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04/04/2019 | BELGIQUE | N°C.15.0177.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 avril 2019, C.15.0177.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.15.0177.F
ORDRE DES ARCHITECTES, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de Livourne, 160,
demandeur en cassation,
représenté par Maître John Kirkpatrick et Maître Simone Nudelholc, avocats à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

THOMAS ET PIRON HOME, société anonyme, dont le siège social est établi à Paliseul (Opont - Our), La Besace, rue de Maissin, 14,
défenderesse en cassation.

I. La procÃ

©dure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2014 ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.15.0177.F
ORDRE DES ARCHITECTES, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de Livourne, 160,
demandeur en cassation,
représenté par Maître John Kirkpatrick et Maître Simone Nudelholc, avocats à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

THOMAS ET PIRON HOME, société anonyme, dont le siège social est établi à Paliseul (Opont - Our), La Besace, rue de Maissin, 14,
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2014 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 19 mars 2019, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens, dont le premier est libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 10 et 11 de la Constitution ;
- articles 17, 18, 455 et 495 du Code judiciaire ;
- articles 1er, 2 et 38 de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes.

Décisions et motifs critiqués

Par confirmation du jugement entrepris, l'arrêt déclare non recevable la demande par laquelle le demandeur tendait à faire « constater et dire pour droit qu'en commercialisant et en annonçant sous quelque forme que ce soit ses produits de promotion-construction avec l'indication d'honoraires d'architecte dit ‘indépendant' à zéro euro, [la défenderesse] accomplit des actes constituant autant d'infractions aux dispositions de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur », à faire ordonner à la défenderesse de cesser ces pratiques sous peine d'astreinte, à faire ordonner diverses mesures de publication et d'affichage de la décision à intervenir et à faire donner acte au demandeur des réserves formulées quant à « la réparation intégrale du préjudice subi ensuite des actes et pratiques commis par [la défenderesse] ».
Cette décision se fonde sur les motifs suivants :
I. « [Le demandeur] se prévaut d'un ‘droit d'action adapté' dont disposeraient les ordres professionnels chargés par le législateur d'une mission d'intérêt public par rapport aux autres personnes morales ;
À l'inverse de ce qui est expressément prévu à l'article 495 du Code judiciaire pour l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et l'Orde van Vlaamse Balies [...], la défense des intérêts collectifs des architectes n'est explicitement reprise dans l'objet statutaire [du demandeur] ni à l'article 2 ni à l'article 38 [de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes]. Des intérêts collectifs n'y sont pas davantage expressément définis ;
Il n'apparaît pas non plus que la défense des intérêts collectifs des architectes ou la définition d'intérêts collectifs y soient implicitement prévues. Cela ne ressort ni de l'article 2, ni de l'article 2 lu en combinaison avec l'article 38, ni des travaux préparatoires. Si ces derniers mentionnent que ‘le conseil national a, d'une manière générale, une mission de définition des règles de déontologie, de surveillance et de sauvegarde des intérêts de la profession' (Sénat, session 1961-1962, exposé des motifs du 3 juillet 1962, n° 299, p. 17), cette précision a trait à l'article 41 - qui deviendra l'article 38 - et à la mission du conseil national ‘3° de faire aux autorités publiques toutes suggestions au sujet des mesures législatives ou réglementaires relatives à la profession et de donner son avis sur toutes questions relatives à son exercice'. Cette mention des travaux préparatoires se limite à la sphère de la suggestion et de l'avis pour la sauvegarde des intérêts de la profession. Il ne peut en être déduit la volonté du législateur de confier [au demandeur] une mission générale de défense des intérêts collectifs non définis des architectes en toutes circonstances » ;
II. « La notion d'entreprise comprend les titulaires d'une profession libérale. Les architectes T., A., G. et G. et leurs sociétés d'architecture agissent en tant que titulaires d'une profession libérale s'adressant au même type de clientèle que [la défenderesse], à savoir le candidat-bâtisseur d'une maison individuelle, fait non contesté ;
Même s'ils ne sont pas directement concurrents de [la défenderesse], [...] ils s'adressent à la même clientèle au même stade du marché qu'est l'avant-projet. Comme [la défenderesse] le précise elle-même, ‘la part de marché des promoteurs prive les architectes de missions classiques'. Ils justifient dès lors d'un intérêt légitime, né et actuel, à agir contre la publicité incriminée qui induit, selon eux, le candidat-bâtisseur en erreur notamment sur le coût de l'intervention d'un architecte - chez [la défenderesse], les frais d'architecte valent zéro euro -, avec la conséquence que le candidat-bâtisseur ne sera pas tenté de les consulter ou de contracter avec eux ;
Il suffit que le risque existe qu'une pratique déloyale puisse causer un préjudice aux intérêts professionnels d'une entreprise. La demande [des architectes] est recevable ».

