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03/01/2019 | BELGIQUE | N°C.18.0196.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 03 janvier 2019, C.18.0196.F


N° C.18.0196.F
INDUSTRIEBOUW V., société anonyme, dont le siège social est établi à Putte, Klein Boom, 15,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Lefèbvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

SPORT AUTO, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Saint-Ghislain, zone artisanale de la Rivièrette, 1,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de c

assation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile....

N° C.18.0196.F
INDUSTRIEBOUW V., société anonyme, dont le siège social est établi à Putte, Klein Boom, 15,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Lefèbvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

SPORT AUTO, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Saint-Ghislain, zone artisanale de la Rivièrette, 1,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 février 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 18 décembre 2018, l'avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 1704.2, a), du Code judiciaire, avant sa modification par la loi du 24 juin 2013 modifiant la sixième partie du Code judiciaire relative à l'arbitrage ;
- articles 1792, 2242, 2244, § 1er - avant et, en tant que de besoin, après sa modification par l'article 2 de la loi du 25 juillet 2008 modifiant le Code civil et les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l'État en vue d'interrompre la prescription de l'action en dommages et intérêts à la suite d'un recours en annulation devant le Conseil d'État et, en tout état de cause, avant sa modification par l'article 2 de la loi du 23 mai 2013 modifiant le Code civil pour attribuer un effet interruptif de la prescription à la lettre de mise en demeure de l'avocat, de l'huissier de justice ou de la personne pouvant ester en justice en vertu de l'article 728, § 3, du Code judiciaire -, 2246 et 2270 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué réforme le jugement entrepris en décidant que la sentence arbitrale du 2 septembre 2014 ne viole pas l'ordre public et est, par conséquent, valide, aux motifs suivants :
« En l'espèce, il s'agit de vérifier d'abord la contrariété de la sentence arbitrale à l'ordre public, plus particulièrement aux articles 1792 et 2270 du Code civil, dont il n'est pas contestable qu'ils concernent l'ordre public ;
L'article 1792 dispose que, si l'édifice construit à prix fait périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architecte et entrepreneur en sont responsables pendant dix ans ;
L'article 2270 dispose qu'après dix ans, l'architecte et les entrepreneurs sont déchargés de la garantie des gros ouvrages qu'ils ont faits ou dirigés ;
[...] La [demanderesse] invoque trois motifs de violation de l'ordre public ;
[...] Après un examen approfondi des éléments de la cause et sans réviser la sentence arbitrale au fond, la cour [d'appel] constate que la décision des arbitres n'est pas prise en violation de normes d'ordre public ;
1. Quant au premier motif d'annulation
Le collège arbitral part du principe que la réception des travaux constitue le point de départ de la responsabilité décennale et que le délai de la responsabilité décennale est respecté si la responsabilité décennale est ‘activée' dans le délai de dix ans ;
La cour [d'appel] constate que la thèse de la possibilité d'interruption ou de suspension du délai préfix de dix ans est défendue par plusieurs auteurs qui renvoient à la jurisprudence de la Cour de cassation et à la doctrine pour fonder leur argumentation [...] ;
