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06/12/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0666.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 décembre 2018, C.17.0666.F


N° C.17.0666.F
J.-M. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. Jean-Jacques PEGORER, avocat, agissant en qualité d'administrateur provisoire puis de curateur à la succession vacante de feue E. V. C.,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,r>2. S. T.,
3. ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet es...

N° C.17.0666.F
J.-M. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. Jean-Jacques PEGORER, avocat, agissant en qualité d'administrateur provisoire puis de curateur à la succession vacante de feue E. V. C.,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
2. S. T.,
3. ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 28 avril 2017 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Ariane Jacquemin a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

Aux termes de l'article 1122, alinéa 1er, du Code judiciaire, toute personne qui n'a point été dûment appelée ou n'est pas intervenue à la cause en la même qualité peut former tierce opposition à la décision, même provisoire, qui préjudicie à ses droits.
L'arrêt constate que le demandeur occupait un appartement qui, après le décès de la propriétaire de ce bien, a dépendu de la succession de celle-ci, que personne n'a réclamée ; que le premier défendeur a, par des décisions contre lesquelles le demandeur a formé tierce opposition, été successivement désigné comme administrateur provisoire de cette succession puis comme curateur à succession vacante ; qu'il a cité le demandeur, qui avait cessé de payer le loyer depuis plusieurs années, en paiement d'une indemnité d'occupation, et que le juge de paix a fait droit à cette demande.
L'arrêt relève que « le ‘préjudice' dont se plaint [le demandeur] est celui d'avoir été assigné par [le premier défendeur] [...] en paiement d'une indemnité d'occupation pour l'appartement [...] qu'il occupait et d'avoir été condamné au paiement de cette indemnité » « au terme d'une procédure [...] fondée sur les désignations successives et irrégulières [du premier défendeur] ».
L'arrêt, qui dénie que « la décision de désigner [...] un administrateur provisoire à une succession [...] était susceptible de nuire aux droits [du demandeur] ou de lui causer un quelconque préjudice » ou « de menacer sa position juridique », et considère que « la condamnation [du demandeur] par le juge de paix ne peut être considérée comme un ‘préjudice' conférant [au demandeur] un intérêt à s'opposer à la désignation d'un administrateur provisoire (et ultérieurement d'un curateur à succession vacante) », et qu'« il importe peu que [le demandeur] se voie réclamer une indemnité pour l'occupation de l'appartement par un curateur à succession vacante, un administrateur provisoire ou un héritier », ne justifie pas légalement sa décision que « la tierce opposition [du demandeur] à l'encontre des [...] ordonnances précitées était irrecevable à défaut d'intérêt ».
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Quant à la troisième branche :

En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas intérêt pour la former.
L'intérêt n'est illégitime que lorsque l'action tend au maintien d'une situation contraire à l'ordre public ou à l'obtention d'un avantage illicite.
L'arrêt, qui considère que « la condamnation [du demandeur] par le juge de paix ne peut être considérée comme un ‘préjudice' conférant [au demandeur] un intérêt [...] légitime à s'opposer à la désignation d'un administrateur provisoire (et ultérieurement d'un curateur à succession vacante) », viole la disposition légale précitée.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du six décembre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Requête

1er feuillet

00170404
REQUÊTE EN CASSATION
POUR : Monsieur J.-M. L.,
demandeur en cassation,
assisté et représenté par Me Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation soussigné, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, avenue Louise, 149 (Bte 20), où il est fait élection de domicile.
CONTRE : 1. Maître Jean-Jacques PEGORER q.q., administrateur provisoire (jusqu'au 30 juin 2014) et actuellement curateur à la succession vacante de feue Madame E. V. C.,
2. Madame S. T.,
3. L'Etat belge, représenté par Monsieur le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences de Monsieur le receveur des contributions directes de Woluwé-Saint-Lambert, dont les bureaux sont établis à 1000 Bruxelles, boulevard du Jardin Botanique, 50/3117 ;
défendeurs en cassation.
* *
*
A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation de Belgique, 2ème feuillet

