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28/10/2019 | BELGIQUE | N°S.18.0075.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 28 octobre 2019, S.18.0075.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.18.0075.F
OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

G. D.,
défendeur en cassation.


I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 27 juin 2018 par la cour du t

ravail de Bruxelles.
Le 9 octobre 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.18.0075.F
OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

G. D.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 27 juin 2018 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 9 octobre 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

- articles 110, § 3, 114, § 1er, alinéa 1er, et 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage ;
- article 59, alinéas 1er et 2, de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d'application de la réglementation du chômage.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt constate que :
« [Le défendeur], né le 8 février 1969, bénéficie des allocations de chômage depuis le 6 août 2012. Il a trois enfants nés en 1994, 2000 et 2002. Il vivait séparé de la mère de ses enfants depuis plusieurs années ;
Les allocations de chômage lui étaient payées au taux de travailleur ayant charge de famille ;
Dans un formulaire C.1 complété le 6 août 2012, il a déclaré habiter seul avec sa fille C., née en 2012 ;
En juin 2014, [le demandeur] a procédé à une consultation du registre national. Il a alors constaté que [le défendeur] cohabitait depuis le 2 octobre 2013 avec [la mère de ses enfants] ainsi qu'avec leurs trois enfants communs. [La mère des enfants du défendeur] bénéficie d'indemnités de mutuelle ;
Par lettre du 21 janvier 2016, [le demandeur] a convoqué [le défendeur] pour une audition au bureau du chômage le 2 février 2016 ;
[Le défendeur] ne s'est pas présenté à l'audition et [le demandeur] a pris la décision contestée ;
Le 10 mars 2016, [le demandeur] a décidé d'exclure [le défendeur] à partir du 2 octobre 2013 du droit aux allocations comme travailleur ayant charge de famille et de lui octroyer des allocations comme travailleur cohabitant ; de récupérer les allocations perçues indûment pour la différence entre le montant des taux de travailleur avec charge de famille et de travailleur cohabitant du 2 octobre 2013 au 13 mars 2016, et de l'exclure du droit aux allocations à partir du 14 mars 2016 pendant une période de dix semaines ;
Cette décision était motivée comme suit : ‘Le montant journalier de votre allocation est calculé en fonction de votre catégorie familiale (articles 110 à 119). Sur le formulaire de déclaration C.1 du 16 août 2012, vous avez déclaré cohabiter exclusivement avec un ou plusieurs enfants qui ne disposent pas de revenus professionnels ou de remplacement. Sur la base de cette déclaration, vous avez perçu, à partir du 6 août 2012, des allocations comme travailleur ayant charge de famille. Cette déclaration ne correspond pas à votre situation familiale réelle. Il ressort en effet des informations reprises dans la base de données des registres communaux qu'à partir du 2 octobre 2013 vous cohabitez également avec [la mère de vos enfants], qui n'est pas à votre charge. Vous n'avez pas fait de déclaration à ce sujet. Vous étiez pourtant tenu de déclarer cette modification (article 134). Par conséquent, à partir du 2 octobre 2013, vous aviez uniquement droit aux allocations comme travailleur cohabitant (article 110, § 3)' ;
Selon le C.31 du 10 mars 2016, la récupération devait être égale à 12.998,76 euros ;
[Le défendeur] a contesté cette décision par requête du 10 juin 2016. Il demandait au tribunal du travail, à titre principal, d'annuler la décision et de dire pour droit qu'il pouvait bénéficier des allocations au taux de chef de ménage ; à titre subsidiaire, de dire pour droit qu'[il] était de bonne foi, de réduire la récupération aux cent cinquante dernières allocations et de réduire de quatre-vingts pour cent cette récupération et de remplacer la sanction d'exclusion par un simple avertissement ;
5. Le jugement entrepris a déclaré le recours recevable mais non fondé ».
L'arrêt déclare l'appel du défendeur contre ce jugement « fondé dans la mesure ci-après, confirme la décision d'exclusion pour la différence de taux, sauf pour la période du 1er novembre 2014 au 26 novembre 2015, et dit qu'il n'y a pas matière à exclusion et à récupération pour la période du 1er novembre 2014 au 26 novembre 2015 ».
L'arrêt fonde cette décision sur les motifs suivants :
« Le montant des allocations de chômage dépend de la situation familiale du chômeur. L'article 110 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage définit les trois catégories qui déterminent te taux des allocations de chômage : le travailleur ayant charge de famille, le travailleur isolé et le travailleur cohabitant ;
L'article 110, § 1er, définit ce qu'il faut entendre par travailleur ayant charge de famille. Est notamment visé le chômeur qui cohabite avec son conjoint ne disposant ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement ; dans ce cas, il n'est pas tenu compte de l'existence éventuelle de revenus d'autres personnes avec lesquelles le travailleur cohabite. À l'inverse, doit être considéré comme cohabitant, le chômeur qui cohabite avec son conjoint qui a des revenus ;
[...] [La mère des enfants du défendeur] n'a pas bénéficié d'allocations de chômage entre la mi-janvier 2013 et la fin septembre 2013, mais en a bénéficié à partir d'octobre 2013 (soit lorsqu'elle s'est inscrite chez [le défendeur]) et jusqu'à la fin 2014 ;
Elle a, par la suite, bénéficié d'indemnités de mutuelle ;
Elle a été détenue à la prison de [...] du 1er novembre 2014 au 26 novembre 2015, du 30 avril au 20 juin 2016 et du 18 août au 21 octobre 2016 ;
Il faut considérer que, pendant les périodes de détention, il n'y a pas eu vie 'sous le même toit'. Pendant ces périodes, [le défendeur] devait être considéré comme ayant charge de famille (les enfants étant domiciliés chez lui) et il n'y a donc pas matière à exclusion et à récupération ;
[...] La question de l'exclusion pour la différence de taux se pose donc uniquement pour la période du 2 octobre 2013 au 21 [lire : 31] octobre 2014 et puis à partir du 27 novembre 2015 : il faut, en pratique, vérifier si, dans le contexte rappelé ci-dessus, une véritable cohabitation était possible ;
[...] En dehors des périodes de détention, la cohabitation doit être confirmée ».

