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25/03/2019 | BELGIQUE | N°C.17.0469.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 mars 2019, C.17.0469.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.17.0469.F
M. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

1. H. T. K., agissant en tant qu'administratrice légale de ses enfants mineurs,
2. D. L.,
3. Y. L.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il es

t fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.17.0469.F
M. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

1. H. T. K., agissant en tant qu'administratrice légale de ses enfants mineurs,
2. D. L.,
3. Y. L.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 août 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 20 février 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 21 février 2019, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Martine Regout a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente quatre moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

En vertu des articles 205 et 207 du Code civil, les ascendants doivent des aliments à leurs descendants qui sont dans le besoin.
L'article 208 de ce code dispose que les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame et de la fortune de celui qui les doit.
Les facultés respectives du débiteur et du créancier d'aliments s'évaluent concrètement notamment en fonction de l'âge, des revenus et de la condition sociale des intéressés.
S'il existe plusieurs débiteurs alimentaires solvables du même degré, le créancier ne peut réclamer à chacun que la part qui est la sienne, compte tenu des aliments que les autres débiteurs légaux, qu'ils soient à la cause ou non, sont en mesure de payer.
Il ne ressort pas de ces dispositions que le juge doit préciser le montant exact de la fortune de chacun des débiteurs d'aliments du même degré.
Après avoir constaté que les quatre enfants communs sont nés respectivement en 1996, 1998, 2003 et 2004, l'arrêt énonce qu'ils « sont incontestablement issus d'un milieu familial particulièrement fortuné », que « les conventions préalables au divorce de leurs parents [...] prévoient notamment [...] le paiement par [le père des enfants] d'une contribution de 1.250 euros par mois et par enfant, indexée une fois l'an [et] de la totalité des frais extraordinaires médicaux et paramédicaux, scolaires et parascolaires moyennant accord sur le principe et le montant de ces frais [et] le remboursement par [le père] du montant restant dû à la banque ING suite au prêt hypothécaire afférent à la résidence familiale », qu'« au moment de leur divorce, les [parents] ont traduit leur évaluation des besoins de leurs enfants dans leurs conventions préalables », qu'« au cours des années 2009, 2010 et 2011, des sommes importantes - dépassant respectivement 100.000, 120.000 et 130.000 euros - ont été versées par [le demandeur] à [la première défenderesse] » mais qu' « il n'est pas contesté qu'à partir de l'année 2012, plus aucun paiement n'a été effectué, ni par [le demandeur] ni par [le père] », que, « comme l'illustrent les pièces justificatives [que la première défenderesse] produit, [les enfants] sont incontestablement dans le besoin au sens de l'article 208 du Code civil », que la première défenderesse « est demeurée avec les enfants dans la maison familiale mais [qu']elle n'a pas été en mesure d'entretenir l'immeuble correctement », que « les enfants ont continué à fréquenter des établissements scolaires de qualité mais [que] D. n'a pu rester à l'International School of Brussels, où le minerval s'élevait à 28.000 euros ; [que] pour la rentrée 2013, sa mère a été contrainte de l'inscrire à l'Athénée [...] », que la première défenderesse « n'a fait que continuer, pendant les premières années après le divorce, à offrir à ses enfants un train de vie conforme aux habitudes prises pendant la vie commune et aux accords conclus dans le cadre du divorce ; [que] les éléments du dossier laissent ensuite apparaître un train de vie fortement réduit par rapport à ce que les dépenses antérieures du ménage laissent supposer ; [qu']il n'est plus question en l'espèce de maintenir le niveau de vie que les enfants ont pu avoir du temps du mariage de leurs parents, mais uniquement de subvenir à leurs besoins en tenant notamment compte des conditions de vie dont ils peuvent bénéficier eu égard, notamment, à leur situation familiale et sociale », que « les allocations familiales versées en faveur [des enfants] s'élevaient en février 2014 à 1.035,10 euros par mois, [qu']elles ont ensuite été portées à 1.048,11 euros et s'élèvent actuellement à 1.077,68 euros, du moins si [la première défenderesse] est toujours considérée comme une allocataire vivant seule avec les enfants et ayant un revenu inférieur ou égal à 2.338,47 euros » et qu'un montant de 1.000 euros par mois et par enfant « paraît nécessaire et suffisant pour sortir les enfants de l'état de besoin dans lequel ils sont plongés en raison de l'inexécution des obligations alimentaires de leur père ».