Messieurs,
Mesdames,
Le demandeur en cassation a l'honneur de déférer à votre censure l'arrêt rendu contradictoirement entre parties, le 28 avril 2017, par la 43ème chambre, affaires familiales, de la cour d'appel de Bruxelles (Nos 2016/FA/14 et 2016/FK/7).
Cet arrêt joint comme connexes les appels des demandeurs en cassation formés dans les causes 2016/FA/14 et 2016/FK/7 respectivement contre le jugement du 9 novembre 2015 du tribunal de première instance francophone de Bruxelles (n° 2016/FA/14) et l'ordonnance du 27 avril 2016 du président de ce tribunal statuant en référé (n° 2016/FK/7).
Les deux décisions dont appel avaient déclaré irrecevables, à défaut d'intérêt, les tierces-oppositions formées par le demandeur en cassation contre les ordonnances des 8 février 2012, 12 juin 2013, 11 juin 2014 et 30 juin 2014 par lesquelles Me Pegorer avait successivement été désigné en qualité d'administrateur provisoire, vu prolonger sa mission et, enfin, été désigné en tant que curateur à la succession vacante de Madame V. C..
Les conclusions prises par le demandeur en cassation dans les deux causes, jointes comme connexes par l'arrêt attaqué, contiennent des exposés détaillés des antécédents de fait et de procédure de ces deux causes, exposés auxquels il y a lieu de se référer.
Dans ses conclusions (R.G. 2016/FA/14 pp. 21 et 22 et n° 2016/FK/7, pp. 18 et 19), le demandeur cassation justifiait son intérêt à former les tierce-oppositions eu égard au fait que Me Pegorer q.q. a pu, en ses qualités successives d'administrateur et de curateur de la succession vacante de Mme V. C., demander et obtenir la condamnation du demandeur en cassation par le juge de paix de Woluwé-Saint-Lambert, le 22 juin 2016 à payer à Me Pegorer q.q. la somme de 37.510 euro au titre d'indemnité d'occupation et d'indemnité d'indisponibilité de l'appartement de feue Mme V. C..
Au soutien du pourvoi qu'il forme contre l'arrêt attaqué, le demandeur en cassation à l'honneur d'invoquer le moyen de cassation ci-après.
MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Dispositions légales violées
• Articles 17, 18, 774, al. 2, 1033, 1122 et 1130 du Code judiciaire ;
• Principe général du droit imposant le respect des droits de la défense.
3ème feuillet

Décisions et motifs critiqués
1. L'arrêt attaqué déclare non fondés les appels formés par le demandeur en cassation à l'encontre du jugement du 9 novembre 2015 et de l'ordonnance du 27 avril 2016 et en déboute ce demandeur.

L'arrêt condamne le demandeur en cassation, du chef d'appels téméraires et vexatoires, à payer au défendeur sub 1 (Me Pegorer q.q.) la somme de 1 euro provisionnel dans la cause 2016/FA/14, au défendeur sub 3 (l'Etat belge) la somme de 1 euro dans la cause 2016/FK/7 et à Mme T. la somme de 250 euro dans la cause 2016/FA/14 et condamne en outre le demandeur en cassation aux dépens d'appel de l'Etat belge et de Mme T..
2. L'arrêt attaqué fonde ces décisions sur les motifs qu'il énonce pages 4 à 29 tenus ici pour intégralement reproduits.