Quelle que soit la terminologie utilisée par le collège arbitral, il est constant que sa décision en revient à dire que, vu que l'action au fond a été introduite dans le délai de dix ans, ce délai - quelle qu'en soit la dénomination - ne court plus ;
Les arbitres constatent que le délai de dix ans pour introduire une action en responsabilité en vertu des articles 1792 et 2270 du Code civil a été interrompu depuis le 30 septembre 2002 jusqu'au 9 février 2012 ;
Ce faisant, ils assimilent une action en responsabilité décennale mue devant un tribunal sans juridiction à une action formée devant un tribunal [in]compétent ;
Leur qualification d'interruption de délai utilisée dans le cas d'une introduction de demande au fond devant un juge qui est sans juridiction pour la faire suivre immédiatement après d'une procédure d'arbitrage jugée comme la suite logique des décisions du tribunal de première instance [de Mons] du 3 mars 2010 et de la cour d'appel [de Mons] du 27 septembre 2011 n'est pas contraire à l'ordre public ;
2. Quant au second motif d'annulation
La cour [d'appel] constate que le passage en question est, tout comme le passage précédent, en conformité avec le droit [lire : l'ordre] public dans la mesure où la décision des arbitres ne fait qu'affirmer qu'une fois l'action introduite dans le délai légal, ce délai ne court plus ;
Les arbitres ont constaté que la demande au fond a été effectuée en temps utile. Quant à la mise en œuvre de la procédure d'arbitrage, la cour [d'appel] renvoie à ce qui a été dit sous le point précédent ;
Le renvoi à l'article 2246 du Code civil n'est autre que le renvoi à un principe de droit général qui consiste à constater qu'une action, même formulée devant un juge incompétent ou sans juridiction, garde ses effets ;
Le fait d'appliquer ce principe de droit au délai de dix ans relatif à la responsabilité décennale ne viole pas l'ordre public ;
Il n'y a pas lieu à annulation de la sentence arbitrale ;
3. Quant au troisième motif d'annulation
Le passage visé concerne d'abord l'affirmation, avec référence à la doctrine, que la prescription libératoire se définit généralement par son effet de donner naissance à un nouveau délai de prescription, le temps précédemment écoulé étant perdu ;
Cette affirmation est légalement fondée. Elle ne viole pas l'ordre public ;
Quant au fait que les arbitres décident ‘surabondamment', avec référence à la doctrine, que, si le délai préfix ici visé échappe au régime de la prescription, il n'en reste pas moins que l'interruption résultant de l'introduction d'une action au fond vaut également pour un tel délai, ‘faute de quoi le régime deviendrait absurde et impraticable' ;
Cette décision, qui en revient à affirmer une nouvelle fois que l'action au fond introduite dans le délai légal garde ses effets et que juger dans un autre sens mènerait à une décision absurde et impraticable, n'est pas contraire à l'ordre public ;
En effet, ne peut être jugée contraire à l'ordre public la décision des arbitres de dire non affectée par la prescription libératoire la demande de [la défenderesse] en ce qu'elle tend à la mise en cause de la responsabilité décennale de la [demanderesse] eu égard au fait que ladite demande a été formée dans le délai de dix ans et que la [défenderesse] a agi correctement tant au niveau de la procédure devant les juges qu'au niveau de la procédure arbitrale, qu'elle a correctement initiée au moment où la nécessité d'agir de la sorte était établie (à savoir une fois que l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 27 septembre 2011 était devenu définitif) ».

