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04/09/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0349.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 septembre 2019, P.19.0349.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0349.F
A.B.,
mineur d'âge au moment des faits,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Christophe Marchand et Oriane Todts, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 25 février 2019 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre de la jeunesse.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 7 juin 2019, l'avocat général Damien Vandermeersch a

déposé des conclusions au greffe.
Le 13 août 2019, le demandeur a déposé au greffe une note en ré...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0349.F
A.B.,
mineur d'âge au moment des faits,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Christophe Marchand et Oriane Todts, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 25 février 2019 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre de la jeunesse.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 7 juin 2019, l'avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
Le 13 août 2019, le demandeur a déposé au greffe une note en réponse conformément à l'article 1107 du Code judiciaire.
A l'audience du 4 septembre 2019, le conseiller Tamara Konsek a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le premier moyen :

Le moyen est pris de la violation de l'article 141bis du Code pénal, lu à la lumière des principes de droit international humanitaire.

Quant à la première branche :

Il est reproché au demandeur d'avoir participé à l'activité d'un groupe terroriste, fait qualifié infraction en vertu de l'article 140 du Code pénal, pour s'être rendu en Syrie et y avoir intégré les rangs du groupement Majlis Shura Al Mujahidin.

Le moyen fait grief à l'arrêt de rejeter la clause d'exclusion visée à l'article 141bis du Code pénal sur la base, notamment, de critères autres que l'intensité suffisante des hostilités et l'organisation minimale des parties, seuls retenus par le droit international humanitaire. Le demandeur soutient qu'en tenant compte, en outre, de l'absence d'une chaîne de commandement, de l'absence de capacité du commandement de répondre des faits commis, de mener des opérations militaires continues et concertées et d'imposer une discipline à ses membres, ainsi que du caractère non identifiable du groupe armé, circonstances ne constituant que de simples facteurs indicatifs dans l'examen du degré d'organisation du groupe, la cour d'appel aurait fondé sa décision sur des critères non pertinents.

Conformément à la disposition précitée, le titre 1erbis du Code pénal ne s'applique pas aux activités des forces armées en période de conflit armé, tels que défini[e]s et régi[e]s par le droit international humanitaire, ni aux activités menées par les forces armées d'un Etat dans l'exercice de leurs fonctions officielles, pour autant qu'elles soient régies par d'autres règles de droit international.
Concernant le droit international humanitaire, en vertu de l'article 3 commun des Conventions de Genève du 12 août 1949, en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des parties contractantes, chacune des parties au conflit est tenue d'appliquer au moins les dispositions que cet article énumère.

L'article 1.1 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (Protocole II) dispose :
« Le présent Protocole, qui développe et complète l'article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 sans modifier ses conditions d'application actuelles s'applique à tous les conflits armés qui ne sont pas couverts par l'article premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) et qui se déroulent sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole ».

Ainsi, il y a conflit armé au sens du droit international humanitaire lorsqu'il est question de violences armées entre Etats ou de violences armées persistantes entre des instances gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes entre eux au sein d'un Etat.

L'existence de violences armées persistantes auxquelles des groupes armés organisés sont parties s'apprécie au regard de l'intensité du conflit et du degré d'organisation des parties impliquées. L'existence d'un commandement responsable et la capacité de mener des opérations militaires continues et concertées sont des facteurs indicatifs qui peuvent être utilisés pour vérifier si les exigences relatives à l'intensité du conflit et au degré d'organisation des parties impliquées sont rencontrées.

Partant, si, pour déterminer l'existence de violences armées persistantes auxquelles des groupes armés organisés sont parties, il y a lieu de prendre en considération les critères de l'intensité du conflit et du degré d'organisation des parties impliquées, rien n'empêche le juge de prendre en considération d'autres éléments, tels que l'existence d'un commandement responsable ou la capacité de mener des opérations militaires continues et concertées, à titre de facteurs indicatifs pour vérifier les exigences relatives aux deux critères précités.

Le juge constate souverainement en fait l'existence d'éléments établissant des activités menées par des forces armées en période de conflit armé au sens de l'article 141bis précité. Il appartient toutefois à la Cour de vérifier si, de ses constatations, il a pu légalement déduire sa décision.

L'arrêt relève en substance que
- le fait reproché au demandeur s'inscrit dans le conflit syrien qui, au départ d'une révolte, s'est mué en lutte armée à laquelle participent des djihadistes arrivés de toutes parts ;
- hormis l'armée syrienne régulière, trois groupements principaux et d'autres groupes de plus petite importance, dont le groupement Majlis Shura Mujahidin, ont occupé le terrain ;
- le demandeur a rejoint ce dernier groupe, composé d'environ une centaine de personnes ;
- il a effectué lui-même les démarches pour se rendre en Syrie et a financé ce voyage ;
- loin de rejoindre une organisation disposant d'une chaîne de commandement, même rudimentaire, qui prenait en charge ses combattants, finançait leurs activités et était capable de mener des opérations militaires continues, planifiées et concertées, le demandeur a dû, au contraire, se contenter de renseignements obtenus du frère de celui qui l'avait accompagné en Syrie ;
- le demandeur ne portait pas d'uniforme ou autre signe distinctif pouvant l'identifier comme membre d'un groupe ;
- il demandait à ses parents, restés en Belgique, de pourvoir à son habillement et au rechargement de sa carte SIM et de lui envoyer sa tablette et de l'argent ;
- il a très rapidement décidé de sa propre initiative, sans devoir solliciter une quelconque autorisation, de quitter le groupe ;
- le groupement ne disposait pas d'un commandement non secret, responsable pour ses subordonnés, et n'avait pas la capacité d'instaurer un régime disciplinaire et de le faire respecter par ses membres à défaut de pouvoir les identifier, ni celle de mettre en œuvre les règles du droit international humanitaire.