3. Statuant dans la cause no 2016/FK/7 (appel de l'ordonnance du 27 avril 2016 déclarant irrecevable la tierce opposition du demandeur contre les ordonnances du 8 février 2012, 12 juin 2013 et 11 juin 2014 désignant le défendeur sub 1 en qualité d'administrateur provisoire et prolongeant sa mission), l'arrêt fonde sa décision spécialement sur les motifs suivants :

«18.
En vertu de l'article 1033 du Code judiciaire concernant les procédures traitées sur requête unilatérale, « toute personne qui n'est pas intervenue à la cause, en la même qualité, peut former opposition à la décision qui préjudicie à ses droits ». Malgré les termes utilisés, il s'agit bien d'une « tierce opposition » et non d'une opposition.
Le juge doit vérifier d'office si le demandeur a intérêt pour former tierce-opposition, conformément à l'article 17 du Code judiciaire, cet intérêt devant être né et actuel aux termes de l'article 18, alinéa 1er, du même code ; la décision attaquée doit être susceptible de préjudicier aux droits du tiers, cette condition signifiant que le tiers opposant doit avoir éprouvé un préjudice ou être menacé d'un préjudice, peu importe que celui-ci soit matériel ou purement moral.
19.
En l'espèce, l'on ne voit pas en quoi la décision de désigner, à la requête de l'Etat belge, créancier de précomptes immobiliers impayés, un administrateur provisoire à une succession qui n'était réclamée par aucun héritier - sans que l'on ne sache, à ce stade, si cette situation était définitive ou pouvait encore évoluer - était susceptible de nuire aux droits de Mr L. ou de lui causer un quelconque préjudice. 4ème feuillet

Pour rappel, la mission dévolue à l'administrateur provisoire désigné par la première ordonnance du 8 février 2012, et prorogée par les ordonnances des 12 juin 2013 et 11 juin 2014 était de :
• Veiller à la sauvegarde des biens de la succession ;
• Passer tous actes de conservation, de surveillance et de simple administration que la situation exigerait ;
• Faire procéder à un inventaire ;
• Payer les créances incontestables ;
• Rechercher activement d'éventuels héritiers ;
• Diligenter, s'il échet, la procédure en désignation d'un curateur à succession vacante.

Mr L. n'a jamais prétendu avoir de quelconques droits dans la succession de Mme V. C. et la désignation d'un administrateur provisoire à cette succession ne pouvait donc en aucun cas menacer sa position juridique.
Si Mr L. se prétend créancier de la succession de Mme V. C., en raison des charges de copropriété qu'il aurait payées au bénéfice de celle-ci pour l'appartement qu'il occupait, il ne pouvait que se réjouir de trouver en la personne de l'administrateur provisoire un interlocuteur à l'égard duquel il pouvait faire valoir cette créance.
20.
En réalité, le préjudice dont se plaint Mr L. est celui d'avoir été assigné par l'administrateur provisoire (curateur à succession vacante) désigné par les ordonnances critiquées en paiement d'une indemnité d'occupation pour l'appartement - appartenant à la succession - qu'il occupait, et d'avoir été condamné au paiement de cette indemnité d'occupation par le jugement du juge de paix du 22 juin 2016 ; en effet, Mr L. conclut les développements qu'il consacre au préjudice qu'il affirme avoir subi en considérant « que (son) intérêt est parfaitement établi du fait du préjudice subi suite à sa condamnation par jugement du juge de paix de Woluwé-Saint-Pierre, du 22 juin 2016, au terme d'une procédure irrecevable et fondée sur les désignations successives et irrégulières de Me Pegorer en qualité d'administrateur provisoire puis de curateur à succession vacante ».
A supposer que la procédure mue par Me Pegorer q.q. à l'encontre de Mr L. devant le juge de paix ait été irrecevable, c'est devant ce même juge de paix que Mr L. devait soulever cette irrecevabilité.
Mr L. ne manque d'ailleurs pas de rappeler que c'est ce qu'il a fait - mais sans succès - en invoquant notamment le fait que Me Pegorer q.q. aurait outrepassé ses pouvoirs d'administrateur provisoire, ou encore le fait que son mandat d'administrateur provisoire était expiré à la date de la signification de la citation. 5ème feuillet

