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08/04/2019 | BELGIQUE | N°C.17.0657.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 avril 2019, C.17.0657.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.17.0657.F
D. C. B.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

Y. C. B,
défendeur en cassation
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation

est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 25 mars 2...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.17.0657.F
D. C. B.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

Y. C. B,
défendeur en cassation
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 25 mars 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 25 mars 2019, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;
- articles 832, 843, 856, 859, 919, 1075 à 1080, telles que ces dispositions étaient en vigueur au jour de la prononciation de l'arrêt, avant leur abrogation ou modification par la loi du 31 juillet 2017, et 1348 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt met partiellement à néant le jugement entrepris et, statuant à nouveau, « dit que les legs opérés par [le défunt] aux termes de son testament authentique du 8 décembre 1998 au profit de [la demanderesse] et [du défendeur] sont rapportables à la masse, en valeur et en moins prenant ; que les revenus de la villa sise à [...] sont également rapportables et ce, à partir du 12 juillet 2008 ; qu'il y a lieu de procéder à l'actualisation de la valeur des biens faisant l'objet des legs, ainsi qu'à l'évaluation de la valeur locative de la villa sise à [...]pour la période allant du 12 juillet 2008 jusqu'à ce jour », ordonne une mesure d'expertise complémentaire et dit non fondée la demande de dommages-intérêts de la demanderesse, par les motifs suivants :
« 1. Aux termes d'un testament authentique reçu par le notaire K. le 8 décembre 1998, [le défunt] a disposé de sa succession comme il suit :
‘Je confirme mes dispositions contenues dans notre contrat de mariage du 24 août mil neuf cent trente-sept. Je révoque toutes dispositions testamentaires autres que celles qui sont reprises dans le contrat ci-avant. Je souhaite que mon épouse recueille l'usufruit de ma succession conformément à la loi. Sous cette réserve, je lègue à titre particulier à ma fille, [la demanderesse], ma propriété sise à [...]. Je reconnais que les meubles meublants garnissant cette propriété appartiennent à mon épouse. Pour le surplus, je souhaite que mes propriétés immobilières soient réparties et dévolues comme suit : 1. à mon petit-fils, [le défendeur], venant par représentation de mon fils, je lègue : sur [...] ; 2. à ma fille, sur [...] ; sur [...] ; sur [...] ; sur [...]. Je souhaite préciser que, quant aux propriétés dévolues ci-dessus à ma fille et à mon petit-fils, mon souci a été de composer des blocs cohérents ; le surplus des biens composant ma succession sera réparti entre mes héritiers ; j'institue ma fille comme exécutrice testamentaire avec saisine' ;
[...] 17.1. Afin de préserver l'équilibre entre tous les héritiers ab intestat, les legs à un héritier sont en principe rapportables à la masse héréditaire, sauf s'ils ont été faits avec dispense de rapport ;
Cela résulte des dispositions légales suivantes :
- l'article 843 du Code civil : 'Tout héritier [...] doit rapporter à ses cohéritiers [...] les legs à lui faits par le défunt, à moins que les [...] legs ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part ou avec dispense de rapport' ;
- l'article 919 du même code : 'La quotité disponible pourra être donnée en tout ou en partie [...] pourvu que la disposition ait été faite expressément à titre de préciput ou hors part. La déclaration que le don ou le legs est à titre de préciput ou hors part pourra être faite, soit par l'acte qui contiendra la disposition, soit postérieurement dans la forme des dispositions entre vifs ou testamentaires' ;
