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14/01/2019 | BELGIQUE | N°S.18.0032.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 janvier 2019, S.18.0032.F


N° S.18.0032.F
ÉTAT BELGE, service public fédéral de la sécurité sociale - direction générale des indépendants, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50/120, et représenté par le ministre des Classes moyennes, des Indépendants, des Petites et moyennes entreprises, de l'Agriculture et de l'Intégration sociale, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, avenue de la Toison d'Or, 87,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxell

es, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,

contre

1. É. V. ...

N° S.18.0032.F
ÉTAT BELGE, service public fédéral de la sécurité sociale - direction générale des indépendants, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50/120, et représenté par le ministre des Classes moyennes, des Indépendants, des Petites et moyennes entreprises, de l'Agriculture et de l'Intégration sociale, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, avenue de la Toison d'Or, 87,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,

contre

1. É. V. D.,
2. V. D. - .L., société privée à responsabilité limitée,
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 6 avril 2017 par la cour du travail de Mons.
Le 13 décembre 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

En vertu des articles 12 et 15 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, les travailleurs indépendants assujettis sont redevables des cotisations annuelles exprimées par un pourcentage des revenus professionnels visés à l'article 11, dues par quart dans le courant de chaque trimestre civil, et les personnes morales sont solidairement responsables des cotisations dues par leurs associés et mandataires.
Suivant l'article 17, alinéa 1er, du même arrêté royal, les travailleurs indépendants qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin peuvent demander une dispense des cotisations dues en vertu de l'article 12 en s'adressant à la commission visée à l'article 22.
Cet article 22, alinéas 1er et 2, dans la version applicable au litige, prévoit qu'il est instauré auprès du service public fédéral de la Sécurité sociale une commission des dispenses de cotisations chargée de statuer, sans appel, sur les demandes de dispense de cotisations introduites par les assujettis visés à l'article 17.
Les articles 17 et 22 précités réservent à la commission des dispenses de cotisations le pouvoir discrétionnaire d'apprécier l'état de besoin du travailleur indépendant.
Il s'ensuit que le tribunal du travail, saisi de la contestation par le travailleur indépendant du refus de la commission de lui accorder la dispense demandée, contrôle la légalité de cette décision mais ne peut se substituer à la commission pour apprécier l'état de besoin de celui-ci.
L'arrêt considère que, dans le cadre de la mission conférée par l'article 17 de l'arrêté royal n° 38, la commission des dispenses des cotisations n'a « pas de pouvoir discrétionnaire » et que le tribunal du travail saisi d'un recours contre sa décision dispose d'une « compétence de pleine juridiction » avec un « pouvoir de substitution » de sorte qu'il doit statuer « sur l'existence ou non d'un état de besoin ou d'un état proche de l'état de besoin » du travailleur indépendant. L'arrêt décide ensuite que le défendeur « se trouvait bien dans un état de besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin, au regard de sa situation financière obérée, encore compliquée par un divorce », pendant les deux premiers trimestres de l'année 2010, l'année 2011 et le premier trimestre de l'année 2012.
En statuant de la sorte, l'arrêt viole les articles 17 et 22 de l'arrêté royal n° 38.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il joint les causes, dit les appels principaux et incidents recevables et statue sur les frais de défense ou les indemnités de procédure devant le Conseil d'État ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du quatorze janvier deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange Chr. Storck


REQUÊTE EN CASSATION

Pour : L'Etat belge, Service Public Fédéral Sécurité Sociale - Direction Générale Indépendants, dont les bureaux sont établis à 1000 Bruxelles, Boulevard du Jardin Botanique, 50/120, et représenté, poursuites et diligences, par le Ministre des Classes Moyennes, des Indépendants, des PME, de l'Agriculture et de l'Intégration sociale, dont le cabinet est établi à 1060 Bruxelles, avenue de la Toison d'Or, 87 ;

Demandeur en cassation,

Assistée et représentée par Madame Michèle Grégoire, avocate à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi rue de la Régence, 4, à 1000 Bruxelles, chez qui il est fait élection de domicile ;

Contre : 1. E V. D.,

2. La S.P.R.L. V. D.-L,

Défendeurs en cassation.

*

* *

A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,

Mesdames,
Messieurs,

Le demandeur a l'honneur de déférer à Votre Censure l'arrêt rendu contradictoirement entre les parties les 6 avril 2017 par la 6ème chambre de la cour du travail de Mons, portant les numéros de rôle général 2015/AM/107 et 2015/AM/108 (ci-après, « l'arrêt attaqué ») dans les circonstances suivantes.

