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27/03/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0261.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 27 mars 2019, P.19.0261.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0261.F
A.A.,
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, Mont Saint-Martin, 22, où il est fait élection de domicile,

contre

ETAT BELGE, représenté par le ministre de l'Asile et de la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, chaussée d'Anvers, 59B,
défendeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Stamatina Arkoulis et Cathy Piront, avocats au barreau

de Liège.


I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 5 mars 20...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.0261.F
A.A.,
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, Mont Saint-Martin, 22, où il est fait élection de domicile,

contre

ETAT BELGE, représenté par le ministre de l'Asile et de la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, chaussée d'Anvers, 59B,
défendeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Stamatina Arkoulis et Cathy Piront, avocats au barreau de Liège.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 5 mars 2019, sous le numéro 2019/708, par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le moyen :

Sur les fins de non-recevoir opposées au moyen par le défendeur et déduites de ce qu'il ne précise pas en quoi les dispositions invoquées sont violées, en ce que le demandeur invite la Cour à substituer son appréciation à celle des juges d'appel et de ce que la mesure de rétention se fonde sur deux motifs distincts, chacun justifiant le maintien du demandeur :

D'une part, le moyen précise suffisamment en quoi les dispositions invoquées sont violées.

D'autre part, les autres fins de non-recevoir sont liées à l'examen du fond du moyen.

Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.

Le moyen invoque la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6 du Code judiciaire, 62, § 2, 71, 72 et 74/6 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et 8, 9 et 31 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale (directive accueil).
Le moyen soutient qu'en énonçant, d'une part, que le demandeur n'est pas en possession d'un passeport valable muni d'un visa valable et, d'autre part, qu'il n'a introduit une demande de protection internationale qu'après son arrivée en centre fermé, la motivation de la mesure ne rencontre pas les exigences des articles 74/6 de la loi du 15 décembre 1980 et 8 de la directive accueil, précités.

Selon le moyen, conformément à l'article 8.3.d de la directive, la mesure doit constater que le demandeur est placé en rétention dans le cadre d'une procédure de retour et que sa demande d'asile est introduite à des fins dilatoires. En déduisant le caractère dilatoire de la demande d'asile de la circonstance que celle-ci n'a été introduite qu'en cours de procédure d'éloignement, l'arrêt méconnaît, selon le demandeur, la portée de l'article 8.3.d précité.

Le moyen soutient également que les juges d'appel ne pouvaient constater le caractère dilatoire de la demande d'asile au seul motif que le demandeur ne l'a formulée qu'une fois placé en centre fermé, dès lors que la demande a été introduite dans les cinq jours après son arrivée sur le territoire, soit dans le délai prévu à l'article 50 de la loi du 15 décembre 1980.

L'article 74/6, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980, tel que remplacé par l'article 57 de la loi du 21 novembre 2017 modifiant celle-ci et celle du 12 janvier 2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers, dispose :
« Lorsque, sur la base d'un examen individuel, cela s'avère nécessaire et qu'aucune mesure moins coercitive ne peut être efficacement appliquée, le ministre ou son délégué peut maintenir dans un lieu déterminé dans le Royaume le demandeur de protection internationale :
1° pour établir ou vérifier l'identité ou la nationalité du demandeur ; ou
2° [...] ; ou
3° lorsque le demandeur est maintenu dans le cadre d'une procédure de retour, pour préparer le retour et/ou procéder à l'éloignement, et lorsqu'il peut être démontré, sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile, qu'il existe des motifs raisonnables de penser que l'intéressé a introduit la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour ; ou
4° [...]. »

Il résulte de cette disposition que le maintien d'un étranger dans un lieu déterminé est non seulement soumis aux conditions y visées mais doit aussi faire l'objet d'un examen individualisé de sa situation.

