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20/05/2019 | BELGIQUE | N°S.17.0089.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 20 mai 2019, S.17.0089.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.17.0089.F
G. A.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

T.D. WILLIAMSON, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Nivelles, rue du Travail, 6,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Lo

uise, 149, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.17.0089.F
G. A.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

T.D. WILLIAMSON, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Nivelles, rue du Travail, 6,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2017 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 29 avril 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 22, 29, 149 et 159 de la Constitution ;
- article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955 ;
- article 314bis du Code pénal ;
- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- articles 1er, 3, § 1er, 4, 5 et 9, § 2, de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, avant sa modification par la loi du 18 mars 20[1]4 ;
- articles 124 et 125, tant avant qu'après sa modification par les lois des 10 juillet 2012, 27 mars 2014 et 29 mai 2016, de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques ;
- articles 35 et 39, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, avant sa modification par la loi du 26 décembre 2013 ;
- en tant que de besoin, articles 2, 4, 5, 11, 12, 13, 14 et 15 de la convention collective de travail n° 81 du 26 avril 2002, conclue au sein du Conseil national du travail, relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l'égard du contrôle des données de communications électroniques en réseau, rendue obligatoire par l'arrêté royal du 12 juin 2002.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt dit établies la réalité et la gravité du motif grave invoqué et déboute le demandeur de ses demandes visant le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis, d'une indemnité d'éviction de clientèle, d'une indemnité pour licenciement abusif et de la prime de fin d'année 2012, par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et spécialement par les motifs que
« En octobre 2011, [la défenderesse] apprend qu'une enquête a été lancée sur d'éventuelles manipulations de soumissions d'offres dans le cadre de marchés publics en Roumanie. [La défenderesse] et la société anonyme Cis Gaz (cette dernière étant le bureau de représentation de [la défenderesse] en Roumanie) figurent parmi les sociétés visées par l'enquête ;
[Le demandeur], en tant que responsable du marché roumain, est entendu par la direction de [la défenderesse] le 28 novembre 2011 au sujet de l'enquête en cours. À cette occasion, il est demandé [au demandeur] de décrire et préciser les relations qu'entretient en Roumanie [la défenderesse] avec les autres sociétés visées par l'enquête des autorités roumaines ; [le demandeur] affirme ne disposer d'aucune information permettant d'éclairer [la défenderesse] sur la nature de l'enquête en cours. Lors de cet entretien, [le demandeur] propose toutefois de fournir tous les documents en sa possession concernant les marchés en cours en Roumanie. Selon [la défenderesse], il marque son accord pour que son employeur accède à ses courriels dans le but de récolter toute information utile dans le cadre de cette enquête des autorités de la concurrence. Cet accord est cependant contesté par [le demandeur] ;
Par lettre du 24 février 2012, [la défenderesse] est contactée directement par les autorités roumaines de la concurrence. Il lui est précisément demandé de fournir de plus amples informations sur le type de relations qu'elle entretenait avec la société A., dans la mesure où [elle] aurait participé à non moins de cinq procédures de marché public en collaboration avec cette dernière et la société Cis Gaz. Cette lettre est rédigée comme suit : ‘Conformément à l'article 35, paragraphe 7, lettre a), de la loi, pour les besoins de l'enquête, nous vous demandons de nous envoyer au plus tard le 12 mars 2012 les données, documents et informations suivants : [...] spécifier la nature des relations commerciales avec la société anonyme Cis Gaz et la société anonyme A. en relation avec les procédures sous investigation (si vous avez activement participé à la rédaction des propositions financières et techniques, si vous êtes au courant de possibles accords entre la société Cis Gaz, la société A. et d'autres participants, autres informations similaires, envoyez tous les documents prouvant [...] les négociations, échanges d'informations, vos opinions, correspondances, etc. en relation avec ces entreprises' ;
