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02/05/2019 | BELGIQUE | N°C.15.0450.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 mai 2019, C.15.0450.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.18.0450.F
S.R.I.B., société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Namur (Wépion), chemin des Marronniers, 18,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre

AGRICON, société anonyme, dont le siège social est établi à Balen, Graanstraat, 19,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat

à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Joseph Stevens, 7, où il est fait éle...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.18.0450.F
S.R.I.B., société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Namur (Wépion), chemin des Marronniers, 18,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre

AGRICON, société anonyme, dont le siège social est établi à Balen, Graanstraat, 19,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Joseph Stevens, 7, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 17 avril 2018 par la cour d'appel de Liège.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article III.26, § 2, spécialement in fine, du Code de droit économique ;
- principe général du droit suivant lequel le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ;
- en tant que de besoin, articles 5, 774 et 1138, 2°, du Code judiciaire ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt joint les causes inscrites au rôle de la cour [d'appel] sous les numéros « 201[7]/RG/211 et 201[7]/RG/221 », reçoit les appels, réforme le jugement entrepris, dit la demande de la demanderesse irrecevable et la condamne aux dépens des deux instances, liquidés pour la défenderesse à 12.400 euros.
Il se fonde, pour ce faire, sur les motifs repris sub « Recevabilité de la demande de la [demanderesse] », tenus ici pour intégralement reproduits, ainsi que sur les antécédents de la procédure tels qu'il les présente sub « Antécédents et objets des appels », également tenus ici, en tant que de besoin, pour intégralement reproduits.
Sous ces antécédents, l'arrêt constate notamment ce qui suit :
« Aux termes de ses premières conclusions [de première] instance, la [défenderesse] a soulevé un déclinatoire de compétence et a sollicité le renvoi de la cause devant le tribunal de commerce d'Anvers. Subsidiairement, elle a invoqué l'irrecevabilité et le non-fondement de la demande, contestant l'existence d'un contrat d'agence commerciale entre les parties. Plus subsidiairement, elle a conclu au non-fondement des demandes principale et subsidiaire de la [demanderesse], celle-ci n'ayant droit à aucune commission ;
La [demanderesse] a majoré sa demande en cours d'instance pour la porter à la somme provisionnelle de 240.000 euros à titre de commissions jusqu'au 31 mai 2016 ;
Quelques jours avant l'audience de plaidoiries, la [défenderesse] a fait parvenir au greffe du tribunal de commerce une note d'audience dans laquelle elle invoque pour la première fois un moyen d'irrecevabilité de la demande de la [demanderesse] fondé sur l'article 14, alinéa 4, de la loi du 16 janvier 2003 portant création d'une banque-carrefour des entreprises, modernisation du registre de commerce, création de guichets-entreprises agréés et portant diverses dispositions ;
La [demanderesse] a pris une note en réponse dans laquelle elle a contesté ce moyen nouveau ».
Sub « Recevabilité de la demande de la [demanderesse] », l'arrêt énonce :
« [La défenderesse] soutient que la demande de [la demanderesse] est irrecevable selon l'article III.26, § 2, du Code de droit économique (anciennement article 14, alinéa 4, de la loi du 16 janvier 2003), qui dispose que, ‘dans le cas où l'entreprise commerciale ou artisanale est inscrite en cette qualité à la banque-carrefour des entreprises mais que son action [...] est basée sur une activité pour laquelle l'entreprise n'est pas inscrite à la date de l'introduction de cette action ou qui ne tombe pas sous l'objet social pour lequel l'entreprise est inscrite à cette date, l'action de cette entreprise est non recevable' ;
Les premiers juges ont rejeté ce moyen au motif qu'il n'avait pas été soulevé in limine litis, l'article précité précisant en effet in fine que ‘l'irrecevabilité est cependant couverte si elle n'est pas proposée avant tout autre exception ou moyen de défense' ;
[La défenderesse] ne conteste pas que ce moyen d'irrecevabilité a été soulevé pour la première fois dans sa note d'audience précédant les plaidoiries de quelques jours mais relève que, dans sa note d'audience du 7 octobre 2016, [la demanderesse] n'a pas invoqué le fait que ledit moyen était soulevé tardivement ;
Selon [la défenderesse], [la demanderesse] aurait ainsi ‘couvert le caractère potentiellement tardif de l'exception d'irrecevabilité' [...] et les premiers juges ne pouvaient pas soulever le moyen d'office car il ne relève pas de l'ordre public ;
Ce n'est que dans l'hypothèse différente, visée à l'article III.26, § 1er, alinéa 3, du Code de droit économique, où l'entreprise ne prouve pas son inscription ou n'est pas inscrite à la banque-carrefour des entreprises, que le tribunal déclare d'office l'action irrecevable ;
Le moyen d'irrecevabilité invoqué par [la défenderesse], fondé sur l'article III.26, § 2, du Code de droit économique, ne relève pas de l'ordre public et il incombait à [la demanderesse] de se défendre sur ce moyen en invoquant, notamment, le fait que celui-ci n'avait pas été soulevé in limine litis ;
Les premiers juges ne pouvaient donc pas le constater d'office et, si [la demanderesse] était en droit de l'invoquer pour la première fois en degré d'appel, force serait de constater que [la défenderesse] a soulevé ce moyen d'irrecevabilité dans ses premières conclusions d'appel ».
L'arrêt poursuit en posant la question : « le moyen est-il fondé ? » et indique que la « [demanderesse] prétend en termes de citation du 14 janvier 2016 ‘que, selon contrat à durée indéterminée ayant pris cours le 1er janvier 2013, [elle] travaille en qualité d'agent commercial de la [défenderesse]' et demande la condamnation de cette dernière ‘à lui payer les commissions pour l'année 2014 et pour le premier semestre 2015' ».
Après avoir rejeté le moyen de la défenderesse selon lequel l'action de la demanderesse était basée sur une activité pour laquelle elle n'était pas inscrite, à la date de l'introduction de cette action, à la banque-carrefour des entreprises, l'arrêt énonce, quant à l'objet social de la demanderesse :
« Il reste cependant que l'objet social de [la demanderesse], pour lequel elle est inscrite à la banque-carrefour des entreprises, ne comprend pas les activités d'intermédiaire du commerce telles qu'elles sont effectivement déployées pour compte et au nom de la [la défenderesse] ;
En effet, selon l'article 3 de ses statuts, [la demanderesse] a pour objet social un ensemble d'activités ayant trait au secteur de l'horeca et ‘l'activité d'intermédiaire commercial pour le placement de présentoirs en magasins et en grandes surfaces' ;
[La demanderesse] précise que ‘le terme « présentoirs » est un terme de marketing propre à la grande distribution', c'est-à-dire ‘outil de PLV destiné à la fois à des fins pratiques et esthétique ; qu'il permet de maintenir le produit en rayon tout en le mettant en avant' [...] : l'acronyme PLV désigne la ‘publicité sur le lieu de vente', c'est-à-dire l'ensemble des usages possibles des nombreux supports publicitaires ou visuels pouvant être présents sur le lieu de vente ;

