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15/05/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0169.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 mai 2019, P.19.0169.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt



N° P.19.0169.F
I. et III. 1. A. Dj.
2. B. O.
II. A. Dj.
prévenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Ricardo Bruno, avocat au barreau de Charleroi.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois I sont dirigés contre une ordonnance rendue le 7 février 2018 par la chambre du conseil du tribunal de première instance du Hainaut, division Mons, le pourvoi II est dirigé contre un arrêt rendu le 13 mars 2018 par la cour d'appel de Mons, chambre des mises en accusation, et les pour

vois III sont dirigés contre un arrêt rendu le 18 janvier 2019 par la même cour, chambre correctionnel...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt

N° P.19.0169.F
I. et III. 1. A. Dj.
2. B. O.
II. A. Dj.
prévenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Ricardo Bruno, avocat au barreau de Charleroi.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois I sont dirigés contre une ordonnance rendue le 7 février 2018 par la chambre du conseil du tribunal de première instance du Hainaut, division Mons, le pourvoi II est dirigé contre un arrêt rendu le 13 mars 2018 par la cour d'appel de Mons, chambre des mises en accusation, et les pourvois III sont dirigés contre un arrêt rendu le 18 janvier 2019 par la même cour, chambre correctionnelle.
Dj. A. invoque un moyen à l'appui de son pourvoi contre l'arrêt du 13 mars 2018 et il en invoque également un à l'appui de son pourvoi contre l'arrêt du 18 janvier 2019, dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
O. B. invoque deux moyens à l'appui de son pourvoi contre l'arrêt du 18 janvier 2019 dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur le pourvoi de Dj. A. contre l'ordonnance de la chambre du conseil du 7 février 2018 :

Le demandeur se désiste de son pourvoi au motif que la décision attaquée n'est pas rendue en dernier ressort.

B. Sur le pourvoi d'O. B. contre l'ordonnance de la chambre du conseil du 7 février 2018 :

Le demandeur se désiste de son pourvoi au motif qu'il est dénué d'intérêt.

Aux termes de l'article 425, § 2, du Code d'instruction criminelle, si, dans la même cause, une partie se pourvoit en cassation en même temps contre la décision définitive et contre une ou plusieurs décisions préparatoires et d'instruction rendues par d'autres juridictions que celle qui a rendu la décision définitive, les déclarations de pourvoi en cassation sont faites au greffe de cette dernière juridiction.

Le pourvoi a été formé au greffe du tribunal de première instance du Hainaut.

N'ayant pas été formé au greffe de la juridiction qui a rendu la décision définitive, le pourvoi est irrecevable.

C. Sur le pourvoi de Dj. A. contre l'arrêt de la chambre des mises en accusation du 13 mars 2018 :

Sur le moyen :

1. Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 et 6.3, a, b et c, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 14.1 et 14.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au procès équitable et au respect des droits de la défense, en ce compris le principe de l'égalité des armes.

Le demandeur fait grief à l'arrêt attaqué de rejeter l'appel qu'il a formé contre l'ordonnance de la chambre du conseil du 7 février 2018, précitée. Cette juridiction n'a pas accueilli l'exception d'irrecevabilité des poursuites que le demandeur tirait de la circonstance que, étant détenu au Maroc depuis le 21 août 2017 en vertu d'une demande d'extradition des autorités belges pour les faits faisant l'objet de l'instruction, et étant toujours détenu dans ce pays en vertu de cette demande durant le règlement de la procédure, il n'avait jamais été entendu par le juge d'instruction ou les enquêteurs belges sur les faits mis à sa charge ni, sur commission rogatoire, au Maroc.

