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23/05/2019 | BELGIQUE | N°C.16.0474.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 mai 2019, C.16.0474.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.16.0474.F
V. M.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

P. B.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation

est dirigé contre l'arrêt rendu le 27 avril 2016 par la cour d'appel de Liège.
Le 7 mai 2019, l&apo...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.16.0474.F
V. M.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

P. B.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 27 avril 2016 par la cour d'appel de Liège.
Le 7 mai 2019, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Martine Regout a fait rapport et l'avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

L'arrêt considère, par adoption des motifs du premier juge, que le litige « présente un retard exceptionnel ; [qu'] il est en effet demandé de statuer en mai 2015 sur des parts contributives et des frais exceptionnels remontant à 2005 et 2007, pour des enfants communs qui sont actuellement autonomes (selon le défendeur) ou en passe de le devenir (selon la demanderesse) ; [que la] procédure s'est déroulée comme suit : - la requête introductive d'instance est déposée le 26 octobre 2007 ; dès l'entame de la procédure, la demanderesse postule un effet rétroactif au 1er septembre 2005 ; elle est donc consciente de la nécessité d'agir sans tarder ; - la cause est fixée à l'audience du 16 novembre 2007 ; elle fait l'objet de cinq remises avant d'être renvoyée au rôle le 3 juin 2008 ; - entre-temps, le défendeur a déposé des conclusions le 15 janvier 2008 ; - la demanderesse met près de trois ans pour conclure en réponse le 6 décembre 2010 ; - dès le lendemain, son conseil dépose une requête en fixation de délais pour conclure ; - par ordonnance du 24 janvier 2011, [le premier juge] détermine les délais pour conclure et fixe la cause pour plaidoiries au 17 juin 2011 ; - les parties ne déposent pas de conclusions et la cause est renvoyée au rôle le 17 juin 2011 ; - la demanderesse laisse encore s'écouler trois ans avant de déposer le 17 septembre 2014 une nouvelle requête en fixation de délais pour conclure » ; que, « eu égard aux motifs qui précèdent, le défendeur est fondé à reprocher à la demanderesse un abus de procédure ; [que] la demanderesse avait certes le droit de ne pas diligenter son action, mais [qu'] elle a abusé de ce droit en négligeant de plaider le dossier pendant huit ans, au détriment du défendeur, lequel se trouve placé dans une situation probatoire critique et empêché d'invoquer la prescription quinquennale ; [que] les motifs invoqués par la demanderesse pour se justifier ne résistent pas à l'examen : elle fait valoir qu'elle a pris l'initiative de faire fixer le dossier en 2011, mais cette fixation n'a servi à rien puisque la demanderesse n'a pas déposé de conclusions ni cherché à plaider le dossier, qui est retourné au rôle général ; elle fait également valoir que des négociations entre parties l'auraient empêchée de faire refixer le dossier ; à nouveau, cet argument s'avère inconsistant : d'une part, des négociations n'expliquent pas huit ans d'inertie, d'autre part, les négociations menées confidentiellement n'empêchent pas de faire fixer la cause pour plaidoiries, une telle fixation favorisant parfois l'éclosion d'une solution négociée ; elle reproche au défendeur de n'avoir pas lui-même demandé la fixation, or celui-ci n'y avait pas intérêt et pouvait estimer que les montants qu'il payait volontairement [...] étaient satisfactoires compte tenu des moyens dont disposait la demanderesse » ; que, « si l'obligation des parents prévue par l'article 203 du Code civil de nourrir, entretenir et élever leurs enfants existe indépendamment de toute demande en justice aux fins d'en obtenir l'exécution [...], il ne peut être admis qu'il suffirait à un créancier alimentaire de laisser s'accumuler les arrérages avant d'agir pour obtenir rétroactivement un capital important », que « tel est bien le cas en l'espèce où la demanderesse réactive la procédure à un moment où il est permis de penser que les enfants communs ne profiteront pas du capital ainsi obtenu puisqu'ils seront entre-temps vraisemblablement autonomes » et que « si la demanderesse n'a pas davantage cherché à obtenir un titre exécutoire contre le défendeur dans le passé, il faut en conclure que ce que celui-ci acceptait de donner volontairement, ajouté aux ressources dont disposait la demanderesse, suffisait à pourvoir aux frais d'entretien et d'éducation des enfants ».
L'arrêt considère, par ses motifs propres, que « le premier juge a retracé de façon précise les errements de la procédure qui n'a abouti à un jugement qu'en 2015 pour une demande de parts contributives remontant à 2005 et 2007 ; [que] l'action a été introduite en 2007 en l'espèce mais n'a pas été diligentée avant la demande de fixation le 17 septembre 2014 ; [que] des négociations entamées entre parties à un moment donné ne peuvent justifier un tel retard et une telle inertie » ; que la demanderesse « invoque à l'appui de sa demande de part contributive les besoins réguliers importants des enfants alors qu'elle s'abstient d'en demander paiement et qu'elle s'est satisfaite de cette situation durant des années » ; que la rétroactivité n'existe « que pour les deux premières années (2005 à 2007) tandis que pour les suivantes, la procédure était en cours ; [que] ces deux périodes peuvent être appréhendées de la même manière dans la mesure où [la demanderesse] a, dans les deux cas, fait preuve d'une inertie coupable » ; que, « si, à partir de 2007, [le défendeur] était avisé de l'existence d'une procédure introduite à son encontre et que, selon [la demanderesse], il disposait des outils pour la diligenter, celui-ci a pu conclure, vu son inertie, qu'elle disposait des ressources suffisantes pour pourvoir à l'entretien et à la formation des enfants et ce d'autant plus que [la demanderesse] ayant sollicité une fixation de la cause en 2010, celle-ci a été renvoyée au rôle quelques mois plus tard, sans autre demande même provisionnelle ; [que la demanderesse] n'invoque pas d'élément pertinent qui justifie son inertie durant toutes ces années » et que la demanderesse a réactivé « la procédure à un moment où les enfants ne profiteront pas du capital car seront devenus autonomes ».
Quant à la première branche :