Griefs

L'article 114, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dispose en son alinéa 1er que « le montant journalier de l'allocation de chômage du chômeur complet est fixé en fonction d'un pourcentage de la rémunération journalière moyenne, de la catégorie familiale à laquelle le chômeur appartient, visée à l'article 110, du montant limite applicable, visé à l'article 111, de la durée du chômage et du passé professionnel ».
L'article 110, § 1er, de cet arrêté dispose :
« Par travailleur ayant charge de famille, il faut entendre le travailleur qui :
1° cohabite avec un conjoint ne disposant ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement ; dans ce cas, il n'est pas tenu compte de l'existence éventuelle de revenus d'autres personnes avec lesquelles le travailleur cohabite ;
2° ne cohabite pas avec un conjoint mais cohabite exclusivement avec :
a) un ou plusieurs enfants, à condition qu'il puisse prétendre pour au moins un de ceux-ci aux allocations familiales ou qu'aucun de ceux-ci ne dispose de revenus professionnels ou de revenus de remplacement ».
Le travailleur qui cohabite avec un conjoint disposant de revenus de remplacement n'est donc pas un travailleur ayant charge de famille au sens de l'article 110, § 1er, précité, même s'il cohabite avec des enfants qui ne disposent pas de revenus professionnels ou de remplacement.
Selon l'article 110, § 2, du même arrêté, « par travailleur isolé, il faut entendre le travailleur qui habite seul, à l'exception du travailleur visé au paragraphe 1er, 3° à 6° ».
Selon l'article 110, § 3, dudit arrêté, « par travailleur cohabitant, il faut entendre le travailleur qui n'est visé ni au paragraphe 1er ni au paragraphe 2 », c'est-à-dire qui n'est ni un travailleur ayant charge de famille ni un travailleur isolé.
L'article 59, alinéas 1er et 2, de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d'application de la réglementation du chômage définit en outre la notion de cohabitation dans les termes suivants :
« Par cohabitation, il y a lieu d'entendre le fait, pour deux ou plusieurs personnes, de vivre ensemble sous le même toit et de régler principalement en commun les questions ménagères. Une personne est jusqu'à preuve du contraire réputée habiter à l'adresse de sa résidence principale.
Sont également censés cohabiter les membres du ménage qui :
[...] 2° sont emprisonnés, internés ou placés dans un établissement pour malades mentaux, pendant les douze premiers mois ».
Il ressort des dispositions réglementaires précitées que le chômeur qui cohabite avec une autre personne de son ménage, au sens du premier alinéa de l'article 59 de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991, est censé continuer cette cohabitation avec cette personne lorsque celle-ci fait l'objet d'une détention en prison, et ceci pendant une période de douze mois au plus.
L'arrêt admet qu'avant sa détention à la prison de [...] qui a débuté le 1er novembre 2014, [la mère des enfants du défendeur] avait des revenus de remplacement, que le défendeur cohabitait avec elle au sens du premier alinéa de l'article 59 de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991 depuis le 2 octobre 2013 et qu'avant cette détention, le défendeur devait donc être considéré comme un travailleur cohabitant au sens de l'article 110, § 3, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991.
En vertu de l'article 59, alinéas 1er et 2, de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991, l'emprisonnement de [la mère des enfants du défendeur] n'a pas changé la situation de celui-ci pour les douze premiers mois de cet emprisonnement, en sorte qu'il devait être considéré comme un travailleur cohabitant égaiement pour la période du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2015.
En décidant que le défendeur doit être considéré comme un « travailleur ayant charge de famille » au sens de l'article 110, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 et non comme un travailleur cohabitant au sens de l'article 110,
§ 3, de cet arrêté même pendant ladite période des douze premiers mois de détention de [la mère de ses enfants] et qu'il y a donc lieu de réformer la décision du demandeur du 10 mars 2016 en tant que celui-ci a exclu le défendeur du droit aux allocations comme travailleur ayant charge de famille pour la période du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2015 et a décidé de lui octroyer pour cette période des allocations de chômage comme travailleur cohabitant et de récupérer les allocations perçues indûment pour la différence entre les montants des taux de travailleur ayant charge de famille et de travailleur cohabitant, l'arrêt viole les dispositions réglementaires visées en tête du moyen.