Griefs

1. L'article 1704.2, a), du Code judiciaire énonce que la sentence arbitrale peut être annulée si elle est contraire à l'ordre public.
Le juge de l'annulation ne dispose pas d'un pouvoir de révision au fond mais, lorsqu'il est saisi sur le pied d'une violation de l'ordre public, il doit vérifier in concreto si les arbitres ont méconnu une disposition relevant de l'ordre public.
2. Conformément aux articles 1792 et 2270 du Code civil, si l'édifice construit à prix fait périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architecte et entrepreneur en sont responsables pendant dix ans mais, après dix ans, l'architecte et les entrepreneurs sont déchargés de la garantie des gros ouvrages qu'ils ont faits ou dirigés.
Ces articles organisent un régime propre aux professionnels de la construction et prévoient que les entrepreneurs et architectes sont responsables pendant dix ans de tous les vices, apparents ou non, suffisamment graves pour mettre en péril la solidité du bâtiment.
Ce régime de responsabilité relève de l'ordre public car, au-delà des relations entre le constructeur et le maître de l'ouvrage, il touche à la qualité des bâtiments et, de ce fait, à la sécurité publique.
3. Le délai de la responsabilité décennale est un délai préfix qui court à partir de la réception de l'ouvrage.
Par l'utilisation d'un tel délai, le législateur entendait éviter que les architectes et entrepreneurs soient indéfiniment tenus des vices de la construction ou du sol : l'action fondée sur la responsabilité décennale doit, dès lors, être exercée, à peine de déchéance, dans le délai décennal.
4. Les délais préfix ne peuvent être confondus avec les délais de prescription car ils ont un caractère plus énergique, plus fatidique que les simples délais de prescription car, si la prescription se prête à de nombreuses causes d'interruption et de suspension, tel n'est pas le cas de la déchéance résultant de l'écoulement d'un délai préfix.
Le délai préfix est un délai de forclusion qui ne peut être prolongé ni par l'interruption ni par la suspension.
Lorsqu'il opte pour ce type de délai, le but poursuivi par le législateur est, en effet, que l'acte qui doit être accompli dans le délai préfix ne soit pas postposé dans le temps.
5. Il existe différentes catégories de délais préfix et le délai décennal prévu à l'article 1792 du Code civil fait partie des délais de recevabilité d'une action en justice : l'action ne peut être intentée que dans un délai spécial qui échappe aux causes d'interruption et de suspension des prescriptions prévues aux articles 2242 et suivants du Code civil.
Il s'ensuit que le maître de l'ouvrage qui veut faire reconnaître la responsabilité tant de l'entrepreneur que de l'architecte lorsque l'édifice a péri en tout ou en partie à la suite d'un vice de construction ou d'un vice du sol est tenu d'introduire une action avant l'expiration du délai décennal tant contre l'entrepreneur que contre l'architecte.
Le non-respect du délai décennal entraîne la disparition ou la déchéance du droit.
6. Les concepts d'interruption et de soustraction à la déchéance sont des concepts juridiques distincts ayant des conséquences juridiques distinctes. Pour cette raison, ils ne peuvent pas être confondus ou utilisés comme des synonymes. Il n'est pas davantage possible d'assimiler les effets de l'interruption à ceux de la soustraction à la déchéance.