Le fait que Me Pegorer q.q. aurait outrepassé ses pouvoirs d'administrateur provisoire de la succession en introduisant à charge de Me L. une procédure judiciaire en paiement d'indemnités d'occupation (à supposer ce dépassement de pouvoirs établi) ne confère pas à ce dernier un intérêt à s'opposer à la désignation d'un administrateur provisoire à la succession de Mme V. C., à la requête de l'Etat belge.
Il n'y a en effet pas lieu de confondre l'intérêt que pouvait avoir Mr L. à contester la recevabilité de l'action dirigée contre lui par l'administrateur provisoire (curateur à succession vacante) devant le juge de paix avec l'intérêt, dont il est dépourvu, à s'opposer à la désignation d'un administrateur provisoire.
Dans la même optique, la condamnation de Mr L. par le juge de paix ne peut être considérée comme un « préjudice » conférant à Mr L. un intérêt, et certainement pas un intérêt légitime, à s'opposer à la désignation d'un administrateur provisoire (et ultérieurement, d'un curateur à succession vacante) ; soit l'action diligentée par cet administrateur provisoire/curateur à succession vacante était recevable et fondée, et la condamnation de Mr L. ne lui cause aucun « préjudice » ; soit elle ne l'est pas, ce que Me L. a encore l'occasion de soutenir devant le juge d'appel, et à supposer qu'il soit fait droit à son argumentation, sa condamnation devrait être mise à néant en degré d'appel.
21.
Comme l'a encore observé à bon droit le premier juge dans la cause 2016/FA/14, il importe peu que Mr L. se voie réclamer une indemnité pour l'occupation de l'appartement par un curateur à succession vacante, un administrateur provisoire ou un héritier.
L'on ajoutera, comme le fait observer pertinemment Me Pegorer q.q., qu'au terme de sa citation en tierce-opposition à l'encontre de l'ordonnance du 30 juin 2014 (désignant Me Pegorer en qualité de curateur à succession vacante), Mr L. demandait lui-même de « prononcer la rétractation de l'ordonnance du 30 juin 2014 et de confirmer la désignation du cité en sa qualité d'administrateur provisoire de cette succession », sans doute cette demande procédait-elle, dans l'esprit de Mr L., de la conviction que seul un curateur à succession vacante, et non un administrateur provisoire, aurait pu l'assigner en paiement d'une indemnité pour l'occupation de l'appartement litigieux, mais elle confirme en toute hypothèse que Me L. n'avait pas d'intérêt à s'opposer à la désignation d'un administrateur provisoire et qu'il pouvait parfaitement invoquer l'irrecevabilité de l'action engagée par celui-ci contre lui sans attaquer sa désignation elle-même.
22.
Dans la mesure où Mr L. n'est pas recevable à s'opposer à la désignation d'un administrateur provisoire, il n'est pas davantage recevable à se prévaloir des éventuelles irrégularités dont aurait été entachée la procédure au terme de laquelle cet administrateur provisoire a été désigné. 6ème feuillet

C'est donc en vain qu'il invoque le fait que les ordonnances litigieuses ont été délivrées en application de l'article 584 du Code judiciaire alors que les conditions d'urgence et d'absolue nécessité justifiant le recours au président du tribunal, statuant en référé, n'auraient pas été réunies. Au demeurant, la cour observe qu'en l'absence d'adversaire, le recours à une requête unilatérale s'imposait (la demande de désignation d'un administrateur provisoire n'était pas dirigée contre Mr L., ni contre un quelconque autre adversaire potentiel), tandis qu'en vertu de l'article 584, alinéa 5, 3° du Code judiciaire, le président du tribunal, siégeant en référé ou saisi par voie de requête peut « ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des droits de ceux qui ne peuvent y pourvoir » ; en toute hypothèse, le recours à une procédure unilatérale « en référé », plutôt qu'à une procédure unilatérale « ordinaire » n'était pas susceptible de causer un quelconque préjudice à Mr L..
23.
En conclusion, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la tierce-opposition de Mr L. à l'encontre des trois ordonnances précitées était irrecevable, à défaut d'intérêt dans son chef.
Même à supposer la tierce-opposition de Mr L. recevable, quod non, elle devait en toute hypothèse être déclarée non fondée, aucun préjudice n'étant établi in concreto dans le chef de Mr L. ....» (nos 18 à 23, pp. 16 à 23).
4. Statuant par ailleurs dans la cause no 2016/FA/14 (appel du jugement du 9 novembre 2015 déclarant irrecevable la tierce opposition du demandeur contre l'ordonnance du 30 juin 2014 désignant le défendeur sub 1 en qualité de curateur à succession vacante), l'arrêt fonde sa décision spécialement sur les motifs suivants :