Second moyen

Dispositions légales violées

- articles 1235, alinéa 1er, 1376, 1377, alinéa 1er, 1378, 1382 et 1383 du Code civil ;
- articles 110, §§ 1er et 3, 114, § 1er, alinéa 1er, 134, 139, 144, § 1er, 169, alinéa 1er, et 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, lesdits articles 144, § 1er, et 170, alinéa 1er, tant avant qu'après leur modification par l'arrêté royal du 17 juillet 2015 ;
- article 7, § 13, alinéas 2 et 3, de l'arrêté royal du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ;
- article 1er de l'arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions, indemnités et allocations.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt constate les faits et les antécédents mentionnés au premier moyen.
Il estime que, « en dehors des périodes de détention [de la mère des enfants du défendeur à la prison de [...]], la cohabitation doit être confirmée ».
Il admet en conséquence que, pour les période du 2 octobre 2013 au 31 octobre 2014 et du 27 novembre 2015 au 13 mars 2016, le défendeur n'avait pas droit aux allocations de chômage au taux prévu pour le travailleur ayant charge de famille et qu'il a donc reçu des allocations de chômage indues jusqu'à concurrence de la différence entre le montant des allocations dues à un travailleur ayant charge de famille et le montant des allocations dues à un travailleur cohabitant en vertu des articles 110, §§ 1er et 3, et 114, § 1er,
alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage
L'arrêt déclare l'appel du défendeur fondé dans la mesure suivante : « limite la récupération à vingt pour cent de la différence de taux pour la période du 2 octobre 2013 au 31 octobre 2014 et puis du 27 novembre 2015 au 13 mars 2016 ».
Il fonde cette décision sur les motifs suivants :
« À titre subsidiaire, [le défendeur] invoque une faute [du demandeur] ;
Il reproche à [celui-ci] d'avoir tardé à invoquer l'existence d'une cohabitation alors que, sur la base des données du registre national et du flux électronique des changements d'adresse, il était nécessairement au courant de l'inscription au domicile [de la mère des enfants du défendeur] depuis octobre 2013 ;
Il y a lieu de considérer qu'en ayant attendu 2016 pour réagir, [le demandeur] ne s'est pas comporté comme un organisme de sécurité sociale normalement prudent et diligent. Il ne le conteste d'ailleurs pas. Certes, dans un premier temps, c'est [au défendeur] qu'il incombait de signaler l'inscription de [la mère de ses enfants] à son domicile, même si, dans le contexte rappelé ci-dessus, il pouvait penser qu'il ne s'agissait pas d'une cohabitation ;
Mais il incombait, en tout état de cause, [au demandeur] de contrôler la situation dans un délai raisonnable ;
La cour [du travail] estime que, si [le demandeur] avait réagi plus vite et avait indiqué [au défendeur] que l'inscription à son domicile de [la mère de ses enfants], avec qui il n'avait pas de projet de vie, serait considérée comme une cohabitation, il aurait pris ses dispositions pour qu'elle modifie cette inscription et quitte les lieux rapidement. Il est donc certain que, sans la faute [du demandeur], l'indu serait beaucoup moins important ;
Dès lors que le manquement [du défendeur] se combine avec une faute [du demandeur] qui génère un dommage en lien causal avec cette faute, il y a matière à partage de responsabilité. La faute [du demandeur] apparaît prépondérante. Il y a donc lieu de mettre à sa charge quatre-vingts pour cent du dommage ;
Il y a donc lieu de réduire la récupération à vingt pour cent de la différence de taux pour la période du 2 octobre 2013 au 31 octobre 2014 et puis du 27 novembre 2015 au 13 mars 2016 ;
Le reste correspond au dommage que [le demandeur] doit supporter en réparation de la faute qu'il a commise ».