À propos des facultés du demandeur, l'arrêt considère que « les revenus qui doivent être pris en considération sont les revenus professionnels, mobiliers et immobiliers nets du débiteur d'aliments, ainsi que les avantages en nature et autres moyens qui assurent son niveau de vie ». Il détaille ensuite les participations du demandeur dans notamment huit sociétés et énonce que le demandeur « reconnaît qu'il possède un appartement de six chambres à [...] ; [que] cet appartement (dont le détective des [défendeurs] estime la valeur à 750.000 euros) est donné en location », que les pièces produites par la première défenderesse évoquent notamment « un [autre] appartement à [...] » que le demandeur soutient avoir vendu en 2011 mais dont il ne « produit pas la preuve et ne fournit aucune indication sur le prix de vente ni sur la réaffectation du bénéfice » et « un [troisième] appartement à [...] » que le demandeur soutient avoir vendu en 2013 mais dont il ne produit « pas la preuve et ne fournit aucune indication sur le prix de vente ni sur la réaffectation du bénéfice », que « le dossier produit par les [défendeurs] contient de nombreux indices de manœuvres réalisées par [le demandeur] pour diverses raisons et notamment dans un but d'évasion fiscale », que le demandeur a notamment « prêté des sommes considérables à des sociétés immobilières que son fils a constituées aux États-Unis, dans le New Jersey et à New York » pour l'achat de neuf immeubles dont « les loyers [...] varient entre 800 et 1.500 euros par mois », que « les trois enfants que [le demandeur] a eus avec sa première épouse [...], dont [le père des enfants], sont majeurs et autonomes depuis longtemps, [qu']il vit actuellement avec sa nouvelle compagne, avec laquelle il a deux enfants en bas âge » et que « malgré les importantes zones d'ombre dues à la carence des renseignements fournis par [le demandeur], il doit être conclu, quoiqu'il en dise et nonobstant ses charges familiales actuelles, que les moyens dont il dispose sont de toute évidence particulièrement élevés et qu'ils sont largement suffisants pour lui permettre de secourir ses petits-enfants ».
En ce qui concerne les autres débiteurs alimentaires potentiels, l'arrêt constate que « les procédures engagées par [la première défenderesse] pour contraindre son ex-époux à exécuter ses obligations alimentaires sont [...] restées vaines jusqu'à ce jour ». Il évalue la capacité de la première défenderesse à 1.800 euros par mois compte tenu « des revenus et avantages [qu'elle] est capable de percevoir, par son âge, ses qualifications, son état de santé et sa situation personnelle » et énonce qu'elle « contribue aux besoins de ses enfants » dès lors que c'est elle « qui les héberge, qui les nourrit et qui fait face à tous les frais nécessaires à leur santé, leur surveillance, leur formation, leur éducation et leur épanouissement ». Il considère qu'il « ressort des attestations établies le 3 février et le 14 août 2014 qu'à cette époque Mme A. K., veuve, mère de quatre enfants et grand-mère de treize petits-enfants, transférait chaque mois 4.000 euros à sa fille [la première défenderesse] pour l'aider à assurer les dépenses quotidiennes ainsi que les frais médicaux et scolaires de ses petits-enfants » et que « le 10 juillet 2015, elle lui a accordé un prêt de 140.000 euros qui lui a permis de rembourser l'emprunt hypothécaire contracté par les ex-époux auprès de la banque ING et d'interrompre ainsi les démarches initiées par la banque en vue de la vente forcée de la maison ; [que] Mme A. K. apporte une contribution suffisante aux besoins de ses petits-enfants » et que, « quant à Mme I. L., [le demandeur] ne peut à la fois prétendre qu'elle est à sa charge et qu'elle devrait également être invitée à verser une pension alimentaire aux quatre petits-enfants ».
Ces motifs circonstanciés de l'arrêt permettent à la Cour d'exercer son contrôle de légalité sur la condamnation du demandeur à payer une pension alimentaire de 1.000 euros par mois pour chacun de ses quatre petits-enfants à partir du 1er septembre 2014.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche :

L'état de besoin du créancier d'aliments au sens des articles 205, 206 et 208 du Code civil, qui englobe l'ensemble des besoins élémentaires de la vie tels que notamment nourriture, logement, chauffage, vêtements, frais médicaux, s'apprécie de façon relative et concrète, en tenant compte des conditions normales de vie dont le créancier bénéficiait eu égard notamment à son éducation, sa situation sociale et son âge.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement que l'obligation alimentaire des articles 205, 206 et 208 du Code civil est strictement limitée au montant nécessaire pour permettre au créancier de satisfaire aux besoins élémentaires de la vie grâce à un « minimum vital », manque en droit.

Sur le deuxième moyen :

Quant à la première branche :

Il ressort des motifs reproduits en réponse à la première branche du premier moyen que l'arrêt évalue à 4.000 euros par mois les besoins des quatre enfants.
L'arrêt constate qu' « à partir du début de l'année 2012, plus aucun paiement n'a été effectué, ni par [le demandeur] ni par [le père] », que depuis que le demandeur « a cessé de lui verser de l'argent, [la première défenderesse] a été aidée par sa mère et un ami », qu'« il ressort des attestations établies le 3 février et le 14 août 2014 qu'à cette époque Mme A. K., veuve, mère de quatre enfants et grand-mère de treize petits-enfants, transférait chaque mois 4.000 euros à sa fille [la première défenderesse] pour l'aider à assurer les dépenses quotidiennes ainsi que les frais médicaux et scolaires de ses petits-enfants » et que « le 10 juillet 2015, elle lui a accordé un prêt de 140.000 euros qui lui a permis de rembourser l'emprunt hypothécaire contracté par les ex-époux auprès de la banque ING et d'interrompre ainsi les démarches initiées par la banque en vue de la vente forcée de la maison ».
Il en conclut que « Mme A. K. apporte une contribution suffisante aux besoins de ses petits-enfants ».
Par ces considérations, l'arrêt tient compte de la part d'obligation alimentaire incombant à Mme A. K., pour fixer à 4.000 euros par mois à dater du 1er septembre 2014 le montant de la pension alimentaire due par le demandeur.

Quant à la seconde branche :

Il ressort des motifs reproduits en réponse à la première branche du premier moyen que, contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arrêt ne considère pas que le montant nécessaire pour permettre aux enfants de sortir de l'état de besoin dans lequel ils se trouvent, et justifiant dès lors l'octroi d'une pension alimentaire à leur profit, est supérieur à 4.000 euros par mois.

Le moyen, qui, en ces branches, repose sur une interprétation inexacte de l'arrêt, manque en fait.

Sur le troisième moyen :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par les défendeurs et déduite du défaut d'intérêt :

L'arrêt, qui condamne le demandeur à payer une pension alimentaire aux défendeurs sur la base des articles 205 et 207 du Code civil « parce que la contribution alimentaire du père aux frais d'entretien et d'éducation [des enfants] n'est pas versée » et considère que cette pension alimentaire « doit en réalité être considérée comme une avance », décide qu'elle devra être restituée au demandeur lorsque le père des enfants « aura versé tous les montants dus » à la première défenderesse en exécution des conventions préalables au divorce.
Le demandeur a intérêt à critiquer cette décision qui lui fait grief dans la mesure où elle exclut la restitution de la pension alimentaire avant ce moment.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

Il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que le moment de restituer la pension alimentaire ait été soumis au débat.
En décidant que la pension alimentaire devrait être restituée au demandeur « lorsque [le père des enfants] aura versé tous les montants dus à [la première défenderesse] en exécution des conventions préalables au divorce par consentement mutuel des ex-époux », sans permettre au demandeur de s'expliquer à ce sujet, l'arrêt méconnaît son droit de défense.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.

Sur le quatrième moyen :

L'arrêt indique que « c'est essentiellement sur les pièces produites par les [défendeurs] que la cour [d'appel] doit se baser pour tenter de cerner les facultés contributives du grand-père paternel ». Sur la base de ces pièces fournies par les défendeurs, il détaille les participations du demandeur dans de nombreuses sociétés ainsi que ses propriétés immobilières, relevant particulièrement qu'« il ressort de la pièce 27 du dossier des [défendeurs] qu'en 2009, son salaire s'élevait à [...] environ 21.528 [plus] 8.333 euros par mois » et que « le dossier produit par les [défendeurs] contient de nombreux indices de manœuvres réalisées par [le demandeur] pour diverses raisons et notamment dans un but d'évasion fiscale », visant « un rapport d'un détective privé [...] mandaté par les [défendeurs] » et faisant référence expresse à des pièces numérotées du dossier des défendeurs pour étayer ses motifs.
L'arrêt se fonde ainsi sur des éléments de preuve fournis par les défendeurs pour établir l'état de fortune suffisant du demandeur.
Le renversement de la charge de la preuve ne peut se déduire de la seule considération de l'arrêt qu'il subsiste d'« importantes zones d'ombre dues à la carence des renseignements fournis par [le demandeur] ».
Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il précise que la pension alimentaire à laquelle le demandeur est condamné doit être considérée comme une avance qui devra lui être restituée lorsque M. M. L. aura versé tous les montants dus à la première défenderesse en exécution des conventions préalables au divorce par consentement mutuel des ex-époux L.-K., et qu'il statue sur les dépens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Condamne le demandeur aux neuf dixièmes des dépens ; en réserve le surplus pour qu'il soit statué sur celui-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.
Les dépens taxés à la somme de neuf cent nonante-sept euros cinquante-six centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Martine Regout, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-cinq mars deux mille dix-neuf par le président de section Martine Regout, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0469.F
Date de la décision : 25/03/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-03-25;c.17.0469.f ?

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