Le moyen soutient que le retard pris dans la procédure d'extradition du demandeur, alors que les autorités judiciaires belges n'ont pris aucune initiative pour le faire entendre au Maroc malgré le fait qu'il y était détenu depuis le 21 août 2017, c'est-à-dire depuis de nombreux mois, ne pouvait en aucun cas justifier l'atteinte portée à son droit d'être entendu préalablement à l'examen des charges par la chambre du conseil. Le moyen soutient aussi que l'arrêt ne pouvait pas légalement fonder sa décision sur le constat que le demandeur était représenté devant les juridictions d'instruction par son avocat et que celui-ci a déposé des conclusions, puisque ce conseil a seulement invoqué l'irrecevabilité des poursuites, sans aborder la question de l'existence de charges. En outre, en raison du caractère individuel de la responsabilité pénale et de l'absence d'initiative des autorités belges pour faire entendre le demandeur au Maroc, ni la présence d'autres inculpés détenus, ni la circonstance que les faits ont été commis depuis l'étranger, ne peuvent justifier qu'un inculpé puisse être renvoyé devant le tribunal correctionnel sans avoir été préalablement entendu. Enfin, le moyen soutient qu'en s'étant fondée sur le constat que le demandeur pouvait comparaître à l'audience devant le juge du fond et être interrogé par les enquêteurs avant cette audience, la chambre des mises en accusation a réduit au rang de formalités éventuelles et accessoires l'obligation d'entendre tout inculpé pendant l'instruction sur les faits qui le concernent ainsi que l'ensemble des garanties qui en découlent.

2. En tant qu'il allègue qu'une demande d'entraide judiciaire au Maroc aurait permis de faire entendre le demandeur avant l'audience de la chambre du conseil du 7 février 2018 ou avant la remise du demandeur aux autorités judiciaires belges, et en tant qu'il fait valoir que les charges que la chambre du conseil a retenues comme étant suffisantes procèdent exclusivement d'éléments de téléphonie rendant l'audition préalable du demandeur indispensable au respect de ses droits de la défense et de son droit à un procès équitable, le moyen, invoqué pour la première fois devant la Cour, est irrecevable.

3. A moins qu'il soit fugitif ou latitant, le respect dû aux droits de la défense requiert, en règle, que le suspect ou l'inculpé soit entendu au cours de l'information ou de l'instruction, ou, à tout le moins, qu'il en reçoive l'occasion.

4. Lorsque le juge constate des circonstances empêchant d'intenter ou de continuer les poursuites pénales dans le respect du droit à un procès équitable, il peut alors prononcer, à titre de sanction, l'irrecevabilité de l'action publique. Cependant, il est requis, pour ce faire, qu'il ressorte de ses constatations que ce droit est irrémédiablement violé, à savoir que la violation perdure et ne peut être réparée. De plus, lorsqu'il en a lui-même la possibilité, le juge est tenu de remédier à la violation.

L'absence d'audition de l'inculpé durant l'instruction préparatoire n'a pas, en règle, pour effet de rendre impossible la tenue d'un procès équitable devant le juge du fond.

Si la juridiction d'instruction constate que l'inculpé n'a pas été entendu sur les faits mis à sa charge ou n'en a pas reçu la possibilité, il lui appartient d'abord de vérifier s'il peut y remédier. Lorsque cela s'avère impossible, elle apprécie souverainement, au regard de l'ensemble des circonstances de la cause, si l'absence d'audition pendant l'instruction préparatoire a pour effet d'empêcher irrémédiablement la tenue d'un procès équitable devant la juridiction de jugement.

La Cour vérifie si, des faits qu'elle a constatés, la chambre des mises en accusation a pu décider, sans déduire des conséquences qui seraient sans lien avec eux ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification, que l'absence d'audition durant l'instruction n'empêche pas irrémédiablement la tenue d'un procès équitable devant le juge du fond.

5. L'arrêt mentionne que le demandeur est inculpé d'avoir commis, à Mons et de connexité à Bruxelles et à Charleroi, à plusieurs reprises entre le 6 avril 2016 et le 22 mars 2017, des infractions à la loi sur les stupéfiants constituant des actes de participation en qualité de dirigeant à l'activité principale ou accessoire d'une association.

Par adoption des motifs du réquisitoire du ministère public, l'arrêt constate que le demandeur est de nationalité algérienne, qu'étant radié d'office depuis le 11 juin 2016, il est sans domicile ni résidence connue en Belgique et que de nombreux éléments ont été recueillis dans le cadre de l'instruction préparatoire permettant de soupçonner qu'il serait un des dirigeants d'un important trafic de cocaïne et d'héroïne qu'il pilotait au départ de l'Algérie. L'arrêt relève que le juge d'instruction a émis sur cette base le 20 avril 2017 un mandat d'arrêt par défaut, qu'un mandat d'arrêt international a été émis le même jour, que le demandeur a été mis sous écrou extraditionnel au Maroc le 21 août 2017 et qu'une demande d'extradition a été envoyée par les autorités belges le 1er septembre 2017.