Griefs

Il suit des articles 1235, alinéa 1er, 1376, 1377, alinéa 1er, et 1378 du Code civil que celui qui a fait un paiement indu peut le répéter et que celui qui reçoit ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ce dernier était de bonne ou de mauvaise foi, sauf pour ce qui concerne les intérêts ou les fruits.
L'article 169, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, qui dispose que « toute somme perçue indûment doit être remboursée », ne fait qu'appliquer aux allocations de chômage l'obligation que les dispositions précitées du Code civil mettent à charge de celui qui reçoit un paiement indu.
La restitution d'un paiement indu ne constitue pas, pour celui qui y est obligé par l'effet des dispositions légales précités, un dommage susceptible d'être réparé sur pied des articles 1382 et 1383 du Code civil, dès lors qu'il ne dispose d'aucun droit de garder par devers lui la somme que la loi l'oblige à restituer pour l'avoir reçue indûment et qu'il n'a donc aucun intérêt légitime à la conserver.
Aux termes de l'article 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, « la récupération des sommes payées indûment est ordonnée par le directeur, par les personnes visées à l'article 142, § 2, ou par la juridiction compétente ».
L'article 7, § 13, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs dispose en son alinéa 2 :
« Le droit de l'Office national de l'emploi d'ordonner la répétition des allocations de chômage payées indûment ainsi que les actions des organismes de paiement en répétition d'allocations de chômage payées indûment se prescrivent par trois ans. Ce délai est porté à cinq ans lorsque le paiement indu résulte de la fraude ou du dol du chômeur ».
En vertu de l'alinéa 3 de la disposition précitée, ce délai de prescription prend cours « le premier jour du trimestre civil suivant celui au cours duquel le paiement a été effectué ».
Il résulte de ces dispositions que, hors le cas de fraude ou de dol du chômeur, l'Office national de l'emploi dispose, pour ordonner la récupération des allocations de chômage indûment perçues, d'un délai de trois ans à partir du premier jour du trimestre civil qui suit celui auquel les allocations se rapportent. Il ne commet pas de faute susceptible d'engager sa responsabilité au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil lorsqu'il agit en récupération des allocations indues dans ledit délai de prescription.
L'article 139 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 dispose, en ses alinéas 1er à 3 :
« Le bureau du chômage peut vérifier toutes les déclarations et documents introduits par le chômeur.
Il peut procéder à toutes les enquêtes et investigations nécessaires, notamment auprès des administrations communales et des employeurs.
Il peut aussi vérifier à tout moment si le travailleur satisfait à toutes les conditions requises pour prétendre aux allocations ».
Aux termes de l'article 144, § 1er, du même arrêté, « préalablement à toute décision de refus, d'exclusion ou de suspension du droit aux allocations [prise par le directeur] en application de l'article 142, § 1er, ou de l'article 149, le travailleur est convoqué aux fins d'être entendu en ses moyens de défense et sur les faits qui fondent la décision ».
L'Office national de l'emploi ne commet pas non plus de faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil en ne convoquant pas le chômeur qui a perçu des allocations de chômage à un taux auquel il n'avait pas droit aussitôt qu'il aurait pu s'apercevoir, en exerçant la surveillance qu'il peut mettre en œuvre sur pied de l'article 139 de l'arrêté royal précité, d'une modification de la situation familiale du chômeur de nature à influencer le taux des allocations auxquelles celui-ci a droit.
