Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.18.0115.F
INSTITUT DE RÉFÉRENCES DES MARCHÉS, société anonyme, dont le siège social est établi à Tournai, rue Beyaert, 75,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 mars 2017 par la cour d'appel de Mons.
Le 4 mars 2019, le premier avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et le premier avocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 42, 1°, modifié par l'article 2, § 1er, de la loi du 23 mars 1999 relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale, 705, 860, spécialement alinéa 2, et 1051, alinéa 1er, modifié par la loi du 12 janvier 1993, du Code judiciaire ;
- article unique de l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012 désignant le fonctionnaire du service public fédéral des Finances au bureau duquel l'État peut être cité en justice et les significations et notifications faites ;
- arrêté du président du comité de direction du service public fédéral des Finances du 22 juin 2015 portant création de nouveaux services au sein de l'administration générale de la perception et du recouvrement et organisant les services opérationnels de cette même administration générale.
Décisions et motifs critiqués
Après que l'arrêt d'avant dire droit du 7 novembre 2016 eut constaté, d'une part, que, « le 17 novembre 2015, [la demanderesse] a fait procéder à la signification [du jugement entrepris] à l'État belge, représenté par le ministre des Finances, poursuites et diligences du receveur du team recouvrement à Tournai 2, dont les bureaux sont établis à Tournai, rue du Château, 49 », d'autre part, que l'État belge a interjeté appel de ce jugement le 9 février 2016, l'arrêt attaqué rejette la fin de non-recevoir soulevée par la demanderesse et déduite de la tardiveté de l'appel ainsi introduit plus d'un mois après cette signification et déclare par conséquent cet appel recevable, par les motifs suivants :
« [Le défendeur] soutient [...] que cette signification était irrégulière ;
[...] L'article 42, 1°, du Code judiciaire dispose que les significations faites à l'État le sont au cabinet du ministre compétent pour en connaître ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci ;
L'arrêté ministériel [du 25 octobre 2012] dispose notamment que les significations à l'État, service public fédéral des Finances, se font au bureau du directeur du service d'encadrement logistique ;
[Le défendeur] soutient désormais que la signification aurait dû être faite à ce bureau ou au cabinet du ministre ;
[La demanderesse] rétorque qu'il était admis que la signification se fasse au bureau du fonctionnaire ayant représenté l'État durant la procédure judiciaire (Cass., 15 octobre 2009, Pas., n° 585 ; Mons, 29 mars 2012, J.D.F., 2013, 56, note) ;
Elle estime que l'arrêté ministériel n'a fait qu'ajouter une possibilité à celles qui existaient déjà, une décision pouvant ainsi être signifiée au cabinet du ministre, au bureau désigné par celui-ci ou au bureau du fonctionnaire ayant représenté l'État belge durant la procédure judiciaire ;
L'article 42, 1°, du Code judiciaire ne prévoit que deux possibilités, étant la signification au cabinet du ministre ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci ;
Avant l'entrée en vigueur de l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012, l'on pouvait considérer, à défaut de désignation expresse d'un bureau, que le ministre désignait implicitement le bureau le représentant dans le cadre de la procédure judiciaire en cause ;
Un tel raisonnement ne peut plus être suivi depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté ministériel, le ministre ayant désormais désigné expressément le bureau du fonctionnaire auprès duquel les significations doivent être opérées si elles n'ont pas eu lieu à son cabinet ;
Certes, rien n'interdit au ministre de déroger à cette désignation pour une affaire particulière, en désignant un autre bureau que celui qui est mentionné à l'arrêté ministériel ;
Il incombe cependant à la partie qui se prévaut d'une telle désignation d'établir son existence, à défaut de quoi il convient de s'en tenir à la désignation opérée par l'arrêté ministériel ;
Une réorganisation des services fiscaux est intervenue par arrêté du président du comité de direction du 22 juin 2015 portant création de nouveaux services au sein de l'administration générale de la perception et du recouvrement et organisant les services opérationnels de cette même administration générale. Le bureau mentionné lors de la procédure de première instance n'existait plus au moment où la signification litigieuse a été opérée ;
Il n'est pas démontré que le ministre a désigné le bureau ayant repris les attributions du bureau des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée à Tournai comme étant celui auprès duquel la signification du jugement intervenu pouvait intervenir, dérogeant ainsi à l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012 ;
La signification faite le 17 décembre 2015 auprès du receveur du team recouvrement à Tournai 2 ne respecte donc pas la prescription de l'article 42, 1°, du Code judiciaire et n'a pu faire courir le délai d'appel d'un mois ».
