N° P.18.0636.F
C. M.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Shirley Franck, avocat au barreau de Liège, et Paul Thomas, avocat au barreau de Verviers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 26 mars 2018 par le tribunal correctionnel de Liège, division Liège, statuant en degré d'appel.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle et 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif à la présomption d'innocence.
Il reproche au tribunal correctionnel d'avoir considéré que « le formulaire de griefs annexé à l'acte d'appel du [demandeur] vise le taux de la peine mais non la culpabilité, cette case initialement cochée ayant été ensuite clairement biffée ». Le moyen soutient que la case « déclaration de culpabilité » de ce formulaire a bien été cochée, et qu'il est impossible de savoir si la croix inscrite dans cette case a été biffée. Le moyen ajoute qu'il ne ressort d'aucun des éléments du dossier que le demandeur aurait à un moment quelconque reconnu les infractions mises à sa charge et que, dans ces conditions, il subsiste un doute quant aux limites de la saisine des juges d'appel, doute qui doit profiter au demandeur.
2. Il résulte des articles 203, 204 et 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle que la saisine du juge d'appel est, en premier lieu, déterminée par la déclaration d'appel visée à l'article 203 et, ensuite, dans les limites de celle-ci, par les griefs que la partie appelante a indiqués de manière précise dans la requête ou le formulaire de griefs prévus par l'article 204, sans préjudice de l'application des articles 206 et 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle.
En tant qu'il soutient que le juge d'appel, pour déterminer l'étendue de sa saisine, doit avoir égard non seulement à la déclaration d'appel et à la requête d'appel ou au formulaire de griefs, mais également à la circonstance qu'à aucun moment le prévenu appelant n'a reconnu les faits mis à sa charge, le moyen manque en droit.
3. Le juge d'appel apprécie souverainement, sur le fondement de la déclaration d'appel et de la requête ou du formulaire de griefs, quelles sont les décisions du jugement entrepris que l'appelant a entendu déférer à la juridiction d'appel. La Cour vérifie si, de ses constatations, le juge n'a pas déduit des conséquences qui seraient sans lien avec elles ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.
Le tribunal correctionnel a constaté que le formulaire de griefs annexé à l'acte d'appel du demandeur vise le taux de la peine mais ne vise pas la culpabilité, et que cette case, initialement cochée, a ensuite été clairement biffée.
De ces constatations, les juges d'appel ont pu légalement déduire que le demandeur n'avait pas visé la question de la culpabilité dans le formulaire de griefs.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
4. Le moyen soutient qu'en considérant que le formulaire de griefs annexé à l'acte d'appel du demandeur vise le taux de la peine mais ne vise pas la culpabilité, et que cette case, initialement cochée, a ensuite été clairement biffée, le jugement donne à ce formulaire un sens et une portée qui méconnaissent ce que le demandeur a voulu exprimer et, partant, viole la foi due à cet acte. A cet égard, le moyen précise que le demandeur a toujours soutenu avoir coché la case « déclaration de culpabilité », qu'il conteste formellement avoir biffé cette mention et qu'il n'a pas limité son recours à la seule question de la peine.
5. Il ressort de la copie certifiée conforme du formulaire de griefs que la case « 1.1 déclaration de culpabilité » a été cochée et ensuite surchargée d'un autre signe, alors que la case « 1.4 taux de peine » est cochée sans surcharge.
En ayant considéré que la « case [1.1 déclaration de culpabilité] initialement cochée [a] été ensuite clairement biffée », les juges d'appel n'ont pas donné du formulaire de griefs une interprétation inconciliable avec ses termes.
Le moyen manque en fait.
Sur le troisième moyen :
6. Pris de la violation de l'article 149 de la Constitution, le moyen reproche au jugement de ne pas répondre aux conclusions du demandeur dans lesquelles il affirmait avoir coché la case « déclaration de culpabilité », et contestait l'avoir biffée.
7. En ayant considéré que la case initialement cochée avait ensuite été clairement biffée, le tribunal correctionnel a répondu, par une appréciation contraire, au moyen du demandeur soutenant que tel n'était pas le cas.
Le moyen manque en fait.
Sur le surplus des premier et troisième moyens :
8. Le premier moyen critique également le jugement attaqué en ce qu'il décide que « l'examen de l'appel par le tribunal doit donc en l'espèce se limiter aux peines prononcées, à l'exclusion de l'examen de la culpabilité du chef des préventions mises à charge du [demandeur] ». Il soutient que le tribunal correctionnel aurait dû soulever d'office, en application de l'article 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, la question de la culpabilité du demandeur, dès lors qu'en degré d'appel, il a produit une attestation dont il ressort, selon lui, qu'au moment des faits il n'était pas le conducteur du véhicule. Le moyen en déduit qu'en refusant de se prononcer sur cette question, alors que le demandeur avait apporté la preuve qu'il n'était pas l'auteur des faits, la décision attaquée méconnaît la présomption d'innocence.
Le troisième moyen reproche aussi aux juges d'appel de ne pas avoir répondu à cette défense.
9. En vertu de l'article 204, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, à peine de déchéance de l'appel, la partie appelante doit indiquer précisément les griefs élevés contre le jugement, y compris les griefs procéduraux, dans une requête remise dans le même délai et au même greffe que la déclaration visée à l'article 203 de ce code.
