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08/11/2019 | BELGIQUE | N°C.19.0031.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 novembre 2019, C.19.0031.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.19.0031.F
LUMANIGA, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue Louise, 500,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre

GEVERS PATENTS, société anonyme, dont le siège social est établi à Saint-Gilles, rue de Livourne, 7,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan

Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.19.0031.F
LUMANIGA, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue Louise, 500,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre

GEVERS PATENTS, société anonyme, dont le siège social est établi à Saint-Gilles, rue de Livourne, 7,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Il y a urgence, au sens de l'article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire, dès que la crainte d'un préjudice d'une certaine gravité, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable. Il est, dès lors, permis de recourir au référé lorsque la procédure ordinaire serait impuissante à résoudre le différend en temps voulu, ce qui laisse au juge des référés un large pouvoir d'appréciation en fait.
Le juge des référés apprécie à la lumière de toutes les circonstances de l'espèce si un demandeur qui aurait tardé à agir peut se prévaloir de l'urgence.
Il ressort des constatations de l'arrêt que :
- le 10 octobre 2016, la demanderesse, agissant par sa représentante, madame C., a conclu avec la défenderesse une convention de prestation de services à durée indéterminée par laquelle la demanderesse s'engage à prester des services spécifiques de conseiller en matière de stratégie de propriété intellectuelle et en brevet européen pour le compte de la défenderesse ;
- cette convention contient une clause de non-concurrence par laquelle la demanderesse s'engage à ce que et garantit que tant elle que ses représentants légaux s'abstiendront directement ou indirectement, dans le domaine de la propriété intellectuelle, pour la durée du contrat et durant une période d'un an suivant sa cessation, sur le territoire y indiqué, de fournir des services à tout client du groupe dont fait partie la défenderesse pour lequel la demanderesse a travaillé ou à qui elle a fait une proposition commerciale écrite au cours des trois dernières années ;
- le 30 octobre 2017, la demanderesse a notifié à la défenderesse sa volonté de mettre un terme au contrat précité, moyennant un préavis ;
- le 17 novembre 2017, la défenderesse a mis fin immédiatement au contrat en raison « de rumeurs persistantes au sujet du projet de madame C. de créer un cabinet concurrent avec d'autres collaborateurs » ;
- le 24 novembre 2017, la défenderesse a mis la demanderesse et madame C. « en demeure de s'abstenir de tout contact avec tout collaborateur du groupe [dont fait partie la défenderesse] en vue de les débaucher ou de les inciter à quitter le groupe et de s'abstenir de tout contact avec les clients du groupe », a « écrit vouloir être indemnisée du préjudice subi et suspendre dans l'immédiat le règlement de tout montant qui lui serait dû » et a contesté la facture émise par la demanderesse le 19 novembre 2017 ;
- dans un courriel du 30 novembre 2017, madame C. a « écrit notamment que la clause de non-concurrence lui interdit de prester des services pour certains clients de [la défenderesse] mais pas de les contacter, que ces contacts auront pour objectif de les informer qu'elle a quitté le groupe [...] et qu'elle mettra un point d'honneur à leur rappeler qu'elle ne peut prester pour eux pendant une période d'un an » ;
- le 19 décembre 2017, la demanderesse a constitué, avec la s.p.r.l. Mokapi, société d'un ancien collaborateur du groupe de la défenderesse, la société anonyme Calysta, « active dans le même domaine » que les sociétés du groupe de la défenderesse ;
- par lettre du 24 janvier 2018, la demanderesse a informé la défenderesse que, « compte tenu de ses manquements graves et persistants - à savoir le non-paiement de sa facture relative à sa rémunération fixe pour les six mois de préavis -, elle est en droit de ne pas respecter [la clause de non-concurrence] et [qu'elle] se réserve de contracter librement avec tout client de son choix » ;
- le 16 février 2018, la demanderesse a fait citer la défenderesse aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes encore dues à titre de rémunération et d'obtenir qu'il soit dit pour droit qu'elle n'est pas tenue de se conformer aux obligations découlant de la clause de non-concurrence compte tenu des manquements de la défenderesse ;
- le 22 mars 2018, la défenderesse, la demanderesse et Calysta ont signé « une convention fixant les conditions du transfert d'un client X désireux de continuer à bénéficier des services de madame C. au sein de Calysta » ;
- le 29 mars 2018, la défenderesse a fait citer la demanderesse devant le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles siégeant en référé, aux fins d'obtenir la condamnation de celle-ci au respect de la clause de non-concurrence litigieuse, sous peine d'astreinte.
L'arrêt considère, sans être critiqué, que « l'urgence se justifie par la crainte d'un préjudice d'une certaine gravité étant, pendant la durée de la clause de non-concurrence, que le transfert de sa clientèle, ou à tout le moins d'une partie de celle-ci, ne se réalise vers Calysta, à l'intermédiaire de [la demanderesse] avec laquelle certains de ses clients ont noué un lien professionnel privilégié », que « cette crainte est au demeurant bien réelle puisque pour le client X, un client ‘très important de [la défenderesse]' selon les propres termes de [la demanderesse], les parties ont été amenées à trouver un accord » et que, « même si ce n'est plus que pour quelques semaines, il demeure qu'au jour où la cour [d'appel] statue, cette clause est toujours d'application entre les parties et la crainte de sa violation et d'un préjudice grave sont bien réels, [la demanderesse] ayant écrit, le 24 janvier 2018, qu'elle était en droit de ne pas la respecter ».
Dès lors, l'arrêt, qui considère qu'« il ne peut être retenu que [la défenderesse] aurait tardé à agir ou aurait créé par son propre comportement l'urgence qu'elle allègue », que, « tant que le projet de [la demanderesse] ne s'était pas concrétisé par la constitution de Calysta, la crainte d'un détournement de clientèle demeurait hypothétique et ne justifiait pas, en l'espèce, la saisine d'une juridiction » et que « c'est par la suite, après la négociation du transfert du client X, que [la défenderesse] a pu effectivement prendre conscience de la gravité du préjudice à craindre, quand bien même elle en affirmait l'existence depuis novembre 2017, et qu'elle a agi devant le juge des référés », ne méconnaît pas la notion d'urgence, au sens de l'article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire, ni, partant, ne viole cette disposition légale.
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le second moyen :