«24.
Ici également, Mr L. fait grief au premier juge d'avoir fait droit à l'exception d'irrecevabilité de la tierce-opposition soulevée par les actuelles parties intimées, Me Pegorer q.q. et Mme T.. Le premier juge a en effet considéré « qu'on n'aperçoit pas quel intérêt a Mr L. pour remettre en cause la désignation de Me Pegorer ; qu'il n'est pas héritier de la défunte, qu'il n'est pas davantage son légataire, qu'il ne prétend même pas être son créancier ».
25.
Pour des motifs similaires à ceux exposés ci-dessus, l'on n'aperçoit pas en quoi la décision de désigner, à la requête de Me Pegorer agissant en qualité d'administrateur provisoire de la succession, un curateur à la succession qui s'était avérée vacante, était de nature à nuire aux droits de Mr L. ou à lui causer un préjudice, dès lors qu'il n'a jamais prétendu avoir un quelconque droit dans cette succession. 7ème feuillet

Même à supposer que Mr L. ait pu se prévaloir d'un intérêt théorique à contester la désignation d'un curateur à succession vacante au motif qu'en réalité, la succession n'aurait pas été vacante - quod non -, c'est manifestement à tort qu'il conteste en l'espèce la vacance de la succession de Mme V. C..
26.
Selon Mr L., Mme T. n'aurait pas pu valablement renoncer, le 29 octobre 2010, à la succession de Mme V. C., dès lors qu'elle aurait, avant cette date, posé divers actes d'acceptation de cette succession.
Mr L. invoque à cet égard le fait que Mme T. aurait accepté de percevoir les loyers de l'appartement litigieux « du mois de juillet 2007 au mois d'octobre 2008, postérieurement au décès de son grand-père Mr A. J. ».
En l'espèce, ce n'est pas de la succession de Mr A. J. qu'il est question, mais de celle de Mme V. C. et celle-ci ne s'est ouverte que lors de son décès, le 7 avril 2008.
Les paiements perçus par Mme T. avant cette date ne peuvent manifestement pas être des actes d'acceptation d'une succession qui n'était pas encore ouverte.
Restent le paiement du loyer du mois de mai 2008 (751,40 euro ) et les paiements de 5 x 1 euro faits de juin à octobre 2008 sur le compte de Mme T..
L'acceptation passive de ces quelques paiements, effectués sans que Mr L. y ait été invité après le décès de Mme V. C. (et dont l'un seulement correspond à un loyer), ne peut manifestement être considérée comme un acte de disposition impliquant acceptation de la succession.
Il n'est pas contesté que Mme T. ne s'est jamais manifestée lorsque Mr L., à partir du 1er juin 2008, n'a plus payé qu'un euro pendant cinq mois, avant d'arrêter tout paiement ; si elle se considérait comme héritière, elle n'aurait pas manqué de rappeler à Mr L. le paiement du loyer de l'appartement dont elle aurait bénéficié à titre de légataire.
En revanche, l'on peut se demander pourquoi Mr L. a arrêté, à partir du mois de juin 2008, de payer le loyer, si ce n'est parce qu'il avait appris, d'une façon ou d'une autre, que Mme V. C. était décédée peu de temps auparavant et que Mme T. ne se considérait pas comme son héritière.
Enfin, contrairement à ce qu'il soutient, Mr L. n'établit pas avoir payé à un quelconque moment les charges de copropriété, après le décès de Mme V. C., sur un autre compte que celui de l'assemblée des copropriétaires (et pas sur le compte de Mme T.).
A supposer la tierce-opposition de Mr L. recevable, quod non, elle serait en toute hypothèse non fondée. 8ème feuillet