On cherchera vainement en quoi l'intermédiation commerciale pour le placement de présentoirs en magasins et en grandes surfaces, ayant pour objectif la valorisation des produits destinés à la vente, a un rapport avec l'intermédiation commerciale pour la vente des produits tels que ceux qui sont fabriqués ou distribués par [la défenderesse] ;
Il ne faut en effet pas confondre le placement de présentoirs en magasins et grandes surfaces et la vente de produits, fussent-ils placés sur ceux-ci ;
Et l'article 3, in fine, desdits statuts - selon lequel ‘la société peut, d'une façon générale, accomplir toutes opérations commerciales, industrielles, financières, mobilières ou immobilières se rapportant directement ou indirectement à son objet social ou qui seraient de nature à en faciliter la réalisation' - ne permet pas à [la demanderesse] de considérer que son objet social serait de ce fait étendu aux activités sur lesquelles elle fonde sa demande ;
Par conséquent, la demande de [la demanderesse] est irrecevable ».

Griefs

1. L'article III.26, § 2, du Code de droit économique dispose que, « dans le cas où l'entreprise commerciale ou artisanale est inscrite en cette qualité à la banque-carrefour des entreprises mais que son action principale, reconventionnelle ou en intervention, introduite par voie de requête, conclusions ou d'exploit d'huissier, est basée sur une activité pour laquelle l'entreprise n'est pas inscrite à la date de l'introduction de cette action ou qui ne tombe pas sous l'objet social pour lequel l'entreprise est inscrite à cette date, l'action de cette entreprise est non recevable ».
Il ajoute, in fine, que « l'irrecevabilité est cependant couverte si elle n'est pas proposée avant tout autre exception ou moyen de défense ».
Il résulte ainsi de cette dernière disposition que, si l'irrecevabilité fondée sur l'article III.26, § 2, du Code de droit économique peut être invoquée pour la première fois en degré d'appel, c'est à la condition qu'aucune autre exception ou défense n'ait été soumise au premier juge.
2. D'autre part, il résulte, et des principes généraux du droit visés au moyen, et des articles 5, 774 et 1138, 2°, du Code judiciaire que le juge est tenu de déterminer la norme applicable à l'action en justice dont il est saisi et d'appliquer cette norme : il doit examiner la nature juridique des faits et actes invoqués par les parties et peut suppléer d'office aux motifs invoqués par celles-ci dès lors qu'il n'élève aucune contestation dont elles ont exclu l'existence dans leurs conclusions, qu'il se fonde uniquement sur des éléments régulièrement soumis à son appréciation, qu'il ne modifie pas l'objet de la demande et que, ce faisant, il ne viole pas le droit de défense des parties.
3. Ayant constaté, comme l'avaient fait les premiers juges, que la défenderesse n'avait invoqué l'irrecevabilité de la demande de la demanderesse sur le fondement de l'article III.26, § 2, du Code de droit économique, pour la première fois, que dans une note d'audience du 7 octobre 2016, quelques jours avant les plaidoiries devant le tribunal de commerce, l'arrêt n'a pu légalement accueillir cette fin de non-recevoir, qui, suivant ses constatations et les pièces de la procédure, n'avait pas été proposée avant tout autre exception ou moyen de défense, aux motifs que « le moyen d'irrecevabilité invoqué par [la défenderesse], fondé sur l'article III.26, § 2, du Code de droit économique, ne relève pas de l'ordre public ; [qu']il incombait à [la demanderesse] de se défendre sur ce moyen en invoquant, notamment, que celui-ci n'avait pas été soulevé in limine litis ; que les premiers juges ne pouvaient donc pas le constater d'office et que, si [la demanderesse] était en droit de l'invoquer pour la première fois en degré d'appel, force serait de constater que [la défenderesse] a soulevé ce moyen d'irrecevabilité dans ses premières conclusions d'appel, et que l'objet social de [la demanderesse], pour lequel elle est inscrite à la banque-carrefour des entreprises, ne comprend pas les activités d'intermédiaire du commerce telles qu'elles sont effectivement déployées pour compte et au nom de [la défenderesse] ».
