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28/02/2019 | BELGIQUE | N°F.18.0095.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 28 février 2019, F.18.0095.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.18.0095.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du conseiller général du centre P à Charleroi, dont les bureaux sont établis à Charleroi, rue Jean Monnet, 14 (bte 16), faisant élection de domicile en l'étude de l'huissier de justice Pierre Fontaine, établie à Charleroi, rue du Parc, 19,
demandeur en cassation,

contre

1. R. G.,
ayant pour conseil Maître Stéphane Guchez, avocat au barreau de Charlero

i, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue du Parc, 49, où il est fait élection de domic...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.18.0095.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du conseiller général du centre P à Charleroi, dont les bureaux sont établis à Charleroi, rue Jean Monnet, 14 (bte 16), faisant élection de domicile en l'étude de l'huissier de justice Pierre Fontaine, établie à Charleroi, rue du Parc, 19,
demandeur en cassation,

contre

1. R. G.,
ayant pour conseil Maître Stéphane Guchez, avocat au barreau de Charleroi, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue du Parc, 49, où il est fait élection de domicile,
2. C. C.,
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 décembre 2017 par la cour d'appel de Mons.
Le 8 février 2019, le premier avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et le premier avocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Disposition légale violée

Article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il a été remplacé par l'article 2 de la loi du 22 décembre 2009 portant des dispositions fiscales

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté que « l'appel [...] tend à entendre mettre à néant la décision rendue le 21 août 2012 par le fonctionnaire délégué par le directeur régional des contributions directes à Charleroi », que, « dans sa lettre de réclamation du 10 février 2012, reçue le 13 février 2012 par la direction des contributions à Charleroi, le conseil [du défendeur] a demandé de pouvoir prendre connaissance du dossier administratif et d'être entendu avec son client par le fonctionnaire chargé de l'instruction de la réclamation », que, « si un rendez-vous semble avoir été fixé avec la direction régionale compétente, auquel le conseil du [défendeur] n'a pas pu assister en raison d'une erreur d'agenda (voir sa lettre du 19 juin 2012), il résulte clairement de cette dernière lettre que le contribuable maintenait son désir d'être entendu et de prendre connaissance du dossier administratif, proposant lui-même spontanément plusieurs dates comprises entre le 3 et le 11 juillet 2012 », et qu'« il n'est pas démontré par le fisc qu'il a été donné suite à cette demande de rendez-vous », l'arrêt considère qu'« il y a [...] lieu de prononcer la nullité de la décision directoriale du 21 août 2012 » et décide qu'« il y a dès lors lieu de [...] déclarer non fondée la demande de validation des trois cotisations subsidiaires formulée par l'administration fiscale par voie de conclusions sur pied de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 », au motif, exposé par le défendeur et que la cour d'appel fait sien, que « l'erreur de procédure doit [...] conduire à annuler la décision directoriale litigieuse ex tunc, c'est-à-dire de manière rétroactive ; que, dans [cette] approche, l'annulation a pour effet que la décision directoriale a disparu de l'ordre juridique, est réputée n'avoir jamais existé, et que, partant, la cour d'appel ne pourrait valider une quelconque cotisation subsidiaire en application de l'article 356 [précité], puisque ce dernier implique nécessairement en son premier alinéa qu'‘une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui [fasse] l'objet d'un recours en justice' ».