Première branche

7. En vertu des articles 2242 et 2244, § 1er, du Code civil, la prescription peut être interrompue ou naturellement ou civilement, suite à quoi il est précisé qu'une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forment l'interruption civile.
La citation au fond interrompt, partant, le cours de la prescription.
8. L'article 2246 du Code civil ajoute que la citation en justice, donnée même devant un juge incompétent, interrompt la prescription.
Cette disposition fait l'objet d'une interprétation large puisqu'elle concerne tant les cas d'incompétence territoriale et matérielle que ceux d'absence de pouvoir de juridiction.
9. Le délai décennal prévu aux articles 1792 et 2270 du Code civil étant un délai préfix, et non un délai de prescription, il échappe aux causes d'interruption et de suspension des prescriptions prévues aux articles 2242 et suivants du Code civil.
Ainsi, les causes d'interruption prévues aux articles 2244, § 1er, et 2246 du Code civil concernent uniquement la prescription et ne sont pas applicables aux délais prévus pour former un recours, c'est-à-dire les délais prescrits à peine de déchéance ou de forclusion, tel le délai décennal.
10. Il s'ensuit qu'une citation au fond ne peut avoir pour effet d'interrompre le cours du délai décennal, comme c'est le cas dans le cadre de l'article 2244, § 1er, du Code civil. Elle n'est, toutefois, pas privée de tout effet. La citation au fond rend recevable et soustrait à la déchéance une action en responsabilité décennale exercée dans ce délai. Cela a pour conséquence que le maître de l'ouvrage ne peut se voir opposer l'exception de déchéance jusqu'à la fin de la procédure introduite par ladite citation.
Plus précisément, la citation au fond n'aura pas pour effet de faire courir un nouveau délai de dix ans - comme c'est le cas pour les articles 2242 et suivants du Code civil - mais privera l'entrepreneur ou l'architecte de la possibilité d'invoquer l'écoulement du délai décennal jusqu'à la fin de la procédure introduite par ladite citation.
11. Pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés ci-avant, la citation au fond devant une juridiction incompétente fondée sur la responsabilité décennale ne peut avoir pour effet d'interrompre le cours du délai décennal, comme c'est le cas dans le cadre de l'article 2246 du Code civil. Cette citation au fond devant une juridiction incompétente, par exemple en raison d'une clause d'arbitrage, avant l'expiration du délai de dix ans, est sans incidence sur la recevabilité de l'action mue ultérieurement devant le juge ou le tribunal arbitral compétent. En effet, c'est à la date de sa propre saisine que ce dernier doit apprécier la recevabilité de l'action mue devant lui : si cette date est postérieure à l'expiration du délai décennal, l'action est irrecevable car le maître de l'ouvrage est déchu de son droit.
La procédure précédemment introduite devant la juridiction incompétente n'est pas de nature à contrecarrer cette sanction car, en se déclarant incompétente, cette dernière a clôturé l'instance. Par conséquent, la procédure mue ultérieurement devant le juge ou le tribunal compétent ne peut s'analyser comme le prolongement de celle qui a été introduite devant la juridiction incompétente.
En décider autrement aurait pour conséquence que le maître de l'ouvrage serait recevable à intenter une nouvelle procédure devant les autorités compétentes, même des années après le jugement concluant à l'absence de compétence ou de pouvoir de l'autorité originairement saisie. Or, cela ne peut se justifier au regard de l'objectif de sécurité juridique poursuivi par le législateur lorsqu'il a opté pour un délai préfix : le législateur entendait justement éviter que les architectes et entrepreneurs soient indéfiniment tenus des vices de construction ou du sol.
12. Pourtant, aux termes de la sentence arbitrale dont l'annulation est demandée, les arbitres ont décidé que, « la prescription décennale étant un délai préfix, celui-ci ne peut être interrompu que par une citation devant une juridiction de fond ou par une reconnaissance certaine, expresse et non équivoque de responsabilité de l'édificateur », que « la citation au fond interrompt la prescription non seulement pour les désordres qui étaient constatés lors de sa signification mais aussi pour l'aggravation postérieure de ceux-ci », que « l'interruption de la prescription par une citation perdure pendant toute la procédure, c'est-à-dire jusqu'à la prononciation d'une décision mettant fin au litige » et qu'« en l'espèce, il s'ensuit que la prescription de l'action en responsabilité décennale de [la demanderesse] a été interrompue depuis le 30 septembre 2002 jusqu'au 9 février 2012 ».