I. LES FAITS DE LA CAUSE ET LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE

1. Le litige est relatif au pouvoir dévolu aux juridictions du travail dans le cadre d'un recours introduit à l'encontre d'une décision de la Commission des dispenses de cotisations sociales.

2. Monsieur V. D. est gérant unique et associé majoritaire de la SPRL V. D. Celui-ci a la qualité de travailleur indépendant et, à ce titre, est en principe redevable de cotisations dans ce régime.

La SPRL V. D. est engagée sur la base de la solidarité légale prévue par l'article 15, §1er, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants.

3. Par courrier du 9 décembre 2010, Monsieur V. D. demanda la dispense des cotisations trimestrielles à partir du 1er trimestre 2010 et par courrier du 27 janvier 2011, la SPRL V. D., solidairement tenue, demanda la levée de responsabilité solidaire pour ces mêmes cotisations trimestrielles.

Suite à un accusé de réception de Partena, Monsieur V. D. compléta et communiqua, le 18 janvier 2011, le formulaire de renseignements A-1, dans lequel il faisait état de la situation économique de son entreprise ainsi que de son divorce long et coûteux en joignant une série de documents. La SPRL V. D. exposa quant à elle, dans le formulaire A complété le 27 juin 2011, l'origine des problèmes financiers rencontrés ainsi que les mesures prises jusqu'alors pour y remédier. La société annexa à ce formulaire la balance fournisseurs arrêtée le 31 octobre 2010.

4. Suite à la convocation du 28 février 2012, le conseil des débiteurs de cotisations communiqua un dossier commun complémentaire et, en date du 25 avril 2012, la Commission des dispenses de cotisations rendit deux décisions motivées.

La première concernait Monsieur V. D. et « (...) Accorde la dispense pour les cotisations trimestrielles ci-après : du 3/2010 jusque et y compris 4/2010 ; Refuse la dispense pour les cotisations trimestrielles ci-après : du 1/2010 jusque et y compris 2/2010 (et) du 1/2011 jusque et y compris 1/2012 ». La seconde concernait la SPRL V. D. et « Accorde la levée de responsabilité solidaire pour les cotisations trimestrielles ci-après : du 3/2010 jusque et y compris 4/2010 ; Refuse la levée de responsabilité solidaire pour les cotisations trimestrielles ci-après : du 1/2010 jusque et y compris 2/2010 (et) du 1/2011 jusque et y compris 1/2012 ».

5. Par requêtes déposées le 21 juin 2012, Monsieur V. D. et la SPRL V. D. demandèrent l'annulation partielle de ces décisions devant le Conseil d'Etat.

Par deux arrêts identiques du 22 octobre 2013, le Conseil d'Etat énonça que « un arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2013 (...) a jugé que le Conseil d'Etat était sans compétence pour connaître d'un recours en annulation dirigé contre une décision administrative relative à des dispenses de cotisations sociales des travailleurs indépendants car, en vertu de l'article 581, 1° du Code judiciaire, cette contestation relève de la compétence matérielle du tribunal du travail, et, partant, du pouvoir de juridiction des cours et tribunaux ».

6. Par deux requêtes contradictoires du 29 novembre 2013, Monsieur V.D. et la SPRL V. D. introduisirent deux procédures devant le tribunal du travail de Mons et de Charleroi.

Nonobstant cette contestation, la caisse d'assurances sociales entama les démarches nécessaires afin que les cotisations litigieuses soient payées.

Par deux jugements du 18 février 2015, le tribunal du travail de Mons et de Charleroi :

(i) déclara la demande d'annulation partielle recevable et fondée ;

(ii) annula la décision litigieuse du 25 avril 2012 en ce qu'elle n'accorde pas la levée de responsabilité solidaire pour les cotisations sociales au statut des travailleurs indépendants dues par son gérant unique, E. V. D., pour la période allant du 1er trimestre 2010 au 2ème trimestre de 2010 inclus ainsi que du 1er trimestre 2011 au 1er trimestre de 2012 inclus ;

(iii) condamna la partie défenderesse aux dépens de l'instance liquidés à 3.000 euro pour la partie demanderesse ;

(iv) ordonna l'exécution provisoire du jugement nonobstant tout recours et sans caution.

