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07/02/2019 | BELGIQUE | N°C.18.0181.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 février 2019, C.18.0181.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.18.0181.F
COMMUNE DE PECQ, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Pecq, rue des Déportés, 10,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait élection de domicile,

contre

G. H.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 4 décembre 2017 par le tribunal de prem

ière instance du Hainaut, statuant en degré d'appel.
Le président de section Christian Storck a fait r...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.18.0181.F
COMMUNE DE PECQ, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Pecq, rue des Déportés, 10,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait élection de domicile,

contre

G. H.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 4 décembre 2017 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d'appel.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation ;
- articles 1319, 1320, 1322 et 1998, alinéa 2, du Code civil ;
- articles 848, alinéas 1er et 3, 1051 et 1133, 6°, du Code judiciaire.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué déclare l'appel de la demanderesse irrecevable par les motifs suivants :
« [La demanderesse produit] la décision de son conseil communal du 26 septembre 2016, laquelle se réfère à l'article L1242-1 [du Code de la démocratie locale et de la décentralisation] et vise la décision du collège communal du 22 août 2016, qui n'est pas produite ;
Cette décision du 26 septembre 2016 porte qu'il appartient [au conseil communal] de donner l'autorisation d'ester en justice. Il est décidé, selon l'article 1er, ‘d'autoriser le collège communal à ester en justice dans le cadre du dossier opposant la commune à l'exploitant [qui a] supprimé un chemin existant depuis plus de trente ans sur une parcelle sise à O. et reliant [ce] village au rivage de L.' ;
Il échet de constater que :
- la décision d'autoriser la commune à ester en justice comme demanderesse, en l'espèce, plus précisément, comme appelante (elle était partie défenderesse originaire), est postérieure au dépôt de la requête d'appel du 12 septembre 2016 alors qu'elle devait le précéder en vertu de l'article L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation ;
- l'objet de la décision du conseil communal, tel qu'il est repris à l'article 1er, n'est pas conforme à l'objet du litige, [le défendeur] n'ayant pas ‘supprimé' le chemin [litigieux] mais ayant fait obstruction ou entrave afin que [ce] chemin ne soit plus emprunté ;
- le délai d'appel, qui court à dater de la signification du jugement entrepris, soit le 26 [lire : 29] septembre 2016, est expiré, de sorte que la commune serait forclose pour déposer une nouvelle requête d'appel, cette fois postérieure, comme il se doit, à l'autorisation du conseil communal du 26 septembre 2016 ».

Griefs

Première branche

1. L'article L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation dispose que « toutes autres actions dans lesquelles la commune intervient comme demanderesse ne peuvent être intentées par le collège qu'après autorisation du conseil communal ».
2. Il découle des articles 1998, alinéa 2, du Code civil, 848, alinéas 1er et 3, et 1133, 6°, du Code judiciaire que la personne morale peut, avant l'expiration du délai préfix ou du délai de prescription auquel est sujette l'action, ratifier l'initiative prise par son organe incompétent. Sous réserve de ne pas préjudicier aux droits acquis par les tiers, la ratification rétroagit au moment de l'introduction de l'action, qu'elle rend recevable.
3. Il ressort du jugement attaqué que le jugement entrepris a été signifié à la demanderesse le 12 [lire : 29] septembre 2016 et que le conseil communal a autorisé le collège communal à ester en justice par décision du 26 septembre 2016, soit avant l'expiration du délai d'appel (décision qui a été remise au tribunal avant la clôture des débats).
Cette décision doit être considérée comme la ratification par le conseil communal de l'appel interjeté le 12 septembre 2016 par le collège communal contre le jugement entrepris. Elle ne préjudicie pas à un droit acquis par le défendeur, étant donné qu'elle a été prise avant l'écoulement du délai d'appel.
C'est dès lors en violation des articles L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, 1998, alinéa 2, du Code civil, 848, alinéas 1er et 3, et 1133, 6°, du Code judiciaire que le jugement attaqué décide que l'appel de la demanderesse est irrecevable au motif que la décision d'autoriser la demanderesse d'ester en justice est postérieure au dépôt de la requête d'appel le 12 septembre 2016.
En effet, contrairement à ce que décide le jugement attaqué, cette décision ne devait pas précéder le dépôt de la requête d'appel. Elle pouvait être prise ultérieurement mais avant l'expiration du délai d'appel.

Deuxième branche

1. La décision que l'appel de la demanderesse est irrecevable repose également sur le motif que l'objet de la décision du conseil communal du 26 septembre 2016, tel qu'il est repris en son article 1er, n'est pas conforme à l'objet du litige.
Cet article « autorise le collège communal à ester en justice dans le cadre du dossier opposant la commune à l'exploitant [qui a] supprimé un chemin existant depuis plus de trente ans sur une parcelle sise à O. et reliant [ce] village au rivage de L. ».
D'après le jugement attaqué, le défendeur n'a pas « supprimé » le chemin litigieux mais a fait obstruction ou entrave afin que ce chemin ne soit plus emprunté.
2. Il ressort toutefois de la lecture de l'ensemble de la décision du conseil communal que l'autorisation d'ester en justice vise « le jugement défavorable (pour la commune) rendu par le juge de paix le 12 juillet 2016 », qui fait suite à « la citation du 20 avril 2015 de la commune devant le juge de paix sollicitée par [le défendeur] ».
Même si l'objet du litige porte sur une entrave ou une obstruction quant à l'utilisation du chemin litigieux et non sur la suppression de ce chemin, ceci ne modifie en rien l'existence d'une autorisation donnée par le conseil communal d'introduire un appel contre le jugement du juge de paix du 12 juillet 2016.
En décidant autrement, le jugement attaqué méconnaît l'article L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation. Ni cette disposition légale ni aucune autre n'exige pour la régularité d'une autorisation du conseil communal d'ester en justice une description exacte de l'objet du litige, de sorte qu'une (éventuelle) erreur quant à l'objet du litige, tel qu'il est mentionné dans cette autorisation, ne peut affecter la validité de celle-ci.