En effet, antérieurement à tout exercice de ce pouvoir de surveillance par l'Office national de l'emploi, le chômeur qui sait ou doit savoir qu'il n'est pas ou plus dans les conditions de percevoir les allocations à leur taux maximum réservé aux travailleurs ayant charge de famille, doit immédiatement en faire la déclaration, en vertu tant de l'article 1er, alinéa 2, de l'arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions et allocations, qui dispose que « toute personne qui sait ou devait savoir n'avoir plus droit à l'intégralité d'une subvention, indemnité ou allocation prévue à l'alinéa 1er est tenue d'en faire la déclaration », que de l'article 134, §§ 1er, 2°, 2, 3°, et 3, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, qui oblige le chômeur à transmettre à son organisme de paiement, en cours de chômage, une déclaration de sa situation personnelle et familiale lorsqu'un événement modificatif est survenu qui est de nature à influencer le droit aux allocations ou le montant de celles-ci, afin de permettre au directeur de statuer sur le droit aux allocations et de fixer le montant de celles-ci.
L'Office national de l'emploi est en droit de compter sur le respect par le chômeur des obligations mises à sa charge par les dispositions réglementaires précitées.
Il ressort des constatations de l'arrêt que, le 21 janvier 2016, le demandeur a convoqué le défendeur pour une audition le 2 février 2016 au bureau de chômage, audition à laquelle le défendeur ne s'est pas présenté, et que, le 10 mars 2016, il a pris la décision « de récupérer les allocations de chômage indûment perçues pour la différence entre les montants des taux du travailleur ayant charge de famille et du travailleur cohabitant du 2 octobre 2013 au 13 mars 2016 », en manière telle que le demandeur agissait dans le délai de trois ans prévu par l'article 7, § 13, alinéas 2 et 3, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.
Sous la réserve de la période pendant laquelle [la mère des enfants du défendeur], qui cohabitait avec [celui-ci], avait fait l'objet d'une détention en prison, l'arrêt admet que les allocations versées au défendeur au taux réservé au travailleur ayant charge de famille plutôt qu'au taux prévu pour les travailleurs cohabitants étaient indues jusqu'à concurrence de la différence entre ces taux et que le défendeur aurait dû déclarer la cohabitation qui avait pour effet modifier le taux des allocations qu'il percevait.
En décidant que, à défaut d'avoir « contrôlé la situation dans un délai raisonnable », le demandeur a commis une faute et que, sans cette faute, l'indu aurait été moins important, et qu'il y a lieu de mettre à charge du demandeur quatre-vingts pour cent du « dommage » du défendeur, consistant selon l'arrêt dans l'obligation de rembourser des allocations indues, l'arrêt viole
1° les articles 1235, alinéa 1er, 1376, 1377, alinéa 1er, 1378 du Code civil et 169, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, dont il résulte que la restitution d'un paiement indu ne constitue pas pour celui qui y est obligé un dommage susceptible d'être réparé en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil et, partant, lesdits articles 1382 et 1383 ;
2° les articles 134, 139, 144, § 1er, 169, alinéa 1er, et 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, 7, § 13, alinéas 2 et 3, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 et 1er, alinéa 2, de l'arrêté royal du 31 mai 1933, dont il résulte que l'Office national de l'emploi ne commet pas de faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil en ne convoquant pas le chômeur aussitôt qu'il aurait pu s'apercevoir, en exerçant son droit de surveillance, d'une modification de la situation familiale du chômeur et, partant, lesdits articles 1382 et 1383.
Il n'est, dès lors, pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées en tête du moyen).