Par motifs propres, l'arrêt considère que le demandeur a été représenté par son avocat devant les juridictions d'instruction, qu'ayant déposé des conclusions il a pu faire valoir ses droits et que le caractère contradictoire de la procédure a été assuré lors du règlement de la procédure.

La cour d'appel a également considéré que le cours de la justice dans une cause dans laquelle de nombreuses personnes sont poursuivies, certaines étant détenues, ne peut pâtir de l'établissement à l'étranger d'un inculpé sur qui pèsent des charges suffisantes d'avoir organisé et dirigé, au départ de son lieu de retraite, un important trafic de stupéfiants commis en association sur le territoire du Royaume où il avait précédemment résidé, ce qui lui aurait permis d'y nouer des contacts utiles, d'autant que cette situation, selon les juges d'appel, a contraint les autorités judiciaires belges à multiplier les démarches en vue de le localiser, de le faire arrêter et le faire extrader en vue de son jugement.

En outre, l'arrêt énonce que la comparution du demandeur devant la juridiction de jugement, et même éventuellement son audition préalable à cette comparution, peuvent raisonnablement être prévues au terme de la procédure d'extradition.

6. Dans ses conclusions devant la chambre du conseil et celles qu'il a déposées devant la chambre des mises en accusation, le demandeur s'est borné à invoquer l'irrecevabilité des poursuites au motif qu'il n'a pas été entendu pendant l'instruction et qu'en raison de l'atteinte irrémédiable ainsi portée à ses droits de la défense, la tenue d'un procès équitable devant le juge du fond était radicalement compromise.

Il ne ressort pas de ces conclusions, ni d'aucune autre pièce de la procédure, que le demandeur ait invoqué, devant la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation, un fait concret ou une circonstance propre à la cause dont il aurait déduit qu'en raison de l'absence d'audition durant l'instruction, il était impossible d'assurer un procès équitable devant le juge du fond.

7. Sur le fondement de ces constatations, la chambre des mises en accusation a pu légalement considérer que l'absence d'audition du demandeur par le juge d'instruction ou par les enquêteurs ne constituait pas un obstacle irrémédiable à la tenue d'un procès équitable devant la juridiction de jugement.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Le contrôle d'office

8. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

D. Sur le pourvoi de Dj. A. contre l'arrêt de la cour d'appel, chambre correctionnelle, du 18 janvier 2019 :

Sur le moyen :

9. Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 et 6.3, a, b et c, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 14.1 et 14.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au procès équitable et au respect des droits de la défense, en ce compris le principe de l'égalité des armes.

10. Le demandeur expose que s'il avait été entendu au moment opportun durant sa détention au Maroc, il n'aurait pas été convoqué pour une audition de dernière minute, quelques jours à peine avant sa comparution devant le tribunal correctionnel, et que, ainsi qu'il l'a fait valoir devant les juges d'appel, il aurait pu solliciter au préalable, avant le règlement de la procédure, tous devoirs utiles à la défense de ses intérêts, notamment des devoirs de téléphonie à décharge. A cet égard, le demandeur précise que sa condamnation repose de manière déterminante sur l'analyse de diverses écoutes téléphoniques entre un surnommé « Dahou » et un co-prévenu, qui selon l'arrêt attaqué conduiraient à l'identification du demandeur comme étant le premier et au constat que celui-ci aurait joué un rôle de direction à l'égard du second dans le cadre des faits visés aux poursuites.

11. Le moyen critique d'abord la considération suivante de l'arrêt : « Si une demande d'audition au moyen d'une commission rogatoire internationale aurait pu être adressée par le magistrat instructeur, le postulat de la défense du [demandeur] selon lequel une telle demande aurait abouti avant le 7 février 2018, date de l'audience de la chambre du conseil, ou avant le 20 avril 2018, date de sa remise aux autorités judiciaires belges, est une hypothèse ». Selon le moyen, un délai de huit mois pour faire entendre le demandeur sur le territoire marocain n'est pas insurmontable, d'autant plus que le magistrat de liaison a signalé le 13 octobre 2017 qu'il ne fallait pas compter sur un transfert avant environ trois mois. Le demandeur en conclut qu'il n'est pas compréhensible que les juges d'appel aient retenu l'hypothèse inverse, défavorable à la défense.

