La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2018 | BELGIQUE | N°C.18.0183.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 13 décembre 2018, C.18.0183.F


N° C.18.0183.F
Y. D.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile,

contre

M. S.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 5 décembre 20

17 par le tribunal de première instance de Namur, statuant en degré d'appel.
Le président de section...

N° C.18.0183.F
Y. D.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile,

contre

M. S.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 5 décembre 2017 par le tribunal de première instance de Namur, statuant en degré d'appel.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 1044 et 1045 du Code judiciaire ;
- principe général du droit selon lequel la renonciation à un droit est de stricte interprétation et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation.

Décisions et motifs critiqués

Statuant sur l'appel du demandeur, preneur à ferme, du jugement entrepris qui avait dit non fondée sa demande en condamnation du défendeur, bailleur, au paiement de 16.400 euros en principal pour méconnaissance du droit de préemption et l'avait condamné à payer au défendeur 1.210 euros à titre d'indemnité de procédure, le jugement attaqué dit cet appel irrecevable et condamne le demandeur aux dépens d'appel par les motifs suivants :
« Le jugement entrepris déclare la demande [du demandeur] contre [le défendeur] recevable mais non fondée, l'en déboute et le condamne aux dépens, liquidés à l'indemnité de procédure de 1.210 euros ;
Le 8 novembre 2016, [le défendeur] signifie le jugement [au demandeur] avec commandement de payer la somme de 1.451,51 euros correspondant à l'indemnité de procédure et aux frais d'huissier ;
Le 25 novembre 2016, [le demandeur] paye la somme de 1.451,51 euros à l'huissier avec la référence reprise dans la signification-commandement ;
[...] Une décision ayant fait l'objet d'un acquiescement au sens des articles 1044 et 1045 du Code judiciaire n'est pas susceptible d'appel ;
L'acquiescement tacite peut être déduit d'actes ou de faits précis et concordants qui révèlent l'intention certaine de la partie de donner son adhésion à la décision ;
L'exécution, même spontanée, d'une décision de justice n'implique pas nécessairement qu'il y ait acquiescement. En effet, l'exécution, même sans réserve, d'un jugement exécutoire par provision ou d'une décision judiciaire prononcée en dernier ressort n'établit pas que la partie a renoncé à la voie de recours qui lui restait ouverte. Par contre, il est de règle que l'exécution volontaire d'un jugement susceptible de recours suspensif et non assorti de l'exécution provisoire vaut acquiescement et rend par conséquent irrecevable un appel ultérieur ;
[...] En l'espèce, le jugement entrepris n'est pas assorti de l'exécution provisoire ;
L'article 41 de la loi du 19 octobre 2015 modifiant l'article 1397 du Code judiciaire en ce sens que les jugements définitifs sont exécutoires par provision, sauf les exceptions prévues par la loi ou sauf si le juge en décide autrement moyennant une décision spécialement motivée, n'est pas applicable aux procédures qui, comme dans la présente affaire, ont été introduites avant le 1er novembre 2015 ;
Le jugement entrepris n'est donc pas exécutoire par provision ;
Il n'y a pas lieu d'avoir égard aux lettres confidentielles échangées entre les conseils des parties ;
En payant sans réserve l'indemnité de procédure et les frais d'huissier à la suite de la signification-commandement, [le demandeur] a acquiescé tacitement, mais de manière certaine, au jugement entrepris ;
Dès lors, l'appel est irrecevable ».