Une nouvelle réunion est organisée entre [le demandeur], madame S. et monsieur D. (responsables de la région Europe) le 6 mars 2012. La direction de [la défenderesse] demande, pour la deuxième fois, [au demandeur] s'il a déjà entendu parler de ou s'il connaissait la société A. ou ses dirigeants. [Le demandeur] répond à nouveau par la négative. Cette position est actée par [la défenderesse]. [Celle-ci] procède à une enquête interne quant à la nature des relations que la société ou ses représentants entretiendraient avec les sociétés roumaines visées, dont la société A. ;
Il en ressort que, contrairement aux affirmations [du demandeur] lors de la réunion du 6 mars 2012, ce dernier connaît en réalité la société A., dont il est fait mention, à deux reprises au moins, dans des échanges de courriels datant de 2011 entre [lui] et monsieur A.F., directeur technique de la société Cis Gaz : le 25 février 2011, monsieur F. transfère [au demandeur] un courriel qui lui a été envoyé par le service technique de la société A. ; si le corps du message est vide, il comporte toutefois une pièce jointe qui consiste dans la dernière page d'un projet de convention entre Cis Gaz, A. et [la défenderesse], contresignée par un représentant de la société A. ; le 4 avril 2011, [le demandeur] lui-même écrit à monsieur F. un courriel portant comme objet : ‘Quelles nouvelles du projet de collaboration avec A. ?', auquel monsieur F. répond qu'il n'en sait encore rien ;
Sur la base de ces nouvelles informations, [la défenderesse] décide de convoquer une troisième fois [le demandeur] afin d'obtenir des explications quant à ses déclarations du 6 mars 2012. Une nouvelle réunion est fixée au 12 mars 2012, [le demandeur] étant de retour au siège de Nivelles après un séjour en Roumanie ;
[Le demandeur] ne se présente pas à cette réunion, invoquant un rendez-vous de dernière minute fixé avec un client en Roumanie. Une nouvelle réunion est fixée et se tient le 14 mars 2012 en présence [du demandeur], de monsieur D. et de monsieur V. (responsable des ressources humaines). [Le demandeur] confirme ne connaître, directement ou indirectement, ni la société A. ni ses dirigeants. Il ne fournit toutefois pas la moindre explication quant à la raison pour laquelle le nom de la société A. figure à deux reprises dans ses échanges de courriels avec monsieur F. ;
À l'issue de la réunion, [la défenderesse] notifie verbalement [au demandeur] son licenciement pour motif grave ;
Celui-ci lui est confirmé par une lettre recommandée du 15 mars 2012, suivie d'une deuxième lettre recommandée du 16 mars 2012 énonçant les motifs ayant donné lieu à ce licenciement :
‘Cher Monsieur,
Nous faisons suite à votre licenciement pour motif grave intervenu verbalement ce mercredi 14 mars 2012 et qui vous a été confirmé par notre lettre de ce jeudi 15 mars 2012.
Conformément aux dispositions légales applicables, vous trouverez ci-après la description du motif grave ayant donné lieu à votre licenciement.
Fin février 2012, notre société a reçu de la part des autorités roumaines de la concurrence agissant dans le cadre d'une investigation une demande d'informations portant sur les relations qu'entretiendrait notre société avec un certain nombre de sociétés dont, notamment, la société roumaine A..
Au cours d'une réunion tenue ce 6 mars 2012 en nos locaux de Nivelles, entre vous-même - en votre qualité de responsable du marché roumain -, madame S., en charge des affaires juridiques, et monsieur D., en charge de l'Europe, notre société vous a demandé si vous aviez notamment entendu parler de ou connaissiez cette société A. ou ses dirigeants.
Vous avez affirmé avec conviction que vous n'aviez pas entendu parler de et ne connaissiez pas cette société ou ses dirigeants.
Vous avez de surcroît ajouté avec force que notre agent en Roumanie, la société Cis Gaz, ne vous avait également jamais mentionné le nom d'A..
Nous vous avons cru.
Peu après cette réunion, nos avocats roumains en charge de cette investigation, dont l'une des tâches était d'examiner l'ensemble de vos courriels, que vous aviez accepté de mettre à leur disposition, nous ont fait part qu'il résultait d'un échange de courriels du 4 avril 2011 entre vous et monsieur A. A. F., employé par Cis Gaz, que vous aviez entendu parler et deviez connaître la société A.. En effet, cette société était expressément citée dans ledit échange de courriels.
Sur la base de cette information et vu que notre société ne pouvait se permettre de répondre de façon erronée aux autorités roumaines de la concurrence - ce qui aurait pu mettre en danger notre société -, monsieur D. vous a convoqué pour une réunion le lundi 12 mars 2012 à dix heures en nos bureaux de Nivelles, prenant en considération les différents agendas des personnes devant assister à cette réunion, dont le vôtre. Le but de cette rencontre était d'obtenir de votre part les explications nécessaires sur les relations entretenues par notre société directement ou indirectement avec la société A..