10. L'article 210, alinéa 2, précité, dispose :
« Outre les griefs soulevés comme prescrit à l'article 204, le juge d'appel ne peut soulever d'office que les moyens d'ordre public portant sur les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ou sur :
- sa compétence ;
- la prescription des faits dont il est saisi ;
- l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont il est saisi quant à la culpabilité ou la nécessité de les requalifier ou une nullité irréparable entachant l'enquête portant sur ces faits. »
11. Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition qu'en obligeant la partie appelante à indiquer de manière précise dans la requête d'appel ses griefs à l'encontre du jugement entrepris, le législateur poursuit, dans l'intérêt des parties et d'une bonne administration de la justice, un traitement plus efficace des causes en degré d'appel : ainsi, l'appelant réfléchit à l'opportunité, à la portée et aux conséquences de son recours, la partie intimée sait exactement sur quels points elle devra se défendre et les juges d'appel connaissent, avant l'examen de la cause à l'audience, les limites exactes de leur saisine.
12. Par l'arrêt numéro 67/2019 du 16 mai 2019, la Cour constitutionnelle a dit pour droit :
« L'article 210 du Code d'instruction criminelle viole l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le juge d'appel ne peut pas soulever d'office un moyen d'ordre public relatif à l'absence d'infraction résultant d'un élément nouveau survenu après le dépôt de la requête d'appel, lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans cette requête ou dans le formulaire de griefs. »
Le considérant B.15.1 de cet arrêt énonce : « En cas de survenance d'un ‘élément nouveau', dont seul le juge d'appel pourrait avoir connaissance à l'exclusion du premier juge, et qui est susceptible d'avoir une incidence sur la culpabilité, l'impossibilité pour le juge d'appel de soulever d'office un moyen d'ordre public pris de l'absence d'infraction au sens de l'article 210, alinéa 2, troisième tiret, du Code d'instruction criminelle en dehors des griefs au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, parce que la déclaration de culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, est disproportionnée au regard du droit d'accès au juge, en ce qu'elle vide de sa substance l'appel en matière pénale alors que la juridiction en est saisie ».
13. Le considérant B.15.2 de l'arrêt précité précise que le constat énoncé au considérant B.15.1. « vaut dans l'hypothèse d'un ‘élément nouveau', conçu comme un élément survenu après le dépôt de la requête d'appel, dont seul le juge d'appel pourrait avoir connaissance à l'exclusion du premier juge, et qui pourrait dès lors fonder un moyen nouveau, qui n'aurait aucunement pu être soumis au premier juge et qui serait susceptible d'établir l'absence d'infraction et, partant, d'avoir une incidence sur la culpabilité, même si la question de la culpabilité n'a pas été visée dans cette requête ou dans le formulaire de griefs ».
La Cour constitutionnelle considère également que « le caractère imprévisible de ‘l'élément nouveau' empêche, par définition, l'appelant d'avoir pu le prendre en compte quand il a défini ses griefs », et que « le fait de n'avoir pas visé la question de la culpabilité dans la requête ne peut, à l'égard de cet ‘élément nouveau', lequel est intrinsèquement imprévisible et qu'il était dès lors impossible de produire en instance, signifier que l'appelant aurait renoncé à contester sa culpabilité ni que le juge d'appel ne peut décider d'office qu'il n'est pas coupable ».
14. Il résulte de ce qui précède que, en cas de survenance d'un élément nouveau, lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, le juge d'appel ne peut soulever d'office un moyen d'ordre public portant sur l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont il est saisi, que si cet élément répond aux conditions cumulatives suivantes :
- l'élément est survenu après l'expiration du délai d'appel,
- seul le juge d'appel a pu avoir connaissance de cet élément, à l'exclusion du premier juge,
- la survenance de l'élément était imprévisible, de sorte que l'appelant n'a pas pu l'invoquer en première instance, ni le prendre en compte lorsqu'il a défini ses griefs dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs,
- l'élément apparaît suffisamment vraisemblable ou déterminant pour fonder un moyen nouveau susceptible d'établir l'absence d'infraction.
Il appartient au juge d'appel d'apprécier en fait si cet élément satisfait à ces conditions.
15. Il ressort des conclusions du demandeur qu'il a sollicité son acquittement en produisant en degré d'appel une attestation d'une personne qui affirme avoir été la conductrice de son véhicule au moment du constat de l'infraction.
16. Il ne ressort pas du jugement que le tribunal correctionnel, qui a légalement décidé que la question de la culpabilité n'était pas visée dans le formulaire de griefs, ait vérifié si l'attestation produite par le demandeur était susceptible de constituer un élément nouveau satisfaisant aux conditions indiquées ci-dessus.
Ainsi, les juges d'appel n'ont pas régulièrement motivé ni légalement justifié leur décision.
Dans cette mesure, les moyens sont fondés.
Le contrôle d'office
17. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est, sauf l'illégalité à censurer ci-après, conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué, sauf en tant qu'il dit l'opposition recevable, reçoit l'appel et décide que, dans le formulaire de griefs, le demandeur n'a pas visé la question de la culpabilité ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Condamne le demandeur à un quart des frais et réserve le surplus pour qu'il soit statué sur celui-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, au tribunal correctionnel de Liège, siégeant en degré d'appel, autrement composé.
Lesdits frais taxés à la somme de deux cent soixante et un euros quarante-deux centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-neuf mai deux mille dix-neuf par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.
T. Fenaux F. Stévenart Meeûs F. Lugentz
T. Konsek E. de Formanoir B. Dejemeppe