Griefs
1.1. L'article 1051, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose que, sous réserve des délais prévus dans des dispositions impératives supranationales et internationales, inexistantes en l'espèce, le délai pour interjeter appel est d'un mois à partir de la signification du jugement.
1.2. Aux termes de l'article 42, 1°, du Code judiciaire, les significations faites à l'État le sont « au cabinet du ministre compétent pour en connaître ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci ».
Cette dernière désignation peut être implicite.
Le ministre qui se fait représenter par un fonctionnaire dans le cadre d'une procédure judiciaire désigne implicitement le bureau de ce fonctionnaire comme bureau auquel une signification à l'État peut valablement être faite dans le cadre de cette procédure et ce, pour aussi longtemps que le ministre n'a pas mis fin à cette représentation (voir, en ce sens, Cass., 15 octobre 2009, Pas., n° 585, à propos de la signification à l'État d'un pourvoi en cassation ; dans cet arrêt, la Cour énonce ce qui suit : « Le défendeur allègue que le pourvoi en cassation qui a été signifié à l'État belge, au service public fédéral des Finances, administration de la taxe sur la valeur ajoutée, de l'enregistrement et des domaines, représenté par l'inspecteur principal du bureau des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée à Bruges, dont le bureau est sis G. Vincke-Dujardinstraat, 4, à Bruges, est irrecevable au motif qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'inspecteur principal du bureau des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée à Bruges était le fonctionnaire désigné par le ministre dans le bureau duquel les significations pouvaient être faites régulièrement à l'État. Aux termes de l'article 42, 1°, du Code judiciaire, les significations à l'État sont faites au cabinet du ministre compétent pour en connaître ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci. Dans la procédure devant les juges d'appel, le ministre des Finances a toujours été représenté par le fonctionnaire mentionné dans le pourvoi en cassation et rien ne permet de penser que, devant la Cour, il a été mis fin à cette représentation. Partant, en l'espèce, la signification du pourvoi en cassation pouvait se faire valablement à l'inspecteur principal du bureau des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée à Bruges. Le pourvoi en cassation est recevable) ».
Première branche
2.1.1. Si, par l'article unique de l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012 désignant le fonctionnaire du service public fédéral des Finances au bureau duquel l'État peut être cité en justice et les significations et notifications faites, le ministre des Finances a décidé que « les citations en justice, les significations et notifications à l'État, service public fédéral des Finances, se font au bureau du directeur du service d'encadrement logistique, Bruxelles, North Galaxy, Tour B, 2e étage, boulevard du Roi Albert II, 33 (bte 971), à Schaerbeek », il ne s'est pas interdit, par cet arrêté, de désigner explicitement ou implicitement un autre bureau pour recevoir les citations en justice, significations et notifications à l'État, et notamment de désigner implicitement à cette fin, dans le cadre d'une procédure judiciaire donnée, le fonctionnaire par lequel il se fait représenter dans le cadre de cette procédure judiciaire.
