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22/05/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0490.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 mai 2019, P.19.0490.F


N° P.19.0490.F
C. C., O.,
étranger,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège,

contre

ETAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pacheco, 44,
défendeur en cassation.





I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 16 avril 2019 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le dema

ndeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eri...

N° P.19.0490.F
C. C., O.,
étranger,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège,

contre

ETAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pacheco, 44,
défendeur en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 16 avril 2019 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LES FAITS

Le demandeur a été privé de liberté le 13 mars 2019 en vertu d'un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue de l'éloignement, pris à cette date en application des articles 7, alinéas 1er, 1°, 2 et 3, et 74/14, § 3, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.

Le 22 mars 2019, le demandeur a introduit un recours contre cette mesure, en déposant une requête de mise en liberté auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Liège, en application de l'article 71 de la loi du 15 décembre 1980.

Le demandeur s'est ensuite vu notifier, le 28 mars 2019, une décision de réécrou, en application de l'article 27, § 3, de la loi du 15 décembre 1980, au motif qu'il a empêché l'exécution de la mesure d'éloignement.

Le 29 mars 2019, la chambre du conseil a déclaré fondé le recours formé contre la mesure de maintien du 13 mars 2019, et a ordonné la libération du demandeur.

Le défendeur a interjeté appel de cette ordonnance le 1er avril 2019. L'arrêt attaqué statue sur cet appel, en disant que le recours introduit à l'encontre de la décision de rétention du 13 mars 2019 est devenu sans objet.

III. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le premier moyen :

1. Le moyen est pris de la violation des articles 202 du Code d'instruction criminelle et 30 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive.

2. Le demandeur soutient d'abord que l'arrêt ne pouvait pas déclarer l'appel du défendeur recevable alors que l'acte d'appel présent au dossier n'est pas signé par son avocat.

Il ressort des pièces de la procédure que le dossier contient la copie conforme de l'acte d'appel, signée par le greffier, et que cette copie mentionne que l'avocat de l'appelant a signé l'acte d'appel.

Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.

3. Le moyen soutient également que la cour d'appel ne pouvait déclarer l'appel recevable, dès lors qu'il a été fait par un avocat pour et au nom de « l'Etat belge, représenté par le secrétaire général à l'asile et l'immigration ». Le moyen précise que le recours interjeté par une autorité inexistante et incompétente n'est pas recevable.

Les dispositions visées au moyen sont étrangères à ce grief.

A cet égard également, le moyen manque en droit.

Sur le troisième moyen :

4. Le moyen invoque la violation des articles 5, §§ 1er et 4, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 71 et 72 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, et 15, § 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et la méconnaissance des principes relatifs au droit à un procès équitable, à l'accès à un tribunal, à un recours effectif, à l'égalité des armes et à la bonne administration de la justice.

Le demandeur soutient qu'en décidant que son recours contre la mesure de rétention du 13 mars 2019 est devenu « sans objet » en raison de la circonstance que le demandeur est détenu en vertu de la décision de réécrou du 28 mars 2019, l'arrêt a pour effet de soustraire la première mesure à tout contrôle définitif de légalité. Le moyen ajoute que, indépendamment de la question de la réparation à laquelle a droit la personne qui a été détenue dans des conditions contraires à l'article 5, le droit à un recours effectif s'oppose à ce que le recours dirigé contre une décision de rétention devienne sans objet lorsqu'intervient une nouvelle décision de privation de liberté. Selon le demandeur, même sans la perspective d'une réparation pécuniaire, l'étranger peut conserver un intérêt moral à agir, dès lors qu'une annulation éventuelle de la mesure illégale pourrait constituer une forme de réparation de son dommage moral. Le moyen fait également valoir que le droit à un procès équitable et à un recours effectif, ainsi que le principe de l'égalité des armes, seraient méconnus si les autorités administratives étaient en mesure, par une nouvelle décision, d'empêcher la juridiction saisie de se prononcer sur la légalité du titre de détention initial. En outre, le demandeur soutient qu'en déclarant son recours sans objet, il n'est pas statué à bref délai sur la légalité du premier titre de détention, et que cette décision induit une multiplication de mesures de rétention prises sur des bases légales incertaines, de sorte que la privation de liberté est imprévisible dans ces conditions comme dans ses délais.

5. La question de savoir si l'étranger dispose d'un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial doit être examinée à la lumière de l'ensemble de la procédure organisée par le droit interne.

6. En vertu de l'article 71, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980, l'étranger qui fait l'objet d'une mesure privative de liberté peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel. L'article 72, alinéa 1er, de cette loi dispose que la chambre du conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l'étranger ou son conseil, le Ministre, son délégué ou son conseil en ses moyens et le ministère public en son avis. Si la chambre du conseil n'a pas statué dans le délai fixé, l'étranger est mis en liberté.

L'article 72, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 dispose que la chambre du conseil vérifie si les mesures privatives de liberté et d'éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité, et l'article 73, alinéa 1er, énonce que si la chambre du conseil décide de ne pas maintenir l'arrestation, l'étranger est remis en liberté dès que la décision est coulée en force de chose jugée.