Cette réunion initialement fixée le lundi 12 mars 2012 s'est finalement tenue le mercredi 14 mars 2012 car vous aviez décidé de prolonger votre séjour en Roumanie plus longtemps que prévu, sans d'ailleurs avoir pris la peine de prévenir à l'avance notre société. En effet, ce n'est que le 12 mars au matin que vous avez indiqué par courriel à monsieur D. que vous ne pouviez être présent car vous étiez toujours en Roumanie pour rencontrer un client non précisé dans la région de Valcea. En réponse à un courriel de monsieur D. vous indiquant que votre comportement n'était pas acceptable, vous avez répondu, toujours ce 12 mars, que vous n'aviez été contacté par ce client non précisé que le vendredi soir (soit le 9 mars) pour une réunion le 12 mars.
Au cours de la réunion tenue le mercredi 14 mars avec messieurs D. et V., du département des ressources humaines, il vous a été demandé à nouveau si vous aviez entendu parler de ou connaissiez la société A. ou ses dirigeants. Lors de cette réunion, nous vous avons notamment montré l'échange de courriels du 4 avril 2011 avec la société Cis Gaz.
Vous avez maintenu à nouveau avec force que vous n'aviez pas entendu parler ni ne connaissiez cette société A. directement ou au travers de Cis Gaz mais n'avez donné toutefois aucune justification de la raison pour laquelle ces courriels mentionnaient expressément la société A..
Le fait que vous avez persisté à mentir avec aplomb en maintenant lors de la confrontation du 14 mars 2012 que la société A. ou ses dirigeants ne vous étaient pas connus et que vous n'en n'aviez pas entendu parler et, ce faisant, que vous n'avez pas voulu collaborer en toute transparence et honnêteté à l'investigation lancée par les autorités roumaines de la concurrence a rendu toute collaboration professionnelle immédiatement et définitivement impossible.
Vous ne pouviez douter un seul instant que des propos mensongers seraient sanctionnés par votre licenciement pour motif grave :
1. Vos mensonges constituent une violation inacceptable des dispositions du code de déontologie et d'éthique professionnelle de notre société, que vous avez signé, lequel prévoit, notamment, que les employés doivent respecter les valeurs de la société d'intégrité, d'interdépendance et d'initiative et que tout employé participant à une investigation du gouvernement doit répondre honnêtement et de manière exhaustive, concise, exacte et sans ambiguïté.
2. Par lettre du 10 octobre 2011, notre société vous avait envoyé un sérieux et dernier avertissement quant à la nécessaire confiance que nous devions avoir et ce, à la suite de la problématique d'un contrat d'association avec la société C. que vous avez nié avoir signé, alors que votre signature apparaissait sur les documents contractuels transmis par C. et en violation des procédures en vigueur au sein de la société.
3. La nécessité d'agir de façon ouverte et éthique vous avait été également mentionnée expressément dans différents rapports d'évaluation dont notamment celui du 22 juin 2011, et ce, à plusieurs endroits. La nécessité de respecter les différentes procédures en vigueur ou sein de la société vous a été maintes fois rappelée compte tenu d'une tendance certaine en votre chef à ne pas respecter les procédures.
Nous vous prions de croire, cher Monsieur, à nos sentiments distingués' ;
Après le licenciement et après que [le demandeur] eut restitué l'ensemble des documents et équipements appartenant à la [défenderesse], cette dernière a procédé au nettoyage d'usage des appareils électroniques mis à la disposition
[du demandeur]. Dans le BlackBerry de ce dernier, ils découvrent le message suivant adressé par [le demandeur] le 11 mars 2012 à un certain D-A. C. : ‘Demain matin, je rencontre les gens de A. et puis je m'arrange pour un billet Cluj, Budapest-Bruxelles' ;
[...] Discussion
I. Indemnité compensatoire de préavis
A. Thèse des parties
Selon [le demandeur], le motif invoqué à l'appui de la rupture ne serait pas établi ou en tout cas pas suffisamment grave pour justifier un licenciement immédiat conformément à l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ;
En toute hypothèse, tant le contenu du courriel que le contenu du message de téléphonie mobile du 11 mars 2012 relèvent de la vie privée [du demandeur] et ne peuvent constituer des éléments de preuve contre ce dernier ;
La [défenderesse] ne partage pas ce point de vue. Elle soutient que [le demandeur] a donné la permission à son employeur, expressément, de consulter ses courriels professionnels et, implicitement, de consulter ses messages de téléphonie mobile ;
La preuve de la faute [du demandeur] est donc régulièrement rapportée et sa gravité ne fait pas de doute ;

