.

Le Code de la taxe sur la valeur ajoutée contient, à l'article 93undecies E, inséré par l'article 87 de la loi du 26 mars 2018, une disposition identique.

Le demandeur soutient que ces nouveaux articles ne permettent plus d'affirmer que la possibilité de réparation puisée par l'administration dans la loi fiscale exclut qu'elle introduise une action civile contre l'auteur ou le complice d'un délit de fraude fiscale afin de se voir indemnisée d'un dommage consistant en l'équivalent de l'impôt éludé.

Mais en vertu des articles 3 et 4 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, les juridictions répressives ne connaissent, au civil, que d'une seule action, celle qui tend à la réparation du dommage causé par une infraction.

La dette d'impôt ne résulte pas de la fraude mais de l'activité économique soumise à la taxation. Les infractions constitutives de la fraude ne sont pas la cause de cette dette, au sens de l'article 1382 du Code civil.

Les nouveaux articles 442quinquies du Code des impôts sur les revenus 1992 et 93undecies E du Code de la taxe sur la valeur ajoutée n'ont pas pour but ou pour effet de modifier l'objet de l'action civile portée devant la juridiction répressive, ni de détacher cette action du lien causal requis entre l'infraction et le dommage, ni d'attribuer au juge pénal la compétence de déterminer le montant de l'impôt dû, mais de permettre à l'administration fiscale de recourir à cette action lorsque l'application des dispositions de droit fiscal ne permet pas la réparation intégrale du préjudice subi par le trésor.

Il ressort des constatations des juges d'appel que le dommage dont le demandeur poursuit l'indemnisation s'identifie aux impôts et taxes qu'il affirme éludés, que les impôts en question font l'objet de contestations toujours pendantes devant les juridictions fiscales compétentes, et que l'administration ne rapporte pas la preuve d'un préjudice dont aucune disposition fiscale n'assurerait la réparation.

En décidant, sur ce fondement, que l'action civile de l'Etat est irrecevable, nonobstant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions précitées, les juges d'appel ont légalement justifié leur décision.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Pour déclarer ladite action irrecevable, l'arrêt considère également que le demandeur, déjà titulaire d'un titre exécutoire, n'a pas intérêt à en solliciter un second.

En tant qu'il critique cette considération surabondante, le moyen est irrecevable à défaut d'intérêt.

Quant à la seconde branche :

L'arrêt décrète l'irrecevabilité de l'action civile du demandeur en constatant que l'objet de sa réclamation ne s'identifie pas à un dommage causé par l'infraction et dont les lois fiscales ne permettraient pas la réparation.

Le moyen reproche à la cour d'appel d'avoir confondu la recevabilité et le fond de la demande d'indemnisation, en considérant que, dans la mesure où la dette d'impôt et la taxe faisaient l'objet d'une contestation devant le juge fiscal compétent, il n'appartenait pas aux juridictions répressives de se substituer à ce dernier en procédant au calcul du dommage du demandeur en raison de l'impôt éludé.

La considération critiquée ne procède pas de la confusion que le moyen allègue. L'arrêt se borne à préciser la raison pour laquelle il juge que le préjudice vanté par le fisc ne ressortit pas aux dommages dont la réparation peut être postulée devant la juridiction répressive.

Le moyen ne peut être accueilli.

C. Sur le pourvoi formé par la société de droit allemand Dussmann Stiftung & Co contre l'arrêt du 5 décembre 2018 :

Sur le premier moyen :

Le moyen reproche à la cour d'appel d'avoir reconnu la demanderesse coupable et de l'avoir condamnée aux termes d'une décision rendue, notamment, par un juge au tribunal de première instance qui avait été délégué à la cour, sans qu'aucune pièce de la procédure n'indique que ce magistrat avait été désigné par une ordonnance prise en application de l'article 99ter, alinéa 1er, du Code judiciaire ni les raisons et modalités de pareille délégation.

Conformément à l'article 99ter, alinéas 1er et 3, du code précité, en fonction des nécessités du service, un juge au tribunal de première instance, nommé dans le ressort, peut, avec son consentement, être délégué par le premier président de la cour d'appel pour exercer ses fonctions à cette cour ; l'ordonnance indique les motifs pour lesquels il s'impose de faire appel à un juge et précise les modalités de la délégation.

Pour l'application de cette disposition, il suffit que l'existence de la délégation du juge soit constatée, sans qu'il soit en outre requis d'énoncer les motifs de cette mesure ou ses modalités et sans que la jonction de cette ordonnance au dossier de la procédure dans laquelle un tel magistrat est intervenu soit exigée.

Dans la mesure où il repose sur l'affirmation du contraire, le moyen manque en droit.

Il apparaît de la mention authentique figurant au bas de l'arrêt attaqué que le juge au tribunal de première instance Fogli, magistrat ayant siégé en la cause, était délégué auprès de la cour d'appel. Il s'ensuit qu'en application de l'article 99ter du Code judiciaire, l'existence de la délégation a été régulièrement constatée et qu'ainsi, la décision est valable sous la signature, notamment, de ce magistrat.

