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24/06/2019 | BELGIQUE | N°S.18.0096.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 juin 2019, S.18.0096.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt

N° S.18.0096.F
OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

R. L.,
défenderesse en cassation.


I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2018 par

la cour du travail de Liège.
Le 21 mai 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusion...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt

N° S.18.0096.F
OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

R. L.,
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2018 par la cour du travail de Liège.
Le 21 mai 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées
- articles 580, 1° et 2°, et 1042 du Code judiciaire ;
- article 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ;
- articles 51, § 1er, alinéas 1er et 2, 2°, 52, § 1er, et 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense ;
- principe général du droit de bonne administration « audi alteram partem ».

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt constate que :
« [La défenderesse] a travaillé à partir du 1er juin 2012 pour le compte de la société [...] ; le 7 mars 2016, elle a été licenciée moyennant une indemnité de rupture ; le formulaire C4 mentionne comme motif du licenciement : ‘ne convient pas au poste d'assistante commerciale' ; elle sollicite le bénéfice des allocations de chômage à partir du 31 août 2016 ;
Par lettre du 23 septembre 2016, l'Office national de l'emploi interroge l'employeur pour savoir dans quelle mesure [la défenderesse] est éventuellement responsable de la rupture de son contrat de travail ;
Par lettre du 27 septembre 2016, [la défenderesse] est convoquée par l'Office pour le 10 octobre 2016 afin d'être entendue sur les raisons de son licenciement ; lors de son audition [...], [la défenderesse] déclare : [...] ;
Le même 10 octobre, l'Office reçoit la réponse de l'employeur du 6 octobre 2016 contenant différentes pièces ; l'Office reconnaît qu'au moment de l'audition, le fonctionnaire chargé de l'audition ne disposait pas encore de ces documents et que [la défenderesse] n'a ainsi pas pu s'expliquer à leur sujet ;
Par décision du 12 octobre 2016, l'Office retient, en se référant ‘à l'enquête effectuée par le bureau du chômage, [qui] démontre que [la défenderesse] avait reçu des avertissements et [qu'elle devait] avoir conscience [...] que [son] comportement [lui] faisait courir le risque d'être licenciée', qu'[elle] est chômeuse par suite de circonstances qui dépendent de sa volonté et l'exclut à partir du 31 août 2016 pendant six semaines ;
Par requête déposée au greffe du tribunal du travail le 3 [lire : 31] octobre 2016, [la défenderesse] a contesté cette décision ;
[...] [Le jugement entrepris] a dit le recours recevable, considéré que le droit de défense de [la défenderesse] n'a pas été respecté et qu'en tenant compte des seules pièces que le tribunal pouvait prendre en considération, l'Office ne rapportait pas la preuve d'une attitude fautive de la [défenderesse] en lien avec son licenciement, et déclaré le recours fondé en annulant la décision administrative ».
L'arrêt déclare l'appel du demandeur non fondé et confirme le jugement entrepris par les motifs suivants :
« 1. L'audition préalable - Les droits de la défense
L'article 144, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 dispose que, préalablement à toute décision de refus, d'exclusion ou de suspension du droit aux allocations prise par le directeur en application de l'article 142, § 1er, ou de l'article 149, le travailleur est convoqué aux fins d'être entendu en ses moyens de défense et sur les faits qui fondent la décision ;
L'Office national de l'emploi reconnaît qu'au moment où [la défenderesse] a été entendue, il ne disposait pas encore de l'enquête patronale, au sujet de laquelle [elle] n'a ainsi pas pu être entendue, et que la décision administrative a été prise sans nouvelle audition ;
Saisie du moyen suivant lequel, ‘si, en application du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense et du principe général de bonne administration « audi alteram partem », l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage impose que, préalablement à toute décision de refus, d'exclusion ou de suspension du droit aux allocations en application de l'article 142 ou 149, le travailleur [soit] convoqué aux fins d'être entendu en ses moyens et sur les faits qui fondent la décision, et si la violation de cette règle entraîne la nullité de la décision de refus, d'exclusion ou de suspension qui serait adoptée par le demandeur, cette nullité ne saurait affecter l'ensemble de la procédure administrative qui précède la décision irrégulière ; qu'elle ne peut s'étendre qu'à des actes qui auraient été accomplis après que le travailleur aurait dû être entendu ; qu'en effet, seuls ces actes ont pu être affectés par la violation du droit du travailleur d'être entendu ; qu'il s'ensuit qu'en décidant que la cour du travail ne pouvait avoir égard à aucune pièce de la procédure administrative, mais seulement à des pièces étrangères à celle-ci, l'arrêt méconnaît les limites de la sanction de la violation du droit de défense du demandeur en l'étendant à des pièces et à des actes qui n'ont pas été affectés par cette violation (violation de l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 et des principes généraux du droit visés au moyen)', la Cour de cassation a jugé le 9 mai 2011 [...] que ‘l'absence d'audition préalable entraîne la nullité de la décision administrative, sans qu'elle s'étende aux pièces du dossier administratif constitué préalablement par le demandeur' ;
Conformément à cette jurisprudence, il y a lieu d'annuler la décision administrative mais aussi d'examiner le fond du litige sur la base des seuls éléments du dossier administratif préalables à l'audition (et de l'audition elle-même).
2. Au fond
L'article 51, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 dispose que :
‘Le travailleur qui est ou devient chômeur par suite de circonstances dépendant de sa volonté peut être exclu du bénéfice des allocations conformément aux dispositions des articles 52 à 54.
Par « chômage par suite de circonstances dépendant de la volonté du travailleur », il faut entendre :
[...] 2° le licenciement pour un motif équitable eu égard à l'attitude fautive du travailleur' ;
L'article 52, § 1er, du même arrêté énonce que ‘le travailleur qui est ou devient chômeur par suite d'un licenciement au sens de l'article 51, § 1er, alinéa 2, 2°, peut être exclu du bénéfice des allocations pendant quatre semaines au moins et vingt-six semaines au plus' ;
Pour qu'il y ait chômage ‘volontaire', trois conditions doivent être remplies : 1. le travailleur a eu une attitude fautive, 2. cette faute est la cause du licenciement, 3. le travailleur avait - ou devait avoir - conscience que son comportement entraînerait son licenciement ;
La charge de la preuve incombe à l'Office national de l'emploi ;
Des pièces du dossier administratif tel qu'il était constitué avant l'audition de [la défenderesse], et de l'audition de celle-ci, il ne résulte pas que ces conditions soient remplies ».