De ces considérations, qui prennent en compte des circonstances relatives à son caractère organisé ou non, le juge d'appel a pu légalement déduire que le groupe Majlis Shura Mujahidin n'est pas un groupement suffisamment organisé de manière à pouvoir être considéré comme un groupe armé au sens de l'article 141bis du Code pénal.

Le moyen ne peut être acueilli.

Quant à la seconde branche :

Le moyen fait grief à la cour d'appel d'avoir exclu l'application de l'article 141bis du Code pénal en raison de l'idéologie terroriste du groupement Majlis Shura Mujahidin alors que les objectifs poursuivis par les groupes armés seraient sans incidence sur leur statut en droit international humanitaire.

Après avoir exclu l'application de l'article 141bis précité pour les motifs indiqués en réponse à la première branche du moyen, le juge d'appel a examiné l'infraction mise à charge du demandeur. A cet égard, il a considéré qu' « il n'en reste pas moins que ce groupe est une organisation de plus de deux personnes, établie dans le temps et agissant en vue de commettre des infractions terroristes visées à l'article 137 du Code pénal », dès lors qu'il prône, entre autres, le renversement du régime existant et l'instauration d'un régime islamiste appliquant la loi islamique par le biais de la violence et que les exactions commises en Syrie et ailleurs démontrent sa volonté d'intimider gravement la population, ou de contraindre indûment les pouvoirs publics à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte ou de gravement déstabiliser ou de détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays.

En énonçant ensuite que le demandeur « a donc rejoint un groupe terroriste et non un groupe armé organisé au sens du droit international humanitaire », l'arrêt n'exclut pas l'application de l'article 141bis du Code pénal sur la base d'un critère que le moyen juge non pertinent mais considère que le fait qualifié d'infraction mis à charge du demandeur est établi.

Reposant sur une autre interprétation de l'arrêt, le moyen manque en fait.

Sur le deuxième moyen :

Pris de la violation du principe de légalité et de prévisibilité de la loi pénale, le moyen fait grief à l'arrêt d'interpréter l'article 141bis du Code pénal dans un sens excessivement restrictif, exigeant pour son application une organisation hiérarchique qui s'apparente à une armée étatique et, partant, d'être fondé sur un critère non pertinent.

Reposant sur le grief vainement invoqué à la première branche du premier moyen, le moyen est irrecevable.

Dans une note en réponse déposée en application de l'article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire, le demandeur sollicite à titre subsidiaire que soient posées à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
« Le considérant 37 de la directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil, lu en combinaison avec l'article 4 de celle-ci, doit-il être interprété en ce sens que, pour que la directive ne régisse pas les activités d'un groupe armé, il s'impose et il suffit que ce groupe justifie d'un minimum d'organisation et soit impliqué dans un conflit armé suffisamment intense, au sens restrictif donné à ces notions par le droit international humanitaire ? » ; et
« Le considérant 37 de la directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil, lu en combinaison avec l'article 4 de celle-ci, viole-t-il le principe général de légalité et de prévisibilité de la loi pénale, en ce qu'il exclut du champ d'application de la directive les activités des ‘forces armées' en période de ‘conflit armé', sans donner d'indication au juge national quant à la portée de ces notions ? ».

Conformément à l'article 1107, alinéas 2 et 3, du Code judiciaire, une partie peut, exclusivement en réponse aux conclusions du ministère public, déposer une note dans laquelle elle ne peut soulever de nouveaux moyens.

Elle ne peut davantage demander à la Cour de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne lorsqu'elle aurait pu le faire, comme en l'espèce, dans le mémoire déposé dans le délai légal. En décider autrement reviendrait à lui permettre de contourner ce délai, imposé à peine d'irrecevabilité.

Les questions préjudicielles ne sont pas posées.

Sur le troisième moyen :

Le moyen reproche à la cour d'appel d'avoir dit les poursuites recevables alors qu'il existe une règle contraignante et coutumière de droit international qui s'oppose à la poursuite, la sanction ou la stigmatisation judiciaire, quelle qu'elle soit, d'un enfant-soldat pour le simple fait d'avoir rejoint ou d'avoir été enrôlé par un groupe armé. Le moyen soutient que la preuve de l'existence de cette règle coutumière est appréciée au regard de ce que la communauté des Etats accepte comme étant une règle juridique et que l'identification de son contenu peut notamment se faire à travers les traités, les actes d'organisations internationales et le statut fondateur ou la jurisprudence de juridictions internationales.
Ainsi qu'il est indiqué en réponse à la première branche du premier moyen, l'arrêt justifie légalement sa décision que le demandeur n'a pas fait partie d'un groupe armé au sens du droit international humanitaire.

Reposant sur l'hypothèse contraire, le moyen manque en fait.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent quatre-vingt-trois euros vingt et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du quatre septembre deux mille dix-neuf par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.0349.F
Date de la décision : 04/09/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-09-04;p.19.0349.f ?

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