B. Position de la cour [du travail]
1. La régularité des preuves
En ce qui concerne les courriels échangés entre [le demandeur] et monsieur F. les 25 février 2011 et 4 avril 2011, la cour [du travail] constate que leur contenu est purement professionnel ; que le correspondant [du demandeur], monsieur F., est une relation professionnelle [de celui-ci] et de [la défenderesse] puisqu'il est directeur technique de la société anonyme Cis Gaz, bureau de représentation de [la défenderesse] en Roumanie ; que les courriels ont été adressés et reçus à partir de matériel appartenant à [la défenderesse], mis à la disposition [du demandeur] et destiné à un usage professionnel ; que l'article 4 du document qui reprend les règles relatives à la mise à disposition de matériel informatique dispose que : 1. [la défenderesse] assure un backup automatique de certaines parties du disque dur et réplique ces informations sur ses serveurs ; 2. les techniciens du service informatique [de la défenderesse] ont accès à l'entièreté des données stockées sur la machine ; 3. l'entièreté du trafic internet en provenance ou à destination de l'ordinateur est scannée et les sites visités sont tracés à des fins de sécurité au travers de la plate-forme Cisco Scansafe ; que le code de déontologie et d'éthique professionnelle de [la défenderesse] stipule que, ‘en tant qu'employés, nous sommes en droit de compter sur l'accès à nos dossiers personnels limité à ceux qui ont une raison légitime de les traiter. En revanche, nous comprenons le droit de [la défenderesse] d'accéder à tout bien, communication, dossier et information de la société créé dans le cadre des affaires' ;
Les principes de finalité et de proportionnalité prévus par la convention collective de travail n° 81 du 26 avril 2002, conclue au sein du Conseil national du travail, relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l'égard du contrôle des données de communications électroniques en réseau ont été respectées en la cause ; [le demandeur] ne soutient d'ailleurs pas le contraire ;
En outre, il ressort des faits précédemment exposés et des circonstances énumérées ci-dessus que les courriels litigieux ne contiennent pas d'informations de nature privée : il s'agit d'informations échangées entre un préposé de [la défenderesse], agissant en cette qualité et non à titre personnel, et le bureau de représentation de son employeur en Roumanie ;
S'agissant de courriels sans rapport avec la vie privée [du demandeur], la prise de connaissances de ces courriels ne peut enfreindre ni l'article 22 de la Constitution, ni la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, ni encore l'article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques : ces dispositions ne visent pas les courriels en cause ;
Il est donc sans intérêt de savoir si, lors de la réunion du 28 novembre 2011, [le demandeur] a ou non donné son accord pour que [la défenderesse] accède à ses courriels ;
2. La réalité et la gravité du motif de rupture
Il est donc établi que, lorsqu'il a été interrogé par son employeur, [le demandeur] a soutenu ne pas connaître la société A. et n'avoir aucun contact avec cette dernière alors qu'il savait ou devait savoir que les relations de cette société et de son employeur faisaient l'objet d'une enquête de la part du conseil de la concurrence roumain ;
C'est donc volontairement qu'il a caché à son employeur une information particulièrement sensible. La gravité de la faute est d'autant plus certaine que [le demandeur] avait fait l'objet d'un avertissement très sévère le 10 octobre 2011 pour des faits de même nature ;
[Le demandeur] ne peut sérieusement prétendre avoir ‘oublié' avoir eu connaissance de l'existence de la société A. dans la mesure où, dans son courriel du 4 avril 2011, c'est lui qui relance le bureau de représentation en Roumanie pour s'inquiéter de l'état d'avancement du projet de collaboration avec A. ;
Un tel comportement constitue un motif grave de rupture au sens de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ;
Aucune indemnité compensatoire de préavis n'est due ;
En ce qui concerne le message de téléphonie mobile du 11 mars 2012, qui fait état d'une rencontre d'A. avec [le demandeur] le 12 mars 2012, selon ce dernier, cet élément de preuve devrait être écarté pour les mêmes motifs que ceux qui sont invoqués pour écarter les courriels ;
Selon [le demandeur] toujours, le destinataire du message de téléphonie mobile du 11 mars 2012, un certain D-A. C., serait son fils ;
Pour les motifs repris ci-dessus, la cour [du travail] estime que la réalité et la gravité du motif de rupture sont suffisamment rapportées sans qu'il soit nécessaire d'examiner la réalité d'une rencontre [du demandeur] avec A. le 12 mars 2012 ;
La cour [du travail] se bornera à observer que [le demandeur] ne conteste pas, à tout le moins, avoir eu l'intention de rencontrer A. le 12 mars 2012, soit deux jours avant son audition par la direction de la [défenderesse] au cours de laquelle il a maintenu ne pas connaître cette société ;
II. Indemnité d'éviction de clientèle
En cas de licenciement pour motif grave et en application de l'article 101 de la loi du 3 juillet 1978, aucune indemnité d'éviction de clientèle n'est due ;
Ce chef de demande n'est pas fondé ;
III. Bonus 2011 et 2012
[...] IV. Dommages et intérêts pour abus de droit
Le licenciement étant parfaitement justifié, il ne peut être abusif. Aucune indemnité n'est due de ce chef ;
V. Prime de fin d'année
En vertu de l'article 6 de la convention collective de travail conclue le 13 novembre 2003 au sein de la commission paritaire pour employés des fabrications métalliques (209), aucune prime n'est due à l'employé licencié pour motif grave ;
VI. Dommages causés au véhicule de société (demande reconventionnelle originaire)
L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 dispose que, en cas de dommages causés par le travailleur à l'employeur ou à des tiers dans l'exécution de son contrat, le travailleur ne répond que de son dol et de sa faute lourde et qu'il ne répond de sa faute légère que si celle-ci présente dans son chef un caractère habituel plutôt qu'accidentel ;
Les quelques éclats et griffures à la carrosserie du véhicule ne démontrent ni le dol, ni la faute lourde, ni même la faute légère habituelle [du demandeur] pour un véhicule utilisé, apparemment, depuis plus de quatre ans ;
Ce chef de demande n'est pas fondé ».