7. Par requête déposée le 17 mars 2015, le SPF Sécurité Sociale sollicita la réformation de la décision susmentionnée.

Par l'arrêt attaqué, la cour du travail de Mons :

(i) déclare les appels principaux recevables ;

(ii) joint pour cause de connexité les affaires inscrites au rôle général sous les
n° 2015/AM/107 et 2015/AM/108 ;

(iii) déclare les appels principaux dépourvus de fondement,

(iv) déclare les appels incidents recevables, et fondés dans la mesure précisée
ci-après,

(v) dit qu'au cours de la période à prendre en considération allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris les 2ème trimestre 2010, et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012, Monsieur V. D. se trouvait également dans un état de besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin, en manière telle qu'il y a lieu de dire la contestation relative à la demande de dispense de cotisations et à la levée de la solidarité pour cette période-là,

(vi) annule les deux décisions prises par la commission des dispenses de cotisations en date du 25 avril 2012, en ce qu'elles n'ont pas accordé la dispense ainsi que la levée de la solidarité pour la période allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris le 2ème trimestre 2010, et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012,

(vii) vu la compétence de pleine juridiction en la matière, dit que la dispense de cotisations et la levée de solidarité doivent également être accordées aux parties intimées, conformément à l'objet de leur appel incident, pour la période allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris le 2ème trimestre 2010, et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012,

(viii) réforme dans cette mesure le jugement déféré, et le confirmant pour le reste, déboute les parties intimées du surplus de leur appel incident ayant trait à la demande de condamnation au remboursement des cotisations ainsi qu'aux frais de défense ou indemnités de procédure devant le Conseil d'Etat,

(ix) condamne le SPF Sécurité Sociales aux dépens limités à la somme totale de 348,12 euros pour les deux instances.

À l'encontre de l'arrêt attaqué, le demandeur fait valoir le moyen unique de cassation suivant.

II. MOYEN UNIQUE DE CASSATION

A. DISPOSITIONS LÉGALES DONT LA VIOLATION EST INVOQUÉE

- Articles 17 et 22 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, tel qu'il était en vigueur avant sa modification par la loi du 25 avril 2014 portant dispositions diverses en matière de sécurité sociale, et, pour autant que de besoin, également tel qu'il est en vigueur après cette modification (ci-après « l'arrêté royal n° 38 ») ;
- Article 581, 1° du Code judiciaire ;
- Articles 144, 145 et 159 de la Constitution ;
- Principe général du droit de la séparation des pouvoirs, consacré par les articles 33 à 51 de la Constitution.

B. DÉCISION ATTAQUÉE ET MOTIFS CRITIQUÉS

1. L'arrêt attaqué :

« Déclare les appels principaux recevables ;

Joint pour cause de connexité les affaires inscrites au rôle général sous les
n° 2015/AM/107 et 2015/AM/108 ;

Déclare les appels principaux dépourvus de fondement,

Déclare les appels incidents recevables, et fondés dans la mesure précisée ci-après,

Dit qu'au cours de la période à prendre en considération allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris les 2ème trimestre 2010, et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012, Monsieur V. D. se trouvait également dans un état de besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin, en manière telle qu'il y a lieu de dire la contestation relative à la demande de dispense de cotisations et à la levée de la solidarité pour cette période-là,

Annule les deux décisions prises par la commission des dispenses de cotisations en date du 25 avril 2012, en ce qu'elles n'ont pas accordé la dispense ainsi que la levée de la solidarité pour la période allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris le 2ème trimestre 2010, et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012,

Vu la compétence de pleine juridiction en la matière, dit que la dispense de cotisations et la levée de solidarité (doivent) également être accordées aux parties intimées, conformément à l'objet de leur appel incident, pour la période allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris le 2ème trimestre 2010, et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012,

Réforme dans cette mesure le jugement déféré, et le confirmant pour le reste, déboute les parties intimées du surplus de leur appel incident ayant trait à la demande de condamnation au remboursement des cotisations ainsi qu'aux frais de défense ou indemnités de procédure devant le Conseil d'Etat,

Condamne le SPF Sécurité Sociales aux dépens limités à la sommes totales de
348,12 euros pour les deux instances » (voir pages 19 et 20 de l'arrêt attaqué).

2. L'arrêt attaqué repose sur l'ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et spécialement sur les motifs suivants :

« V-2-2 La compétence des juridictions sociales

L'arrêté royal n° 38 du 27.07.1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants précise en son article 17 que : « Les travailleurs indépendants, qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin, peuvent demander dispense totale ou partielle des cotisations dues en vertu des articles 12, §1er et 13, en s'adressant à la Commission visée à l'article 22. Les travailleurs indépendants qui demandent une dispense des cotisations visées dans le présent article doivent prouver leur état de besoin ou leur situation voisine de l'état de besoin. Pour apprécier leur état de besoin, la Commission tient notamment (adverbe synonyme d'entre autres) compte des ressources et charges des personnes qui font partie de leur ménage, à l'exception des personnes pour lesquelles la preuve est apportée qu'elles sont étrangères à l'activité indépendante des travailleurs indépendants concernés et qu'elles sont en outre dénuées d'obligation légale de secours et d'aliments à l'égard de ces derniers ».