Griefs

1. Aux termes de l'article 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, les litiges ayant pour objet des droits résultant de la réglementation en matière de chômage sont de la compétence du tribunal du travail. En vertu de l'article 580, 2°, du Code judiciaire, le tribunal du travail connaît des contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés résultant des lois et règlements prévus au 1°, notamment en matière de chômage.
Lorsque le directeur du bureau du chômage exclut un chômeur du bénéfice des allocations de chômage en application de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage et que le chômeur conteste cette exclusion devant le tribunal du travail, il en résulte une contestation sur le droit aux allocations de chômage sur laquelle ce tribunal doit statuer. À cet égard, le tribunal du travail et, en degré d'appel, en vertu de l'article 1042 du Code judiciaire, la cour du travail disposent de la pleine juridiction et, moyennant le respect des droits de la défense et dans les limites de la contestation, il appartient au juge de contrôler la légalité de la décision de l'Office national de l'emploi et, s'il annule cette décision, de statuer sur le droit du travailleur aux allocations de chômage dans le respect de la législation et de la réglementation applicables.
Si les juridictions du travail décident que c'est en violation du droit du travailleur à être entendu préalablement à toute décision d'exclusion des allocations, prévu à l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, que le directeur du bureau du chômage a prononcé une décision d'exclusion des allocations sur pied des articles 51, § 1er, alinéas 1er et 2, 2°, et 52, § 1er, du même arrêt et qu'elles annulent cette décision, il appartient alors à ces juridictions de vérifier si le travailleur était dans les conditions pour bénéficier des allocations de chômage sans aucune période d'exclusion et donc de statuer sur le droit de ce travailleur aux allocations au regard de ce que prévoient lesdites dispositions de l'arrêté royal, le tout dans un strict respect des droits de la défense, le débat judiciaire contradictoire réparant la violation des droits de la défense commise par le directeur du bureau de chômage lorsqu'il a pris la décision d'exclusion.
2. Devant la juridiction appelée à statuer sur le recours du travailleur contre une décision administrative d'exclusion des allocations de chômage, tant le travailleur que l'Office national de l'emploi peuvent faire valoir toutes pièces, même celles qui n'avaient pas été produites lors de l'audition du travailleur prévue à l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, pour autant que chaque partie ait la possibilité de contredire ces pièces devant ladite juridiction et de faire valoir à leur égard toutes les observations et tous moyens qui lui semblent utiles.
Ladite juridiction doit dès lors prendre sa décision au vu de toutes les pièces du dossier administratif qui est produit par [le demandeur] et ne peut en exclure les éléments de preuve qui ont été recueillis par [celui-ci] postérieurement à l'audition du travailleur faite en méconnaissance de la disposition réglementaire précitée. En effet, la nullité de la décision administrative en raison de cette méconnaissance n'entraîne pas la nullité du dossier administratif, sauf dans l'hypothèse, non constatée en l'espèce, où les éléments de preuve recueillis par [le demandeur] postérieurement à l'audition du travailleur l'auraient été en raison de la méconnaissance de la disposition réglementaire précitée.