[...] 17.2. La preuve de la dispense de rapport appartient au gratifié. II s'agit pour lui de démontrer que le de cuius l'a dispensé de rapporter la libéralité à sa succession. C'est le droit commun de la preuve qui s'applique : au-delà de 375 euros, il suffit d'un écrit 'quelconque' pour la dispense concomitante à la libéralité, cet écrit pouvant être obtenu par le donataire, sauf impossibilité morale (article 1348 du Code civil). Il faudra un acte notarié, ou un testament, pour la dispense ultérieure (article 919, alinéa 2, du Code civil) ;
[...] 17.3. [...] [La demanderesse] n'établit pas que les legs immobiliers, en particulier le legs de la villa à [...], ont été faits avec dispense de rapport, au contraire ;
[...] 18. [...] La cour [d'appel] retiendra que [le défunt] a eu la volonté de procéder à un allotissement, comme le soutient à bon droit, à titre subsidiaire, [le défendeur] ;
Dans le cadre d'un allotissement, les biens légués sont dispensés du rapport en nature mais pas du rapport en valeur. Cela signifie qu'ils seront alloués au légataire désigné, en moins prenant sur sa part dans la succession, pour leur valeur à la date la plus proche du partage [...] ;
La thèse que [le défunt] a voulu procéder de la sorte est renforcée par la circonstance que sa succession est exclusivement composée d'immeubles - la villa de [...], les terres à [...], et les parcelles du [...] à [...] (les comptes bancaires faisant partie de la communauté des acquêts mobiliers, comme il sera dit dans la suite de l'arrêt [...]) - et que le testateur, après avoir attribué la villa à sa fille (sans pour autant la dispenser du rapport, on l'a dit), a précisé vouloir composer des 'blocs cohérents' avec les terres sises à [...] et environs ;
En effet, suivant l'article 859 du Code civil, ‘[le rapport] peut être exigé en nature, à l'égard des immeubles, toutes les fois que l'immeuble donné n'a pas été aliéné par le donataire et qu'il n'y a pas, dans la succession, d'immeubles de même nature, valeur et bonté, dont on puisse former des lots à peu près égaux pour les autres cohéritiers' ;
A contrario, lorsqu'il existe dans la succession des immeubles de même nature, valeur et bonté dont on puisse former des lots à peu près égaux, le rapport peut être exigé en moins prenant. Le principe de l'homogénéité des lots, prescrit par l'article 832 du Code civil, est ainsi respecté ('Dans la formation des lots, on doit éviter, autant que possible, de morceler les héritages et de diviser les exploitations ; et il convient de faire entrer dans chaque lot, s'il se peut, la même quantité de meubles, d'immeubles, de droits ou de créances de même nature et valeur') ;
L'équivalence des immeubles ne doit pas être appréciée avec trop de rigueur : l'article 859 se contente d'immeubles susceptibles de former des lots à peu près égaux. Le paiement d'une soulte ne nuit donc pas à la faculté de rapporter en moins prenant [...], ce que le testateur, en sa qualité de notaire (honoraire), conseillé en outre par le notaire K., ne pouvait ignorer ;
[...] 25. C'est en revanche à tort que le premier juge, à l'instar du notaire liquidateur, a refusé d'adjoindre les revenus de la villa de [...] à la masse héréditaire à partir du décès. Sur le principe, rappelons que, conformément à l'article 856 du Code civil, les fruits et les intérêts des choses sujettes à rapport sont dus à compter du jour de l'ouverture de la succession [...] ;
Il faut donc considérer que les revenus de l'immeuble de [...] sont dus, mais uniquement à partir du décès ;
26. Concrètement cependant, l'on ignore ce qu'il est advenu de la villa de [...] depuis le décès de l'auteur des parties, [la demanderesse] restant totalement muette à ce propos (a-t-elle vendu la maison ; l'a-t-elle donnée en location ?) ;
À défaut de toute information à ce sujet, il s'impose de charger l'expert judiciaire M., dans le cadre de la mesure d'expertise complémentaire qui lui est confiée, de l'évaluation de la valeur locative de la villa à [...], depuis le 12 juillet 2008 jusqu'à ce jour ;
[...] 29. C'est enfin à tort que le premier juge a fait droit à la demande de dommages et intérêts de [la demanderesse] ;
[...] Il résulte du présent arrêt que le contredit majeur [du défendeur] (l'obligation de rapport) est fondé, de sorte qu'il s'est défendu avec raison ».