C'est cet article 17 de l'arrêté royal n° 38 qui se trouve en relation avec la compétence prévue à l'article 581, 1° du Code judiciaire.

L'état de besoin dont il est question ci-dessus correspond au même concept que les juridictions sociales apprécient dans le cadre d'une autre compétence de pleine juridiction découlant de l'article 580, 8° d), du Code judiciaire, lequel prévoit que le tribunal du travail connaît des contestations relatives à l'application de la loi du 8 juillet 1976, et plus particulièrement de tout ce qui concerne l'octroi, la révision, le refus et le remboursement par le bénéficiaire de l'aide sociale, laquelle aide sociale ne peut être allouée qu'à des personnes se trouvant dans une situation d'état de besoin ou voisine de l'état de besoin impliquant qu'elles ne sont pas capables de vivre conformément à la notion de dignité humaine protégée par l'article 23 de la Constitution.

L'article 580, 8°, d), du Code judiciaire en matière d'aide sociale attribue aux juridictions du travail une compétence de pleine juridiction, de sorte que les juridictions sociales statuent en cette matière sur les droits et obligations de la partie requérante, et ce selon les facultés légalement offertes. Cette position a été confirmée par la cour de Cassation dans les termes suivants : « Le tribunal du travail, qui connaît en vertu de l'article 580, 8°, d) du Code judiciaire des contestations relatives à l'octroi, à la révision et au refus de l'aide sociale, exerce un contrôle de pleine juridiction sur la décision du centre ; il apprécie les faits et statue sur les droits de l'assuré social ; il a le pouvoir de se substituer au centre. Le moyen, qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit ».

Les cas dans lesquels les juridictions sociales (ou d'autres d'ailleurs) doivent donner vie et consistance à des concepts définis en creux ne sont pas si rares que cela. Il suffit que l'on pense à cet égard :

• À côté de la dignité humaine en matière d'aide sociale et à son indispensable critère d'appréciation, soit l'état de besoin, à la notion de « raisons d'équité » reprise à l'article 28 de la loi du 26 mai 2002 en matière de revenu d'intégration sociale qui prévoit pour ce motif l'absence de poursuites du remboursement d'un RIS pourtant indûment versé.
• À l'excuse légitime dont doit justifier un opposant dans le cadre d'une instance pénale pour que son opposition ne soit pas déclarée non avenue, conformément à ce qui est prévu au 6ème § de l'article 187 du code d'instruction criminelle, tel que modifié par la loi du 5 février 2016.
• À l'intérêt de l'enfant que doivent apprécier les juridictions compétentes en matière familiale.

La différence concernant les juridictions sociales est que lorsque celles-ci se prononcent sur ce genre de concepts, cela se déroule dans le cadre de recours dirigés contre des décisions dites « administratives », ce qui fait glisser le débat sur le terrain de la séparation des pouvoirs.

Le reproche alors adressé aux juridictions sociales est de violer le principe dit de la séparation des pouvoirs en faisant « œuvre d'administration active » si elles se substituent à l'Administration.

Depuis que la séparation des pouvoirs ne s'interprète plus de manière restrictive, mais plutôt dans le sens d'une interaction des pouvoirs, le risque pour les juridictions sociales n'est plus forcément de faire œuvre d'administration active.

En effet, lorsque de tels concepts doivent être appréciés, le défi consiste (au-delà du respect du prescrit de l'article 6 du code judiciaire stipulant que les juges ne peuvent prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises) à ne pas verser dans l'arbitraire c'est-à-dire ce qui est purement potestatif, dépend de la seule volonté de son auteur sans reposer sur de quelconques éléments objectifs, palpables et vérifiables. On remarquera d'ailleurs que ce que l'on appelle « le pouvoir discrétionnaire » qui, au sens juridique, signifie une faculté laissée à l'Administration de prendre l'initiative de prendre certaines mesures est, au sens commun et péjoratif du terme, synonyme d'arbitraire, cette faculté n'étant d'ailleurs définie dans les dictionnaires usuels que par la possibilité d'exercer un pouvoir ou le droit de faire une chose sans devoir en justifier.