Griefs

L'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail impose à l'employeur la charge de la preuve du motif grave.
Cette preuve ne peut être obtenue par l'utilisation des informations contenues dans des courriels ou des messages de téléphonie mobile adressés ou reçus par le travailleur dont l'employeur a pris connaissance sans le consentement libre et personnel de celui-ci.
Les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 22 de la Constitution garantissent le respect de la vie privée, y compris dans la sphère du travail, tandis que l'article 29 de la Constitution garantit le secret des correspondances.
L'article 314bis du Code pénal punit quiconque, intentionnellement, prend connaissance ou fait prendre connaissance de communications non accessibles au public auxquelles il ne prend pas part, sans le consentement de tous les participants, ou utilise les informations obtenues de cette manière.
En vertu de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, toute opération effectuée ou non à l'aide de procédés automatisés et appliquée à des données à caractère personnel, telles la collecte, la consultation et l'utilisation de données et d'informations concernant une personne physique identifiée ou identifiable (la « personne concernée ») (article 1er), est soumise au respect des libertés et droits fondamentaux (article 2).
L'article 4 dispose que les données doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement de façon incompatible avec ces finalités.
Hormis les hypothèses prévues à l'article 6, le traitement automatisé ou non de données à caractère personnel figurant ou appelées à figurer dans un fichier (article 3, § 1er) n'est permis que dans certaines hypothèses.
L'article 5 dispose :
« Le traitement de données à caractère personnel ne peut être effectué que dans l'un des cas suivants :
a) lorsque la personne concernée a indubitablement donné son consentement ;
b) lorsqu'il est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ;
c) lorsqu'il est nécessaire au respect d'une obligation à laquelle le responsable du traitement est soumis par ou en vertu d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance ;
d) lorsqu'il est nécessaire à la sauvegarde de l'intérêt vital de la personne concernée ;
e) lorsqu'il est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique, dont est investi le responsable du traitement ou le tiers auquel les données sont communiquées ;
f) lorsqu'il est nécessaire à la réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le tiers auquel les données sont communiquées, à condition que ne prévalent l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée qui peut prétendre à une protection au titre de la présente loi.
Le Roi peut, par arrêté délibéré en conseil des ministres, après avis de la Commission de la protection de la vie privée, préciser les cas où la condition mentionnée sous f) est considérée ne pas être remplie ».
L'article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, disposition d'ordre public reprise à la section « secret des communications, traitement des données et protection de la vie privée », et applicable tant au traitement des données de transfert que des données de contenu, dispose :
« S'il n'y est pas autorisé par toutes les personnes directement ou indirectement concernées, nul ne peut :
1° prendre intentionnellement connaissance de l'existence d'une information de toute nature transmise par voie de communications électroniques et qui ne lui est pas destinée personnellement ;
2° identifier intentionnellement les personnes concernées par la transmission de l'information et son contenu ;
3° sans préjudice de l'application des articles 122 et 123, prendre connaissance intentionnellement de données en matière de communications électroniques relatives à une autre personne ;
4° modifier, supprimer, révéler, stocker ou faire un usage quelconque de l'information, de l'identification ou des données obtenues intentionnellement ou non ».
En vertu de l'article 125, § 1er, de la même loi, les dispositions de l'article 124 et les articles 259bis et 314bis du Code pénal ne sont pas applicables aux personnes physiques ou morales qui ne sont pas des autorités publiques ou n'agissent pas à la demande de telles autorités « 1° lorsque la loi permet ou impose l'accomplissement des actes visés ; 2° lorsque les actes visés sont accomplis dans le but exclusif de vérifier le bon fonctionnement du réseau et d'assurer la bonne exécution d'un service de communications électroniques ; 3° lorsque les actes sont accomplis en vue de permettre l'intervention des services de secours et d'urgence en réponse aux demandes d'aides qui leur sont adressées ».
