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06/09/2019 | BELGIQUE | N°C.11.0070.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 septembre 2019, C.11.0070.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.11.0070.F
M. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d'État à la Politique de migration et d'asile, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 51,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est Ã

©tabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.11.0070.F
M. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d'État à la Politique de migration et d'asile, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 51,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 juin 2010 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 584 du Code judiciaire ;
- articles 71 et 72 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ;
- article 144 de la Constitution ;
- articles 5, §§ 1er, f), 4 et 5, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955 ;
- article 9, §§ 1er, 4 et 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 décembre 1966 et approuvé par la loi du 15 mai 1981.
Décisions et motifs critiqués

Après avoir rappelé que « l'objet du litige est l'arrêté ministériel du 26 mars 2010 du secrétaire d'État à la Politique de migration et d'asile, pris en application de l'article 54, § 2, de la loi du 15 décembre 1980 [...], décidant que, ‘s'il n'est détenu pour d'autre motif, [le demandeur] est mis provisoirement à la disposition du gouvernement' » et que le demandeur « a demandé au premier juge d'enjoindre à l'État belge de le libérer sans délai, dans l'attente des décisions à intervenir sur les recours en annulation qu'il a introduits contre des décisions d'éloignement du territoire et de privation de liberté qui lui ont été notifiées en mars 2010 ou, à tout le moins, dans l'attente de la décision sur son recours en annulation contre l'arrêté ministériel litigieux », l'arrêt décide que le juge des référés n'est pas compétent pour connaître de cette demande.
Cette décision est fondée sur tous les motifs de l'arrêt réputés ici intégralement reproduits et spécialement que :
« Il résulte de l'article 71, alinéa 1er, [de la loi du 15 décembre 1980] et des travaux préparatoires qui ont conduit à son adoption que cette disposition légale crée un recours spécifique et exclusif contre la mesure privative de liberté prise en vertu de l'article 54 de la loi du 15 décembre 1980, en conférant à la chambre du conseil du tribunal de première instance et à la chambre des mises en accusation de la cour d'appel la compétence exclusive de connaître des recours formés par l'intéressé contre cette mesure ou contre les ordonnances de la chambre du conseil qui la confirment ou l'infirment. Selon l'exposé des motifs accompagnant le projet de loi ayant conduit à l'adoption de la loi du 10 juillet 1996, ‘la chambre du conseil a la compétence de contrôler l'application des conditions légales de la prolongation d'une décision de détention de même qu'elle est compétente en cas de recours contre la décision de détention elle-même. Ce recours, à intervalles réguliers, devant la chambre du conseil répond à l'obligation, imposée par l'article 5, § 4, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de permettre à l'étranger d'introduire un recours devant un tribunal afin de voir statuer sur la légalité de sa détention' [...].
La chambre du conseil du tribunal de première instance a la compétence de contrôler [la] légalité de la mesure privative de liberté et d'éloignement du territoire et de s'assurer que la mesure privative de liberté ou sa prolongation ne porte pas atteinte aux droits subjectifs que l'intéressé puise dans la Convention. En outre, elle statue à bref délai et ses ordonnances sont susceptibles d'appel ».

Griefs

En vertu de l'article 5, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté et nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
L'article 5, § 4, de la Convention prévoit que toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
L'article 5, § 5, dispose que toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.
L'article 9, §§ 1er, 4 et 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit les mêmes droits et garanties.
L'article 13 de la Convention précitée dispose que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.