27. Le fait que Mr L. prétende bénéficier d'une créance à l'égard de la succession de Mme V. C., pour avoir payé, au bénéfice de celle-ci, les charges de copropriété afférentes à l'appartement qu'il occupait ne lui confrère aucun intérêt à s'opposer à la désignation d'un curateur à succession vacante ; en effet, Mr L. pouvait parfaitement faire valoir cette créance à l'égard du curateur à succession vacante, ce qu'il n'a d'ailleurs pas manqué de faire.
Ici encore, le « préjudice » invoqué par Mr L. pour justifier de son intérêt à former tierce opposition à la décision de nommer un curateur à succession vacante, est celui d'avoir été poursuivi par ce curateur en paiement d'une indemnité d'occupation et d'avoir été condamné au paiement de cette indemnité d'occupation par le jugement du juge de paix du 22 juin 2016 ; en effet, Mr L. conclut ses développements concernant le « préjudice subi » comme suit : « il va de soi, dès lors, que l'appelant subit nécessairement un préjudice tant matériel que moral, de la décision qu'il entendait critiquer, à bon droit, puisqu'elle a permis sa condamnation précitée ... » (à savoir sa condamnation par le juge de paix).
Dans la mesure où l'action du curateur à succession vacante a été déclarée recevable et fondée par le juge de paix, la condamnation de Mr L. n'est pas un « préjudice » dont il peut se prévaloir pour arguer d'un intérêt - et certainement pas d'un intérêt légitime - à contester la désignation même du curateur à succession vacante.
Outre le fait que Mr L. a encore le droit d'interjeter appel de cette décision, ce qu'il a fait, il pouvait invoquer devant le juge de paix tous les moyens d'irrecevabilité liés à l'action du curateur à succession vacante - ce qu'il n'a pas manqué de faire non plus, comme il le souligne lui-même en conclusions. Il est d'ailleurs piquant de constater que d'une part, Mr L. déclare avoir soumis au juge de paix la question de la recevabilité de l'action du curateur à succession vacante, au motif que selon lui, la succession n'était pas vacante, mais avait été acceptée par Mme T., tandis que plus loin il soutient « qu'il n'appartenait pas au juge de paix de trancher la question, relevant du droit des successions » de savoir si Mme T. avait valablement renoncé à la succession.
29.
Enfin, comme l'a encore observé à bon droit le premier juge, il importe peu que Mr L. se voie réclamer une indemnité pour l'occupation de l'appartement par un curateur à succession vacante, un administrateur provisoire ou un héritier.
30.
Dès lors que Mr L. n'est pas recevable à s'opposer à la désignation d'un curateur à succession vacante, c'est en vain qu'il invoque longuement les éventuelles irrégularités dont aurait été entachée la procédure au terme de laquelle ce curateur a été désigné. 9ème feuillet

A supposer même qu'à défaut d'urgence et d'absolue nécessité, le curateur ait dû être désigné par le tribunal statuant sur requête unilatérale, mais selon la procédure ordinaire, plutôt que par le président du tribunal, siégeant en référé, l'on ne voit pas le préjudice qui aurait pu en découler pour Mr L..
Même en admettant que Mr L. ait pu se prévaloir d'un intérêt théorique à invoquer cette irrégularité, quod non, il ne démontre en toute hypothèse pas l'existence d'un intérêt concret justifiant sa tierce-opposition, qui apparaît à tout le moins non fondée.
C'est encore à tort que Mr L. invoque l'irrecevabilité de la demande originaire de désignation d'un curateur à succession vacante, au motif qu'elle aurait été formée par Me Pegorer q.q. alors qu'il n'était pas valablement désigné en qualité d'administrateur provisoire de la succession.
Outre le fait que la cour valide, par le présent arrêt, les ordonnances désignant Me Pegorer en sa qualité d'administrateur provisoire et prolongeant sa mission, Mr L., à défaut d'intérêt, n'est pas recevable à invoquer de telles prétendues irrégularités.
31.
En conclusion, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la tierce-opposition de Mr L. à l'encontre de l'ordonnance du 30 juin 2014 était irrecevable, à défaut d'intérêt dans son chef» (nos 24 à 30, pp. 21 à 24).
5. L'arrêt décide ainsi que les ordonnances contre lesquelles le demandeur a formé opposition ne lui causent pas de préjudice, qu'il est dès lors sans intérêt ou, à tout le moins, sans intérêt légitime à les critiquer en sorte que ses tierces oppositions sont irrecevables ou, à tout le moins, non fondées.