À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Sur le second moyen :

Quant à la première branche :

Le moyen est pris de la violation de l'article 149 de la Constitution. Il reproche à l'arrêt de ne contenir aucune réponse à ses conclusions qui, à titre subsidiaire, contestaient le fait que la demanderesse ait pu avoir connaissance, avant le mois d'avril 2005, des infractions commises par d'autres prévenus et auxquelles il lui est reproché d'avoir participé.

L'arrêt, à la page 21, renvoie aux motifs du premier juge, repris aux feuillets 29 à 34 du jugement, qui a, notamment, constaté que le 6 avril 2005, une réunion a eu lieu à Bruxelles en présence, parmi d'autres personnes, du représentant de la demanderesse et que, le 15 avril suivant, un courrier électronique a été adressé à ce dernier à propos des mécanismes frauduleux au sujet desquels des lettres anonymes ont été envoyées et exigeant que l'on redouble de prudence. Le jugement déduit de ces énonciations et d'autres échanges ultérieurs que « la société de droit allemand savait parfaitement que les règles légales n'étaient pas respectées et savait tout autant dans quelle pièce elle jouait. Avec sa connaissance du marché européen du secteur du nettoyage et du marché belge en particulier, la société de droit allemand connaissait les risques encourus. Il y a lieu de rappeler que le fait même de renoncer sciemment à avoir une connaissance plus concrète des modalités factuelles ne signifie pas pour autant qu'une personne ait agi inconsciemment au sens pénal du terme ».

Après avoir ensuite rappelé divers comportements jugés anormaux dans le chef d'un actionnaire étranger d'un groupe international, le jugement entrepris conclut, à la page 32, qu'il est établi que « la société-mère était bien au courant de la situation. [...] qu'il fallait, de toute façon, être aveugle pour ne pas voir qu'il y avait du personnel payé en noir [et que] c'est ce qui rend si peu crédible la défense de la société allemande qui suivait de très près les chiffres de la société belge, les épluchait et demandait des éclaircissements sur tous les points qui lui semblaient douteux en imposant une réponse immédiate, d'autant plus que toutes ses préoccupations tournaient autour de l'accroissement de la marge et du dépassement des frais de personnel ».

Sur la base de tels éléments, l'arrêt ajoute, par motifs propres, à la page 22, que « les termes utilisés démontrent à suffisance que Monsieur T., et à travers lui le groupe allemand, était parfaitement informé du caractère illicite du recours à la sous-traitance tel qu'il était pratiqué par Pedus Service », avant de décrire, aux pages 22 et 23, la structure de ce groupe, dominée par la demanderesse, « qui disposait du contrôle absolu de ses filiales et sous-filiales ».

Ainsi, les juges d'appel ont répondu aux conclusions de la demanderesse et ont régulièrement motivé leur décision qu'elle avait commis les actes de participation aux infractions en connaissance de cause dès avant le mois d'avril 2005, sans être tenus de rencontrer les autres arguments, devenus sans pertinence ou qui ne constituaient pas des moyens distincts.

Le moyen ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche :

Le moyen reproche à l'arrêt de comporter des énonciations ambigües, dans la mesure où, par adoption des motifs du premier juge, il se réfère à une décision de la demanderesse de poursuivre des paiements illicites à partir du licenciement d'un dénommé L., en 2004 selon l'arrêt attaqué, alors que la période délictueuse débute le 1er janvier 2003, soit avant ce licenciement. Selon le moyen, l'arrêt serait illégal s'il devait être interprété comme signifiant que la demanderesse a commis les infractions à partir du 1er janvier 2003 parce qu'il est établi qu'après le licenciement, en 2004, d'un dénommé L., elle a pour la première fois donné instruction de poursuivre les paiements.

Mais, d'une part, il ne ressort ni des motifs du jugement entrepris, auxquels l'arrêt renvoie, ni des énonciations de ce dernier, que les juges d'appel ont considéré que la participation de la demanderesse aux infractions serait établie dès le 1er janvier 2003 en raison de la circonstance qu'elle aurait donné, en 2004, des instructions en vue de poursuivre des paiements illicites. D'autre part, cette décision relative à la culpabilité de la demanderesse, dès le 1er janvier 2003, repose tant sur des motifs propres que sur ceux du premier juge, auxquels l'arrêt renvoie, ainsi qu'il a été indiqué en réponse à la première branche du moyen.

Procédant d'une lecture erronée de l'arrêt, le moyen manque en fait.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Décrète le désistement du pourvoi formé par l'Etat belge contre l'arrêt du 5 décembre 2018 ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de huit cent soixante-six euros nonante-six centimes dont I) sur le pourvoi de l'Etat Belge : cent quarante-six euros nonante et un centimes dus et trois cent quarante euros soixante-quatre centimes payés par ce demandeur et II) sur le pourvoi de la société Dussmann : cent quarante-six euros nonante et un centimes dus et deux cent trente-deux euros cinquante centimes payés par cette demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du treize novembre deux mille dix-neuf par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.0267.F
Date de la décision : 13/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-11-13;p.19.0267.f ?

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