2.1.2. Une telle interdiction ne se déduit pas davantage de la loi du 23 mars 1999 relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale, qui a complété l'article 42, 1°, du Code judiciaire pour prévoir que les significations à l'État pouvaient également être faites au bureau du fonctionnaire désigné par le ministre compétent. Cette loi n'a en effet ni pour objet ni pour but de centraliser toutes les significations au bureau désigné par arrêté ministériel : les significations à l'État peuvent en tout état de cause être valablement faites au cabinet du ministre (Cass., 25 septembre 2015, Pas., n° 558, à propos de la signification d'un pourvoi en cassation ; cet arrêt énonce : « Le défendeur allègue que le pourvoi en cassation, qui a été signifié à l'État belge, service public fédéral des Finances, au cabinet du ministre des Finances, est irrecevable au motif qu'en vertu de l'article 1er de l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012 désignant le fonctionnaire du service public fédéral des Finances au bureau duquel l'État peut être cité en justice et les significations et notifications faites, cette signification eût dû être faite au bureau du directeur du service d'encadrement logistique, Bruxelles, North Galaxy, Tour B, 2e étage, boulevard du Roi Albert II, 33 (bte 971), à Schaerbeek. En vertu de l'article 42, 1°, du Code judiciaire, les significations sont faites à l'État, au cabinet du ministre compétent pour en connaître ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci. Cette disposition n'impose pas la signification au bureau du fonctionnaire désigné par le ministre compétent ») et l'objectif du législateur n'était pas de centraliser les significations en un lieu unique mais d'éviter un afflux de significations au cabinet du ministre [Jusqu'à la réforme de la procédure fiscale introduite par les lois des 16 et 23 mars 1999, les recours fiscaux en matière d'impôts directs, de loin les plus nombreux en matière fiscale, étaient portés directement devant la cour d'appel par une requête signifiée non au ministre mais au directeur régional qui avait pris la décision sur la réclamation ; le législateur a voulu rencontrer le fait que « la suppression du droit procédural particulier dans les codes fiscaux, y compris des règles qui, en matière de signification et de notification, dérogent au droit commun, signifierait que toutes les significations et notifications en matière fiscale doivent désormais être faites au cabinet du ministre des Finances » (Projet de loi relatif au contentieux en matière fiscale et projet de loi relatif à l'organisation judiciaire en matière fiscale, Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1341/1 et n° 1342/1, p. 34)].
2.2. Par conséquent, en affirmant que, « depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012, l'on ne peut plus considérer que le ministre désigne implicitement le bureau le représentant dans le cadre de la procédure judiciaire comme étant un bureau auquel une signification à l'État peut valablement être faite », l'arrêt attaqué
1° viole l'article unique de cet arrêté en lui attribuant une portée qu'il n'a pas ;
2° s'il doit se comprendre comme ayant fondé cette affirmation sur l'article 42, 1°, du Code judiciaire, viole cette disposition et spécialement son membre de phrase « ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci » en lui attribuant une portée que celle-ci n'a pas.
En se fondant sur cette affirmation pour rejeter la fin de non-recevoir déduite de la tardiveté de l'appel, l'arrêt attaqué ne justifie dès lors pas légalement sa décision (violation de l'article unique de l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012, de l'article 42, 1°, du Code judiciaire et, en tant que de besoin, des autres dispositions visées en tête du moyen).
Seconde branche
3.1. Il ne ressort pas de l'arrêté du président du comité de direction du service public fédéral des Finances du 22 juin 2015 portant création de nouveaux services au sein de l'administration générale de la perception et du recouvrement et organisant les services opérationnels de cette même administration générale qu'il aurait été mis fin, par cet arrêté, à la représentation de l'État par les fonctionnaires qui assuraient cette représentation à la date de l'entrée en vigueur de cet arrêté ou à la désignation implicite du bureau de ces fonctionnaires, le cas échéant transféré à une autre adresse ou regroupé au sein d'un centre régional de recouvrement, comme bureau auquel une signification à l'État peut valablement être faite.
3.2. Par conséquent, s'il doit se comprendre comme contenant une telle affirmation et comme se fondant sur cette affirmation pour rejeter la fin de non-recevoir déduite de la tardiveté de l'appel du défendeur, l'arrêt attaqué viole cet arrêté en lui attribuant une portée que celui-ci n'a pas et ne justifie dès lors pas légalement sa décision (violation dudit arrêté du président du comité de direction du service public fédéral des Finances et, en tant que de besoin, des autres dispositions visées en tête du moyen).
