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25/02/2019 | BELGIQUE | N°C.18.0393.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 février 2019, C.18.0393.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.18.0393.F
UNION PROFESSIONNELLE VÉTÉRINAIRE, association sans but lucratif, dont le siège est établi à Nivelles, rue des Frères Grisleins, 11,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

1. S. T.,
défendeur en cassation,
2. STHOD'S, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Frameries, rue Ã

‰mile Vandervelde, 116,
défenderesse en cassation ou, à tout le moins, partie appelée en déclaration d'...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.18.0393.F
UNION PROFESSIONNELLE VÉTÉRINAIRE, association sans but lucratif, dont le siège est établi à Nivelles, rue des Frères Grisleins, 11,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

1. S. T.,
défendeur en cassation,
2. STHOD'S, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Frameries, rue Émile Vandervelde, 116,
défenderesse en cassation ou, à tout le moins, partie appelée en déclaration d'arrêt commun,
représentés par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 24 avril 2017 par la cour d'appel de Mons.
Le 23 janvier 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 23 janvier 2019, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

Articles 2, 3, §§ 1er, [alinéas 1er et 2], 6°, et 2, et 4 de la loi du 28 août 1991 sur l'exercice de la médecine vétérinaire

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt déboute la demanderesse de son action visant à la cessation par le défendeur de procéder au limage des dents des chevaux et, partant, à des diagnostics et traitements buccodentaires, aux motifs que
« Actes contraires aux pratiques honnêtes du marché
Exercice illégal de la médecine vétérinaire
L'article 4 de la loi du 28 août 1991 sur l'exercice de la médecine vétérinaire dispose que nul ne peut exercer la médecine vétérinaire s'il n'est pas médecin vétérinaire ou personne morale vétérinaire inscrit aux tableaux de l'Ordre des médecins vétérinaires ;
Il énonce que les personnes morales vétérinaires n'exercent la médecine vétérinaire que par les personnes physiques habilitées à poser des actes vétérinaires ;
[Le défendeur] est titulaire d'un diplôme de praticien dentaire équin, lequel n'est pas reconnu par les autorités compétentes, de sorte qu'il n'est pas contesté qu'il ne peut pratiquer ce qui relève de la médecine vétérinaire ;
L'article 3, § 1er, de la loi définit l'exercice de la médecine vétérinaire comme consistant dans l'exécution d'un ou de plusieurs actes vétérinaires ;
Il précise que sont des actes vétérinaires
‘1° l'examen de l'état de santé de l'animal en vue de l'établissement d'un diagnostic et, le cas échéant, la délivrance d'une attestation ;
2° le dépistage des maladies chez les animaux ;
3° l'établissement du diagnostic, ce qui implique la recherche des causes d'une perturbation dans la structure anatomique ou dans les fonctions physiologiques de l'animal ;
4° l'établissement et l'application d'un traitement ;
5° la prescription de médicaments pour animaux ;
6° les interventions chirurgicales et dentaires sur les animaux' ;
Son paragraphe 2, 2°, ajoute cependant que ne sont en aucun cas des actes vétérinaires ‘l'entretien habituel des animaux ainsi que la surveillance des modifications anatomiques et physiologiques normales, y compris toutes les interventions externes visant à éviter des états pathologiques' ;
Il convient dès lors d'examiner si les actes reprochés [au défendeur] sont établis, certains étant contestés, et dans l'affirmative s'ils constituent des actes vétérinaires au sens de la loi ou entrent dans le champ d'application de l'article 3, § 2 ;
[...] Limage des dents
Les dents des équidés poussent pendant une partie de leur vie, cette pousse étant compensée par une usure naturelle qui s'exerce lors de la mastication ;
Si l'usure n'est pas suffisante, il se forme des pointes d'émail qui peuvent blesser la bouche du cheval ;
Comme l'a relevé le conseil technique de [la demanderesse], à la suite de la domestication des chevaux et des modifications alimentaires concomitantes, les modes d'abrasion naturelle ont changé ;
Ceci a, selon cet avis, mené à la croyance empirique que le limage dentaire annuel afin d'éliminer ces aspérités potentielles était obligatoire afin de maintenir l'état de santé de l'animal ;
[La demanderesse] fait valoir que les pointes d'émail excessives signalent un état nécessairement pathologique et relèvent de la médecine vétérinaire ;
Elle admet qu'il existe des cas où l'apparition de ces pointes d'émail excessives est simplement due à une mastication insuffisante, elle-même imputable à l'alimentation fournie à l'animal, mais soutient qu'il suffit alors de modifier cette alimentation ;