Comme justement la commission des dispenses de cotisations doit, conformément au prescrit de l'article 17 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, prendre sa décision en ayant l'obligation d'en justifier sur base du concept de situation d'état de besoin ou voisine de l'état de besoin repris dans cette disposition, il y a lieu d'en déduire qu'elle n'a, dans le cadre de cette mission-là, pas de pouvoir discrétionnaire.

Dans le cadre du pouvoir de substitution leur appartenant dans un tel contexte, les juridictions sociales ont une mission particulière dans la mesure où, comme déjà évoqué ci-avant, l'article 23 de la Constitution ne définit pas la notion de dignité humaine (ni celle d'état de besoin dont elle découle). On relèvera d'ailleurs que ni l'article 1er de la loi du 8 juillet 1976, ni l'article 17 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 ne définissent cette même notion de dignité humaine, et par conséquent d'état de besoin qui sont des concepts définis en creux auxquels le juge du fond devra finalement donner consistance au regard des données factuelles du cas d'espèce.

Concernant spécifiquement l'article 17 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967,
celui-ci se limite à donner une simple et seule indication pour apprécier l'état de besoin en indiquant ce qui suit : « Pour apprécier l'état de besoin (NB : celui des travailleurs indépendants qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin), la Commission tient notamment compte des ressources et charges des personnes qui font partie de leur ménage, à l'exception des personnes pour lesquelles la preuve est apportée qu'elles sont étrangères à l'activité indépendante des travailleurs indépendants concernés et qu'elles sont en outre dénuées d'obligation légale de secours et d'aliments à l'égard de ces derniers ». S'il s'agit d'une indication de bon sens découlant de l'utilisation de l'adverbe « notamment », elle est loin de définir le concept ou la notion d'état de besoin.

Que ce soit dans cette matière ou dans celle de l'aide sociale, le constat est donc le même : la loi ou la réglementation ne définit pas ce qu'il faut entendre par la dignité humaine ou encore par l'état de besoin qui conditionne le premier concept avec lequel il est indissociablement uni (en effet, quelqu'un qui se trouve dans une situation d'état de besoin ou proche de l'état de besoin ne pourra pas vivre conformément à la notion de dignité humaine).

Comme la loi ne définit pas ce qu'il faut entendre par « dignité humaine », il y a lieu de se pencher sur ce qu'enseignent à ce sujet les dictionnaires de la langue française, étant, à titre principal, le Dictionnaire Larousse et le Dictionnaire Robert de la langue française.

Tous deux donnent de la dignité humaine une définition qui renvoie certes d'emblée à l'humain, mais aussi au respect de soi-même ainsi qu'à l'amour-propre en fonction de la condition humaine des individus dans la société. Ceci signifie concrètement que, dans une société dite civilisée, et plus particulièrement postindustrielle, la notion de dignité humaine recouvre raisonnablement, outre ce qui concerne la satisfaction des besoins élémentaires (se loger, se nourrir, se chauffer... etc.), d'autres besoins ou aspirations, pour d'aucun(e)s toujours d'ordre matériel, mais aussi de caractère immatériel.

Il résulte de ce qui précède :
• Que l'appréciation de la dignité humaine, au-delà d'un socle irréductible, doit se faire en fonction de chaque cas d'espèce,
• Qu'il appartient aux administrations concernées, et en cas de conflit, au juge de statuer sur l'existence ou non d'un état de besoin ou d'un état proche de l'état de besoin, vu sa compétence de pleine juridiction, et de choisir le moyen légal d'y faire face lorsqu'il relève un tel état de besoin :
• Soit en accordant une aide sociale lorsqu'il est saisi d'une telle demande sur pied de sa compétence découlant de l'article 580, 8°, d), du code judiciaire
• Soit en accordant une dispense de cotisations lorsqu'il est saisi d'une telle demande sur pied de sa compétence découlant de l'article 581, 1°, du même code.

V-2-3 Examen au fond

Les éléments factuels visés ci-dessus au point IV-8 permettent de dire que M. E. V. D. se trouvait bien dans un état de besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin au regard de sa situation financière obérée encore compliquée par un divorce, en manière telle qu'il y a lieu de dire la contestation relative à l'octroi de la dispense de cotisations ainsi qu'à la levée de solidarité recevable et fondée. En effet, la situation financière, sociale et familiale très critique de l'indépendant débiteur à titre principal des cotisations, permet de se demander si l'intéressé était encore à même de faire face à l'entière satisfaction des besoins, même élémentaires, de tout être humain » (voir pages 13 à 16 de l'arrêt attaqué).