Contrairement à ce que le moyen soutient, les juges d'appel n'ont pas énoncé qu'il était impossible de faire exécuter une commission rogatoire dans un délai de huit mois, mais ont considéré que l'affirmation selon laquelle ce devoir d'enquête aurait pu être réalisé durant ce laps de temps était une hypothèse et non une certitude.

A cet égard, le moyen manque en fait.

Par ailleurs, la vérification de cette affirmation exige un examen en fait qui n'est pas au pouvoir de la Cour.

Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.

12. Le demandeur critique ensuite l'arrêt en ce qu'il énonce que « Quand bien même aucune demande d'entraide judiciaire n'a été formulée, [les] droits de la défense [du demandeur] n'ont pas été violés, car c'est en raison des refus du [demandeur] [après sa remise aux autorités judiciaires belges] qu'il n'a pu être entendu de manière circonstanciée en Belgique par les enquêteurs », et qu'il « a eu accès au dossier et la possibilité d'en prendre copie, a eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés et a été mis en mesure d'assurer valablement sa défense ». Le demandeur reproche aux juges d'appel d'énoncer ainsi des motifs qui sont étrangers au grief, dès lors qu'il soutenait devant eux que pour préparer sa défense, il aurait dû en principe bénéficier, durant l'instruction préparatoire, des mêmes droits et facilités que ceux reconnus aux autres parties.

Cette critique repose sur une lecture incomplète de l'arrêt. En effet, pour répondre au grief, la cour d'appel ne s'est pas bornée à énoncer la considération précitée. Elle a également considéré que le demandeur et son conseil ont été convoqués le 29 janvier 2018 en vue du règlement de la procédure fixé le 7 février 2018, et que, dans ce cadre, le conseil du demandeur, et non le demandeur lui-même détenu au Maroc, a eu accès au dossier, a eu la possibilité d'en demander copie, a pu demander des devoirs complémentaires, notamment en matière de téléphonie, a pu faire valoir ses moyens de défense dès lors qu'il a déposé des conclusions au nom du demandeur, et a pu plaider devant la chambre du conseil, interjeter appel, déposer des conclusions et représenter le demandeur devant la chambre des mises en accusation.

Dans cette mesure, le moyen manque en fait.

13. Le moyen reproche aussi à l'arrêt d'énoncer que « Si le [demandeur] avance actuellement que la chambre du conseil aurait dû disjoindre les causes afin de lui permettre d'être préalablement entendu avant de statuer sur son renvoi éventuel devant le tribunal correctionnel, la cour constate d'une part qu'il ne l'a pas sollicité en son temps dans les conclusions déposées devant les juridictions d'instruction chargées de statuer sur son renvoi mais également qu'aucune disposition légale n'impose de procéder de la sorte ». Selon le moyen, dès lors que le conseil du demandeur dénonçait devant les juridictions d'instruction l'absence de toute audition et de contradiction à tous les stades de l'instruction préparatoire, ce grief impliquait nécessairement, à défaut d'irrecevabilité, la disjonction des poursuites. En outre, selon le demandeur, les dispositions invoquées au moyen exigeaient, contrairement à ce que l'arrêt affirme, que dans de telles circonstances pareille disjonction fût opérée.

La loi ne donne pas aux juridictions de jugement le pouvoir de se prononcer sur la légalité des décisions des juridictions d'instruction. Une ordonnance de renvoi saisit le juge du fond de la cause, pour autant qu'elle ne contienne pas d'illégalité quant à la compétence. Elle conserve ses effets tant qu'elle n'est pas annulée par la Cour de cassation.

Ainsi, la juridiction de jugement valablement saisie par le renvoi n'a pas le pouvoir de déclarer les poursuites exercées contre un inculpé irrecevables au motif que la juridiction d'instruction aurait dû les disjoindre de celles qui étaient diligentées contre un autre inculpé.

A cet égard, le moyen, qui suppose le contraire, manque en droit.

14. Enfin, le demandeur allègue que les juges d'appel ne pouvaient pas admettre, sans violer les dispositions et principes invoqués, qu'il avait pu contredire librement les éléments produits contre lui et le bien fondé des préventions, faire valoir ses moyens de défense, en ce compris les irrégularités invoquées, et présenter toute demande utile au jugement de sa cause, ni qu'aucune irrégularité ou déloyauté à son endroit n'avait été commise. Selon le moyen, la cour d'appel ne pouvait davantage considérer, pour déclarer les poursuites recevables, que le demandeur n'avait pas précisément indiqué en quoi ses droits de défense ont concrètement été méconnus.