Ce faisant, en effet, l'arrêt
1° méconnaît les principes généraux du droit visés au moyen et viole les articles 5, 774 et 1138, 2°, du Code judiciaire, en considérant, au contraire de ceux-ci, que le premier juge ne pouvait soulever d'office la disposition de l'article III.26, § 2 in fine, pour faire échec à cette fin de non-recevoir, le cas échéant, après avoir ordonné la réouverture des débats sur ce point pour respecter le droit de défense de la défenderesse ;
2° viole l'article III.26, § 2, du Code de droit économique en accueillant la fin de non-recevoir formulée par la demanderesse sur cette base alors qu'il résultait tant de ses constatations que du dossier de la procédure que cette fin de non-recevoir n'avait pas été invoquée devant le premier juge avant tout autre exception ou moyen de défense.
Il n'est dès lors pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen).

III. La décision de la Cour

Le juge est tenu de trancher le litige conformément à la règle de droit qui lui est applicable.
En vertu de l'article III.26, § 2, du Code de droit économique, dans le cas où l'entreprise commerciale ou artisanale est inscrite en cette qualité à la banque-carrefour des entreprises mais que son action principale, reconventionnelle ou en intervention, introduite par voie de requête, conclusions ou exploit d'huissier, est basée sur une activité pour laquelle elle n'est pas inscrite à la date de l'introduction de cette action ou qui ne tombe pas sous l'objet social pour lequel elle est inscrite à cette date, son action est non recevable.
Cette disposition ajoute que l'irrecevabilité est cependant couverte si elle n'est pas proposée avant tout autre exception ou moyen de défense.
L'arrêt constate que, devant le premier juge, la défenderesse a, dans ses premières conclusions, « soulevé un déclinatoire de compétence et [...] sollicité le renvoi de la cause devant le tribunal de commerce d'Anvers, subsidiairement, [...] invoqué l'irrecevabilité et le non-fondement de la demande, contestant l'existence d'un contrat d'agence commerciale entre les parties, et, plus subsidiairement, conclu au non-fondement des demandes principale et subsidiaire de la [demanderesse], celle-ci n'ayant droit à aucune commission », que, par la suite, « [elle] a fait parvenir au greffe du tribunal de commerce une note d'audience » invoquant « pour la première fois un moyen d'irrecevabilité de la demande » fondé sur la disposition actuellement inscrite à l'article III.26, § 2, du Code de droit économique, et que « [la demanderesse] a pris une note en réponse dans laquelle elle a contesté ce moyen nouveau ».
En considérant, pour réformer le jugement entrepris qui avait écarté cette exception d'irrecevabilité parce qu'elle n'avait pas été proposée avant tout autre exception ou moyen de défense, que celle-ci « ne relève pas de l'ordre public » et que, dès lors que, dans sa note en réponse à celle de la défenderesse, la demanderesse n'avait pas relevé la tardiveté de l'exception, le tribunal de commerce ne pouvait pas la constater d'office, l'arrêt méconnaît l'obligation du juge de trancher le litige conformément à la règle de droit qui lui est applicable.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en ce qu'il joint les causes et reçoit l'appel de la défenderesse ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du deux mai deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0450.F
Date de la décision : 02/05/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-05-02;c.15.0450.f ?

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