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24/04/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0018.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 avril 2019, P.19.0018.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0018.F
D. J.
prévenu,
détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Joie, 56, où il est fait élection de domicile,

contre

1. H. M.
2. H. A.
parties civiles,
défenderesses en cassation.




I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoq

ue quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 2 avril 2019, l'avocat général Dam...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0018.F
D. J.
prévenu,
détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Joie, 56, où il est fait élection de domicile,

contre

1. H. M.
2. H. A.
parties civiles,
défenderesses en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 2 avril 2019, l'avocat général Damien Vandermeersch a déposé au greffe des conclusions auxquelles le demandeur a répliqué par une note remise le 15 avril 2019.
A l'audience du 24 avril 2019, le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l'action publique :

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

1. L'arrêt déclare le demandeur coupable d'avoir causé à autrui une maladie en lui administrant volontairement, mais sans intention de tuer, des substances qui peuvent donner la mort ou des substances qui, sans être de nature à donner la mort, peuvent cependant altérer gravement la santé, en l'espèce avoir volontairement transmis le virus de l'immunodéficience humaine à deux personnes avec qui il a eu des relations sexuelles non protégées.

Pris de la violation de l'article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la méconnaissance du principe général du droit relatif à la présomption d'innocence, le moyen reproche à l'arrêt de dire l'infraction établie sans que les parties poursuivantes n'aient rapporté la preuve que la contamination incriminée provenait du demandeur et sans que l'arrêt ne constate que cette preuve ait été rapportée.
Le moyen fait aussi valoir que des données scientifiques objectives permettent de déterminer si la contamination des victimes provient du demandeur. A cet égard, le demandeur a annexé au mémoire déposé à l'appui du pourvoi une lettre de son conseil technique du 19 février 2019, exposant qu'il est scientifiquement possible de déterminer la provenance d'un virus d'immunodéficience en vérifiant si la souche du virus est la même.

2. En soutenant qu'il n'est pas établi que le demandeur est à l'origine de la séropositivité de ses partenaires, le moyen invite la Cour à procéder à un examen des éléments de fait de la cause qui n'est pas en son pouvoir.

Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.

3. Après avoir constaté que le demandeur est séropositif depuis sa naissance, l'arrêt émet notamment, en ce qui concerne la première défenderesse, les considérations suivantes :

- le demandeur est en couple avec elle depuis le 23 janvier 2015 et il a interrompu son traitement contre le virus entre 2014 et mai 2016, soit en pleine période infractionnelle,
- le conseil technique du demandeur considère, compte tenu de la découverte d'une primo-infection le 29 janvier 2016 et de la circonstance que le dernier contact sexuel non protégé remonte apparemment à avant juin 2015, que la première défenderesse ne peut avoir été contaminée avant le mois de décembre 2015, de sorte qu'un contact sexuel non protégé en juin 2015 ne peut pas être lié à une séroconversion en janvier 2016 ; cependant, selon l'arrêt, cette analyse du conseil technique du demandeur ne tient pas compte des déclarations du demandeur, qui n'exclut pas l'existence de rapports non protégés à des dates postérieures,
- selon le rapport de l'expert judiciaire, la contamination externe, qui d'après le demandeur serait intervenue le 5 décembre 2015, lorsque la première défenderesse lui aurait porté secours en compressant de ses mains atteintes de griffures les plaies qu'il s'était lui-même portées au cou, tient plus d'une hypothèse scientifique qui n'a jamais été rencontrée dans les faits que d'une réalité objective, dès lors que le demandeur s'est blessé de manière superficielle, que la première défenderesse était porteuse de lésions qui ne saignent qu'exceptionnellement et que l'existence d'un contact n'est même pas certaine,
- le même rapport énonce : « quant à évaluer le moment où la contamination a eu lieu, les données dont nous disposons nous placent en Fiebig III (système de classification) qui indique qu'il y a 95 % de chances que la contamination ait eu lieu moins de 17 jours avant le 29 janvier 2016, ce qui indique qu'il est très improbable que la tentative de suicide du demandeur ait pu être à l'origine de cette contamination »,
- interrogée le 13 juin 2016, à un moment où elle est selon ses dires toujours en couple avec le demandeur, la première défenderesse soulève deux hypothèses : celle de rapports non protégés avec le demandeur ou celle de la contamination à l'occasion des faits du 5 décembre 2015,
- dans cette audition, la première défenderesse a toutefois expliqué, après une consultation médicale, que « comme [le demandeur] ne prenait plus son traitement, ses bactéries étaient remontées et avaient donc dépassé le stade de 20, raison pour laquelle il m'a transmis le virus », l'arrêt relevant que cette déclaration est en tous points conforme à l'explication donnée par le demandeur à l'assistante de justice chargée de son accompagnement,
- le père de la première défenderesse a déclaré que le demandeur lui avait confirmé, fin janvier 2016 lors des examens médicaux, qu'il avait contaminé sa fille suite à des rapports non protégés et qu'il l'avait rassuré en lui disant « ne te tracasse pas, ta fille ne risque pas de mourir, je l'ai depuis la naissance », l'arrêt relevant en outre qu'une primo-infection de la première défenderesse a été mise en évidence le 29 janvier 2016,
- le demandeur reconnaît avoir entretenu des contacts intimes non protégés avec la première défenderesse ; il a affirmé qu'il ne mettait pas toujours des préservatifs lors des relations sexuelles avec elle, qu'ils n'ont pas entretenu de rapports non protégés avant qu'elle ne soit au courant et il n'exclut pas d'avoir entretenu des relations sexuelles avec elle après qu'il l'ait informée de sa séropositivité,
- elle n'était âgée que de seize ans et n'a jamais eu de vie sexuelle avant de rencontrer le demandeur.