Griefs

Première branche

Une décision de justice n'est pas régulièrement motivée et viole l'article 149 de la Constitution lorsqu'elle laisse sans réponse les conclusions d'une partie.
Dans ses conclusions de synthèse d'appel, la demanderesse a invoqué ce qui suit :
« S'agissant du legs de la villa à [...], il ne suffit pas, comme l'indique [le défendeur], d'affirmer que le legs en faveur de la [demanderesse] serait rapportable au seul motif que la dispense de rapport n'a pas été précisée par le défunt dans son testament ;
Il n'est en effet pas inutile de rappeler que la doctrine et la jurisprudence admettent que la dispense de rapport puisse être tacite pour peu qu'elle soit certaine ;
La dispense de rapport tacite se déduit, soit des éléments intrinsèques, soit des éléments extrinsèques à l'acte contenant la libéralité, soit encore de la nature même de la libéralité consentie ;
Il apparaît clairement tant du testament lui-même que de la nature de la libéralité consentie que le défunt a voulu dispenser de rapport le legs en faveur de la [demanderesse] ;
Plusieurs éléments convergents plaident pour une interprétation en ce sens : [...] l'on remarquera que, hormis le legs particulier en faveur de la [demanderesse] et de la parcelle de terrain sise à [...] (dont il n'était propriétaire que jusqu'à concurrence d'un septième), le défunt a veillé à partager, par testament, l'ensemble de sa succession entre ses deux héritiers ; or, il est généralement admis par la doctrine et la jurisprudence que, lorsqu'un testateur précise partager sa succession entre ses héritiers, exception faite du legs particulier qu'il consent à l'un d'entre eux, ce legs doit être considéré comme tacitement dispensé de rapport ; ainsi De Page énumère-t-il au titre d'exemple de libéralité tacitement dispensée de rapport la ‘donation ou le legs suivi de la clause : le reste de mes biens se partagera par portions égales entre mes héritiers' ; c'est précisément un cas de figure analogue que l'on retrouve dans le testament [du défunt], où il indique ; 'Je souhaite que mon épouse recueille l'usufruit de ma succession conformément à la loi. Sous cette réserve, je lègue à titre particulier à ma file ma propriété sise à [...]. Je reconnais que les meubles meublants garnissant cette propriété appartiennent à mon épouse. Pour le surplus, je souhaite que mes propriétés immobilières soient réparties et dévolues comme suit [...]', c'est-à-dire entre ses deux descendants [...] ;
Il paraît en effet évident que le défunt a entendu accomplir deux opérations distinctes avec des conséquences distinctes : d'une part, un legs particulier en faveur de sa fille, d'autre part, la répartition et la dévolution entre ses deux héritiers de ses terrains ; si le défunt n'avait pas entendu agir de la sorte, l'on voit mal pour quelle raison il aurait scindé les deux legs par les termes 'pour le surplus' : l'argument [du défendeur] selon lequel le testateur aurait séparé les legs en fonction de la nature des biens légués - immeuble bâti d'un côté, parcelles de terre de l'autre - ne résiste pas à l'analyse et ne repose sur aucun fondement juridique ;
Pour la [demanderesse] donc, le défunt a entendu lui léguer, par préciput et hors part, la villa de [...] et, pour le surplus, il a entendu fixer entre ses deux héritiers la répartition et la dévolution de ses parcelles de terrain ;
Cette deuxième étape s'apparente, pour la [demanderesse], pour le notaire B., ainsi qu'en son temps pour le notaire H., à un partage d'ascendant, toutes les conditions de celui-ci étant, ainsi qu'on le verra plus loin, réunies ;
Or, les biens faisant l'objet d'un partage d'ascendant ne sont pas soumis au rapport. 'Imposer le rapport aurait, en effet, pour conséquence d'entraîner un nouveau partage portant sur les biens donnés, ce que les parties ont précisément voulu exclure' ;
Si [le défendeur] entend obtenir le rapport des terrains légués par testament, il ne lui suffira donc pas, comme il le fait, d'invoquer la présomption de rapport établie par l'article 843 du Code civil mais il devra, avant toutes choses, démontrer que le testament ne contient pas un partage d'ascendant, ce qu'il demeure en défaut de faire ;
Le premier juge a validé ce raisonnement en considérant que le testament 'présente toutes les caractéristiques d'un testament-partage en ce qu'il a formé deux lots avec les différents terrains dont il était propriétaire et qu'il les a attribués à ses deux descendants. Plusieurs éléments permettent d'affirmer qu'il s'agit d'un partage d'ascendant partiel, le legs de la villa n'étant pas compris dans ce partage' ;
Considérant qu'il y avait partage d'ascendant partiel (uniquement en ce qui concerne les terrains), le premier juge a, à bon droit, considéré qu'il y avait dispense de rapport, tant en nature qu'en valeur ».
Aux points 71 à 74 de ses conclusions de synthèse d'appel, la demanderesse a précisé les conséquences de la qualification de partage d'ascendant partiel défendue par elle.
L'arrêt ne contient pas un seul mot de réponse au moyen développé par la demanderesse dans le passage précité de ses conclusions de synthèse d'appel. Les termes « partage d'ascendant » n'apparaissent à aucun moment dans les motifs de l'arrêt. Les juges d'appel n'ont tout simplement pas envisagé cette qualification.
Laissant sans réponse aucune ce moyen des conclusions de la demanderesse, l'arrêt n'est pas régulièrement motivé et viole l'article 149 de la Constitution.