13. La sentence arbitrale, qui méconnaît la distinction entre délai préfix et délai de prescription en appliquant au délai préfix qu'est le délai décennal des règles qui ne sont applicables qu'aux délais de prescription, viole les articles 1792 et 2270 du Code civil, qui relèvent de l'ordre public, ainsi que les articles 2242 et suivants de ce code.
Ce faisant, elle prête le flanc à annulation sur pied de l'article 1704.2, a), du Code judiciaire et la décision du juge de l'annulation qui ne le constate pas viole, à son tour, l'ordre public et ladite disposition légale.
14. L'arrêt attaqué constate qu'« en l'espèce, il s'agit de vérifier d'abord la contrariété de la sentence arbitrale à l'ordre public, plus particulièrement aux articles 1792 et 2270 du Code civil, dont il n'est pas contestable qu'ils concernent l'ordre public », et remarque, ensuite, que « le collège arbitral part du principe que la réception des travaux constitue le point de départ de la responsabilité décennale et que le délai de la responsabilité décennale est respecté si la responsabilité décennale est 'activée' dans le délai de dix ans », tentant ainsi d'esquiver la discussion afférente à la distinction entre interruption et soustraction à la déchéance ou, à tout le moins, de minimiser ainsi la distinction existant entre celles-ci.
Ensuite, l'arrêt attaqué « constate que la thèse de la possibilité d'interruption ou de suspension du délai préfix de dix ans est défendue par plusieurs auteurs qui renvoient à la jurisprudence de la Cour de cassation et à la doctrine pour fonder leur argumentation » et décide que, « quelle que soit la terminologie utilisée par le collège arbitral, il est constant que sa décision en revient à dire que, vu que l'action au fond a été introduite dans le délai de dix ans, ce délai - quelle qu'en soit la dénomination - ne court plus », assimilant ainsi le délai préfix de la responsabilité décennale à un délai de prescription sous l'angle des effets de l'introduction d'une action en justice ou, à tout le moins, minimisant ainsi la distinction existant entre ces délais.
L'arrêt attaqué ajoute que « les arbitres constatent que le délai de dix ans pour introduire une action en responsabilité en vertu des articles 1792 et 2270 du Code civil a été interrompu depuis le 30 septembre 2002 jusqu'au 9 février 2012 », à savoir depuis la citation introduite, par la défenderesse, devant le tribunal de première instance de Mons jusqu'à la date à laquelle l'arrêt rendu par la cour d'appel de Mons sur l'appel introduit contre le jugement d'incompétence est devenu définitif, constatant ainsi implicitement que les arbitres ont appliqué la règle prévue à l'article 2244, § 1er, du Code civil.
L'arrêt attaqué constate également explicitement que, « ce faisant, ils assimilent une action en responsabilité décennale mue devant un tribunal sans juridiction à une action formée devant un tribunal [in]compétent », de manière à entériner l'application par les arbitres de la règle prévue à l'article 2246 du Code civil.
Enfin, l'arrêt attaqué décide que « leur qualification d'interruption de délai utilisée dans le cas d'une introduction de demande au fond devant un juge qui est sans juridiction pour la faire suivre immédiatement après d'une procédure d'arbitrage jugée comme la suite logique des décisions du tribunal de première instance [de Mons] du 3 mars 2010 et de la cour d'appel [de Mons] du 27 septembre 2011 n'est pas contraire à l'ordre public », ratifiant ainsi l'application par les arbitres des articles 2244, § 1er, et 2246 du Code civil.
15. En décidant que « le collège arbitral part du principe que la réception des travaux constitue le point de départ de la responsabilité décennale et que le délai de la responsabilité décennale est respecté si la responsabilité décennale est 'activée' dans le délai de dix ans », que « la thèse de la possibilité d'interruption ou de suspension du délai préfix de dix ans est défendue par plusieurs auteurs qui renvoient à la jurisprudence de la Cour de cassation et à la doctrine pour fonder leur argumentation », et que, « quelle que soit la terminologie utilisée par le collège arbitral, il est constant que sa décision en revient à dire que, vu que l'action au fond a été introduite dans le délai de dix ans, ce délai - quelle qu'en soit la dénomination - ne court plus », assimilant ainsi le délai préfix de la responsabilité décennale à un délai de prescription sous l'angle des effets de l'introduction d'une action en justice ou, à tout le moins, minimisant ainsi la distinction existant entre ces délais, alors que ces deux catégories de délais sont distinctes et qu'en tant que délai préfix, le délai décennal n'est pas susceptible d'interruption, y compris par une citation au fond, mais est prévu à peine d'irrecevabilité de l'action et de déchéance du droit, l'arrêt attaqué viole les articles 1792 et 2270, ainsi que 2242 et 2244, § 1er, du Code civil et, en ne confirmant pas l'annulation de la sentence arbitrale querellée pour violation des articles susmentionnés relevant de l'ordre public, l'article 1704.2, a), du Code judiciaire.
En décidant que « les arbitres constatent que le délai de dix ans pour introduire une action en responsabilité en vertu des articles 1792 et 2270 du Code civil a été interrompu depuis le 30 septembre 2002 jusqu'au 9 février 2012 », que, « ce faisant, ils assimilent une action en responsabilité décennale mue devant un tribunal sans juridiction à une action formée devant un tribunal [in]compétent » et que « leur qualification d'interruption de délai utilisée dans le cas d'une introduction de demande au fond devant un juge qui est sans juridiction pour la faire suivre immédiatement après d'une procédure d'arbitrage jugée comme la suite logique des décisions du tribunal de première instance [de Mons] du 3 mars 2010 et de la cour d'appel [de Mons] du 27 septembre 2011 n'est pas contraire à l'ordre public », entérinant ainsi l'application par les arbitres des règles prévues aux articles 2244, § 1er, et 2246 du Code civil pour les délais de prescription au cas pourtant spécifique du délai préfix de la responsabilité décennale, alors que ce dernier délai n'est pas soumis aux causes d'interruption de la prescription prévues aux articles 2244, § 1er, et 2246 du Code civil mais est, au contraire, prévu à peine d'irrecevabilité de l'action et de déchéance du droit, l'arrêt attaqué viole les articles 1792 et 2270, ainsi que 2244, § 1er, et 2246 et, en tant que de besoin, 2242 du Code civil mais aussi, en ne confirmant pas l'annulation de la sentence arbitrale querellée pour violation des articles susmentionnés relevant de l'ordre public, l'article 1704.2, a), du Code judiciaire.