Sur le fondement de ces énonciations, l'arrêt considère que la première défenderesse a dû être infectée par le demandeur lors d'un des contacts sexuels non protégés postérieurs au mois de juin 2015, sans aucun doute en janvier 2016.

Quant à la transmission du virus à A.M., après avoir relevé que, selon le conseil technique du demandeur, il était « bien possible » que ce dernier, qui avait une charge virale détectable entre 2012 et 2014, lui ait transmis le virus, l'arrêt constate que la jeune femme a confirmé la déclaration de son père, qui a indiqué qu'à la date de la prise de sang ayant révélé la présence du virus chez sa fille, elle n'avait entretenu de relations sexuelles qu'avec le demandeur.

A cet égard, l'arrêt énonce également que dans sa déclaration à ce sujet, le demandeur a soutenu avoir eu des rapports intimes dont les « trois quarts » étaient protégés.

4. Il ressort de ces motifs que, contrairement à ce que le moyen allègue, l'arrêt fait état des éléments probants qui ont convaincu les juges d'appel que les personnes précitées ont été contaminées par le demandeur.

A cet égard, le moyen manque en fait.

5. Pour le surplus, en tant qu'il soutient, sur le fondement d'une déclaration du conseil technique du demandeur produite devant la Cour, que des données scientifiques objectives permettent de déterminer l'origine du virus transmis, le moyen, invoqué pour la première fois devant la Cour, est nouveau et, partant irrecevable.

Quant à la seconde branche :

6. Pris de la violation des articles 402, 403, 405, 405bis et 405ter du Code pénal, le moyen soutient qu'en s'étant contentée de considérer, d'une part, que le demandeur était porteur du virus et, d'autre part, que ses partenaires avaient entretenu avec lui des relations sexuelles non protégées, la cour d'appel n'a pas constaté l'existence d'un élément constitutif de la prévention, étant le fait d'administrer une substance.

7. L'arrêt constate que le demandeur a eu des relations sexuelles non protégées avec deux personnes qui ont été infectées ensuite par le virus dont il était porteur.

La transmission volontaire des sécrétions que ces relations impliquent constituent l'administration, par quelque mode que ce soit, que la loi incrimine.

Les constatations de l'arrêt comprennent dès lors l'élément matériel que le demandeur prétend ne pas y trouver.

Le moyen ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche et au troisième moyen réunis :

8. Invoquant la violation des dispositions légales et conventionnelles et du principe visés aux deux premières branches du moyen, le demandeur soutient que le seul fait d'être séropositif n'est pas une maladie lorsque le syndrome d'immunodéficience acquise ne s'est pas symptomatiquement manifesté. Le demandeur précise, en cette branche, que la transmission volontaire du virus d'immunodéficience, tant que celui-ci n'a pas engendré le développement du sida, constitue la tentative d'infraction visée à l'article 405 du Code pénal et non l'infraction consommée incriminée à l'article 402 de ce code. Dès lors, en considérant que le fait d'être infecté par le virus constitue une maladie, même si elle ne s'est pas encore exprimée symptomatiquement, l'arrêt, selon le moyen, viole les dispositions et le principe précités.

Le troisième moyen invoque, outre les dispositions légales visées à la deuxième branche du premier moyen, la violation de l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que la méconnaissance du principe général du droit relatif à la stricte interprétation de la loi pénale. Le demandeur soutient qu'en qualifiant de « maladie » la seule inoculation du virus, l'arrêt incrimine un fait que la loi pénale ne punit pas, puisque la séropositivité n'est pas une maladie. Le demandeur soutient aussi qu'en l'absence de maladie au sens des dispositions précitées, il ne pouvait pas davantage être condamné du chef de tentative sur la personne de la deuxième défenderesse, qui n'est pas atteinte par le virus.

9. L'article 402 du Code pénal punit d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de cinquante euros à cinq cents euros, quiconque aura causé à autrui une maladie ou incapacité de travail personnel, en lui administrant volontairement, mais sans intention de tuer, des substances qui peuvent donner la mort, ou des substances qui, sans être de nature à donner la mort, peuvent cependant altérer gravement la santé.

En vertu de l'article 405 du Code pénal, la tentative d'administrer à autrui, sans intention de donner la mort, des substances de la nature de celles mentionnées à l'article 402, est punie d'un emprisonnement d'un mois à trois ans et d'une amende de vingt-six euros à trois cents euros.

