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30/04/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0355.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 avril 2019, P.19.0355.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0355.F
ETAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pacheco, 44,
ayant pour conseil Maître Stamatina Arkoulis, avocat au barreau de Bruxelles,
demandeur en cassation,

contre

M. A.
étranger, privé de liberté,
défendeur en cassation.






I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 mars 2019 par la cour d&apo

s;appel de Mons, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, e...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0355.F
ETAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pacheco, 44,
ayant pour conseil Maître Stamatina Arkoulis, avocat au barreau de Bruxelles,
demandeur en cassation,

contre

M. A.
étranger, privé de liberté,
défendeur en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 mars 2019 par la cour d'appel de Mons, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l'audience du 24 avril 2019, le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport et l'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le moyen :

Quant à la deuxième branche :

1. L'arrêt attaqué considère qu'« il ne ressort pas de [la] motivation [de l'ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d'éloignement notifié au défendeur le 1er mars 2019] que, contrairement à ce qui est imposé par l'article 43, § 2, [de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers], lorsque la personne visée est citoyen de l'Union européenne, le délégué du ministre ait tenu compte [...] de la durée du séjour du [défendeur] sur le territoire [belge], de son âge, de sa situation économique, de son intégration sociale et culturelle en Belgique et de l'intensité de ses liens avec l'Italie, alors que le dossier administratif contient notamment une copie de la notification [...] d'une requête en suspension et en annulation [...] dans laquelle il est expressément indiqué que [le défendeur] est né à Nivelles le 23 août 1971 et qu'il a vécu presque toute sa vie en Belgique ».

2. Le moyen soutient que cette considération viole la foi due à l'ordre de quitter le territoire précité, dès lors que cette décision d'éloignement mentionne que le défendeur est né à Nivelles le 23 août 1971 et que, contrairement à ce que l'arrêt affirme, la décision tient compte de la durée du séjour sur le territoire du Royaume, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine.

3. L'arrêt constate que l'ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d'éloignement délivré au défendeur contient la motivation suivante : « L'intéressé a déclaré par le passé [...] avoir de la famille en Belgique (cousins, cousines, oncles, tantes). En ce qui concerne la présence de différents membres de la famille de l'intéressé sur le territoire belge, il convient de relever que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme protège essentiellement la famille restreinte et ne s'étend qu'exceptionnellement à d'autres proches qui peuvent jouer un rôle important au sein de la famille. Il n'apparaît pas qu'il existe entre l'intéressé et ces derniers des liens particuliers de dépendance, hormis des liens affectifs normaux. Force est de constater en plus que l'intéressé n'apporte pas la preuve qu'il forme une cellule familiale avec ces derniers. De plus, il n'y a pas d'obstacle insurmontable au maintien des contacts réguliers entre l'intéressé et sa famille, celle-ci pouvant quitter le pays et y revenir en toute régularité. L'intéressé a déclaré être handicapé à 100 %. L'intéressé a déclaré souffrir d'asthme, une allergie respiratoire. L'intéressé peut se faire soigner en Italie. Il ne ressort pas du dossier administratif qu'il y a une vraie crainte au sens de l'article 3 de la CEDH ».

4. Il ne ressort pas de la considération critiquée que l'arrêt affirme que la décision administrative ne tient pas compte de l'état de santé et de la situation familiale du défendeur.

Soutenant le contraire, dans cette mesure, le moyen manque en fait.

5. En énonçant la considération critiquée, l'arrêt ne donne pas de la motivation de l'acte à laquelle il se réfère une interprétation inconciliable avec ses termes.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Quant à la première branche :

6. Le moyen est pris de la violation des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, et 7, alinéa 1er, 43, 45 et 62, § 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. Le moyen fait valoir que, contrairement à ce que les juges d'appel ont affirmé en énonçant la considération critiquée à la deuxième branche du moyen, la mesure d'éloignement examine les facteurs énoncés à l'article 43, § 2, de la loi du 15 décembre 1980. Selon le moyen, en énonçant cette considération, l'arrêt exige que l'autorité administrative mentionne dans sa décision les motifs de ses motifs, méconnaissant ainsi la portée de l'obligation de motivation que la loi lui impose. Le demandeur soutient également que l'article 43, § 2, précité, n'impose aucune obligation de motivation quant aux éléments d'appréciation qu'il prévoit et que, partant, l'arrêt ne peut légalement reprocher à l'acte administratif de ne pas être motivé à cet égard.