Griefs
Première branche
1. La tierce-opposition n'est irrecevable à défaut d'intérêt que si elle émane d'une personne dont la position juridique n'est pas menacée par la décision attaquée (articles 17, 18, 1033, 1122, al. 1, et 1130 du Code judiciaire).

Le juge doit se limiter à un examen prima facie de l'existence d'un préjudice (éventuel) dans le chef du tiers-opposant.
Pour que la tierce-opposition soit irrecevable, il faudrait que le préjudice fût impossible. 10ème feuillet

2. En l'espèce, le demandeur en cassation avait démontré non seulement que les désignations du défendeur sub 1 comme administrateur provisoire (ordonnance de désignation du 8 février 2012 et ordonnances de prolongation de mission des 12 juin 2013 et 11 juin 2014) puis comme curateur à succession vacante (ordonnance du 30 juin 2014) étaient susceptibles de lui causer préjudice mais encore que ces désignations lui avaient causé un préjudice avéré dès lors que le défendeur sub 1, à la faveur des désignations litigieuses, avait demandé et obtenu sa condamnation, par le jugement du 22 juin 2016 du juge de paix de Woluwé-Saint-Lambert, à lui payer 37.200 euro à titre d'indemnité d'occupation et 310 euro à titre d'indemnité d'indisponibilité (conclusions du demandeur dans la cause no 2016/FK/7, pp. 18 à 20 et dans cause no 2016/FK/14, pp. 21 à 22).

Il s'ensuit que l'arrêt attaqué a méconnu la notion légale d'intérêt à former tierce-opposition en refusant d'admettre l'existence dans le chef du demandeur en cassation, d'un tel intérêt à former tierce-opposition contre les ordonnances précitées des 8 février 2012, 12 juin 2013, 11 juin 2014 et 30 juin 2014, alors qu'il résultait des constatations mêmes de l'arrêt que la désignation du défendeur sub 1 comme administrateur provisoire, la prolongation de sa mission et enfin sa désignation comme curateur à succession vacante par ces ordonnances avaient eu pour conséquence la condamnation du demandeur en cassation par le jugement précité du 22 juin 2016 et lui avaient donc causé un préjudice avéré (violation des articles 17, 18, 1033, 1122 et 1130 du Code judiciaire).
3. L'arrêt dénoncé a par ailleurs et a fortiori violé les articles 1033, 1122 et 1130 du Code judiciaire en déclarant (p. 23, al. 2 et p. 24, al. 2) les tierces-oppositions non fondées alors qu'il résulte de ses constatations mêmes que le demandeur en cassation avait subi un préjudice causé par la désignation ordonnée par les décisions entreprises par ces recours.

Deuxième branche
4. D'une part, aux termes de l'article 774, alinéa 2, du Code judiciaire, le juge doit ordonner la réouverture des débats avant de rejeter la demande, en tout ou en partie, sur une exception que les parties n'avaient pas invoquée devant lui.