En vertu de l'article 144 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux tandis que l'article 584 du Code judiciaire prévoit que le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.
L'article 71 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, seul ou combiné avec l'article 63 de la même loi, qui prévoit que l'étranger qui fait l'objet d'une mesure privative de liberté, en application notamment de l'article 54 de la loi, peut introduire un recours contre cette mesure devant la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu de sa résidence ou du lieu où il a été trouvé, ne permet pas de priver cet étranger, sans violer les articles 5, §§ 1er, 4 et 5, et 13 de la Convention, du droit de saisir le juge des référés pour faire statuer, au provisoire, sur l'atteinte à son droit subjectif à la liberté et la sûreté. En effet, l'article 72 de la loi du 15 décembre 1980 prévoit expressément que la chambre du conseil peut uniquement vérifier si la mesure privative de liberté est conforme à la loi, sans pouvoir statuer sur son opportunité, c'est-à-dire sans pouvoir apprécier si d'autres moyens auraient pu être utilisés et d'autres mesures moins contraignantes prises et, partant, sans pouvoir exercer le contrôle visé à l'article 5, § 1er, de la Convention, en vertu duquel le respect du droit national ne suffit pas à la « régularité » d'une mesure privative de liberté qui ne peut être arbitraire et doit cadrer « véritablement » avec le but de la restriction autorisée à l'article 5, § 1er, f), de la Convention.
Le demandeur soutenait dans ses conclusions que le droit à la liberté et à la sûreté est un droit civil, protégé par l'article 5 de la Convention, et que l'action de l'administration qui entrave ce droit ressortit au juge des référés.
Il faisait valoir la nécessité d'une « protection effective des droits subjectifs » et soutenait que « l'existence d'un recours devant la chambre du conseil n'énerve [...] en rien le constat qu'en l'espèce, [il] demande à ce qu'il soit mis fin à une atteinte illégale ou arbitraire de l'administration à son droit subjectif à la liberté, protégé par l'article 5 de la Convention ».
L'arrêt, qui exclut la compétence du juge des référés, au motif que « la chambre du conseil du tribunal de première instance a la compétence de contrôler la légalité de la mesure privative de liberté et d'éloignement du territoire et de s'assurer que la mesure privative de liberté ou sa prolongation ne porte pas atteinte aux droits subjectifs que l'intéressé puise dans la convention de sauvegarde des droits de l'homme », alors que la chambre du conseil n'exerce pas et ne peut exercer le contrôle effectif exigé par les articles 5, §§ 1er et 4, et 13 de cette convention, viole toutes les dispositions visées au moyen.

III. La décision de la Cour

Conformément à l'article 54, § 2, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, dans sa version applicable au litige, dans des circonstances exceptionnellement graves, le ministre peut mettre l'étranger qui a introduit une demande d'asile à titre provisoire à la disposition du gouvernement s'il l'estime nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public ou de la sécurité nationale.
En vertu de l'article 71, alinéa 1er, de cette loi, l'étranger qui a fait l'objet d'une mesure privative de liberté prise en application de l'article 54 peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel.
Aux termes de l'article 72, alinéa 2, de cette loi, la chambre du conseil vérifie si les mesures privatives de liberté sont conformes à la loi, sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité.
Le contrôle de légalité de la mesure privative de liberté prise en application de l'article 54, § 2, alinéa 2, précité, porte notamment sur sa conformité aux règles de droit international ayant des effets directs dans l'ordre interne.

L'article 5, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que toute personne a droit à la liberté et que nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
Il s'ensuit que, lorsqu'elle est saisie du recours d'un demandeur d'asile contre un arrêté ministériel le mettant à la disposition du gouvernement, la chambre du conseil est tenue, en vertu du principe de subsidiarité des mesures contraignantes qui découle de l'article 5, § 1er, f), de la convention précitée, d'examiner si d'autres moyens auraient pu être utilisés et si d'autres mesures moins contraignantes que cette mesure de privation de liberté auraient pu être prises.
Le moyen qui, pour fonder la compétence du président du tribunal de première instance, statuant au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence, de se prononcer sur l'opportunité d'une mesure privative de liberté d'un étranger, repose sur la considération que, en vertu de l'article 72, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980, la chambre du conseil n'exerce pas et ne peut exercer le contrôle effectif du principe de subsidiarité des mesures contraignantes en cas de mise à disposition du gouvernement fondée sur l'existence d'une demande d'asile, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent neuf euros soixante-neuf centimes en débet envers la partie demanderesse et à la somme de trois cent treize euros cinquante-cinq centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Sabine Geubel et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du six septembre deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.11.0070.F
Date de la décision : 06/09/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-09-06;c.11.0070.f ?

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