Deuxième branche

L'ascendant qui souhaite disposer de ses biens en faveur d'un ou plusieurs successibles en ligne directe descendante, en respectant l'égalité entre eux, peut procéder de deux manières différentes :
- donner ou léguer certains biens à un ou plusieurs des successibles, en « avance d'hoirie », c'est-à-dire à titre d'avance sur la portion héréditaire que le donataire ou légataire recevra en vertu de la loi ;
- procéder lui-même au partage de tout ou partie de ses biens entre tous ses héritiers, en application des articles 1075 à 1080 du Code civil.
Le régime juridique de ces deux modes de disposition (tel qu'il était applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 31 juillet 2017) est différent :
- le bénéficiaire d'une donation ou d'un legs en avance d'hoirie est tenu à une obligation de rapport à la succession (en nature ou en moins prenant) à laquelle il ne pourra échapper qu'en renonçant à la succession après son ouverture ;
- les héritiers copartagés ne doivent pas rapporter les biens à la succession de l'ascendant.
L'attribution qui leur est faite semble donc, à première vue, présenter un caractère plus définitif que celle qui résulterait d'une donation ou d'un legs en avance d'hoirie.
Toutefois, la pérennité du partage d'ascendant est menacée par des actions spécifiques, qui ne s'appliquent pas aux libéralités rapportables. Il s'agit de la rescision pour lésion de plus du quart (article 1079, premier phrase, du Code civil), de l'action en réduction spécifique prévue par l'article 1079, deuxième phrase, du Code civil et de la nullité pour omission d'un héritier (article 1078 du Code civil).
Le partage d'ascendant peut se faire par acte entre vifs (on parle alors de donation-partage) ou testamentaire (on parle alors de testament-partage).
Les donations-partage et testaments-partage ne sont pas à proprement parler « dispensés » de rapport. En effet, le rapport, souvent qualifié « d'incident du partage », consiste à inclure une chose donnée ou léguée, en nature ou en valeur, dans la masse des biens à partager, afin de pouvoir constituer les lots revenant à chacun des héritiers. Dans le cas du partage d'ascendant, le rapport est superflu ou, pour exprimer les choses d'une autre manière, il se réalise automatiquement, par le fait même de la donation ou du testament, puisque ceux-ci réalisent, par un transfert unique de propriété, le dépouillement de l'ascendant donateur ou testateur et la formation des lots revenant à chaque descendant.
Dans le cas particulier du testament-partage, on peut d'ailleurs douter que celui-ci s'analyse en une libéralité : certains auteurs considèrent que les bénéficiaires recueillent leur part en qualité d'héritiers légaux (et non en qualité de légataires à titre particulier), sous la seule particularité que le lot leur revenant a été constitué par l'ascendant.
Un testament peut comporter un partage d'ascendant partiel (le testateur partageant lui-même une partie de ses biens entre tous ses héritiers légaux en ligne directe descendante) et, pour le surplus, comporter un ou plusieurs legs préciputaires. Le surplus des biens (c'est-à-dire les biens qui n'ont pas été inclus dans le partage d'ascendant partiel et ne font pas non plus l'objet de legs spécifiques) sera alors réparti selon les règles de la dévolution ab intestat.
Les articles 843 et 919 du Code civil, qui distinguent les dons et legs rapportables de ceux qui sont faits « par préciput et hors part ou avec dispense de rapport », doivent se comprendre à la lumière des articles 1075 à 1080 du même code, qui réglementent les partages d'ascendant. Du point de vue de l'obligation au rapport, il existe donc trois catégories de dispositions à titre gratuit : a) les donations ou les legs en avance d'hoirie, b) les donations ou les legs « par préciput et hors part ou avec dispense de rapport » et c) les donations-partage et testaments-partage.
En décidant qu'afin « de préserver l'équilibre entre tous les héritiers ab intestat, les legs à un héritier sont en principe rapportables à la masse héréditaire, sauf s'ils ont été faits avec dispense de rapport », et en précisant que cette distinction binaire, qui exclut tout autre mode de libéralité, résulte des articles 843 et 919 du Code civil, l'arrêt méconnaît l'existence, en droit civil belge, d'une autre modalité de disposition entre vifs ou testamentaire, soit le partage d'ascendant, et méconnaît le principe selon lequel les biens faisant l'objet de cette forme de disposition ne sont pas soumis au rapport (violation des articles 843, 919 et 1075 à 1080 du Code civil, dans la version visée en tête du moyen).