Dans la sphère des relations de travail, le consentement éclairé et individuel du travailleur ne peut résulter de la seule mention des conditions du contrôle dans le règlement du travail ou un code de déontologie ou de conduite ou tout autre document ; il faut qu'il résulte d'un avenant au contrat de travail ou de tout autre document signé par le travailleur ou de modalités garantissant le caractère individuel de son consentement.
Il s'en déduit que, sauf dans les hypothèses limitativement énumérées, le contrôle des données de communications électroniques de toutes personnes, la prise de connaissance et l'utilisation du contenu de ces communications ne sont licites qu'avec le consentement libre, spécifique, individuel et préalable de toutes les personnes concernées et pour des finalités déterminées, explicites et légitimes.
La dérogation à l'article 124 de la loi du 13 juin 2005 visée au 2° [lire 1°] de l'article 125 de cette loi implique la prescription ou la permission par une « loi » ou une norme supérieure à celle-ci et non par une norme inférieure, telle la convention collective de travail n° 81 rendue obligatoire par l'arrêté royal du 12 juin 2002.
Si la convention collective de travail n° 81 doit être lue en ce sens qu'elle permet le contrôle des données de communications électroniques des travailleurs, la prise de connaissance et l'utilisation du contenu de ces communications par l'employeur sans que le consentement libre, individuel et préalable du travailleur concerné soit requis, cette convention collective et l'arrêté royal qui la rend obligatoire violent l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 22 et 29 de la Constitution, l'article 314bis du Code pénal, les articles 4 et 5 de la loi du 8 décembre 1992 et l'article 124 de la loi du 13 juin 2005. En vertu de l'article 159 de la Constitution, il ne peut en être fait application.
En outre, à supposer - quod non - que la convention collective de travail n° 81 constitue l'autorisation de « la loi » visée à l'article 125, 2°, de la loi du 13 juin 2005, permettant à l'employeur le contrôle des données de communications électroniques d'un travailleur et l'utilisation du contenu de ces dernières sans le consentement individuel du travailleur, ces actes ne seraient néanmoins réguliers que pour autant qu'il soit satisfait au principe de finalité précisé à l'article 5 (articles 1er et 2), à la procédure d'information individuelle et à son contenu, qui doit porter sur « la ou les finalités poursuivies » (article 9), et aux conditions précisant les modalités pour l'individualisation directe desdites données (articles 11, 12, 13 et 15).
L'article 5 de ladite convention collective de travail dispose :
« § 1er. Le contrôle de données de communications électroniques en réseau n'est autorisé que lorsque l'une ou plusieurs des finalités suivantes sont poursuivies :
1. la prévention de faits illicites ou diffamatoires, de faits contraires aux bonnes mœurs ou susceptibles de porter atteinte à la dignité d'autrui ;
2. la protection des intérêts économiques, commerciaux et financiers de l'entreprise auxquelles est attaché un caractère de confidentialité ainsi que la lutte contre les pratiques contraires ;
3. la sécurité ou le bon fonctionnement technique des systèmes informatiques en réseau de l'entreprise, y compris le contrôle des coûts y afférents, ainsi que la protection physique des installations de l'entreprise ;
4. le respect de bonne foi des principes et règles d'utilisation des technologies en réseau fixées dans l'entreprise.
§ 2. L'employeur définit clairement et de manière explicite la ou les finalités du contrôle ».
L'article 13, § 2, prévoit que, « si les données de communications électroniques en réseau sont traitées en vue de finalités autres que celle pour laquelle le contrôle a été installé, l'employeur doit s'assurer que ce traitement est compatible avec la finalité initialement poursuivie et prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les erreurs d'interprétation ».
Il s'en déduit qu'à tout le moins, l'utilisation des données de communications électroniques d'un travailleur et leur contenu afin de faire la preuve d'un motif de licenciement n'est pas autorisée lorsque la finalité du contrôle, définie par l'employeur, vise le trafic internet en provenance ou à destination de l'ordinateur et les sites visités « à des fins de sécurité au travers de la plate-forme Cisco Scansave » ou même « le cadre des affaires », pareille utilisation ultérieure étant incompatible avec la finalité définie à la procédure d'information collective et aux conditions des modalités d'individualisation directe des données.