7. Le moyen n'indique pas en quoi l'arrêt viole l'article 7, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980.

A cet égard, manquant de précision, le moyen est irrecevable.

8. L'article 43 de la loi du 15 décembre 1980 dispose :
« § 1er. Le ministre ou son délégué peut refuser l'entrée et le séjour aux citoyens de l'Union et aux membres de leurs familles et leur donner l'ordre de quitter le territoire :
1° (...) ;
2° pour des raisons d'ordre public, de sécurité nationale ou de santé publique.
§ 2. Lorsque le ministre ou son délégué envisage de donner l'ordre de quitter le territoire à un citoyen de l'Union et aux membres de sa famille, il tient compte de la durée du séjour du citoyen de l'Union ou du membre de sa famille sur le territoire du Royaume, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans le Royaume et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. »

9. L'article 43, § 2, de la loi du 15 décembre 1980 transpose l'article 28, § 1er, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

Le considérant 23 de la directive énonce que l'éloignement des citoyens de l'Union et des membres de leur famille pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique constitue une mesure pouvant nuire gravement aux personnes qui, ayant fait usage des droits et libertés conférés par le traité, se sont véritablement intégrées dans l'État membre d'accueil et qu'il convient dès lors de limiter la portée de ces mesures sur la base du principe de proportionnalité, afin de tenir compte du degré d'intégration des personnes concernées, de la durée de leur séjour dans l'État membre d'accueil, de leur âge, de leur état de santé, de leur situation familiale et économique et de leurs liens avec leur pays d'origine. Selon le considérant 24, il en résulte que plus l'intégration des citoyens de l'Union et des membres de leur famille est forte dans l'État membre d'accueil, plus forte devrait être la protection contre l'éloignement, et que c'est uniquement dans des circonstances exceptionnelles, pour des motifs impérieux de sécurité publique, qu'une mesure d'éloignement peut être prise contre des citoyens de l'Union ayant séjourné pendant de longues années sur le territoire de l'État membre d'accueil, notamment lorsqu'ils y sont nés et y ont séjourné toute leur vie.

10. La Cour de justice de l'Union européenne a décidé que l'article 28, § 1er, de la directive doit être interprété en ce sens que, lorsque les mesures envisagées impliquent l'éloignement de l'individu concerné de l'État membre d'accueil, ce dernier doit prendre en compte la nature et la gravité du comportement de cet individu, la durée et, le cas échéant, le caractère légal de son séjour dans cet État membre, la période qui s'est écoulée depuis le comportement qui lui est reproché, sa conduite pendant cette période, le degré de sa dangerosité actuelle pour la société, ainsi que la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec ledit État membre (arrêt du 2 mai 2018, affaires jointes C-331/16 et C-366/16).

Il s'ensuit que l'Etat membre qui restreint les libertés de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union ou d'un membre de sa famille doit mettre en balance, d'une part, la protection des intérêts fondamentaux invoqués au soutien d'une telle restriction et, d'autre part, les intérêts de cette personne relatifs à l'exercice de ces libertés ainsi que de sa vie privée et familiale. L'Etat membre doit à cette occasion tenir compte des facteurs énoncés à l'article 28, § 1er, de la directive précitée dans la mesure où ils sont pertinents dans la situation en cause.

11. En vertu de l'article 72, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980, les juridictions d'instruction vérifient si les mesures privatives de liberté et d'éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité. Le contrôle de légalité porte sur la validité formelle de l'acte, notamment quant à l'existence de sa motivation et au point de vue de sa conformité tant aux règles de droit international ayant des effets directs dans l'ordre interne, qu'à la loi du 15 décembre 1980.