Deuxième branche

16. Le délai décennal prévu aux articles 1792 et 2270 du Code civil étant un délai préfix, et non un délai de prescription, il échappe aux causes d'interruption et de suspension des prescriptions prévues aux articles 2242 et suivants du Code civil.
Il s'ensuit que la règle exposée à l'article 2246 du Code civil, selon laquelle la citation au fond devant une juridiction incompétente a pour effet d'interrompre le cours de la prescription, n'est pas applicable au délai décennal.
17. Aux termes de la sentence arbitrale querellée, les arbitres avaient décidé qu'« aux termes de l'article 2246 du Code civil, la citation interrompt la prescription, même si elle est donnée devant un tribunal incompétent », et qu'« il est admis que sous ce vocable est également visée la situation du tribunal ne pouvant pas connaître du litige en raison d'une clause d'arbitrage ».
18. La sentence arbitrale, qui applique au délai décennal la règle exposée à l'article 2246 du Code civil, viole non seulement ledit article mais aussi les articles 1792 et 2270 du Code civil, qui relèvent de l'ordre public.
Ce faisant, elle prête le flanc à annulation sur pied de l'article 1704.2, a), du Code judiciaire et la décision du juge de l'annulation qui ne le constate pas viole, à son tour, l'ordre public et ladite disposition légale.
19. L'arrêt attaqué constate que le passage susmentionné de la sentence arbitrale querellée « est, tout comme le passage précédent, en conformité avec le droit [lire : l'ordre] public dans la mesure où la décision des arbitres ne fait qu'affirmer qu'une fois l'action introduite dans le délai légal, ce délai ne court plus », que « les arbitres ont constaté que la demande au fond a été effectuée en temps utile » et que, « quant à la mise en œuvre de la procédure d'arbitrage, la cour [d'appel] renvoie à ce qui a été dit sous le point précédent ».
Il décide que « le renvoi à l'article 2246 du Code civil n'est autre que le renvoi à un principe de droit général, qui consiste à constater qu'une action, même formulée devant un juge incompétent ou sans juridiction, garde ses effets », que « le fait d'appliquer ce principe de droit au délai de dix ans relatif à la responsabilité décennale ne viole pas l'ordre public » et qu'« il n'y a pas lieu à annulation de la sentence arbitrale visée », admettant ainsi l'application de la règle prévue à l'article 2246 du Code civil, pourtant propre aux délais de prescription, aux délais préfix, dont le délai décennal.

20. En décidant que la sentence arbitrale querellée ne viole pas l'ordre public dès lors qu'elle « ne fait qu'affirmer qu'une fois l'action introduite dans le délai légal, ce délai ne court plus », que « les arbitres ont constaté que la demande au fond a été effectuée en temps utile », que « le renvoi à l'article 2246 du Code civil n'est autre que le renvoi à un principe de droit général, qui consiste à constater qu'une action, même formulée devant un juge incompétent ou sans juridiction, garde ses effets », et que « le fait d'appliquer ce principe de droit au délai de dix ans relatif à la responsabilité décennale ne viole pas l'ordre public », entérinant ainsi l'application par les arbitres de la règle prévue à l'article 2246 du Code civil pour les délais de prescription au cas pourtant spécifique du délai préfix de la responsabilité décennale, alors que ce dernier délai n'est pas soumis aux causes d'interruption de la prescription prévues aux articles 2242 et suivants, dont l'article 2246, du Code civil, mais est, au contraire, prévu à peine d'irrecevabilité de l'action et de déchéance du droit, et alors qu'il n'existe aucun principe de droit général revêtant une portée similaire applicable à tout type de délai, y compris le délai préfix, l'arrêt attaqué viole les articles 1792 et 2270, ainsi que les articles 2244, § 1er, et 2246 et, en tant que de besoin, 2242 du Code civil mais aussi, en ne confirmant pas l'annulation de la sentence arbitrale querellée pour violation des articles susmentionnés relevant de l'ordre public, l'article 1704.2, a), du Code judiciaire.