Il s'ensuit que

Première branche

L'arrêt dit régulièrement établie la preuve du motif grave par les courriels échangés entre le demandeur et un sieur F. les 25 février et 4 avril 2011.
Il fonde cette décision sur les motifs que « les courriels litigieux ont été adressés et reçus à partir du matériel appartenant à la défenderesse et destiné à un usage professionnel » ; qu'« ils ne contiennent pas d'informations de nature privée : il s'agit d'informations échangées entre un préposé de [la défenderesse], agissant en cette qualité et non à titre personnel, et le bureau de représentation de son employeur en Roumanie », et enfin que, « s'agissant de courriels sans rapport avec la vie privée [du demandeur], la prise de connaissance de ces courriels ne peut enfreindre ni l'article 22 de la Constitution, ni la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée [...], ni encore l'article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques : ces dispositions ne visent pas les courriels en cause ; qu'il est donc sans intérêt de savoir si, lors de la réunion du 28 novembre 2011, [le demandeur] a ou non donné son accord pour que [la défenderesse] accède à ses courriels ».
L'arrêt, qui ne constate pas le consentement individuel du demandeur à la prise de connaissance du contenu des courriels litigieux et considère cet accord comme « sans intérêt », viole les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 22 et 29 de la Constitution, qui visent toutes communications et correspondances, y compris celles qui sont intervenues dans la sphère des relations de travail, l'article 314bis du Code pénal, les dispositions de la loi du 8 décembre 1992, spécialement les articles 4 et 5, qui imposent le consentement « indubitable » de la personne concernée, l'article 124 de la loi du 13 juin 2005, qui interdit la prise de connaissance des « informations de toute nature transmises par voie de communications électroniques » obtenues sans le consentement personnel des personnes directement ou indirectement concernées, et l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978, qui impose à l'employeur la charge de la preuve du motif grave.
Seconde branche

S'il considère que la prise de connaissance des courriels dont le contenu est « purement professionnel », qui ont été adressés et reçus à partir du matériel appartenant à la défenderesse destiné à un usage professionnel, est permise sans que le consentement personnel du demandeur soit requis, aux motifs que « l'article 4 du document qui reprend les règles relatives à la mise à disposition du matériel informatique stipule que : 1. [la défenderesse] assure un backup automatique de certaines parties du disque dur et réplique ses informations sur ces serveurs ; 2. les techniciens du service informatique [de la défenderesse] ont accès à l'entièreté des données stockées sur la machine ; 3. l'entièreté du trafic internet en provenance ou à destination de l'ordinateur est scannée et les sites visités sont tracés à des fins de sécurité au travers de la plate-forme Cisco Scansafe ; 4. le code de déontologie et d'éthique professionnelle de [la défenderesse] stipule que : ‘en tant qu'employés, nous sommes en droit de compter sur l'accès à nos dossiers personnels limités à ceux qui ont une raison légitime de les traiter. En revanche, nous comprenons le droit de [la défenderesse] d'accéder à tous bien, communication, dossiers et informations de la société créés dans le cadre des affaires' ; que les principes de finalité et de proportionnalité prévus par la convention collective de travail n° 81 [...] ont été respectés en la cause ; que [le demandeur] ne soutient d'ailleurs pas le contraire », l'arrêt en serait tout autant illégalement justifié.

Premier rameau

L'article 125 de la loi du 13 juin 2005, tant avant qu'après sa modification par les lois des 10 juillet 2012, 27 mars 2014 et 29 mai 2016, en ce qui concerne les personnes physiques ou morales qui ne sont pas des autorités publiques ou habilitées ou n'agissent pas sur ordre ou à la demande de celles-ci, ne prévoit de dérogation à l'interdiction d'effectuer, sans le consentement des personnes directement ou indirectement concernées, les actes visés à l'article 124 de la loi et à l'article 314bis du Code pénal que 1° lorsque la loi permet ou impose l'accomplissement de ces actes ; 2° lorsque les actes sont accomplis dans le but exclusif de vérifier le bon fonctionnement du réseau et d'assurer la bonne exécution d'un service de communications électroniques, et 3° lorsque les actes sont accomplis en vue de permettre l'intervention des services de secours et d'urgence.
Hors ces deux dernières hypothèses, étrangères à l'espèce, l'article 125 précité implique un ordre ou une autorisation de « la loi » ou d'une norme supérieure à celle-ci et une convention collective de travail, fût-elle rendue obligatoire, ne peut entraîner de dérogation à l'article 124 de la loi du 13 juin 2005.
Il s'ensuit que, si elle permet à l'employeur de prendre connaissance des courriels échangés entre un travailleur et un tiers, sans le consentement individuel des personnes directement ou indirectement concernées par ces courriels, la convention collective de travail n° 81 est contraire aux articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 22 et 29 de la Constitution, 314bis du Code pénal, 4 et 5 de la loi du 8 décembre 1992 et 124 de la loi du 13 juin 2005, et est, partant, illégale.
En vertu de l'article 159 de la Constitution, son application, et celle de l'arrêté royal qui la rend obligatoire, doit être écartée par les cours et tribunaux.
Il s'ensuit que l'arrêt, en faisant application de la convention collective de travail n° 81 du 26 avril 2002 pour décider que les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 22 de la Constitution, les dispositions de la loi du 8 décembre 1992 et l'article 124 de la loi du 13 juin 2005 ne visent pas les courriels en cause et qu'il est sans intérêt de savoir si le demandeur a donné ou non son accord pour que la défenderesse accède à ses courriels, viole l'article 159 de la Constitution et toutes les dispositions visées au moyen, à l'exception des articles 149 de la Constitution, 1319, 1320 et 1322 du Code civil, et, spécialement, les articles 314bis du Code pénal, 4 et 5 de la loi du 8 décembre 1992, 124 et 125 de la loi du 13 juin 2005.