3. L'arrêt attaqué en déduit que :

« Les décisions litigieuses prises par la commission des dispenses de cotisations en date du 25 avril 2012 seront par conséquent annulées en ce qu'elles n'ont pas accordé la dispense ainsi que la levée de la solidarité et, vu la compétence de pleine juridiction en la matière, la dispense de cotisations et la levée de la solidarité (doivent) également être accordées aux parties intimées, conformément à l'objet de leur appel incident, pour la période allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris le 2ème trimestre 2010, et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012 » (voir pages 16 et 17 de l'arrêt attaqué).

C. GRIEFS

1. L'article 17 de l'arrêté royal n° 38, alinéas 1 et 2, dispose que :

« Les travailleurs indépendants, qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de l'état de besoin, peuvent demander dispense des cotisations provisoires dues en vertu du présent arrêté royal, pour autant que ces cotisations ne soient pas dues en vertu de l'article 12bis, § 1er, ou en tant qu'assujetti visé par l'article 12, § 2, en s'adressant à la Commission visée à l'article 22.

Les travailleurs indépendants qui demandent une dispense des cotisations visées au présent article, doivent prouver leur état de besoin ou leur situation voisine de l'état de besoin. Pour apprécier leur état de besoin, la Commission tient notamment compte des ressources et charges des personnes qui font partie de leur ménage, à l'exception des personnes pour lesquelles la preuve est apportée qu'elles sont étrangères à l'activité indépendante des travailleurs indépendants concernés et qu'elles sont en outre dénuées d'obligation légale de secours et d'aliments à l'égard de ces travailleurs indépendants ».

En ses quatre premiers alinéas, l'article 22 de l'arrêté royal n° 38 énonce, quant à lui, que :

« Il est institué auprès du Service public fédéral Sécurité sociale une Commission des dispenses de cotisations.

Cette Commission est chargée de statuer, sans appel, sur les demandes de dispense totale ou partielle de cotisations introduites par les assujettis visés à l'article 17, que ces demandes aient été introduites en français, en néerlandais ou en allemand.

Le Roi peut étendre la compétence de la Commission à des cotisations prévues par un des régimes visés à l'article 18 et qui, sans avoir un caractère obligatoire, sont destinées à faire naître ou à maintenir le droit aux prestations.

Le Roi détermine la composition et le fonctionnement de cette Commission.
Les travailleurs indépendants ou les personnes solidairement responsables en vertu de l'article 15, § 1er, peuvent contester la légalité de la décision de la Commission les concernant auprès du tribunal du travail, en application de l'article 581, 1°, du Code judiciaire. Le tribunal du travail est saisi par voie de requête contradictoire conformément à l'article 704, § 1er, du Code judiciaire. La requête est, sous peine de déchéance, introduite dans les deux mois de la notification de la décision.

Pour toutes contestations dirigées contre le ministre qui a le statut social des travailleurs indépendants dans ses attributions relatives à une décision prise par la Commission des dispenses de cotisations, la comparution en personne au nom de l'Etat peut être assurée par tout fonctionnaire de la DG Indépendants du SPF Sécurité sociale » .

En vertu des dispositions légales qui précédent, la Commission des dispenses de cotisations sociales dispose d'une compétence discrétionnaire pour décider d'accorder ou non à un travailleur indépendant une dispense de cotisations.

Par ailleurs, le principe général du droit de la séparation des pouvoirs, consacré par les articles 33 à 51 de la Constitution, impose que l'exercice de compétences confiées à l'un des pouvoirs ne puisse être dévolu, fût-ce temporairement, à l'un des deux autres et qu'aucun d'entre eux ne soit autorisé à s'immiscer dans la sphère des prérogatives d'un autre.

En particulier, le pouvoir judiciaire, appelé à statuer en vertu des articles 144 et 145 de la Constitution, sur les contestations qui ont pour objet des droits civils ou politiques, ne peut priver le pouvoir exécutif de sa liberté d'appréciation et se substituer à lui.

Tout au plus, les cours et tribunaux sont-ils autorisés, sur le fondement de l'article 159 de la Constitution, à n'appliquer les actes administratifs que s'ils sont conformes aux lois.

S'agissant de recours formés devant eux contre les décisions de la Commission des dispenses de cotisations sociales, les cours et tribunaux du travail, compétents sur pied de l'article 581, 1° du Code judiciaire, peuvent donc opérer un contrôle de légalité, mais non un contrôle de pleine juridiction.