5. D'autre part, si le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, s'il est tenu d'examiner la nature juridique des faits et actes allégués par les parties et s'il peut, quelle que soit la qualification juridique donnée par les parties, compléter d'office les motifs qu'elles ont invoqués, c'est à la condition qu'il ne soulève pas de contestation dont les parties ont exclu l'existence dans leurs conclusions, qu'il se fonde exclusivement sur des éléments qui lui ont été régulièrement soumis, qu'il ne modifie pas l'objet de la demande et qu'il ne viole pas les droits de la défense, notamment en élevant d'office, sans permettre aux parties de s'expliquer sur ce point, un motif qu'elles ne pouvaient pas prévoir, compte tenu du déroulement des débats, qu'il
11ème feuillet

l'invoquerait à l'appui de sa décision (principe général du droit relatif aux droits de la défense).

6. En l'espèce, pour justifier sa décision d'irrecevabilité, l'arrêt attaqué considère que le demandeur qui cherchait seulement à échapper à l'action introduite par le défendeur sub 1, qui tendait au paiement de ses obligations contractuelles vis-à-vis de la succession de Mme V. C., n'avait pas d'intérêt et, en tout cas, aucun intérêt légitime à former tierce-opposition contre les ordonnances litigieuses.

Il élève ainsi une exception liée au caractère illégitime de l'intérêt du demandeur alors qu'aucune des parties n'avait fait valoir que l'intérêt du demandeur - à le supposer existant - n'était pas légitime.
En invoquant ainsi d'office cette exception déduite de l'illégitimité de l'intérêt du demandeur à former tierce opposition, sans ordonner la réouverture des débats pour lui permettre de s'expliquer sur ce point, l'arrêt viole dès lors l'article 774, al. 2 du Code judiciaire. Il viole par ailleurs le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, le demandeur n'ayant pas pu s'attendre à ce que la légitimité de son intérêt soit mise en cause.
Troisième branche
7. Si l'intérêt à agir (articles 17 et 18 du Code judiciaire) et notamment à former tierce opposition (article 1033, 1122 et 1130 du Code judiciaire) doit être légitime, ne poursuit un intérêt illégitime que la demande qui tend au maintien ou à l'obtention d'un avantage illicite (articles 17 et 18 du Code judiciaire et 6 et 1131 du Code civil).

La simple circonstance que le débiteur d'une obligation contractuelle cherche à échapper au paiement de celle-ci en exerçant une voie de recours ouverte par la loi ne heurte pas l'ordre public en sorte que l'intérêt de ce débiteur à l'exercice de cette voie de recours n'est pas illégitime.
8. En considérant dès lors que le demandeur n'avait pas un intérêt légitime à former tierce-opposition contre les ordonnances litigieuses au motif qu'il cherchait seulement à échapper à une action tendant au paiement de ses obligations contractuelles vis-à-vis de la succession de Madame V. C., l'arrêt attaqué viole les articles 17,18,1033, 1122 et 1130 du Code judiciaire ainsi que les articles 6 et 1131 du Code civil.
12ème feuillet

Développements
Première branche
Voy. Cass. 31 janvier 2015, Pas., 2015, n° 74 ; Cass. 21 mars 2003, Pas., 2003, n° 188, voy. aussi les conclusions du procureur général Ganshof van der Meersch, Pas. 1974, I, p. 547 in fine.
Deuxième branche
Voy. P. MARCHAL, Principes généraux du droit, coll. RPDB, Bruxelles, Bruylant, 2014, n°128
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* *
PAR CES CONSIDÉRATIONS,
l'avocat à la Cour de cassation soussigné, pour le demandeur en cassation, conclut, Messieurs, Mesdames, qu'il vous plaise, recevant le pourvoi, casser l'arrêt attaqué, ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de l'arrêt cassé, statuer comme de droit sur les dépens et renvoyer la cause devant une autre cour d'appel.
Bruxelles, le 27 novembre 2017
Pour le demandeur en cassation,
Son conseil,
Paul Alain Foriers
Pièce jointe :
Il sera joint, en outre, à la présente requête en cassation, lors de son dépôt au greffe de la Cour, l'original de l'exploit constatant sa signification aux défendeurs en cassation.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0666.F
Date de la décision : 06/12/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-12-06;c.17.0666.f ?

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