12. Il résulte de ces dispositions que la juridiction d'instruction qui est chargée du contrôle de la légalité de la mesure privative de liberté et d'éloignement du territoire d'un citoyen de l'Union vérifie, sans pouvoir se prononcer sur son opportunité, s'il ressort des motifs de cette décision que l'autorité administrative a effectué le contrôle de proportionnalité visé à l'article 43, § 2, de la loi du 15 décembre 1980.

A cet égard, le moyen manque en droit.

13. Par l'énonciation critiquée, l'arrêt ne considère pas que l'ordre de quitter le territoire donné au défendeur avec maintien en vue de son éloignement n'examine pas les facteurs énumérés à l'article 43, § 2, et il n'exige pas que cette mesure contienne « les motifs de ses motifs ». Il considère, ce qui est différent, qu'il ne ressort pas de la motivation de cet acte que le ministre ou son délégué ait tenu compte de certains facteurs pertinents au regard de la situation du défendeur, énoncés à l'article 43, § 2, que l'arrêt mentionne.

Dans cette mesure, le moyen manque en fait.

Quant au surplus des deux premières branches et quant à la troisième branche du moyen :

14. En sa première branche, le moyen critique aussi l'arrêt en ce qu'il considère que l'ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d'éloignement se borne à énumérer les condamnations pénales du défendeur, sans développer autrement, comme le requiert l'article 45, § 2, de la loi du 15 décembre 1980 lorsqu'une telle mesure est prise à l'égard d'un citoyen de l'Union, les motifs justifiant qu'il représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Selon le moyen, dès lors que la décision administrative, outre l'énumération de condamnations pénales, précise que le comportement du défendeur représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société en raison de la gravité des faits et de leur répétition, l'arrêt, par la considération critiquée, revient à exiger que la décision indique les motifs de ses motifs et viole ainsi les dispositions invoquées.

15. La deuxième branche du moyen soutient que cette considération viole la foi due à la décision administrative querellée : contrairement à ce que l'arrêt affirme, la décision ne se contente pas d'énumérer les condamnations encourues mais conclut à l'existence d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, en raison de la gravité des faits et de leur répétition.

16. Dans la troisième branche du moyen, le demandeur soutient que par cette même considération, l'arrêt se méprend sur la portée de la notion d'ordre public telle que visée aux articles 7, alinéa 1er, 3°, et 43, § 1er, 2°, de la loi du 15 décembre 1980, puisque ces dispositions n'empêchent pas l'autorité administrative de justifier cette notion, comme elle l'a fait en l'espèce, par l'existence de condamnations pénales et par le constat supplémentaire que la gravité des faits et leur répétition permettent de considérer la conduite du défendeur comme pouvant actuellement causer du tort à la tranquillité des citoyens ainsi qu'au maintien de l'ordre. En cette branche, le moyen reproche également aux juges d'appel d'avoir méconnu la portée de l'article 45, § 2, alinéas 1, 2 et 3, qui, tout en signifiant qu'il ne peut y avoir d'automatisme entre l'existence de condamnations pénales et la décision d'éloignement, n'empêche pas l'autorité compétente de relever l'existence d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société compte tenu de la gravité des condamnations et de leur répétition.

17. La considération de l'arrêt selon laquelle il ne ressort pas de la motivation de l'ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d'éloignement du défendeur que le délégué du ministre ait tenu compte de la durée de son séjour sur le territoire belge, de son âge, de sa situation économique, de son intégration sociale et culturelle en Belgique et de l'intensité de ses liens avec l'Italie, justifie légalement la décision de déclarer l'appel du demandeur non fondé.

Partant, ne pouvant entraîner la cassation de l'arrêt attaqué, le moyen, en tant qu'il critique la considération suivant laquelle la décision administrative se borne à énumérer les condamnations pénales prononcées à charge du défendeur sans développer autrement les motifs justifiant qu'il représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, est irrecevable à défaut d'intérêt.

Le contrôle d'office

18. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de trente-cinq euros quatre-vingt-un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du trente avril deux mille dix-neuf par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.0355.F
Date de la décision : 30/04/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-04-30;p.19.0355.f ?

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