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

En vertu de l'article 59, alinéa 1er, de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d'application de la réglementation du chômage, il y a lieu d'entendre par cohabitation le fait, pour deux ou plusieurs personnes, de vivre ensemble sous le même toit et de régler principalement en commun les questions ménagères.
L'article 59, alinéa 2, 2°, de cet arrêté dispose que sont également censés cohabiter, pendant les douze premiers mois, les membres du ménage qui sont emprisonnés, internés ou placés dans un établissement pour malades mentaux.
L'arrêt constate que la mère des enfants du défendeur « a été inscrite [au] domicile [de celui-ci] à partir du 2 octobre 2013 », qu'elle a, dès ce moment, bénéficié jusqu'à la fin de juin 2014 d'allocations de chômage et, par la suite, d'indemnités de mutuelle, et qu'elle a été détenue « à la prison de [...] du 1er novembre 2014 au 26 novembre 2015 », et il tient, en dehors de cette période d'emprisonnement, la cohabitation de ces personnes pour établie au sens de l'article 59, alinéa 1er, précité.
En considérant, pour en déduire que le défendeur n'était, durant la période du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2015, pas un travailleur cohabitant, que, « pendant les périodes de détention, il n'y a pas eu vie ‘sous le même toit' », l'arrêt viole l'article 59, alinéa 2, 2°, de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991.
Le moyen est fondé.

Sur le second moyen :

Aux termes de l'article 169, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, toute somme perçue indûment doit être remboursée.
L'obligation de restituer un paiement indu ne constitue pas en soi un dommage au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil dès lors que celui sur qui pèse cette obligation n'a aucun droit à l'avantage faisant l'objet du paiement.
L'arrêt décide qu'il y a, pour les périodes du 2 octobre 2013 au 31 octobre 2014 et du 27 novembre 2015 au 13 mars 2016, pendant lesquelles il tient pour établie la cohabitation du défendeur avec la mère de ses enfants, matière à exclusion et à récupération des allocations de chômage indûment payées.
En considérant, pour limiter la condamnation du défendeur à vingt pour cent de l'indu, qu'« il incombait [au demandeur] de contrôler la situation dans un délai raisonnable », que, « sans [cette] faute, l'indu [eût été] beaucoup moins important » et que, compte tenu de la prépondérance de cette faute dans la genèse du dommage, « il y a lieu de mettre à [la] charge [du demandeur] quatre-vingts pour cent [de celui-ci] », l'arrêt viole les dispositions légales précitées.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il confirme la décision administrative querellée, qu'il remplace la sanction d'exclusion prononcée par cette décision par un avertissement et qu'il rétablit le défendeur dans ses droits pendant la durée de cette exclusion ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Les dépens taxés à la somme de cent quarante-trois euros vingt-trois centimes envers la partie demanderesse et à la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal, Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du vingt-huit octobre deux mille dix-neuf par le conseiller faisant fonction de président Mireille Delange, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.18.0075.F
Date de la décision : 28/10/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-10-28;s.18.0075.f ?

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