La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/03/2019 | BELGIQUE | N°S.18.0022.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 mars 2019, S.18.0022.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.18.0022.F
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, Place Saint-Jacques, 13,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

1. H. M. et
2. S. T., agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la

Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2017 par la cour du...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.18.0022.F
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, Place Saint-Jacques, 13,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

1. H. M. et
2. S. T., agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2017 par la cour du travail de Liège.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport.
L'avocat général Jean Marie Genicot a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la deuxième branche :

L'aide sociale qui, comme l'affirme l'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale, a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine, est, en vertu du second alinéa du même article, assurée par les centres publics d'action sociale dans les conditions que cette loi détermine.
En vertu de l'article 57, § 2, alinéa 1er, 1°, par dérogation aux autres dispositions de cette loi, la mission du centre public d'action sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
Faisant usage de son pouvoir de déterminer les conditions d'exercice du droit à l'aide sociale, le législateur a, pour ne pas desservir la politique concernant l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, entendu par cette disposition décourager les étrangers qui y sont visés de prolonger leur séjour en Belgique.
La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans l'arrêt Abdida (C-562/13) du 18 décembre 2014, que les articles 5 et 13 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier, lus à la lumière des articles 19, § 2, et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que l'article 14, § 1er, b), de cette directive, s'opposent à une législation nationale qui ne confère pas un effet suspensif à un recours exercé contre une décision ordonnant à un ressortissant de pays tiers atteint d'une grave maladie de quitter le territoire d'un État membre, lorsque l'exécution de cette décision est susceptible d'exposer ce ressortissant de pays tiers à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé. Elle a jugé en effet que l'effectivité du recours exercé contre une telle décision exige, dans ces conditions, que le ressortissant de pays tiers dispose d'un recours avec effet suspensif, afin de garantir que la décision de retour ne soit pas exécutée avant qu'un grief relatif à une violation de l'article 5 de la directive 2008/115/CE, lu à la lumière de l'article 19, § 2, de la Charte, n'ait pu être examiné par une autorité compétente.
Il ressort manifestement de cette interprétation des articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive que, afin de garantir que le grief de violation de l'article 5 soit examiné avant l'exécution de la décision de retour, la législation nationale doit conférer un caractère suspensif au recours du ressortissant de pays tiers atteint d'une grave maladie dès que l'exécution de la décision lui ordonnant de quitter le territoire est susceptible de l'exposer au risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé et que ce caractère suspensif ne dépend pas de la démonstration que l'exécution de la décision exposerait effectivement l'étranger à ce risque.
Il s'ensuit que l'article 57, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 8 juillet 1976, interprété conformément aux articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive 2008/115/CE, ne s'applique pas au ressortissant d'un pays tiers à l'Union européenne atteint d'une grave maladie qui exerce un recours contre une décision lui ordonnant de quitter le territoire, lorsque l'exécution de cette décision est susceptible de l'exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé.
L'arrêt attaqué constate que le défendeur a introduit un recours « en annulation et suspension » au Conseil du contentieux des étrangers contre « une décision d'irrecevabilité de la demande de régularisation médicale » de son séjour et contre « l'ordre de quitter le territoire dont elle est assortie ». Après avoir exposé l'interprétation des articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive 2008/115/CE donnée par l'arrêt Abdida précité, il considère que, « pour que soit reconnu un effet suspensif au recours [du défendeur], il ne doit pas être exigé de lui qu'il fasse, dès l'introduction dudit recours, la preuve formelle de la gravité de la maladie dont il est atteint et du risque de détérioration grave et irréversible que comporterait l'arrêt des traitements en cas d'éloignement vers son pays d'origine [...], mais il suffit qu'un grief défendable soit invoqué dans ce recours », que « la notion de ‘grief défendable' ne saurait dépendre d'une appréciation a priori du caractère manifestement fondé du recours », qu'« il appartiendra [au] Conseil du contentieux des étrangers d'apprécier in fine si le risque invoqué [...] justifie l'annulation [des décisions entreprises] » mais qu'« il peut dès à présent être constaté » que le recours du défendeur émet un grief défendable à ce sujet dès lors qu' « il y est fait état de la contestation d'ordre médical opposant le [défendeur] au médecin-fonctionnaire de l'Office des étrangers au sujet [...] de la gravité de la pathologie psychiatrique qui l'affecte, évaluée par ledit médecin fonctionnaire comme ne comportant aucun risque vital alors que les certificats et rapports médicaux soumis à l'appréciation du Conseil du contentieux des étrangers parlent d'un risque majeur de tendance suicidaire en cas d'arrêt du traitement médicamenteux en Belgique, en l'absence de disponibilité et d'accessibilité en Arménie des soins requis ».
Par ces énonciations, l'arrêt a pu considérer que l'exécution de l'ordre de quitter le territoire assortissant la décision d'irrecevabilité de la demande de régularisation médicale était susceptible d'exposer le défendeur atteint d'une grave maladie au risque sérieux d'une détérioration grave et irréversible de son état de santé.
Il justifie ainsi légalement sa décision que le recours est suspensif, partant, que la limitation prévue par l'article 57, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 8 juillet 1976 ne s'applique pas à l'aide sociale litigieuse.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche :

Il ressort des motifs cités en réponse à la deuxième branche du moyen que l'arrêt reconnaît un effet suspensif au recours formé par le défendeur en raison des griefs de violation de l'article 5 de la directive 2008/115/CE qui y sont invoqués, et qu'il déduit le droit des défendeurs à l'aide sociale de cet effet suspensif.
L'arrêt énonce par ailleurs que le recours demande la suspension des décisions entreprises, mais il ne résulte ni des motifs précités ni d'aucun autre que l'arrêt déduirait des conséquences de cette énonciation.
Fût-elle avérée, la violation alléguée de la foi due au recours serait sans incidence sur la légalité de l'arrêt, qui statue sur la contestation comme il aurait dû le faire si cette violation n'avait pas été commise.
Le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Quant à la première branche :

En conclusions, le demandeur soutenait que les articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive 2008/115/CE n'exigent de conférer un caractère suspensif au recours de l'étranger que si ce dernier démontre que l'exécution de la décision de retour entreprise est susceptible de l'exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé.
L'arrêt considère que ces articles n'exigent pas que le recours paraisse a priori manifestement fondé et que l'étranger rapporte la preuve formelle de la gravité de la maladie et du risque de détérioration grave et irréversible de son état de santé auquel l'exposerait son éloignement, et qu'il suffit qu'un grief défendable soit invoqué dans le recours.
L'arrêt, qui se borne ainsi à déterminer la portée des articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive 2008/115/CE dont le demandeur discutait l'application, n'élève pas d'office un moyen que les parties n'ont pu contredire, partant, ne viole ni l'article 774, alinéa 2, du Code judiciaire ni les droits de la défense.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la quatrième branche :

Par les motifs cités en réponse à la deuxième branche du moyen, d'où il ressort qu'il considère que les rapports médicaux soumis à l'appréciation du Conseil du contentieux des étrangers font valoir d'une manière défendable, suffisant à conférer un caractère suspensif au recours, que les soins requis par l'état de santé du défendeur ne sont pas disponibles et accessibles en Arménie, l'arrêt répond aux conclusions du demandeur qui soutenait le contraire.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent vingt-sept euros nonante-sept centimes envers la partie demanderesse et à la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Martine Regout, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-cinq mars deux mille dix-neuf par le président de section Martine Regout, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.18.0022.F
Date de la décision : 25/03/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-03-25;s.18.0022.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award