Griefs

1. L'acquiescement est la renonciation, par une partie à une décision judiciaire, d'introduire un recours contre cette décision.
L'acquiescement peut être tacite.
Mais, comme toute renonciation, il ne saurait se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation et dont résulte en conséquence la volonté certaine de la partie d'acquiescer à la décision.
Si la question si tel ou tel acte implique la volonté de son auteur d'acquiescer à une décision judiciaire est, en règle, une question de fait qui relève du pouvoir d'appréciation du juge du fond, encore la Cour est-elle autorisée à vérifier si, de ses constatations, le juge a légalement pu déduire l'acquiescement.
2. Le commandement est le premier acte d'exécution d'une décision judiciaire (ou d'un acte authentique) ou, à tout le moins, le préalable nécessaire à l'exécution. Il enjoint au débiteur d'exécuter la décision judiciaire sous peine de voir saisir ses immeubles ou ses meubles dans les délais légaux. En matière de saisie mobilière, ce délai est d'un jour et le commandement contient, si elle n'est pas intervenue précédemment, la signification de la décision judiciaire dont l'exécution est poursuivie (article 1499 du Code judiciaire).
L'exécution d'une décision judiciaire ne peut être poursuivie « que sur production de l'expédition ou de la minute revêtue de la formule exécutoire » (article 1386 du Code judiciaire).
Le commandement est signifié par exploit d'huissier de justice, lequel est un fonctionnaire public et un officier ministériel (article 509, § 1er, du Code judiciaire) et est seul compétent, notamment, pour « tous exploits et mettre à exécution des décisions judiciaires » (article 519, § 1er, 1°).
3. Le jugement attaqué constate que le jugement entrepris a été signifié au demandeur, à la requête du défendeur, avec commandement de payer l'indemnité de procédure et les « frais d'huissier » (le jugement ne pouvant viser par ces termes que le coût de la signification).
Il s'ensuit que, même si le jugement entrepris, n'étant « pas assorti de l'exécution provisoire », n'était donc « pas exécutoire par provision », ainsi que le constate le jugement attaqué, avec cette conséquence que le commandement lui-même et l'exécution entreprise ou, à tout le moins, annoncée dans un court délai était illégale, les circonstances relevées ci-avant expliquent que le demandeur, dont il n'était pas contesté qu'il est « agriculteur », a pu légitimement craindre d'être victime, à court terme, de la saisie de ses biens à défaut d'exécuter l'ordre de payer que contenait le commandement. Il a pu, autant, considérer sans plus qu'il était légalement obligé au paiement réclamé.
Par voie de conséquence, cette crainte légitime et cette conscience d'être tenu légalement de s'exécuter peuvent expliquer le paiement de l'indemnité de procédure de première instance et des frais d'huissier qui lui étaient réclamés, sans que son attitude implique acquiescement tacite à la décision entreprise.
Il s'ensuit qu'en jugeant l'appel irrecevable par le motif que le demandeur aurait acquiescé au jugement entrepris, le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa décision.

4. De surcroît, l'exploit de signification-commandement fait mention de la signification au demandeur de « l'expédition, en due forme exécutoire », du jugement entrepris, contient commandement de payer la somme de 1.451,51 euros « entre [les mains de l'huissier instrumentant] contre bonne et valable quittance » - c'est-à-dire immédiatement -, l'huissier déclarant à la partie signifiée qu'à défaut, « elle y sera contrainte par toutes voies de droit et notamment, après délai d'un jour, par la saisie-exécution mobilière de ses meubles, effets mobiliers ainsi que marchandises ».
Ces seules mentions de l'exploit confirment, en tant que de besoin, que le paiement effectué par le demandeur, sous une telle menace, ne saurait valoir acquiescement et que la décision est donc illégale.

III. La décision de la Cour

En vertu de l'article 1045, alinéa 3, du Code judiciaire, l'acquiescement tacite à une décision judiciaire ne peut être déduit que d'actes ou de faits précis et concordants qui révèlent l'intention certaine de la partie de donner son adhésion à la décision.
La renonciation au droit d'interjeter appel est de stricte interprétation et ne peut se déduire que de faits qui ne sont susceptibles d'aucune autre interprétation.
Il appartient à la Cour de contrôler si, des faits qu'il a constatés, le juge a pu légalement déduire l'acquiescement tacite d'une partie à la décision judiciaire dont elle a relevé appel.
Le jugement attaqué constate que le jugement entrepris, rendu le 8 septembre 2016, a débouté le demandeur de son action contre le défendeur et l'a condamné aux dépens, liquidés à douze cent dix euros au titre de l'indemnité de procédure, que, le 8 novembre 2016, le défendeur a signifié ce jugement au défendeur « avec commandement de payer la somme de 1.451,51 euros correspondant à l'indemnité de procédure et aux frais d'huissier », et que le demandeur a, le 25 novembre 2016, payé cette somme à l'huissier de justice « avec la référence reprise dans la signification-commandement ».
De la circonstance que le jugement entrepris n'était « pas exécutoire par provision », le jugement attaqué n'a pu, sans violer l'article 1045, alinéa 3, du Code judiciaire ni méconnaître le principe général du droit que la renonciation à un droit est de stricte interprétation et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation, déduire qu'en faisant ce paiement « à la suite de la signification-commandement », le demandeur a acquiescé au jugement entrepris.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant le tribunal de première instance du Hainaut, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du treize décembre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Lemal D. Batselé Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0183.F
Date de la décision : 13/12/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-12-13;c.18.0183.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award