En ce qui concerne la condition visée à l'article 74/6, § 1er, alinéa 1er, 1°, il ressort de l'exposé des motifs de la loi précitée du 21 novembre 2017 que les instances d'asile doivent disposer d'informations suffisantes concernant l'identité et la nationalité du demandeur afin de pouvoir examiner correctement la demande de protection internationale, mais qu'un maintien systématique des demandeurs qui ne sont pas en possession de documents d'identité n'est cependant pas admissible. L'auteur du projet de loi a considéré qu'il peut toutefois être procédé à un maintien sur la base de ce motif s'il n'y a pas d'explication plausible de l'absence de documents d'identité ou si, lors du contrôle de son identité ou de sa nationalité, l'étranger refuse de coopérer ou a l'intention de tromper les autorités, par exemple s'il refuse de communiquer son identité ou sa nationalité, s'il communique des informations fausses pour établir son identité ou sa nationalité, s'il fournit des documents d'identité ou des documents de voyage faux ou falsifiés, s'il a détruit ou s'est débarrassé d'un document d'identité ou de voyage qui aurait pu contribuer à constater son identité ou sa nationalité, ou s'il entrave la prise des empreintes digitales visée à l'article 51/3 de la loi.

En ce qui concerne la condition visée à l'article 74/6, § 1er, alinéa 1er, 3°, il ressort de cette disposition que la seule circonstance que la demande de protection internationale est introduite alors que le demandeur est maintenu dans le cadre d'une procédure de retour, ne suffit pas pour considérer qu'il existe des motifs raisonnables de penser que l'intéressé a introduit la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour, mais qu'il doit pouvoir être démontré, sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile, qu'il existe de tels motifs raisonnables.
Par adoption des motifs de l'avis du ministère public, l'arrêt relève notamment que
- le demandeur, de nationalité tunisienne, serait, selon ses déclarations, arrivé en Belgique le 31 janvier 2019 ;
- le 2 février 2019, après avoir été intercepté en situation illégale, il s'est vu notifier un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue de l'éloignement aux motifs qu'il existe un risque de fuite, qu'il ne collabore pas ou n'a pas collaboré avec les autorités, qu'il n'est pas en possession d'un passeport valable muni d'un visa valable, et qu'il doit être maintenu à la disposition de l'Office des étrangers pour permettre l'octroi, par ses autorités nationales, d'un titre de voyage ;
- le 4 février 2019, l'Office des étrangers a adressé au consulat de Tunisie une demande de délivrance d'un titre de voyage ;
- le lendemain, le demandeur a introduit une demande de protection internationale, depuis le centre fermé où il est maintenu ;
- le 6 février 2019, le demandeur s'est vu notifier une décision de maintien en un lieu déterminé, fondée sur l'article 74/6, § 1er, alinéa 1er, 1° et 3°, de la loi précitée, où il est considéré qu'il n'est pas en possession d'un passeport valable muni d'un visa valable, qu'il n'a introduit une demande d'asile qu'après son arrivée en centre fermé et qu'il y a lieu de le maintenir en un lieu déterminé afin de vérifier son identité et sa nationalité, et de garantir son éloignement effectif du territoire.

Par la seule considération qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que le demandeur serait en possession d'un passeport valable muni d'un visa valable, l'arrêt ne constate pas légalement que, eu égard à sa situation concrète, son maintien est nécessaire pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité au sens de l'article 74/6, § 1er, alinéa 1er, 1°, précité.

Par ailleurs, par la seule énonciation que ce n'est qu'une fois placé en centre fermé, alors que la procédure d'éloignement était en cours, que le demandeur a introduit la demande de protection internationale, les juges d'appel n'indiquent pas en quoi, sur la base de critères objectifs, il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a introduit la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour.

Ainsi, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision de dire la mesure de rétention légale au regard des exigences de l'article 74/6, § 1er, alinéa 1er, 1° et 3°, de la loi du 15 décembre 1980.

Dans cette mesure, le moyen est fondé.

Il n'y a pas lieu d'examiner le surplus du moyen qui ne saurait entraîner une cassation dans des termes différents du dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les frais pour qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause à la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation, autrement composée.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept mars deux mille dix-neuf par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.0261.F
Date de la décision : 27/03/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-03-27;p.19.0261.f ?

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