Second moyen
Dispositions légales violées
- articles 33, 37, 105, 108 et 149 de la Constitution ;
- article 703, spécialement alinéa 1er, du Code judiciaire ;
- article 90 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, tel qu'il a été rétabli par la loi-programme du 20 juillet 2006 ;
- principe général du droit de l'attribution des compétences administratives ;
- principe général du droit de l'indisponibilité des compétences administratives.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué rejette la fin de non-recevoir opposée par la demanderesse à l'appel de l'État belge et déduite de ce que la personne qui a signé la requête d'appel, à savoir madame S. v. D., conseiller-directeur bruxellois à l'administration générale de l'inspection spéciale des impôts, assimilée à un conseiller général de la taxe sur la valeur ajoutée, n'avait pas le pouvoir de relever appel au nom de l'État par les motifs suivants :
« L'État belge est une personne morale de droit public et, comme toute personne morale, il agit en justice à l'intervention de ses organes compétents, conformément à l'article 703 du Code judiciaire ;
[...] Le directeur régional (conseiller général) de la taxe sur la valeur ajoutée dispose de pouvoirs importants. En cas de décernement d'une contrainte, elle est visée et rendue exécutoire par le directeur régional (Code de la taxe sur la valeur ajoutée, article 85, § 1er). C'est également le directeur régional qui peut autoriser les fonctionnaires de son administration à porter à la connaissance du procureur du Roi les faits pénalement punissables aux termes des lois fiscales et des arrêtés pris pour leur exécution (Code d'instruction criminelle, article 29, alinéa 2, et Code de la taxe sur la valeur ajoutée, article 74, § 2). C'est ce directeur régional ou le fonctionnaire qu'il désigne qui peut se concerter sur des dossiers concrets avec le procureur du Roi dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale (Code d'instruction criminelle, article 29, alinéa 3), lui communiquer des éléments du dossier fiscal (Code de la taxe sur la valeur ajoutée, article 74ter) et répondre à une demande d'avis (Code de la taxe sur la valeur ajoutée, article 74, § 3). En application de l'article 84bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, le directeur régional peut accorder, dans les cas spéciaux, aux conditions qu'il détermine, l'exonération de tout ou partie des intérêts de retard ;
Eu égard à ce qui précède, il appert que les directeurs régionaux (conseillers généraux) de la taxe sur la valeur ajoutée détiennent une parcelle de l'autorité publique et, comme leurs homologues des contributions directes, sont des organes de l'État. M. v. D., conseiller-directeur régional à l'inspection spéciale des impôts, pouvait dès lors, en qualité d'organe de l'État belge, interjeter l'appel litigieux ».
Griefs
Aux termes de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire, les personnes morales agissent en justice à l'intervention de leurs organes compétents.
Cette disposition s'applique aux personnes morales de droit public et, partant, à l'État belge.
Première branche
Il ne suffit pas, pour être un organe de l'État belge au sens de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire, qu'un fonctionnaire dispose d'une parcelle de la puissance publique ou de l'autorité publique.
Ce critère s'applique certes pour déterminer si un acte ou une abstention d'un fonctionnaire est susceptible d'engager la responsabilité de l'État (Cass., 27 mai 1963, Pas., 1963, I, 1033, et 25 octobre 1951, ibid., 1952, I, 101). Il n'est pas pertinent pour déterminer si un fonctionnaire est un organe de l'État au sens de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire (A. Decroës, « L'action en justice des personnes morales : de la décision d'agir à la comparution », R.G.D.C., 2003, 302). [...]
Par conséquent, en se fondant sur la constatation que les directeurs régionaux (conseillers généraux) de la taxe sur la valeur ajoutée, dont le conseiller-directeur régional de l'inspection spéciale des impôts qui a signé la requête d'appel au nom de l'État, « détiennent une parcelle de l'autorité publique » pour en déduire que ce fonctionnaire est un organe de l'État au sens de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire et que l'appel que ce fonctionnaire a signé au nom de l'État est recevable, l'arrêt attaqué viole cette disposition légale et, partant, ne justifie pas légalement sa décision (violation de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire).
Deuxième branche
Pour qu'une personne agisse valablement en justice au nom d'une personne morale conformément à l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire, il ne suffit pas qu'elle soit un organe de cette personne morale, il faut encore, aux termes de cette disposition, qu'elle soit un organe compétent pour ce faire.
En déduisant de la seule qualité d'organe de l'État du conseiller-directeur régional de l'inspection spéciale des impôts qui a signé la requête d'appel au nom de l'État que l'appel formé par ce dernier est recevable, sans constater que ce fonctionnaire était compétent pour ce faire, l'arrêt attaqué viole cette disposition légale et, partant, ne justifie pas légalement sa décision (violation de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire).
Troisième branche
En vertu du principe général du droit de l'attribution des compétences administratives, lequel découle des articles 33, 37, 105 et 108 de la Constitution, « le pouvoir exécutif, et donc les autorités administratives qui en dépendent, ne jouissent que des compétences qui leur sont spécialement attribuées par la Constitution et les normes législatives portées en exécution de celle-ci » (P. Goffaux, Dictionnaire de droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 2015, 79).