Quant à la première branche :

Le juge des référés peut ordonner des mesures conservatoires s'il existe une apparence de droit justifiant pareille décision.
Le juge qui se borne à examiner les droits apparents des parties, sans appliquer aucune règle de droit qui ne puisse raisonnablement fonder la mesure provisoire qu'il ordonne, n'excède pas ses pouvoirs.
Dès lors qu'il ne statue pas au fond sur les droits des parties, sa décision n'implique aucune violation du droit matériel qu'il prend en considération pour fonder son appréciation.
L'exception d'inexécution ne peut être invoquée dans des conditions contraires à la bonne foi et, notamment, par une partie qui se trouve elle-même à l'origine de l'inexécution de son cocontractant. Cette dernière circonstance ne se déduit toutefois pas nécessairement de ce qu'elle n'a pas exécuté certaines de ses propres obligations. Il appartient au juge du fond d'apprécier si une partie peut se prévaloir de l'exception à la lumière de toutes les circonstances de la cause.
L'arrêt considère que la défenderesse « bénéficie d'une clause dont la légalité ne peut prima facie être mise en doute, quand bien même [la demanderesse] en discute la mise en œuvre », que, « selon cette clause, [la demanderesse] s'engage et garantit que tant elle que madame C. s'abstiendront, directement ou indirectement, dans le domaine de la propriété intellectuelle, durant une période d'un an suivant sa cessation, et ce sur un territoire [précisé par l'arrêt], de fournir des services à tout client du groupe [dont fait partie la défenderesse] pour lequel [la demanderesse] a travaillé ou à qui elle a fait une proposition commerciale écrite au cours des trois dernières années », que « cette clause vise clairement les clients du groupe [...] pour lesquels [la demanderesse] a travaillé ou à qui elle a fait une proposition commerciale au cours des trois dernières années » et non « tous les clients en général » et qu'il ressort des pièces soumises à la cour d'appel qu'« à tout le moins pour deux d'entre eux [...] pour lesquels elle a travaillé du temps de sa collaboration avec [la défenderesse], madame C. preste directement ses services [...] en violation de l'article 11.1 du contrat du 10 octobre 2016 ».
Il considère également que « vainement [la demanderesse] oppose-t-elle [à la défenderesse] une exception d'inexécution dès lors qu'elle est elle-même à l'origine de la suspension du paiement du solde de rémunération par [la défenderesse] », que, « dès le 17 novembre 2017, [la défenderesse] lui a en effet rappelé expressément son souhait de voir strictement respecter l'article 11 de la convention du 10 octobre 2016 et sa volonté de payer le solde de la rémunération fixe dès émission d'une facture », que, « par la suite, estimant que le comportement de [la demanderesse], de concert avec monsieur K. / la s.p.r.l. Mokapi, emportait des actes de concurrence déloyale et manquait à la bonne foi, elle a suspendu le paiement du solde de rémunération » et que « ce n'est que dans un troisième temps que [la demanderesse] s'est elle-même prévalue d'une exception d'inexécution mais contrairement à la bonne foi, dans les circonstances de l'espèce, puisqu'elle est vraisemblablement à la source de pratiques apparemment déloyales ».
L'appréciation provisoire de la cour d'appel suivant laquelle la demanderesse ne peut opposer à la demande de la défenderesse une exception d'inexécution, non en raison de manquements de nature extracontractuelle, étrangers aux engagements réciproques des parties au contrat synallagmatique en cause, mais dans des conditions apparemment contraires à l'exécution de bonne foi de ce contrat, n'est pas déraisonnable.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche :

En énonçant que la demanderesse s'est prévalue d'une exception d'inexécution « contrairement à la bonne foi, dans les circonstances de l'espèce, puisqu'elle est vraisemblablement à la source de pratiques apparemment déloyales », l'arrêt ne décide pas que la demanderesse avait, en décembre 2017, posé des actes contraires à la clause de non-concurrence litigieuse mais, comme cela résulte de la réponse à la première branche du moyen, il considère que cette exception a été invoquée dans des conditions apparemment contraires à l'exécution de bonne foi du contrat.
L'arrêt n'est dès lors pas entaché de la contradiction dénoncée au moyen, en cette branche.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de neuf cent deux euros cinquante-cinq centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du huit novembre deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.19.0031.F
Date de la décision : 08/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-11-08;c.19.0031.f ?

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