La cour [d'appel] retient cependant des explications des parties que l'apparition de pointes d'émail excessives est un phénomène courant et considère que leur limage afin d'éviter qu'elles ne blessent la bouche du cheval relève de l'entretien habituel visé à l'article 3, § 2, de la loi ;
Si un technicien dentaire fournit ses services pour ce faire à la demande du propriétaire de l'animal, son intervention doit se limiter à constater la présence de pointes d'émail excessives et à les limer ;
La détermination des causes de ce phénomène et des remèdes pouvant y être apportés relève quant à elle de la consultation d'un vétérinaire ; cela ne justifie cependant pas que ceux-ci aient le monopole du limage ;
[La demanderesse] soutient qu'un entretien habituel devrait pouvoir être réalisé par les détenteurs des animaux eux-mêmes ;
Le texte légal se borne cependant à distinguer les actes réservés aux vétérinaires de ceux qui peuvent être accomplis par les propriétaires ou des tiers choisis par eux ;
À cet égard, l'on peut faire une analogie avec le parage des sabots des chevaux ; ce n'est pas parce que les propriétaires de chevaux font généralement appel pour ce faire à des maréchaux-ferrants qu'il faudrait considérer que cela ne relève pas de l'article 3, § 2, de la loi ;
[La demanderesse] fait valoir que le limage est une intervention intrusive, susceptible, si elle est mal réalisée, de causer des dommages irréversibles à la dentition de l'animal ;
Elle souligne que c'est particulièrement le cas en cas d'utilisation de râpes électriques ou de râpages pratiqués à l'aveugle ;
Toutefois, ce n'est pas parce qu'un dommage est susceptible d'être causé en cas d'exécution fautive par le prestataire de services qu'il faut en déduire que l'acte est réservé aux vétérinaires ;
L'analogie avec l'intervention d'un maréchal-ferrant est à nouveau pertinente : une intervention mal réalisée peut sérieusement blesser le pied du cheval mais il ne s'en déduit pas pour autant qu'il faudrait recourir à un vétérinaire pour le parage des sabots des chevaux ou la pose de fers ;
[La demanderesse] critique la pratique du ‘bit-seat' (siège de mors), consistant à réduire de manière agressive en biais les secondes prémolaires afin d'y créer une assise pour le mors ; cette pratique, condamnable puisqu'elle suppose une intervention sur la dent elle-même et pas seulement sur les pointes d'émail excessives, ne remet toutefois pas en question le limage ;
[La demanderesse] soutient encore qu'il ne peut être question d'entretien habituel dès lors que la pousse des dents des chevaux ne se poursuit pas durant toute leur vie et que le râpage porte ainsi atteinte au ‘capital dentaire' du cheval ;
On ne peut cependant limiter l'entretien habituel à celui qui serait nécessaire durant toute la vie de l'animal ; l'on peut en effet concevoir que des actes soient nécessaires uniquement pour de très jeunes animaux ou au contraire pour des animaux très âgés ;
Le fait que les dents des chevaux cessent de pousser à un certain âge ne supprime pas la nécessité, lorsque l'animal est plus jeune, d'éliminer, dans le cadre de son entretien habituel, les pointes d'émail excessives qui sont susceptibles de le blesser ;
[La demanderesse] relève que [le défendeur] a parfois recours à une sédation administrée par un vétérinaire ; cet élément n'est pas déterminant, la sédation n'étant qu'une précaution visant à tranquilliser l'animal lors d'une première intervention ;
[La demanderesse] fait encore état d'avancées scientifiques en soutenant que l'évolution des connaissances remet en cause le recours systématique au râpage et souligne les risques liés à cette pratique ;
Cette évolution des connaissances ne permet cependant pas de considérer à ce stade que le râpage des pointes d'émail excessives ne devrait plus être considéré comme entrant dans le champ de l'article 3, § 2, de la loi et qu'il devrait s'agir d'un acte réservé aux seuls vétérinaires ;
L'on rappellera surabondamment que [le défendeur] fait quant à lui état d'une évolution dans des pays voisins, allant dans le sens de la reconnaissance des techniciens dentaires et confirmant qu'ils sont autorisés à pratiquer un tel acte ;
C'est encore en vain que [la demanderesse] fait état d'une maltraitance, non démontrée, pour s'opposer par principe à un limage non réalisé par un vétérinaire ;
C'est dès lors à raison et par de judicieux motifs que le premier juge a statué comme il l'a fait ;
[...] Il n'y a donc aucun lien contractuel entre le vétérinaire et ce propriétaire, de sorte que c'est [le défendeur] qui supporte la responsabilité contractuelle pour des actes vétérinaires qui lui sont pourtant interdits ».