Deuxième rameau

Dans ses conclusions de synthèse d'appel, le demandeur soutenait que la défenderesse ne pouvait prendre connaissance de ses courriels sans son accord, qu'il contestait avoir donné, et que « la convention collective de travail n° 81 [...] prévoit que l'employeur ne peut contrôler ces données que sous certaines conditions qui ne sont pas remplies en l'occurrence ».
Ce faisant, il contestait que chacune des conditions prévue à la convention collective de travail n° 81 fût remplie.
L'arrêt décide que « les principes de finalité et de proportionnalité prévus par la convention collective de travail n° 81 du 26 avril 2002 [...] ont été respectés en la cause ».
Il fonde sa décision sur la considération que « [le demandeur] ne soutient d'ailleurs pas le contraire ».
Si, par cette considération, l'arrêt entend que le demandeur ne contestait pas que les principes de finalité et de proportionnalité étaient respectés en la cause, il méconnaît la foi due aux conclusions du demandeur en donnant de celles-ci une interprétation inconciliable avec leurs termes et leur portée et en y lisant un élément qui n'y figure pas (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Troisième rameau

À supposer - quod non - qu'en vertu de la convention collective de travail n° 81, le consentement personnel du travailleur ne soit pas requis pour la prise de connaissance des courriels qui lui sont adressés ou reçus à partir du matériel informatique mis à sa disposition, le contrôle de ces communications et, a fortiori, la prise de connaissance de leur contenu ne sont autorisés, en vertu de l'article 5 de ladite convention collective n° 81, que pour la poursuite des finalités énumérées à cette disposition et rappelées en tête du moyen lorsque l'employeur a défini « clairement et de manière explicite la ou les finalités du contrôle » et que ces finalités sont légitimes au regard des articles 4 et 5 de la loi du 8 décembre 1992.
L'arrêt considère que le principe de finalité prévu à la convention collective de travail n° 81 a été respecté en l'espèce.
À défaut d'indiquer quelle(s) finalité(s) déterminée(s) étai(en)t poursuivie(s), outre « les fins de sécurité au travers de la plate-forme Osa Scansave », soit la sécurité du système informatique, ont été définies par l'employeur et pour le contrôle, l'arrêt ne permet pas de contrôler la légalité de sa décision au regard des articles 4 et 5 de la loi du 8 décembre 1992 et, en tant que de besoin, 5 et 13 de la convention collective de travail n° 81 et n'est, partant, pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Aux termes de l'article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, s'il n'y est pas autorisé par toutes les personnes directement ou indirectement concernées, nul ne peut 1° prendre intentionnellement connaissance de l'existence d'une information de toute nature transmise par voie de communication électronique et qui ne lui est pas destinée personnellement ; 2° identifier intentionnellement les personnes concernées par la transmission de l'information et son contenu ; 3° sans préjudice de l'application des articles 122 et 123, prendre connaissance intentionnellement de données en matière de communications électroniques relatives à une autre personne ; 4° modifier, supprimer, révéler, stocker ou faire un usage quelconque de l'information, de l'identification ou des données obtenues intentionnellement ou non.
Pour dire établi le motif grave de rupture du contrat de travail liant les parties qu'invoquait la défenderesse, l'arrêt se fonde sur des courriels échangés entre le demandeur et un sieur F., dont il relève qu'ils « ont été adressés et reçus à partir de matériel appartenant à [la défenderesse], mis à la disposition [du demandeur] et destiné à un usage professionnel », que « [leur] contenu [...] est purement professionnel » et « qu'ils ne contiennent pas d'information de nature privée ».
En considérant qu'« il est sans intérêt de savoir si [...] [le demandeur] a ou non donné son accord pour que [la défenderesse] accède à ses courriels » dès lors que, « s'agissant de courriels sans rapport avec [sa] vie privée, la prise de connaissance de [ceux-ci] ne peut enfreindre [...] l'article 124 de la loi du 13 juin 2005 », l'arrêt viole cette disposition légale.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Et il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il statue sur les bonus réclamés par le demandeur et sur la demande reconventionnelle de la défenderesse ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Koen Mestdagh, Mireille Delange, Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du vingt mai deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.17.0089.F
Date de la décision : 20/05/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-05-20;s.17.0089.f ?

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