Troisième branche

21. En vertu de l'article 2242 du Code civil, « la prescription peut être interrompue ou naturellement ou civilement ».
L'interruption de la prescription a pour effet d'annihiler le temps passé et de faire courir un nouveau délai de prescription dès que l'interruption prend fin. Le nouveau délai de prescription est, en principe, identique au délai initial.
22. Le délai décennal prévu aux articles 1792 et 2270 du Code civil étant un délai préfix, et non un délai de prescription, il échappe aux causes d'interruption et de suspension des prescriptions prévues aux articles 2242 et suivants du Code civil.
Aucun événement ne peut être de nature à en interrompre le cours et, partant, avoir pour effet d'annihiler le temps passé et de faire courir un nouveau délai décennal.
23. Aux termes de la sentence arbitrale querellée, les arbitres décident que « l'interruption de la prescription libératoire se définit généralement par son effet, qui est de donner naissance à un nouveau délai de prescription, le temps précédemment écoulé étant perdu », et que, « si, comme le soutient la [demanderesse], le délai préfix de la responsabilité décennale doit échapper au régime de la prescription, il n'en reste pas moins que l'interruption résultant de l'introduction de l'action vaut également pour un tel délai, faute de quoi le régime deviendrait absurde et impraticable ».
24. La sentence arbitrale, qui soumet le délai décennal aux causes d'interruption de la prescription prévues aux articles 2242 et suivants du Code civil en prorogeant celui-ci d'une nouvelle durée de dix ans, viole les articles 1792 et 2270 du Code civil, qui relèvent de l'ordre public.
Ce faisant, elle prête le flanc à annulation sur pied de l'article 1704.2, a), du Code judiciaire et la décision du juge de l'annulation qui ne le constate pas viole, à son tour, l'ordre public et ladite disposition légale.
25. L'arrêt attaqué constate que « le passage visé concerne d'abord l'affirmation, avec référence à la doctrine, que la prescription libératoire se définit généralement par son effet de donner naissance à un nouveau délai de prescription, le temps précédemment écoulé étant perdu », et décide, ensuite, que « cette affirmation est légalement fondée » et « ne viole pas l'ordre public ».
L'arrêt attaqué ajoute que « les arbitres décident ‘surabondamment', avec référence à la doctrine, que, si le délai préfix ici visé échappe au régime de la prescription, il n'en reste pas moins que l'interruption résultant de l'introduction d'une action au fond vaut également pour un tel délai, ‘faute de quoi le régime deviendrait absurde et impraticable' », que « cette décision, qui en revient à affirmer une dernière fois que l'action au fond introduite dans le délai légal garde ses effets et que juger dans un autre sens mènerait à une décision ‘absurde' et ‘impraticable', n'est pas contraire à l'ordre public », par le motif que « ne peut être jugée contraire à l'ordre public la décision des arbitres de dire non affectée par la prescription libératoire la demande de [la défenderesse] en ce qu'elle tend à la mise en cause de la responsabilité décennale de la [demanderesse] eu égard au fait que ladite demande a été formée dans le délai de dix ans et que la [défenderesse] a agi correctement tant au niveau de la procédure devant les juges qu'au niveau de la procédure arbitrale, qu'elle a correctement initiée au moment où la nécessité d'agir de la sorte était établie (à savoir une fois que l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 27 septembre 2011 était devenu définitif) ».
Ce faisant, l'arrêt attaqué soumet le délai décennal, qui est un délai préfix, aux causes d'interruption de la prescription et permet qu'un nouveau délai décennal ait commencé à courir à compter de la date à laquelle l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 27 septembre 2011 est devenu définitif, à savoir le 9 février 2012.
26. En décidant que les arbitres ont pu, sans violer l'ordre public, décider que « la prescription libératoire se définit généralement par son effet de donner naissance à un nouveau délai de prescription, le temps précédemment écoulé étant perdu », et que, « si le délai préfix ici visé échappe au régime de la prescription, il n'en reste pas moins que l'interruption résultant de l'introduction d'une action au fond vaut également pour un tel délai, ‘faute de quoi le régime deviendrait absurde et impraticable' », dès lors que « cette décision, qui en revient à affirmer une dernière fois que l'action au fond introduite dans le délai légal garde ses effets [...], ne peut être jugée contraire à l'ordre public », et en précisant que « ne peut être jugée contraire à l'ordre public la décision des arbitres de dire non affectée par la prescription libératoire la demande de [la défenderesse] en ce qu'elle tend à la mise en cause de la responsabilité décennale de [la demanderesse] eu égard au fait que ladite demande a été formée dans le délai de dix ans et que la [défenderesse] a agi correctement tant au niveau de la procédure devant les juges qu'au niveau de la procédure arbitrale, qu'elle a correctement initiée au moment où la nécessité d'agir de la sorte était établie (à savoir une fois que l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 27 septembre 2011 était devenu définitif) », soumettant ainsi le délai décennal, qui est un délai préfix, aux causes d'interruption de la prescription en faisant courir un nouveau délai décennal à compter de la date à laquelle l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 27 septembre 2011 est devenu définitif (à savoir le 9 février 2012), alors que le délai décennal n'est pas soumis aux causes d'interruption de la prescription prévues aux articles 2242 et suivants du Code civil et ne peut être prorogé d'une égale durée mais est, au contraire, un délai fatidique prévu à peine d'irrecevabilité de l'action et de déchéance du droit et alors qu'il n'existe aucun principe ou règle de droit équivalent qui serait applicable à tout type de délai, y compris le délai préfix, l'arrêt attaqué viole les articles 1792 et 2270 ainsi que 2242, 2244, § 1er, et 2246 du Code civil mais aussi, en ne confirmant pas l'annulation de la sentence arbitrale querellée pour violation des articles susmentionnés relevant de l'ordre public, l'article 1704.2, a), du Code judiciaire.