Troisième branche

Lorsque les deux seuls héritiers d'un défunt, étant tous deux descendants en ligne directe, sont en litige quant à l'interprétation d'un testament, l'un soutenant qu'en répartissant une partie de ses biens immobiliers entre ses deux héritiers et en précisant avoir voulu « composer des blocs cohérents », le testateur a réalisé un partage d'ascendant partiel et l'autre soutenant que les attributions constituent des legs individuels, en avance d'hoirie, le juge doit commencer par qualifier la libéralité litigieuse et déterminer si, en déclarant vouloir constituer deux blocs cohérents, le testateur a entendu réaliser lui-même, « entre [ses] descendants, la distribution et le partage de [ses] biens », au sens de l'article 1075 du Code civil, ou s'il a consenti une série de legs individuels, indépendants les uns des autres.
C'est seulement s'il rejette la qualification de partage d'ascendant, régi par les articles 1075 à 1080 du Code civil, que le juge devra déterminer si chacun des legs à titre particulier, considéré individuellement, fait l'objet d'une dispense de rapport, laquelle doit être explicite ou à tout le moins certaine en vertu des articles 843 et 919, alinéa 1er, du Code civil, et répondre aux conditions de forme imposées par l'article 919, alinéa 2, du même code.
Par les motifs reproduits en tête du moyen et, en outre, par les motifs figurant au point 17.3 (motifs par lesquels les juges d'appel réfutent un à un les arguments invoqués par la demanderesse à l'appui de la thèse d'une dispense implicite de rapport contenue dans le testament litigieux), l'arrêt constate que la demanderesse « ne rapporte pas la preuve d'une dispense de rapport tacite, pas davantage que d'une dispense écrite », sans examiner la question préalable si les clauses du testament répartissant entre les deux héritiers une partie des biens immobiliers du défunt, dans le souci d'en constituer deux blocs cohérents, devaient s'analyser comme un partage d'ascendant au sens des articles 1075 à 1080 du Code civil.
L'arrêt ignore ainsi la nature et les caractéristiques du testament-partage, mode de disposition par lequel l'égalité entre tous les héritiers en ligne directe descendante est assurée par le testateur lui-même (sous la sauvegarde des mécanismes de contrôle prévus par l'article 1079 du Code civil), sans qu'il soit question de rapport, le testament réalisant, par un transfert unique de propriété, le dépouillement de l'ascendant et la formation des lots revenant à chaque descendant (violation des articles 843, 919 et 1075 à 1080 du Code civil, dans la version visée en tête du moyen).