Griefs

L'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, remplacé par l'article 2 de la loi du 22 décembre 2009 portant des dispositions fiscales, dispose, en son premier alinéa, que, « lorsqu'une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l'objet d'un recours en justice et que le juge prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, la cause reste inscrite au rôle pendant six mois à dater de la décision judiciaire » et que, « pendant ce délai de six mois qui suspend les délais d'opposition, d'appel ou de cassation, l'administration peut soumettre à l'appréciation du juge, par voie de conclusions, une cotisation subsidiaire à charge du même redevable et en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition que la cotisation primitive ».
Une lecture littérale de cet article fait apparaître que, pour qu'une cotisation subsidiaire puisse être soumise à l'appréciation du juge qui prononce la nullité totale ou partielle d'une imposition, il est requis qu'une décision directoriale fasse l'objet d'un recours (« lorsqu'une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l'objet d'un recours en justice »).
Les termes utilisés par le législateur semblent mal choisis, dès l'instant où il est communément admis, depuis la réforme de la procédure organisée par les lois du 15 mars 1999 relative au contentieux en matière fiscale et du 23 mars 1999 relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale, que c'est l'imposition elle-même, et non la décision du directeur des contributions, qui est contestée devant le tribunal de première instance.
L'article 356 doit cependant être lu en combinaison avec les articles 1385decies et 1385undecies du Code judiciaire, lesquels ont été introduits lors de la réforme de la procédure organisée par les lois des 15 et 23 mars 1999 et disposent respectivement que
« Contre l'administration fiscale, et dans les contestations visées à l'article 569, alinéa 1er, 32°, la demande est introduite par requête contradictoire.
Le titre Vbis du livre II de la quatrième partie est d'application, à l'exception des articles 1034ter, 3°, et 1034quater.
Une copie de la décision contestée doit être jointe à chaque exemplaire de la requête ou de la citation, à peine de nullité.
Lorsqu'un recours administratif préalable est organisé par ou en vertu de la loi et que l'autorité administrative n'a pas encore pris de décision, une copie du recours administratif et de l'accusé de réception de ce recours doivent, par dérogation à l'alinéa 3, être joints », et que
« Contre l'administration fiscale, et dans les contestations visées à l'article 569, alinéa 1er, 32°, l'action n'est admise que si le demandeur a introduit préalablement le recours administratif organisé par ou en vertu de la loi.
L'action est introduite au plus tôt six mois après la date de la réception du recours administratif au cas où ce recours n'a pas fait l'objet d'une décision et, à peine de déchéance, au plus tard dans un délai de trois mois à partir de la notification de la décision relative au recours administratif ».
Il ressort en effet de ces articles 1385decies et 1385undecies du Code judiciaire qu'à défaut de décision du directeur des contributions dans un délai de six mois après la date de la réception de sa réclamation (neuf mois en cas de taxation d'office), le réclamant peut introduire son action devant le tribunal de première instance contre l'imposition établie à sa charge et ce, sans attendre plus longtemps la décision du directeur.
Il existe donc, au regard de ces articles 1385decies et 1385undecies du Code judiciaire, des situations où, alors que le contribuable a introduit un recours administratif, il n'y a pas de « décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui [qui] fait l'objet d'un recours en justice » et où le juge, à la suite de l'action introduite devant lui par le contribuable sans attendre que le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui ait adopté une décision, prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition.
Dans ces situations exceptionnelles, il n'y a effectivement aucune possibilité pour l'État, conformément à l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, en l'absence de « décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui [faisant] l'objet d'un recours en justice », de soumettre au juge qui prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition une cotisation subsidiaire.
Ce faisant, si elle fait preuve de laxisme et ne prend pas de décision (de rejet), l'administration est sanctionnée du fait qu'elle perd, si le juge prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, la possibilité de soumettre au juge une cotisation subsidiaire, ce qui est de nature à obliger l'administration, selon les vœux formulés lors des travaux préparatoires à l'origine dudit article 356, à statuer sur la réclamation introduite par le contribuable dans le délai imparti de six ou neuf mois.
Si l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 exige donc, pour qu'une cotisation subsidiaire puisse être soumise à l'appréciation du juge qui prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition, que le contribuable introduise son action après qu'une décision du directeur des contributions a été adoptée et que le juge statue ensuite de cette décision, il n'exige en revanche nullement que cette décision du directeur des contributions soit régulière.
Même si la décision du directeur des contributions est annulée par le juge en raison d'une irrégularité qui affecte sa validité, il n'en demeure pas moins qu'il y a bien eu, conformément audit article 356, une décision du directeur des contributions à la suite de laquelle le contribuable, conformément aux articles 1385decies et 1385undecies du Code judiciaire, a introduit une action devant le tribunal de première instance.
Partant, lorsque, comme en l'espèce, une décision est adoptée sur la réclamation par le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui, si le réclamant introduit, à la suite de cette décision, une action devant le juge et que le juge annule la cotisation dont il est saisi pour une cause autre que la prescription, l'État est en droit, conformément aux termes clairs de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, de soumettre à ce juge une cotisation subsidiaire, quand bien même la décision directoriale viendrait à être annulée, par la suite, en raison d'une irrégularité qui l'affecterait (en l'espèce, méconnaissance du droit d'être entendu et de prendre connaissance du dossier administratif).
En décider autrement revient à ajouter une condition restrictive au texte de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, dont la portée se veut pourtant la plus large possible, comme le confirment les travaux préparatoires de l'article 74bis des anciennes lois coordonnées relatives aux impôts sur les revenus, qui est à l'origine des règles figurant aujourd'hui aux articles 356 et 357 du Code des impôts sur les revenus 1992, en précisant que le législateur estimait qu'il eût été injuste vis-à-vis de la collectivité que l'État fût privé des cotisations qui lui sont légitimement dues « par suite de l'interprétation erronée, quoique compréhensible, du fonctionnaire taxateur » et qu'il était « inadmissible qu'à la faveur d'une erreur d'appréciation, un contribuable puisse éluder l'impôt qu'il doit légitimement » (Projet de loi apportant des modifications : a) aux lois et arrêtés relatifs aux impôts sur les revenus et à la contribution nationale de crise ; b) aux lois et arrêtés relatifs aux taxes spéciales assimilées aux impôts directs, rapport fait au nom de la commission des finances et du budget par M. Tielemans, Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 407, p. 58).
Par conséquent, l'arrêt, qui constate que « l'appel [formé par les défendeurs] tend à mettre à néant la décision rendue le 21 août 2012 par le fonctionnaire délégué par le directeur régional des contributions directes à Charleroi » et que, « par décision du 21 août 2012, le fonctionnaire délégué par le directeur régional des contributions directes à Charleroi rejeta les réclamations [formées par les défendeurs] » et, dès lors, qu'il y a, en l'occurrence, une décision du fonctionnaire délégué par le directeur des contributions qui fait l'objet d'un recours en justice, n'a pu légalement décider de « déclarer non fondée la demande de validation des trois cotisations subsidiaires formulée par l'administration fiscale par voie de conclusions sur pied de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 » au seul motif qu'« il y a [...] lieu de prononcer la nullité de la décision directoriale du 21 août 2012 » (violation de l'article 356, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992).