Troisième branche

S'il est exact que l'objet du litige porte sur une entrave ou une obstruction du défendeur à l'utilisation du chemin litigieux, cette entrave ou cette obstruction équivaut à la suppression de ce chemin par le défendeur à l'endroit de l'entrave ou de l'obstruction.
En décidant que « l'objet de la décision du conseil communal du 26 septembre 2016, tel qu'il est repris en son article 1er, n'est pas conforme à l'objet du litige, [le défendeur] n'ayant pas ‘supprimé' le chemin litigieux mais ayant fait obstruction ou entrave afin que [ce] chemin ne soit plus emprunté », le jugement attaqué méconnaît la foi due à la décision du conseil communal du 26 septembre 2016 car, en entravant ou en faisant obstruction à l'utilisation du chemin litigieux, le défendeur a supprimé ce chemin à l'endroit de l'entrave ou de l'obstruction (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Quatrième branche

Le fait que la demanderesse serait forclose du droit de déposer une nouvelle requête d'appel étant donné que le délai d'appel est expiré ne peut en aucun cas entacher la recevabilité de l'appel qui a été introduit dans le respect de l'article L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation et avant l'expiration du délai d'appel prévu à l'article 1051 du Code judiciaire.
Si la décision est fondée sur ce fait, elle viole ces dispositions légales.

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Si, conformément à l'article L1242-1, alinéa 1er, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, le collège communal répond en justice à toute action intentée à la commune, intente les actions en référé et les actions possessoires, et fait tous actes conservatoires ou interruptifs de la prescription et des déchéances, toutes autres actions dans lesquelles la commune intervient comme demanderesse ne peuvent, aux termes du second alinéa de cette disposition, être intentées par le collège qu'après autorisation du conseil communal.
L'autorisation d'ester en justice peut être donnée par le conseil communal au collège communal jusqu'à la clôture des débats.
L'article 703, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose que les personnes morales agissent en justice à l'intervention de leurs organes compétents.
Le défaut de pouvoir de l'organe qui intervient pour la personne morale affecte la recevabilité de l'action en raison de l'absence de qualité de cet organe.
Il découle toutefois des articles 1998, alinéa 2, du Code civil et 848, alinéas 1er et 3, du Code judiciaire que la personne morale peut, avant l'expiration du délai préfix ou du délai de prescription auquel est sujette l'action, ratifier l'initiative prise par son organe incompétent.
Sous réserve de ne pas préjudicier aux droits acquis par les tiers, la ratification rétroagit au moment de l'introduction de l'action, qu'elle rend recevable.
Le jugement attaqué constate que le jugement entrepris a été signifié le 29 septembre 2016 à la demanderesse, qui en avait déjà relevé appel le 12 septembre 2016 en exécution d'une décision du collège communal du 22 août 2016, et que le conseil communal a donné le 26 septembre 2016 au collège communal l'autorisation de former ce recours.
En considérant, pour dire l'appel irrecevable, que « la décision d'autoriser la [demanderesse] à ester en justice [...] est postérieure au dépôt de la requête d'appel [...], alors qu'elle devait le précéder au vœu de l'article L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation », le jugement attaqué viole cette disposition légale ainsi que les articles 1998, alinéa 2, du Code civil et 848, alinéas 1er et 3, du Code judiciaire.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Quant à la deuxième branche :

L'article 1242-1, alinéa 2, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation ne frappe pas d'irrecevabilité le recours introduit par une commune sur la base d'une autorisation du conseil communal qui décrit inexactement l'objet du litige, pourvu qu'il n'existe pas d'ambiguïté sur le litige que concerne l'autorisation.
Le jugement attaqué constate que le conseil communal a autorisé le collège communal à « ester en justice dans le cadre du dossier opposant [la demanderesse] à l'exploitant [qui a] supprimé un chemin existant depuis plus de trente ans sur une parcelle sise à O. et reliant [ce] village [...] au rivage de L. ».
Le jugement attaqué, qui, pour dire l'appel irrecevable, considère que l'objet de l'autorisation « n'est pas conforme à l'objet du litige, [le défendeur] n'ayant pas ‘supprimé' le chemin [litigieux] mais ayant fait obstruction ou entrave afin que [ce] chemin ne soit plus emprunté », sans constater qu'il en serait résulté une ambiguïté sur le litige que concerne l'autorisation, viole la disposition légale précitée.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Et la cassation du jugement attaqué entraîne l'annulation du jugement rendu le 7 mai 2018, qui en est la suite.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué ;
Annule le jugement du 7 mai 2018 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé et du jugement annulé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant le tribunal de première instance du Brabant wallon, siégeant en degré d'appel.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du sept février deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0181.F
Date de la décision : 07/02/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-02-07;c.18.0181.f ?

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