Quatrième branche

Le partage d'ascendant ne peut, en vertu de l'article 1076 du Code civil, se réaliser qu'en respectant la forme de la donation entre vifs ou du testament. Il ne saurait être question, dans ce mécanisme, de dispense se réalisant par « un écrit quelconque » concomitant à la libéralité, ou d'une application de l'article 1348 du Code civil, qui concerne l'impossibilité morale de se constituer un écrit et est inapplicable aux actes solennels que sont la donation-partage et le testament-partage.
La référence totalement hors de propos faite par l'arrêt à l'article 1348 du Code civil ne saurait dès lors justifier légalement sa décision (violation des articles 1076 - dans la version visée en tête du moyen - et 1348 du Code civil).

Cinquième branche

L'article 859 du Code civil dispose : « [Le rapport) peut être exigé en nature, à l'égard des immeubles, toutes les fois que l'immeuble donné n'a pas été aliéné par le donataire et qu'il n'y a pas, dans la succession, d'immeubles de même nature, valeur et bonté, dont on puisse former des lots à peu près égaux pour les autres héritiers ».
L'application de cette disposition suppose qu'il soit préalablement jugé qu'un ou plusieurs legs ou donations consentis par le défunt sont soumis à une obligation de rapport en nature. Cette disposition est inapplicable au partage d'ascendant régi par les articles 1075 à 1080 du Code civil, dont le mécanisme exclut toute forme de rapport, en nature ou en moins prenant.
La référence faite par l'arrêt à l'article 859 du Code civil ne saurait dès lors justifier légalement sa décision (violation des articles 859 et 1075 à 1080 du Code civil, dans la version visée en tête du moyen).

Sixième branche

L'article 832 du Code civil dispose : « Dans la formation des lots, on doit éviter, autant que possible, de morceler les héritages et de diviser les exploitations ; et il convient de faire entrer dans chaque lot, s'il se peut, la même quantité de meubles, d'immeubles, de droits ou de créances de même nature et valeur ».
Cette disposition ne s'applique pas au partage d'ascendant. L'ascendant donateur ou testateur ne doit pas faire entrer dans chaque lot composé par lui des biens de même nature. Le lot d'un donataire ou légataire copartagé peut même être composé exclusivement d'une soulte.
La référence faite par l'arrêt à l'article 832 du Code civil ne saurait dès lors justifier légalement sa décision (violation des articles 832 et 1075 à 1080 du Code civil, dans la version visée en tête du moyen).

Septième branche

Tel qu'il était en vigueur avant son remplacement par la loi du 31 juillet 2017, l'article 856 du Code civil dispose : « Les fruits et les intérêts des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour de l'ouverture de la succession ».
N'ayant pas légalement décidé que les legs consentis par le défunt aux termes de son testament authentique du 8 décembre 1998 « sont rapportables à la masse, en valeur et en moins prenant », l'arrêt n'a pu davantage légalement décider que « les revenus de la villa sise à [...] sont également rapportables et ce, à partir du 12 juillet 2008 ».
En condamnant la demanderesse au rapport des intérêts d'un bien légué en vertu d'un legs dont le caractère rapportable n'est pas légalement établi, l'arrêt viole l'article 856 du Code civil, tel qu'il était en vigueur avant son remplacement par la loi du 31 juillet 2017.