Il en découle que seul le ministre dans les attributions duquel est compris l'objet du litige est en règle compétent pour agir en justice au nom de l'État conformément à l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire (cfr Cass., 30 avril 2009, Pas., n° 290).
Un fonctionnaire, fût-il un organe de l'État au sens de cette disposition légale, n'est compétent pour ce faire que s'il s'est vu valablement, soit déléguer cette compétence par le ministre, soit attribuer cette compétence par une disposition expresse.
En vertu du principe général du droit de l'indisponibilité des compétences administratives, qui découle des articles 33, 37, 105 et 108 de la Constitution, spécialement son article 33, et « impose à chaque autorité administrative d'exercer elle-même les compétences qui lui ont été confiées » (P. Goffaux, op. cit., 316), le ministre des Finances ne peut en principe déléguer à un fonctionnaire une compétence qui lui revient. Par exception à ce principe, une délégation de compétence n'est admise qu'à des conditions très strictes, à savoir qu'elle ne peut porter que sur des questions secondaires et s'impose en raison de l'ampleur des missions dévolues au délégant (P. Goffaux, op. cit., 202).
Aucune disposition légale n'attribue à un conseiller-directeur régional à l'inspection spéciale des impôts, assimilé à un conseiller général de la taxe sur la valeur ajoutée, compétence pour introduire un appel au nom de l'État.
Si l'article 90 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, tel qu'il a été rétabli par l'article 12 de la loi-programme du 20 juillet 2006, dispose que, « dans les contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt, la comparution en personne au nom de l'État peut être assurée par un fonctionnaire d'une administration fiscale », cet article ne vise que la comparution en justice et non la décision d'introduire une action judiciaire ou de former un appel (F. Ledain et J. Laruelle, « Les appels de l'État belge : quand les règles de procédure peuvent l'emporter sur le fond du litige », Act. fisc., 2016, livr. 30, p. 5, relevant qu'« il ne fait aucun doute que les fonctionnaires de l'administration fiscale sont compétents pour comparaître en justice au nom de l'État belge mais en aucun cas pour prendre l'initiative ou décider de l'introduction d'une procédure en justice, que ce soit en [première] instance ou en degré d'appel », et que « cette initiative appartient au seul ministre des Finances » ; voir, dans le même sens, Sv. Sobrie, « De pleitende fiscale ambtenaar : een orgaan ad litem », note sous Anvers, 27 novembre 2011, T.F.R., 2013, 586 et 587, traduction libre : « la cour d'appel délimite ici le statut procédural du fonctionnaire fiscal plaideur : il peut seulement comparaître au sens de l'article 728 du Code judiciaire mais ne dispose pas du droit d'initiative pour entamer une procédure ou pour former un recours » ; « en ce qui concerne le fisc, il n'existe plus depuis 2001 de parallélisme entre l'organe disposant du droit d'initiative (le ministre des Finances) et le droit de comparaître en personne »).
Lorsque le législateur entend attribuer à un fonctionnaire d'une administration fiscale la compétence pour décider d'agir en justice, il le fait expressément. C'est ainsi que l'article 154 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012 prévoit, à la suite de l'arrêt précité de la Cour du 30 avril 2009, que les receveurs du service public fédéral des Finances chargés de la perception ou du recouvrement de créances fiscales sont également compétents pour l'engagement des actions en justice pour le non-paiement de créances fiscales dont la perception ou le recouvrement leur sont confiés et que l'article 155 de ladite loi-programme prévoit que la citation en faillite d'un débiteur de l'État belge peut être introduite par chaque receveur ou par tout autre fonctionnaire du service public fédéral des Finances. Quand bien même il aurait la qualité d'organe, un fonctionnaire ne dispose pas, à défaut d'une disposition expresse en ce sens, de la compétence pour décider d'agir en justice.
Dans son arrêt du 21 juin 1999 (Pas, 1999, I, n° 381), cité par l'arrêt attaqué, la Cour a reconnu au directeur régional des contributions la compétence de former un pourvoi en cassation en matière d'impôt sur les revenus contre l'arrêt de la cour d'appel statuant dans le cadre de la procédure antérieure à la loi de 1999. Cette solution se justifiait en l'espèce par le fait que le directeur était directement partie à la procédure devant la cour d'appel : le recours devant la cour d'appel était dirigé contre sa décision et lui était signifié. Elle ne saurait être transposée à la procédure en matière de taxe sur la valeur ajoutée. En l'espèce, au demeurant, rien n'indique que le fonctionnaire de l'inspection spéciale des impôts qui a signé la requête d'appel soit autrement intervenu dans la procédure.