Griefs

Première branche

En vertu des articles 17 et 18 du Code judiciaire, une action en justice ne peut être admise si le demandeur ne dispose pas d'un intérêt personnel et direct.
L'intérêt qui peut être invoqué par le demandeur comme fondement d'une demande en justice découle des articles 1er, 2 et 38 de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes.
L'article 1er de cette loi confère la personnalité civile au demandeur.
L'article 2 dispose :
« L'Ordre des architectes a pour mission d'établir les règles de la déontologie régissant la profession d'architecte et d'en assurer le respect. Il veille à l'honneur, à la discrétion et à la dignité des membres de l'Ordre dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de la profession. Il dénonce à l'autorité judiciaire toutes infractions aux lois et règlements protégeant le titre et la profession d'architecte ».
L'article 38 confie au conseil national, notamment, la mission de prendre toute mesure nécessaire à la réalisation de l'objet de l'Ordre.
Les articles 1er, 2 et 38 de la loi du 26 juin 1963 confèrent ainsi au demandeur une mission d'intérêt général et le droit de prendre toutes les mesures utiles pour la défense des intérêts des architectes. Il est, sur cette base, recevable à agir en justice pour défendre les droits et intérêts professionnels communs de ses membres.
En l'espèce, le demandeur invoquait qu'il justifiait d'un « intérêt propre à faire cesser une publicité qui induit en erreur sur la nature, la portée ou le coût des services que les personnes exerçant la profession d'architecte peuvent offrir à la même clientèle que celle qui est visée par la [défenderesse], promoteur-constructeur ; [que le demandeur] agit ainsi dans la sphère de ses attributions légales en matière de sauvegarde des intérêts de la profession d'architecte ; [que] la pratique commerciale de [la défenderesse] touche à l'intérêt direct et personnel [du demandeur] tenant à la défense de la profession d'architecte en elle-même ».
L'arrêt ne dénie pas que les activités dont le demandeur poursuivait la cessation étaient susceptibles de porter atteinte aux intérêts professionnels collectifs des architectes. Statuant sur la demande des architectes agissant individuellement, l'arrêt constate que la pratique commerciale faisant l'objet de l'action en cessation pouvait « causer un préjudice aux intérêts professionnels » des architectes qui avaient introduit la procédure.
L'introduction d'une demande en justice ayant pour but de mettre un terme à la pratique commerciale litigieuse entrait dès lors dans le cadre de la mission d'intérêt général confiée par la loi au demandeur.
Il en résulte qu'en déclarant non recevable la demande introduite par le demandeur contre la défenderesse et en écartant les conclusions précitées par lesquelles le demandeur soutenait qu'il agissait « dans la sphère de ses attributions légales en matière de sauvegarde des intérêts de la profession d'architecte », l'arrêt méconnaît le principe que le demandeur est recevable à agir en justice pour défendre les droits et intérêts professionnels communs des architectes (violation des articles 17 et 18 du Code judiciaire, 1er, 2 et 38 de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes).

Seconde branche (subsidiaire)