III. La décision de la Cour

Quant aux trois branches réunies :

Aux termes de l'article 1792 du Code civil, si l'édifice construit à prix fait périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architecte et entrepreneur en sont responsables pendant dix ans.
L'article 2270 de ce code dispose qu'après dix ans, l'architecte et les entrepreneurs sont déchargés de la garantie des gros ouvrages qu'ils ont faits ou dirigés.
Il suit de ces dispositions d'ordre public que l'action qu'elles concernent doit, à peine de déchéance, être intentée dans le délai de dix ans, qui n'est de nature à être ni suspendu ni interrompu.
S'agissant toutefois d'un délai établi pour l'intentement d'une action en justice, la citation en justice dans le délai imparti soustrait le droit d'agir à la déchéance.
Cet effet se poursuit aussi longtemps qu'il n'a pas été mis fin à l'instance par une décision devenue irrévocable.
Même donnée devant un juge incompétent, la citation en justice emporte l'effet de soustraire l'action à la déchéance qui lui est applicable.
L'arrêt attaqué constate que, « par convention du 19 février 1997, la [défenderesse] a confié à la [demanderesse] la construction d'un bâtiment » et qu'au « début de 1999, de graves problèmes de stabilité [ont été] constatés » ; que, « le 30 septembre 2002, la [défenderesse a] cité la [demanderesse] » devant le tribunal de première instance de Mons qui, « par jugement du 2 mars 2010 [...], s'est déclaré sans compétence pour connaître du litige en raison de la clause d'arbitrage insérée à l'article 7.1.A des conditions générales de la [demanderesse] » ; que « cette décision [a été] confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 27 septembre 2011, devenu définitif le 9 février 2012 » ; que « la procédure d'arbitrage [a été] mise en œuvre le 9 mars 2012 » et que « la sentence arbitrale [dont l'annulation est poursuivie] déclare la demande [...] de la [défenderesse] non affectée par la prescription libératoire en ce qu'elle tend à la mise en cause de la responsabilité décennale de l'entrepreneur ».
Dès lors qu'il suit de ces constatations que l'action de la défenderesse, qui, suivant une disposition non critiquée de la sentence arbitrale, est née le 20 juin 1997, a été soustraite du 30 septembre 2002 au 9 février 2012 à la déchéance prévue aux articles 1792 et 2270 du Code civil, l'arrêt attaqué, quels que soient les termes dont il use, justifie légalement sa décision que cette sentence, qui a dit la demande recevable, n'est pas contraire à l'ordre public.
Le moyen, en aucune de ses branches, ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de huit cent quatre-vingt-six euros envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du trois janvier deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0196.F
Date de la décision : 03/01/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-01-03;c.18.0196.f ?

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