Lorsqu'en application de ces dispositions, la chambre du conseil du tribunal correctionnel ou, en degré d'appel, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel, constate que la requête de mise en liberté est devenue sans objet en raison de la circonstance que l'étranger n'est plus détenu en vertu de la décision de rétention contre laquelle cette requête était dirigée, l'étranger n'est pas privé d'un recours effectif pour faire constater l'éventuelle illégalité de cette décision et obtenir réparation du dommage subi en raison de cette illégalité.

En effet, l'article 27 de la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive inopérante dispose :
« § 1er. Un droit à réparation est ouvert à toute personne qui a été privée de sa liberté dans des conditions incompatibles avec les dispositions de l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 18 mai 1955.
§ 2. L'action est portée devant les juridictions ordinaires dans les formes prévues par le Code judiciaire et dirigée contre l'Etat belge en la personne du Ministre de la justice ».

Cette disposition accorde un droit à réparation de l'entièreté du dommage, en ce compris le dommage moral, subi par une personne qui a été victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions incompatibles avec les dispositions de l'article 5 de la Convention.

La notion de « privation de liberté » visée à l'article 27 précité couvre non seulement toute mesure de détention préventive prise à l'égard d'une personne soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit, mais également toutes les autres formes de détention judiciaire ou administrative, dont notamment les mesures de rétention prises en vertu des dispositions applicables de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. A cet égard, l'article 27 ne requiert pas que, préalablement à l'exercice de l'action en réparation, l'illégalité de la détention soit constatée par une décision judiciaire antérieure.

Par ailleurs, l'article 6, § 1er, de la Convention prévoit que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera [...] des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil [...]. Le jugement doit être rendu publiquement [...] ».

L'article 27, précité, répond aux exigences de cette disposition conventionnelle.

Il en résulte que la décision de la juridiction d'instruction qui déclare sans objet la requête de mise en liberté de l'étranger au motif qu'il n'est plus détenu en vertu de la mesure privative de liberté visée par ce recours, ne compromet pas le droit de cet étranger à un recours effectif afin, le cas échéant, de faire constater par un tribunal que sa détention n'était pas régulière ou n'a pas eu lieu selon les voies légales, et d'obtenir la réparation du dommage subi en raison de cette rétention irrégulière.

Dans cette mesure, fondé sur la prémisse contraire, le moyen manque en droit.
7. En déclarant la requête de mise en liberté contre la mesure de rétention du 13 mars 2019 sans objet, l'arrêt attaqué ne viole pas davantage l'article 5, § 4, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Cet article énonce que toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

Il résulte de cette disposition que la juridiction d'instruction saisie du recours d'un étranger privé de liberté en vue de son éloignement doit statuer à bref délai sur la légalité du titre en vertu duquel il est détenu. Il n'en résulte pas que cette juridiction doit encore se prononcer à bref délai sur la légalité de ce titre lorsque cette personne n'est plus détenue en application de celui-ci, mais en vertu d'une nouvelle décision prise sur un autre fondement légal.

A cet égard, fondé sur la prémisse contraire, le moyen manque également en droit.

8. Pour le surplus, en tant qu'il soutient que le défendeur pourrait délivrer un nouveau titre dans le but d'empêcher qu'il soit statué sur la légalité de la mesure initiale, et que pareille succession de titres induit des conditions de rétention imprévisibles, le moyen, d'une part, est fondé sur une hypothèse et, d'autre part, est étranger aux dispositions de l'arrêt attaqué.

A cet égard, le moyen est irrecevable.

Sur le deuxième moyen :

9. Pris de la violation de l'article 211bis du Code d'instruction criminelle, le moyen reproche aux juges d'appel d'avoir dit le recours du demandeur sans objet et d'avoir, par adoption de l'avis du ministère public, ordonné le maintien en rétention, sans s'être prononcés à l'unanimité, alors que la chambre du conseil a dit la requête du demandeur recevable et fondée et a ordonné sa libération.

10. En son dispositif, l'arrêt « dit que le recours introduit le [22] mars 2019 à l'encontre de la décision du 13 mars 2019 est devenu sans objet ».

Il ressort de cette mention que l'arrêt, contrairement à ce que le moyen allègue, n'a pas ordonné le maintien de la privation de liberté du demandeur.

A cet égard, le moyen manque en fait.

11. En vertu de l'article 211bis du code précité, la juridiction d'appel, en matière de détention préventive, doit statuer à l'unanimité de ses membres pour réformer une ordonnance favorable à l'inculpé.

Les juges d'appel n'ont pas statué sur les mérites de la requête déposée par le demandeur. Ils se sont bornés à constater qu'un nouveau titre de détention la rendait sans objet. Une telle décision ne devait pas être rendue à l'unanimité des membres de la juridiction d'appel.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-deux mai deux mille dix-neuf par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
F. Gobert F. Stévenart Meeûs F. Lugentz
T. Konsek E. de Formanoir B. Dejemeppe


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.0490.F
Date de la décision : 22/05/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-05-22;p.19.0490.f ?

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