Griefs

L'article 2 de la loi du 28 août 1991 dispose que la médecine vétérinaire a notamment « pour objet d'apprécier, de maintenir, de modifier ou de rétablir la structure anatomique ou les fonctions physiologiques de l'animal ».
En vertu de l'article 4 de ladite loi, nul ne peut exercer la médecine vétérinaire s'il n'est pas médecin vétérinaire ou personne morale vétérinaire inscrit aux tableaux de l'Ordre des médecins vétérinaires.
L'article 3, § 1er, de la même loi précise que l'exercice de la médecine vétérinaire consiste dans l'exécution d'un ou plusieurs actes vétérinaires et répute « acte vétérinaire » : « 6° les interventions chirurgicales et dentaires sur les animaux ».
Cette disposition précise en son paragraphe 2 que « ne sont en aucun cas des actes vétérinaires : [...] 2° l'entretien habituel des animaux ainsi que la surveillance des modifications anatomiques et physiologiques normales, y compris les interventions externes visant à éviter des états pathologiques ».
Il se déduit de ces dispositions que toute intervention dentaire intrusive, risquant de causer des dommages irréversibles si elle est mal exécutée, n'est pas une intervention externe ressortissant à la surveillance des modifications anatomiques normales et destinée à éviter des états pathologiques et, partant, n'est pas un acte visé à l'article 3, § 2, de la loi mais un acte de médecine vétérinaire visé à l'article 3, § 1er.
Dans ses conclusions, la demanderesse faisait valoir que toute intervention dentaire est réputée acte vétérinaire par la loi, que ces interventions doivent en effet faire l'objet de précautions médicales compte tenu notamment du risque de bactériémie qu'elles font courir à l'animal, que toute intervention dentaire est un traitement, que la science démontre que le phénomène d'apparition de pointes excessives ou excroissances d'émail est « anormal ou consécutif à une pathologie ou à un trouble anatomique ou fonctionnel préexistant », qu'elles ne peuvent « être qualifiées de normales », en sorte que le râpage ne peut être considéré comme un acte d'entretien habituel qui s'inscrit dans la surveillance des modifications normales de la dentition.
Elle ajoutait que le râpage est bien une intervention dentaire réservée aux vétérinaires, s'agissant d'une intervention requérant que soit administrés des sédatifs ou autres tranquillisants pour permettre à l'intervenant d'agir et d'une « intervention intrusive dans la bouche du cheval, susceptible d'atteindre à la fois l'intégrité des muqueuses (accident de râpage), les structures innervées de la dent mais aussi la pulpe, partie vivante de la dent [...], et ce, à partir de deux millimètres à peine de la surface, en cas de râpage excessif mais aussi de surchauffe de la dent lors de l'utilisation non contrôlée de matériel motorisé » et qu'il « en découle un important risque d'exposition de la pulpe et de dommages irréversibles à cette partie de la dent », que le râpage intempestif porte en réalité atteinte « au capital dentaire » du cheval - limité, contrairement aux sabots - pour en déduire à nouveau qu'il n'est donc ni un acte « d'entretien habituel », relevant de la surveillance de modifications normales, ni une intervention externe visant à éviter des états pathologiques.
L'arrêt, qui, sans dénier que le râpage ou limage des pointes d'émail excessives est une « intervention intrusive, susceptible, si elle est mal réalisée, de causer des dommages irréversibles à la dentition de l'animal », considère que cette opération relève de l'entretien habituel visé à l'article 3, § 2, de la loi du 28 août 1991 et, partant, qu'il ne s'agit pas d'une intervention dentaire au sens de l'article 3, § 1er, 6°, de ladite loi, réservée aux seuls vétérinaire, aux motifs que « l'apparition des pointes d'émail excessives est un phénomène courant », que « leur limage » est une « nécessité lorsque l'animal est plus jeune », « afin d'éviter qu'elles ne blessent la bouche de l'animal », et que « ce n'est pas parce qu'un dommage est susceptible d'être causé en cas d'exécution fautive par le prestataire de services qu'il faut en déduire que l'acte est réservé aux vétérinaires », viole l'article 3, § 1er, 6°, de la loi du 28 août 1991 et, par conséquent, l'article 2 de ladite loi.
III. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée d'office au pourvoi par le ministère public, conformément à l'article 1097 du Code judiciaire, et déduite de ce que la défenderesse n'était pas partie à la décision attaquée :