Pour apprécier si un manquement commis au cours de l'instruction a porté atteinte au droit du prévenu de bénéficier d'un procès équitable, il y a lieu de vérifier si la cause considérée dans son ensemble a été traitée de manière équitable.

Le juge du fond apprécie souverainement si le défaut d'audition du suspect ou de l'inculpé durant la phase antérieure au procès a, ou non, irrémédiablement eu pour effet de rendre impossible la tenue d'un procès équitable devant lui, la Cour vérifiant s'il n'a pas déduit de ses constatations des conséquences qui seraient sans lien avec elles ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.

Il ressort du jugement entrepris que devant le premier juge le demandeur a comparu personnellement assisté de son avocat, et que devant la cour d'appel il a comparu en étant représenté par son conseil.

Outre les considérations critiquées, reprises ci-dessus, l'arrêt considère également que
- le demandeur a eu un accès au dossier et a eu la possibilité d'en demander une copie, ayant été convoqué le 25 avril 2018 en vue de l'audience du tribunal correctionnel fixée le 9 mai 2018,
- après sa remise aux autorités belges le 20 avril 2018, les enquêteurs lui ont adressé une convocation en vue de son audition le 3 mai 2018,
- le 30 avril 2018, le conseil du demandeur a sollicité le report de son audition, et le même jour, un de ses conseils a informé les enquêteurs qu'ils souhaitaient prendre connaissance du dossier avant l'audition et qu'ils reprendraient contact pour fixer un rendez-vous,
- restant sans réponse, les enquêteurs ont repris contact le 7 mai 2018, le secrétariat des conseils du demandeur les informant que, absents, ils les recontacteraient à leur retour, ce qui n'a pas été fait,
- le 9 mai 2018, l'instruction d'audience a eu lieu, le ministère public a requis et la cause a été mise en continuation, les conseils des prévenus devant encore plaider,
- par apostille du 15 mai 2018, le ministère public a, à nouveau, demandé l'audition du demandeur, et les enquêteurs lui ont adressé une convocation pour le 22 mai 2018, date à laquelle le demandeur ne s'est pas présenté, sans en donner la raison,
- celui-ci a confirmé - l'arrêt se référant au procès-verbal de l'audience du 6 juin 2018 - avoir reçu cette convocation, mais après avoir pris contact avec son conseil qui n'en était pas informé, il a dit qu'il ne se déplacerait pas,
- l'affaire a été mise en continuation une seconde fois à l'audience du 20 juin 2018, date à laquelle la cause a été prise en délibéré.

L'arrêt énonce également :
- depuis l'envoi des convocations devant la chambre du conseil, le 29 janvier 2018, le demandeur et son conseil ont une parfaite connaissance des préventions qui lui sont reprochées,
- l'avocat du demandeur a eu plusieurs fois accès au dossier depuis le 29 janvier 2018 et le demandeur lui-même y a accès et a pu en prendre copie depuis le 25 avril 2018,
- plusieurs convocations ont été adressées au demandeur, et c'est en raison de ses refus qu'il n'a pu être entendu de manière circonstanciée en Belgique par les enquêteurs.

En outre, la cour d'appel a considéré que « [le demandeur] n'avance aucun devoir précis (expertise, perquisition, ...), notamment en matière de téléphonie (repérage sur tel numéro ...), dont il aurait pu solliciter l'exécution s'il avait été préalablement entendu durant l'instruction préparatoire et dont l'absence lui causerait un préjudice concret », et qu'« il y a dès lors lieu de constater que, dans les conditions précitées, l'absence d'audition via une demande d'entraide judiciaire internationale est sans incidence concrète sur l'exercice de son droit de défense ».