Second moyen

Dispositions légales violées

Articles 859, 860 et 868 du Code civil, telles que ces dispositions étaient en vigueur au jour de la prononciation de l'arrêt, avant leur abrogation ou modification par la loi du 31 juillet 2017

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt met partiellement à néant le jugement entrepris et, statuant à nouveau, « dit qu'il y a lieu de procéder à l'actualisation de la valeur des biens faisant l'objet des legs, ainsi qu'à l'évaluation de la valeur locative de la villa sise à [...] pour la période allant du 12 juillet 2008 à ce jour », ordonne une mesure d'expertise complémentaire et dit non fondée la demande de dommages et intérêts de la demanderesse par les motifs suivants :
« 12. En revanche, [le défendeur] revendique à juste titre une évaluation de tous les immeubles à la date la plus proche du partage, soit à l'heure actuelle. L'on verra dans la suite de l'arrêt que la cour [d'appel] considère, contrairement au notaire liquidateur et au premier juge, que les legs effectués par [le défunt] au profit de [la demanderesse] et [du défendeur] doivent être rapportés à la succession, en valeur et en moins prenant [...] ;
En l'occurrence, soit en application de l'article 859 in fine du Code civil, il convient de se placer au moment du partage pour apprécier l'équivalence des immeubles en question (H. De Page et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IX , n° 1294 ; Ph. De Page et I. De Stefani, Les donations - Aspects civils et fiscaux, Anthémis, 2011, n° 66) ;
La dernière évaluation réalisée par l'expert judiciaire M. datant d'il y a onze ans (2005), il apparaît nécessaire d'actualiser la valeur des biens immobiliers faisant l'objet des legs (la villa à [...] et les terres à [...] et environs) ;
L'expert M. sera chargé d'une mission d'expertise complémentaire en ce sens ;
Cet expert connaît déjà le dossier, de sorte que la mesure d'expertise complémentaire ne devrait ni provoquer une perte de temps inutile ni augmenter les frais de procédure de manière déraisonnable ;
Dans cette perspective, et quoiqu'il s'agisse d'une mission complémentaire, il apparaît nécessaire d'organiser une mission d'installation conformément à l'article 972, § 2, du Code judiciaire ;
[...] 35. Cela étant dit, les legs des parcelles de terre, comme celui de la villa de [...], sont rapportables en valeur et en moins prenant [...]. Il convient donc de procéder à une actualisation de leur valeur pour se placer à la date du partage ».

Griefs

1. Les dispositions pertinentes du Code civil, dans leur texte en vigueur avant leur abrogation ou modification par la loi du 31 juillet 2017, sont les suivantes :
- l'article 859 pose en principe que le rapport peut être exigé en nature à l'égard des immeubles et admet une exception à cette règle lorsqu'il y a dans la succession des immeubles « de même nature, valeur et bonté » dont on puisse former des lots à peu près égaux pour les autres cohéritiers. C'est sur cet article que se fonde l'arrêt pour décider que les legs consentis par le testament litigieux doivent être rapportés en moins prenant ;
- l'article 860 dispose : « Le rapport n'a lieu qu'en moins prenant quand le donataire a aliéné l'immeuble avant l'ouverture de la succession ; il est dû de la valeur de l'immeuble à l'époque de l'ouverture » ;
- l'article 868 dispose que le rapport du mobilier se fait en moins prenant.
2. La règle énoncée par l'article 860 s'applique, par analogie, à toutes les situations dans lesquelles un immeuble doit être rapporté en moins prenant. La valeur à prendre en considération sera toujours celle de l'immeuble au jour de l'ouverture de la succession.
En conséquence, après avoir décidé que les legs consentis par le testament litigieux « doivent être rapportés à la succession, en valeur et en moins prenant », l'arrêt n'a pu légalement décider « qu'il convient de se placer au moment du partage pour apprécier l'équivalence des immeubles en question » et n'a pu, en conséquence, ordonner une expertise complémentaire pour « actualiser la valeur des biens immobiliers faisant l'objet des legs (la villa à [...] et les terres à [...] et environs) ». En ordonnant un rapport des immeubles en moins prenant, sur pied de leur valeur au moment du partage et non au jour de l'ouverture de la succession, l'arrêt viole les articles 859, 860 et 868 du Code civil, tels qu'ils étaient en vigueur au jour de la prononciation de l'arrêt, avant leur modification ou abrogation par la loi du 31 juillet 2017.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