Il ressort de l'arrêt et des pièces de la procédure que la société privée à responsabilité limitée Sthod's n'était pas présente à la cause devant la cour d'appel.
La fin de non-recevoir est fondée.

Sur le surplus du pourvoi :

Sur le moyen :

Aux termes de l'article 3, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 28 août 1991 sur l'exercice de la médecine vétérinaire, l'exercice de la médecine vétérinaire consiste dans l'exécution d'un ou de plusieurs actes vétérinaires.
En vertu de l'article 3, § 1er, alinéa 2, 6°, de cette loi, les interventions chirurgicales et dentaires sur les animaux sont, pour l'application de celle-ci, des actes vétérinaires.
Suivant l'article 3, § 2, 2°, de la même loi, ne sont, pour son application, en aucun cas des actes vétérinaires, l'entretien habituel des animaux ainsi que la surveillance des modifications anatomiques et physiologiques normales, y compris toutes les interventions externes visant à éviter des états pathologiques.
L'arrêt énonce que « les dents des équidés poussent pendant une partie de leur vie, cette pousse étant compensée par une usure naturelle qui s'exerce lors de la mastication », que, « si l'usure n'est pas suffisante, il se forme des pointes d'émail qui peuvent blesser la bouche du cheval », que leur apparition « est un phénomène courant » et que « le fait que les dents des chevaux cessent de pousser à un certain âge ne supprime pas la nécessité, lorsque l'animal est plus jeune, d'éliminer [...] les pointes d'émail excessives qui sont susceptibles de le blesser ».
En considérant que le limage ou râpage de ces pointes d'émail afin d'éviter qu'elles ne blessent la bouche du cheval « relève de l'entretien habituel visé à l'article 3, § 2, [2°], de la loi » et peut dès lors être accompli par un « technicien dentaire » pourvu que son intervention se limite « à constater la présence de pointes d'émail excessives et à les limer », à l'exclusion de « la détermination des causes de ce phénomène et des remèdes pouvant y être apportés », qui « relève de la consultation d'un vétérinaire », l'arrêt fait une exacte application des dispositions légales précitées.
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur la demande en déclaration d'arrêt commun :

Le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêt commun.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d'arrêt commun ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de huit cent vingt-cinq euros nonante et un centimes envers la partie demanderesse.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-cinq février deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0393.F
Date de la décision : 25/02/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-02-25;c.18.0393.f ?

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