3. Pour annuler la décision administrative du demandeur d'exclure la défenderesse du bénéfice des allocations de chômage pendant six semaines en raison de [ce qu'elle] était « chômeuse par suite de circonstances qui dépendent de sa volonté », au sens des articles 51, § 1er, alinéas 1er et 2, 2°, et 52, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, l'arrêt se fonde sur le motif que la charge de la preuve de la situation de « chômage volontaire » incombe au demandeur et que celui-ci échoue dans cette preuve au regard « des [seules] pièces du dossier administratif tel qu'il était constitué avant l'audition de [la défenderesse] et de l'audition de celle-ci ».
L'arrêt refuse ainsi de tenir compte des éléments de preuve recueillis par le demandeur auprès de l'employeur de la défenderesse parce qu'il s'agissait de documents dont le fonctionnaire chargé de l'audition de la défenderesse ne disposait pas au moment de l'audition et au sujet desquels la défenderesse n'a pas pu s'expliquer à ce moment, alors pourtant que ces documents ont été régulièrement produits devant le premier juge et devant la cour du travail, que la défenderesse a eu l'occasion de faire valoir, devant lesdites juridictions, tous les moyens qu'elle pouvait estimer devoir leur opposer, et que la défenderesse a d'ailleurs fait valoir ses moyens à ce sujet dans ses conclusions d'appel.
L'arrêt méconnaît ainsi les dispositions légales précitées, aux termes desquelles les juridictions du travail auxquelles est soumise une contestation relative au droit des travailleurs au bénéfice des allocations de chômage disposent de la pleine juridiction (violation des articles 580, 1° et 2°, 1042 du Code judiciaire et 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944) et fait en outre une fausse application de l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense et du principe général du droit de bonne administration « audi alteram partem » (violation de ladite disposition réglementaire et desdits principes généraux du droit).
Au surplus, en décidant qu'il n'y a pas lieu de prononcer une exclusion du bénéfice des allocations de chômage sur pied des articles 51, § 1er, alinéas 1er et 2, 2°, et 52, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, sans se fonder sur les éléments qui lui étaient soumis par le demandeur pour justifier la légalité de sa décision d'exclusion au regard des motifs du licenciement de la défenderesse, l'arrêt viole lesdites dispositions réglementaires ainsi que le droit de défense du demandeur (violation du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense).

III. La décision de la Cour

Aux termes de l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, préalablement à toute décision de refus, d'exclusion ou de suspension du droit aux allocations en application des articles 142, § 1er, ou 149, le travailleur est convoqué aux fins d'être entendu en ses moyens de défense et sur les faits qui fondent la décision.
La nullité de la décision administrative qu'emporte l'absence d'audition ne s'étend ni aux pièces du dossier administratif constitué préalablement par le demandeur, ni aux pièces par lesquelles celui-ci complète ultérieurement ce dossier.
En refusant d'avoir égard, pour apprécier le droit de la défenderesse aux allocations de chômage, aux pièces parvenues au demandeur après l'audition de celle-ci, qui n'avait dès lors pas pu s'expliquer à leur propos avant que fût prise la décision administrative querellée, l'arrêt viole l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens ;
Renvoie la cause devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent dix-sept euros quatre-vingt-cinq centimes envers la partie demanderesse et à la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du vingt-quatre juin deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body M. Marchandise A. Jacquemin
M.-Cl. Ernotte M. Delange Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.18.0096.F
Date de la décision : 24/06/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-06-24;s.18.0096.f ?

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