2. En l'espèce, après avoir constaté que le litige porte sur les décisions du 25 avril 2012 prises par la Commission des dispenses de cotisations sociales en ce qu'elles n'accordaient pas (aux défendeurs en cassation) la dispense de la solidarité pour la période allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris le 2ème trimestre 2010 , et du 1er trimestre 2012 (voir page 10 de l'arrêt attaqué), l'arrêt attaqué décide que « les décisions litigieuses prises par la Commission des dispenses de cotisations en date du 25 avril 2012 seront (...) annulées en ce qu'elles n'ont pas accordé la dispense ainsi que la levée de la solidarité et, vu la compétence de pleine juridiction en la matière, la dispense de cotisation et la levée de solidarité (doivent) également être accordées aux (défendeurs en cassation) (...) pour la période allant du 1er trimestre 2010 jusque et y compris le 2ème trimestre 2010 et du 1er trimestre 2011 jusque et y compris le 1er trimestre 2012 » (voir page 17 de l'arrêt attaqué), en se fondant sur l'ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et notamment sur les motifs que « Comme justement la Commission des dispenses de cotisations doit, conformément au prescrit de l'article 17 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, prendre sa décision en ayant l'obligation d'en justifier sur base du concept de situation d'état de besoin ou voisine de l'état de besoin repris dans cette disposition, il y a lieu d'en déduire qu'elle n'a, dans le cadre de cette mission-là, pas de pouvoir discrétionnaire » (voir page 15 de l'arrêt analysé) ; que « L'état de besoin dont il est question ci-dessus correspond au même concept que les juridictions sociales apprécient dans le cadre d'une autre compétence de pleine juridiction découlant de l'article 580, 8° d), du Code judiciaire, (...) » (voir page 13 de l'arrêt attaqué) ; et que « Dans le cadre du pouvoir de substitution leur appartenant dans un tel contexte, les juridictions sociales ont une mission particulière dans la mesure où, comme déjà évoqué ci-avant, l'article 23 de la Constitution ne définit pas la notion de dignité humaine (ni celle d'état de besoin dont elle découle). (...) » (voir page 15 de l'arrêt analysé).

De la sorte, l'arrêt attaqué procède de l'exercice illégal d'un pouvoir de substitution des décisions de la Commission de dispenses de cotisations sociales, dont la cour du travail ne disposait nullement. L'arrêt attaqué ne pouvait dépasser les limites de son pouvoir, se limitant à contrôler la légalité des décisions litigieuses.

3. En conséquence, l'arrêt attaqué qui, sur la base des considérations qui précédent, annule les décisions litigieuses, en substituant l'appréciation de la cour du travail à celle de la Commission de dispenses de cotisations sociales, n'est pas légalement justifié au regard des dispositions légales et du principe général du droit visés au moyen.

DÉVELOPPEMENTS

1. La Commission des dispenses de cotisations prévue par l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants peut, sous certaines conditions, octroyer une dispense des cotisations sociales à l'indépendant qui se trouve dans un « état de besoin » ou dans un « état proche de l'état de besoin ».

Jusqu'il y a peu, l'indépendant qui avait introduit une demande de dispense des cotisations sociales auprès de la Commission des dispenses pouvait, dans l'hypothèse d'un refus, introduire un recours en annulation devant le Conseil d'Etat .

Par un arrêt du 8 mars 2013, Votre Cour a jugé que ce sont les juridictions du travail qui sont compétentes pour connaître de ces litiges, effectuant par là un revirement de jurisprudence. Votre Haute Juridiction a en effet décidé que « lorsque la Commission des dispenses de cotisations décide de ne pas accorder la dispense demandée et que le travailleur indépendant conteste cette décision, il naît entre celui-ci et l'Etat belge une contestation sur l'obligation de payer les cotisations sociales, qui résulte des lois et règlements sur le statut social des travailleurs indépendants. En vertu de l'article 581, 1° du Code judiciaire, cette contestation relève de la compétence matérielle des tribunaux du travail et, partant, du pouvoir de juridiction des cours et tribunaux. La circonstance que la décision contestée de la Commission des dispenses de cotisations est une décision discrétionnaire n'affecte ni l'attribution de la contestation aux juridictions de l'ordre judiciaire ni la compétence, au sein de ces juridictions, du tribunal du travail. La question de l'étendue du contrôle qu'exerce le juge est étrangère à la détermination de sa compétence » .

Contrairement à ce qu'estime l'arrêt attaqué, cette décision est cohérente avec la jurisprudence du Conseil d'Etat qui, par un arrêt du 24 mars 2012, s'était déjà déclaré incompétent pour connaître de ce type de recours . Lorsqu'il était compétent, le Conseil d'Etat n'était pas une instance d'appel à laquelle le travailleur indépendant pouvait demander de revoir la décision attaquée : le recours avait pour objet de contrôler si la décision était conforme à la loi, mais pas d'apprécier à nouveau la situation financière de l'intéressé. Dans ce cadre, le Conseil d'Etat pouvait donc vérifier si l'appréciation de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable .

Ce revirement de jurisprudence a néanmoins suscité des interrogations quant à l'étendue de la compétence réelle des juridictions du travail. S'agit-il d'un contrôle d'opportunité ou le tribunal doit-il se borner à vérifier la légalité de la décision administrative querellée ?

La doctrine rappelle de manière constante que, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, lorsque l'autorité dispose d'un pouvoir d'appréciation, c'est-à-dire d'une certaine marge de manœuvre pour accorder ou non un droit à l'administré , le juge ne peut se substituer à elle dans la prise de la décision, ni en la réformant, ni en l'adaptant d'une quelconque manière .

Par un arrêt du 23 mai 2013, la cour du travail de Bruxelles a abordé de manière très détaillée la problématique du pouvoir des juridictions du travail lorsqu'elles ont à juger de recours contre des refus de dispense des cotisations sociales .

La cour du travail de Bruxelles se réfère aux travaux préparatoires qui ont été rédigés lorsque la possibilité d'opérer une révision administrative des décisions de la Commission des dispenses a été supprimée. Dans ces travaux, il est expressément rappelé que la notion de l'« état de besoin » est « un élément politiquement spécifique en faveur des travailleurs indépendants ». De plus, la cour du travail relève que l'imprécision du critère légal renforce l'argumentation selon laquelle la Commission des dispenses de cotisations disposerait d'une compétence discrétionnaire en la matière.

Par ailleurs, la cour du travail de Bruxelles estime que le maintien de certains droits, malgré l'octroi d'une dispense de cotisations sociales, ne permet pas de déduire automatiquement qu'il existe un droit subjectif pour le demandeur à obtenir une dispense, mais seulement que la décision autorisant la dispense serait « créatrice de droits ».

La cour du travail conclut à la non pertinence de la comparaison avec la loi du 8 juillet 1976, étant donné qu'il ne s'agit pas de reconnaître un droit subjectif à une prestation, « mais de voir dans quelle mesure l'indépendant peut être déchargé d'une dette de cotisations à laquelle il est légalement tenu ».

Ainsi, la cour du travail relève que si les revirements de jurisprudence intervenus quant à la compétence juridictionnelle pour statuer sur les décisions de la Commission de dispense de cotisations n'ont pas modifié la nature de ces décisions, qui relèvent toujours d'un pouvoir discrétionnaire, il reste que « le contrôle exercé par les juridictions du travail est toutefois plus restreint que celui qu'elles exercent habituellement : s'il implique que la légalité, tant externe, qu'interne, de la décision soit vérifiée, ce contrôle doit se faire sans possibilité de substitution » .

Par une loi du 25 avril 2014 portant dispositions diverses en matière de sécurité sociale, le législateur a emboîté le pas à la jurisprudence de la cour du travail précitée, en prévoyant, en son article 39, de compléter l'article 17 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1997, en ce sens que « les travailleurs indépendants ou les personnes solidairement responsables en vertu de l'article 15, §1er, peuvent contester la légalité de la décision de la Commission les concernant auprès du tribunal du travail, en application de l'article 581, 1° du Code judiciaire. Le tribunal du travail est saisi par requête contradictoire conformément à l'article 704, §1er, du Code judiciaire. La requête est, sous peine de déchéance, introduite dans les deux mois de la notification de la décision » . In fine, cet article fut inséré à l'article 22 de l'arrêté royal n° 38, par la loi du 16 décembre 2015 portant des dispositions diverses en matière de statut social des indépendants.

La doctrine en déduit qu'il n'y a, depuis l'adoption de cet article, plus lieu à discussion sur le pouvoir exact des juridictions du travail en la matière .

PAR CE MOYEN ET CES CONSIDÉRATIONS,

L'avocate à la Cour de cassation soussignée conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt attaqué, renvoyer la cause devant une autre cour du travail, statuer comme de droit sur les dépens de l'instance en cassation et ordonner que mention soit faite de votre arrêt en marge de la décision annulée.

Bruxelles, le 6 avril 2018
Pour la demanderesse,

Michèle Grégoire
Avocate à la Cour de cassation



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 14/01/2019
Date de l'import : 09/03/2020

Fonds documentaire ?: juridat.be


Numérotation
Numéro d'arrêt : S.18.0032.F
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-01-14;s.18.0032.f ?

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