Seule une délégation de compétence par le ministre des Finances donne dès lors compétence à un conseiller-directeur régional à l'inspection spéciale des impôts, assimilé à un conseiller général de la taxe sur la valeur ajoutée, pour signer une requête d'appel au nom de l'État en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
Loin de constater que le fonctionnaire, conseiller-directeur régional à l'inspection spéciale des impôts, assimilé à un conseiller général de la taxe sur la valeur ajoutée, qui a signé la requête d'appel au nom de l'État aurait reçu une délégation du ministre des Finances pour agir en justice au nom de l'État, l'arrêt attaqué constate au contraire que l'État « ne se prévaut [pas] de ce qu'une délégation aurait été donnée [...] par le ministre des Finances ».
Par conséquent, à supposer qu'il entende que le conseiller-directeur régional à l'inspection spéciale des impôts, assimilé à un conseiller général de la taxe sur la valeur ajoutée, qui a signé la requête d'appel au nom de l'État était un organe compétent pour agir en justice au nom de l'État au sens de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'arrêt attaqué
1° viole les dispositions constitutionnelles, à l'exception de l'article 149 de la Constitution, et méconnaît les principes généraux du droit visés en tête du moyen, en reconnaissant à une personne autre qu'un ministre la compétence pour agir en justice au nom de l'État sans constater que cette personne a reçu une délégation à cette fin du ministre compétent ou s'est vu attribuer cette compétence par une disposition expresse ;
2° viole l'article 90 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée en reconnaissant la compétence d'un fonctionnaire d'une administration fiscale pour introduire un appel au nom de l'État alors que cette disposition ne confère pas un tel pouvoir à ces fonctionnaires ;
3° viole l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire en décidant qu'une personne a valablement introduit un appel au nom de l'État belge alors qu'elle n'avait pas compétence pour ce faire.
L'arrêt attaqué n'est dès lors pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions et méconnaissance de tous les principes généraux du droit visés en tête du moyen).
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l'article 705, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'État est cité au cabinet du ministre dans les attributions duquel est compris l'objet du litige ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci.
L'article 42, 1°, de ce code prévoit que, sans préjudice des règles énoncées à l'article 705, les significations sont faites à l'État, au cabinet du ministre compétent ou au bureau du fonctionnaire désigné par celui-ci.
Le ministre des Finances a, au visa de ces textes, pris le 25 octobre 2012 l'arrêté désignant le fonctionnaire du service public fédéral des Finances au bureau duquel l'État peut être cité en justice et les significations et notifications faites.
En adoptant cette disposition, le ministre des Finances a exclu qu'un autre fonctionnaire puisse être tenu pour avoir été implicitement désigné par lui.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
L'arrêt attaqué ne fait référence à l'arrêté du président du comité de direction du service public fédéral des Finances du 22 juin 2015 portant création de nouveaux services au sein de l'administration générale de la perception et du recouvrement et organisant les services opérationnels de cette même administration générale que pour vérifier si « le bureau ayant repris les attributions du bureau des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée à Tournai » n'avait, par dérogation à l'arrêté ministériel du 25 octobre 2012, pas expressément été désigné par le ministre des Finances pour recevoir la signification litigieuse.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Sur le second moyen :
Quant à la deuxième branche :
Aux termes de l'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire, les personnes morales agissent en justice à l'intervention de leurs organes compétents.
L'arrêt attaqué, qui, par les motifs que le moyen reproduit et critique, considère que le conseiller-directeur régional à l'administration de l'inspection spéciale des impôts qui a signé la requête d'appel a la qualité d'organe de l'État sans vérifier s'il est compétent pour interjeter appel, ne justifie pas légalement sa décision de dire l'appel recevable.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Et il n'y pas lieu d'examiner les autres branches du second moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il dit l'appel recevable pour avoir été interjeté par une personne ayant le pouvoir de le faire au nom de l'État ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Martine Regout, les conseillers Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt et un mars deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.