L'article 495 du Code judiciaire dispose que l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et l'Orde van Vlaamse Balies ont, « chacun en ce qui concerne les barreaux qui en font partie, pour mission de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de leurs membres [...]. [Ils] prennent les initiatives et les mesures utiles en matière de formation, de règles disciplinaires et de loyauté professionnelle, ainsi que pour la défense des intérêts de l'avocat et du justiciable ».
En vertu de cette disposition, l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et l'Orde van Vlaamse Balies peuvent prendre toutes les initiatives utiles pour assurer la défense des intérêts professionnels communs de leurs membres et sont, à ce titre, recevables à agir en justice dans ce même objectif.
De même, l'article 455 du Code judiciaire dispose que le conseil de l'Ordre de chacun des barreaux du pays « est chargé de sauvegarder l'honneur de l'Ordre des avocats et de maintenir les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de leur profession et doivent garantir un exercice adéquat de la profession ».
Les missions confiées à l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, à l'Orde van Vlaamse Balies et aux conseils de l'Ordre des divers barreaux du pays, d'une part, et au demandeur, d'autre part, sont de même nature. Il s'agit, dans les deux cas, d'une mission d'intérêt général qui impose aux ordres concernés de veiller, non seulement au respect de la déontologie professionnelle, mais encore au respect, par les tiers, des lois et règlements protégeant l'exercice de la profession, de manière à permettre à leurs membres d'exercer « adéquatement » leur profession, avec efficacité et dignité.
Les dispositions pertinentes de la loi du 26 juin 1963 sont dès lors contraires aux principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination si elles sont ainsi interprétées qu'elles n'accordent pas au demandeur le droit d'agir en justice pour défendre les intérêts professionnels collectifs des architectes, alors que les articles 455 et 495 du Code judiciaire accordent à d'autres ordres professionnels le droit d'agir en justice pour défendre les intérêts professionnels collectifs de leurs membres.
Dès lors, en se fondant, pour déclarer non recevable l'action par laquelle le demandeur poursuivait la cessation de la publicité litigieuse, sur le motif que la défense des « intérêts collectifs » des architectes n'est prévue ni explicitement ni implicitement par la loi du 26 juin 1963, l'arrêt méconnaît les principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination en appliquant au litige soumis à la cour d'appel des dispositions légales traitant de manière inégale des ordres professionnels remplissant des fonctions de même nature (violation de toutes les dispositions visées en tête du moyen).
Avant de statuer sur ce grief, il y a lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :
Interprétés en ce sens qu'ils n'autorisent pas le demandeur à agir en justice pour défendre les intérêts professionnels collectifs des architectes, les articles 1er, 2 et 38 de la loi du 26 juin 1963 créant un ordre des architectes créent-ils une discrimination entre les architectes, d'une part, et les avocats, d'autre part, ou, à tout le moins, entre le demandeur, d'une part, l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, l'Orde van Vlaamse balies et les différents barreaux qui en dépendent, d'autre part, dès lors que l'article 495 du Code judiciaire confie aux deux ordres précités la mission de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de leurs membres et, dès lors, d'agir en justice pour défendre leurs intérêts, et qu'il se déduit de l'article 455 du Code judiciaire que le conseil de l'Ordre de chacun des barreaux du pays peut agir en justice pour garantir l'exercice adéquat de la profession d'avocat ?

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

À moins que la loi n'en dispose autrement, la demande formée par une personne physique ou morale ne peut, en vertu de l'article 17 du Code judiciaire, être admise si le demandeur n'a pas pour la former un intérêt personnel et direct, c'est-à-dire un intérêt propre.
Aux termes de l'article 1er de la loi du 26 juin 1963 créant un ordre des architectes, l'Ordre des architectes jouit de la personnalité civile.
Il a, en vertu de l'article 2 de cette loi, pour mission d'établir les règles de la déontologie régissant la profession d'architecte et d'en assurer le respect, de veiller à l'honneur, à la discrétion et à la dignité des membres de l'Ordre dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de la profession, et de dénoncer à l'autorité judiciaire toute infraction aux lois et règlements protégeant le titre et la profession d'architecte.
L'article 38 de la même loi, qui définit la mission du conseil national de l'Ordre, charge cet organe de prendre toute mesure nécessaire à la réalisation de l'objet de l'Ordre.

En donnant à l'Ordre la mission, non seulement de définir les règles de la déontologie et de veiller à leur respect, mais aussi de défendre les architectes contre les infractions aux lois et règlements protégeant leur titre et leur profession, le législateur a entendu, par dérogation à l'article 17 du Code judiciaire, lui permettre, par la voie de son conseil national, de former en justice une demande ayant pour objet la défense des intérêts professionnels communs de ses membres.
L'arrêt, qui, pour dire irrecevable la demande du demandeur tendant à entendre ordonner la cessation de la pratique litigieuse, considère, sans dénier que la pratique concernée soit de nature à attenter aux intérêts professionnels collectifs des architectes, que le législateur n'a pas eu la volonté de confier au demandeur « la défense des intérêts collectifs des architectes », qu'il n'a pas « expressément définis », viole les dispositions légales précitées.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Et il n'y a lieu d'examiner ni la seconde branche du premier moyen ni le second moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue entre les parties à l'instance en cassation ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Martine Regout, les conseillers Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du quatre avril deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0177.F
Date de la décision : 04/04/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-04-04;c.15.0177.f ?

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