10. La maladie est l'altération de la santé, c'est-à-dire un changement qui dénature l'état normal d'un être. La maladie se réalise dès que l'altération se produit même si, à ce moment, elle peut encore évoluer.

Le virus de l'immunodéficience étant pathogène et requérant une médication, son inoculation dénature l'état normal de l'organisme contaminé.

Il y va dès lors d'une altération que les juges du fond, après l'avoir trouvée avérée, ont pu qualifier de maladie, sans étendre indûment l'incrimination à un fait que le législateur n'aurait pas voulu y inclure.

Les moyens ne peuvent être accueillis.

Quant à la quatrième branche :

11. Le moyen est pris de la violation de l'article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de la méconnaissance du principe général du droit relatif à la présomption d'innocence. Les juges d'appel ont déterminé la peine en ayant cité les rapports d'un expert, docteur en psychologie, qui expose, notamment, que le demandeur n'a guère exprimé de regrets et a très vite développé un discours de neutralisation morale en se positionnant comme victime, que le fait d'être un porteur sain du virus, sans être dénué d'impact, n'a été qu'un facteur de plus parmi d'autres dans la construction d'une structure de personnalité instable et impulsive, et que le demandeur disposait bien des capacités de discernement nécessaires au contrôle de ses actes, capacités dont il a fait le choix personnel de ne pas faire usage.

Le demandeur fait grief aux juges d'appel de s'être appropriés l'irrégularité de cette expertise en ce que, selon lui, elle méconnaît la présomption d'innocence.

12. Les énonciations reprises à la page 26 de l'arrêt, que le moyen critique, renvoyant aux conclusions de l'expert précité, ne révèlent pas que ce dernier aurait affirmé la culpabilité du demandeur. Au contraire, ces références contiennent des considérations relatives à la personnalité de ce dernier.

Le moyen manque en fait.

Sur le deuxième moyen :

13. Pris de la violation de l'article 149 de la Constitution, le moyen soutient que l'arrêt est entaché de contradiction : d'une part, il déclare le demandeur coupable d'avoir consommé l'infraction prévue par les articles 402 et 403 du Code pénal, malgré la circonstance que les victimes n'ont pas développé la maladie du sida, et d'autre part, il considère, en se référant à une décision de jurisprudence, qu'il y a seulement tentative de commettre cette infraction lorsque la victime ne développe pas cette maladie.
14. La contradiction alléguée n'existe pas. Tant par motif propre que par renvoi au précédent qu'elle cite, la cour d'appel a considéré que la distinction entre l'infraction consommée et la tentative réside dans la circonstance que la substance administrée cause la maladie ou ne la cause pas.

Le moyen manque en fait.

Sur le quatrième moyen :

15. Le moyen reproche aux juges d'appel d'avoir commis un excès de pouvoir : en ayant remplacé, dans le libellé des préventions, l'acronyme « sida » par les mots « le virus VIH », la cour d'appel a condamné le demandeur pour d'autres faits que ceux dont elle était saisie. Le demandeur précise qu'il est certes porteur du virus mais qu'il n'a pas le sida. Le moyen ajoute qu'un changement de qualification pénale est subordonné à la condition que le fait soumis à l'appréciation du juge reste le même, ce qui selon lui n'est pas le cas en l'espèce.

16. L'arrêt constate que la première défenderesse et A.M. sont atteintes du virus de l'immunodéficience humaine et considère, en se référant au rapport du conseil technique du demandeur, que si l'état séropositif non traité peut aboutir à une série d'infections opportunistes après des années, il n'est pas possible de transmettre le syndrome mais seulement le virus qui en favorisera le développement.

En ayant remplacé, dans les préventions mises à charge du demandeur, le mot « sida » par les mots « le virus VIH », les juges d'appel ne se sont pas saisis d'un autre fait dont la juridiction d'instruction ne les aurait pas saisis, mais se sont bornés à corriger, au regard des éléments du dossier et de l'information donnée par un homme de l'art, une erreur de formulation dans le libellé de la prévention.

Le moyen ne peut être accueilli.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

B. En tant que le pourvoi est dirigé contre l'ordre d'arrestation immédiate :

En raison du rejet du pourvoi dirigé contre elle, la décision de condamnation acquiert force de chose jugée.

Le pourvoi dirigé contre le mandement d'arrestation immédiate devient sans objet.

C. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions qui, rendues sur les actions civiles exercées par les défenderesses, statuent sur

a. le principe de la responsabilité :

Le demandeur n'invoque aucun moyen spécifique.

b. l'étendue du dommage :

L'arrêt alloue une indemnité provisionnelle aux défenderesses, ordonne une expertise en ce qui concerne la demande de la première défenderesse et réserve à statuer sur le surplus de ces demandes.

Pareilles décisions ne sont pas définitives au sens de l'article 420, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, et sont étrangères aux cas visés par le second alinéa de cet article.

Le pourvoi est irrecevable.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent cinquante-six euros quatre-vingt-un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président de section, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-quatre avril deux mille dix-neuf par le chevalier Jean de Codt, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.0018.F
Date de la décision : 24/04/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-04-24;p.19.0018.f ?

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