Après avoir rappelé, tels qu'ils sont reproduits au moyen, les termes du testament de l'auteur des parties, l'arrêt considère, sous le titre « Le rapport - Le partage d'ascendant - La réduction », en soulignant qu'il adopte la thèse subsidiaire du défendeur, que le testateur « a eu la volonté de procéder à un allotissement » et que, « dans le cadre d'un allotissement, les biens légués sont dispensés du rapport en nature mais pas du rapport en valeur », ce qui « signifie qu'ils seront alloués au légataire désigné en moins prenant sur sa part dans la succession ».
Par ces considérations, qui excluent qu'aux yeux de la cour d'appel la volonté du testateur ait été de procéder à un partage d'ascendant, l'arrêt répond, en les contredisant, aux conclusions de la demanderesse reproduites au moyen, en cette branche.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant aux autres branches réunies :

Le moyen, qui, en aucune de ces branches, ne critique les considérations de l'arrêt, reproduites en réponse à la première branche, par lesquelles la cour d'appel a opposé à la qualification de partage d'ascendant proposée par la demanderesse celle d'allotissement et en a déduit les conséquences, mais se borne à imputer à l'arrêt diverses violations de la loi qui supposent que le testament litigieux ait réalisé un partage d'ascendant, ne saurait, dès lors, entraîner la cassation et, dénué d'intérêt, est, partant, comme le soutient le défendeur, irrecevable.

Sur le second moyen :

En vertu de l'article 859 du Code civil, dans sa version applicable au litige, le rapport peut être exigé en nature, à l'égard des immeubles, toutes les fois que l'immeuble donné n'a pas été aliéné par le donataire, et qu'il n'y a pas, dans la succession, d'immeubles de même nature, valeur et bonté, dont on puisse former des lots à peu près égaux pour les autres cohéritiers.
Dans la même version, l'article 860 de ce code dispose que le rapport n'a lieu qu'en moins prenant quand le donataire a aliéné l'immeuble avant l'ouverture de la succession et qu'il est dû de la valeur de l'immeuble à l'époque de l'ouverture
Il suit de ces dispositions que, dans le cas visé à l'article 859, la valeur des immeubles dont seront formés les lots doit être estimée au moment du partage, dont le rapport est une opération.
L'arrêt, qui décide « que les legs effectués par [leur auteur] au profit de [chacune des parties] doivent être rapportés à la succession en valeur et en moins prenant », constate que « [la] succession est exclusivement composée d'immeubles » et que « le testateur, après avoir attribué [sa] villa à [la demanderesse], a précisé vouloir composer des ‘blocs cohérents' avec les terres sises à [...] et environs » qu'il a alloties entre les parties.
Il considère que, « lorsqu'il existe dans la succession des immeubles de même nature, valeur et bonté dont on puisse former des lots à peu près égaux, le rapport peut être exigé en moins prenant », que « le principe de l'homogénéité des lots, prescrit par l'article 832 du Code civil, est ainsi respecté », que « l'équivalence des immeubles ne doit pas être appréciée avec trop de rigueur », que « l'article 859 [du Code civil] se contente d'immeubles susceptibles de former des lots à peu près égaux » et que « le paiement d'une soulte ne nuit donc pas à la faculté de rapporter en moins prenant », et ajoute que, « la cour [d'appel] ayant admis le procédé de l'allotissement [...], il n'est nécessaire de procéder à la vente ni de la villa de [...] ni des terres situées à [...] et environs ayant fait l'objet des legs » et que les parties « pourront, pour leur part, procéder à la vente des biens composant leur lot, si [elles] le souhaitent ».
Par ces énonciations, l'arrêt justifie légalement sa décision qu'« en application de l'article 859 in fine du Code civil, il convient de se placer au moment du partage pour apprécier l'équivalence des immeubles en question ».
Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de huit cent dix-huit euros soixante-neuf centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du huit avril deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0657.F
Date de la décision : 08/04/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-04-08;c.17.0657.f ?

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