Contrairement à ce que le moyen soutient, par ces considérations et celles qu'il critique, les juges d'appel ont pu légalement décider, sans violer les dispositions et les principes invoqués, que malgré l'absence d'audition du demandeur par le juge d'instruction ou les enquêteurs, la cause du demandeur, prise dans son ensemble, avait fait l'objet d'un procès équitable.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Le contrôle d'office

15. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

E. Sur le pourvoi d'O. B. contre l'arrêt de la cour d'appel, chambre correctionnelle, du 18 janvier 2019 :

Sur le deuxième moyen :

16. Pris de la violation de la foi due aux actes, et de la méconnaissance de la notion juridique de présomption de l'homme et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, le moyen soutient que la cour d'appel ne pouvait pas déduire des réponses du demandeur, actées dans le procès-verbal du 28 mars 2017 auquel l'arrêt se réfère, qu'il ne contestait pas avoir tenu les propos que les enquêteurs lui attribuent dans leurs questions.

17. Les conséquences que le juge tire, à titre de présomptions, des faits qu'il déclare constants sont abandonnées à sa prudence et relèvent de son appréciation souveraine. Toutefois, la Cour vérifie s'il ne déduit pas de ces faits des conséquences qui seraient sans lien avec eux ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.

18. Les juges d'appel ont constaté que « entendu par les enquêteurs (pièce 266 - carton 5), le [demandeur] ne sait pas s'il a été l'utilisateur du numéro d'appel ‘32465673093', reconnaît connaître les prévenus A.B. et H M B et aux questions suivantes : ‘Vous me dites que lors de communications avec B. A. (...), il est question « d'affaires » que ce dernier doit m'apporter. Vous me demandez de m'en expliquer' et ‘Vous me demandez pourquoi je déclare lors de cette communication (...) que je suis dans la m... car je ne sais pas ce que je vais dire aux gars qui vont se présenter à tour de rôle cette nuit pour récupérer leur dû. Vous me demandez de m'en expliquer', [le demandeur] répond : ‘Je ne me rappelle plus de quoi je parlais. A un certain moment, je buvais beaucoup d'alcool' et ‘Je buvais beaucoup et j'étais sous influence de cocaïne. Je ne me rappelle plus de cette communication' ».

La cour d'appel a ensuite considéré : « Ces deux réponses induisent nécessairement que le [demandeur] ne contestait pas avoir tenu les propos qui lui sont attribués dans les questions, même s'il ne se souvenait plus du contenu de ces deux conversations ».

19. En ayant considéré que les deux réponses précitées induisent nécessairement que le demandeur ne contestait pas avoir tenu durant une communication téléphonique les propos que les enquêteurs lui attribuent, alors qu'elle a constaté que dans ces réponses le demandeur a déclaré ne pas se rappeler de quoi il parlait ou ne plus se souvenir de cette communication, la cour d'appel a déduit des faits qu'elle a constatés une conséquence qui n'est susceptible d'aucune justification.

Dans cette mesure, le moyen est fondé.

Il n'y a pas lieu d'avoir égard au surplus du moyen ni au premier moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation dans d'autres termes que ceux du dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Décrète le désistement du pourvoi de Dj. A. contre l'ordonnance de la chambre du conseil du 7 février 2018 ;
Casse l'arrêt de la cour d'appel de Mons, chambre correctionnelle, du 18 janvier 2019 en tant qu'il statue sur l'action publique exercée à charge d'O. B. ;
Rejette les pourvois de D. A. contre l'arrêt de la cour d'appel de Mons, chambre des mises en accusation, du 13 mars 2018 et contre l'arrêt de cette cour, chambre correctionnelle, du 18 janvier 2019 ;
Rejette le pourvoi d'O. B. contre l'ordonnance de la chambre du conseil du 7 février 2018 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Condamne Dj. A. aux frais de ses pourvois ;
Condamne O. B. aux frais de son pourvoi formé contre l'ordonnance de la chambre du conseil du 7 février 2018 ;
Réserve les frais du pourvoi d'O. B. formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Mons, chambre correctionnelle, du 18 janvier 2019 pour qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Liège.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de sept cent quatre-vingt-quatre euros vingt-trois centimes dont I) sur les pourvois de Dj.A. et O.B. : cinquante-deux euros huit centimes dus ; II) sur le pourvoi de D.A. : nonante euros trois centimes dus et III) sur les pourvois de Dj. A. et O. B. : six cent quarante-deux euros douze centimes dont cent vingt-neuf euros soixante centimes dus par D. A. et cinq cent douze euros cinquante-deux centimes réservés.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze mai deux mille dix-neuf par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.0169.F
Date de la décision : 15/05/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-05-15;p.19.0169.f ?

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