III. La décision de la Cour

Sur la recevabilité du mémoire en réponse :

En vertu de l'article 1092, alinéa 1er, du Code judiciaire, la réponse au pourvoi se fait par la remise d'un mémoire au greffe de la Cour de cassation.
Le mémoire en réponse du défendeur, qui n'a pas été remis à ce greffe mais y a été envoyé par la poste, est irrecevable.

Sur le moyen :

En vertu de l'article 356, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il s'applique au litige, lorsqu'une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l'objet d'un recours en justice et que le juge prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, la cause reste inscrite au rôle pendant six mois à dater de la décision judiciaire et, pendant ce délai, qui suspend les délais d'opposition, d'appel ou de cassation, l'administration peut soumettre au juge, par voie de conclusions, une cotisation subsidiaire à charge du même redevable et en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition que la cotisation primitive.
Il suit de ses termes que cette disposition s'applique dans tous les cas où le juge est, en matière d'impôt sur les revenus, saisi d'une contestation sur la base de l'article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire après qu'a été rendue une décision statuant sur le recours administratif visé aux articles 1385decies et 1385undecies de ce code.
La circonstance que, statuant sur cette contestation, le juge annule la décision administrative est sans effet sur l'application de l'article 356, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992.
L'arrêt, qui, après avoir décidé « de prononcer la nullité de la décision directoriale du 21 août 2012 », considère que cette annulation « se produit ex tunc, c'est-à-dire de manière rétroactive », qu'elle « a pour effet que la décision directoriale a disparu de l'ordre juridique [et] est réputée n'avoir jamais existé, et que, partant, la cour d'appel ne pourrait valider une quelconque cotisation subsidiaire en application de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 puisque ce dernier article implique nécessairement, en son premier alinéa, qu'‘une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui [fasse] l'objet d'un recours en justice' », viole cette disposition légale.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour,

sans avoir égard au mémoire en réponse,

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la demande en validation des cotisations subsidiaires et sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Condamne le défendeur aux dépens de la signification de son mémoire en réponse ; réserve les autres dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.
Les dépens de la signification du mémoire en réponse taxés à la somme de cent nonante et un euros envers le défendeur.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Martine Regout, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-huit février deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.18.0095.F
Date de la décision : 28/02/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-02-28;f.18.0095.f ?

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