L'arrêt ne conteste pas que le droit de la demanderesse de réclamer au défendeur sa contribution aux frais résultant de l'article 203, § 1er, du Code civil est un droit qui lui est propre. Il se borne à faire référence à l'autonomie des enfants pour démontrer que la demanderesse n'avait pas de raison d'attendre 2014 pour diligenter la procédure.
Pour le surplus, l'arrêt ne considère pas que le dommage que l'abus de droit de la demanderesse a causé au défendeur consiste uniquement en l'obligation de devoir payer une accumulation d'arrérages non prescrits mais également que son comportement procédural abusif a placé le défendeur « dans une situation probatoire critique et [l'a] empêché d'invoquer la prescription quinquennale ».
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la deuxième branche, en ses trois rameaux :

L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente. Tel est le cas spécialement lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l'avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit. Dans l'appréciation des intérêts en présence, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause.
Si le seul fait de ne pas exercer un droit durant un certain temps n'est pas, en soi, constitutif d'un abus de ce droit, l'inertie du détenteur du droit peut être abusive en raison des circonstances qui l'entourent.
C'est à la partie qui se prévaut de l'abus de droit qu'il appartient d'en apporter la preuve.

Il ressort des considérations de l'arrêt reproduites en tête de la réponse au moyen que l'arrêt fonde sa décision sur les agissements de la demanderesse qu'il relève et qui, selon lui, ont eu pour conséquence un allongement exceptionnel et injustifié de la procédure. L'arrêt ne fait pas ainsi peser sur la demanderesse la charge de la preuve de l'abus de droit.
Par ailleurs, il ressort de ces considérations qu'aux yeux de la cour d'appel, l'inertie exceptionnelle de la demanderesse dépasse les limites de l'exercice normal du droit de procéder par une personne prudente et diligente, et qu'elle a causé un préjudice au défendeur, à savoir, outre l'obligation de payer un capital constitué par l'accumulation des arrérages, le fait de se trouver placé dans une situation probatoire critique sans pouvoir invoquer la prescription quinquennale, pour un avantage limité pour la demanderesse, à savoir le paiement d'arrérages de contribution alimentaire remontant à 2005 au moment où les enfants sont devenus autonomes et alors qu'elle s'est satisfaite de la situation durant des années. L'arrêt a pu en déduire que la demanderesse a commis un abus de droit en tardant pendant huit ans à faire fixer l'affaire.
Par ces considérations, l'arrêt tient compte de toutes les circonstances de la cause et, notamment, de l'attitude du défendeur au long de la procédure.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche :

Quant au premier rameau :

La sanction d'un abus de droit peut résider dans la réduction dudit droit à son usage normal.
En rejetant la demande de contribution alimentaire pour la période antérieure au 17 septembre 2014, date à laquelle la demanderesse a réactivé la procédure, l'arrêt réduit l'usage du droit d'action de la demanderesse dans la mesure qui lui paraît, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, correspondre à un usage normal.
Il justifie ainsi légalement sa décision.

Quant au second rameau :

Contrairement à ce que le moyen suppose en ce rameau, l'arrêt ne considère pas que la dette du défendeur aurait été prescrite pour toute la période antérieure si la demanderesse avait introduit son action le 17 septembre 2014.
Le moyen, en cette branche, en ses deux rameaux, ne peut être accueilli.

Quant à la quatrième branche :

Quant au premier rameau :

Dès lors qu'il ne déboute pas la demanderesse de sa demande de contribution alimentaire pour la période antérieure au 17 septembre 2014 en application des articles 203, § 1er, et 203bis du Code civil, mais à titre de sanction de l'abus de procédure de la demanderesse, l'arrêt n'était pas tenu de constater que les paiements volontaires effectués par le défendeur pendant cette période étaient proportionnés à ses facultés.

Quant au second rameau :

Dès lors qu'il ne fixe pas le montant de la contribution alimentaire due par le défendeur pour la période antérieure au 17 septembre 2014, l'arrêt n'est pas tenu de préciser pour cette période les éléments d'appréciation du montant de la contribution alimentaire cités à l'article 1321, §§ 1er et 2, du Code judiciaire.
Le moyen, en cette branche, en ses deux rameaux, ne peut être accueilli.

Quant à la cinquième branche :

En considérant que la demanderesse « sollicite que soit examinée, par sa demande de fixation en 2014, une demande introduite en 2007 et portant sur des parts contributives durant toute la période qui s'est écoulée depuis lors mais également durant une période allant de 2005 à 2007, soit deux ans avant l'introduction de la demande ; [que] la rétroactivité n'existe donc que pour les deux premières années (2005 à 2007) tandis que pour les suivantes, une procédure était en cours ; [que] ces deux périodes peuvent cependant être appréhendées de la même manière dans la mesure où [la demanderesse] a, dans les deux cas, fait preuve d'une inertie coupable », et en expliquant ensuite en quoi cette inertie coupable consiste, l'arrêt répond, en les contredisant, aux conclusions de la demanderesse qui faisait valoir qu'elle n'avait pas tardé à agir pour les deux premières années.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille quatre-vingt-trois euros cinquante-deux centimes envers la partie demanderesse.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Martine Regout, les conseillers Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du vingt-trois mai deux mille dix-neuf par le président de section Martine Regout, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont M. Marchandise A. Jacquemin
M.-Cl. Ernotte M. Delange M. Regout


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0474.F
Date de la décision : 23/05/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-05-23;c.16.0474.f ?

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