La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/2018 | BELGIQUE | N°P.18.0007.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 27 novembre 2018, P.18.0007.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.18.0007.N
I. 1. J. M.,
2. P. M.,
3. MEULEMAN, précédemment DECORTEAM MEULEMAN, société anonyme,
4. MULTIDECOR, société privée à responsabilité limitée, scindée en PATRAS, société privée à responsabilité limitée, et MEULEMAN, société anonyme,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Patrick Arnou, avocat au barreau de Flandre-Occidentale,

II. KREAPAINT, société anonyme,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Me Pieter Helsen, avocat au barreau du Limbourg,


III. 1. P. B.,
p

révenu,
2. M. V., mieux qualifiée ci-dessus,
demandeurs en cassation,
Me Maarten Vandermeersch, avocat au barreau de Flandre...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.18.0007.N
I. 1. J. M.,
2. P. M.,
3. MEULEMAN, précédemment DECORTEAM MEULEMAN, société anonyme,
4. MULTIDECOR, société privée à responsabilité limitée, scindée en PATRAS, société privée à responsabilité limitée, et MEULEMAN, société anonyme,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Patrick Arnou, avocat au barreau de Flandre-Occidentale,

II. KREAPAINT, société anonyme,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Me Pieter Helsen, avocat au barreau du Limbourg,

III. 1. P. B.,
prévenu,
2. M. V., mieux qualifiée ci-dessus,
demandeurs en cassation,
Me Maarten Vandermeersch, avocat au barreau de Flandre-Occidentale,

les pourvois I.1, I.3 et III contre

OFFICE NATIONAL DE SÉCURITÉ SOCIALE,
partie civile,
défendeur en cassation,
Mes Geoffrey de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 13 décembre 2017 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur I.1 invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le demandeur I.2 invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse I.3 invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse I.4 invoque cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse II invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le demandeur III.1 invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse III.2 reprend l'instance pendante entre le demandeur III.1 et le défendeur.

Le conseiller Antoine Lievens a fait rapport.
L'avocat général délégué Alain Winants a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR
(...)
Sur le deuxième moyen de la demanderesse I.4 :

49. Le moyen est pris de la violation de l'article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle : l'arrêt refuse illégalement le rejet de l'application de l'article 20, alinéa 2, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, bien que la Cour constitutionnelle ait constaté, par un arrêt n° 54/2017 du 11 mai 2017, que cette disposition légale viole la Constitution ; l'arrêt interprète erronément cet arrêt en considérant que seule l'absence d'une réglementation similaire pour une catégorie comparable de personnes est contraire à la Constitution.

50. Il ressort des constatations de l'arrêt que la demanderesse I.4 a été scindée, par acte notarié du 29 juin 2016, en deux sociétés distinctes, ce qui correspond à une dissolution sans liquidation de la demanderesse, alors qu'elle avait été inculpée par le juge d'instruction le 28 septembre 2010.

Se fondant sur l'arrêt n° 54/2017 rendu le 11 mai 2017 par la Cour constitutionnelle, la demanderesse a soutenu devant les juges d'appel que l'article 20, alinéa 2, du titre préliminaire du Code de procédure pénale ne peut s'appliquer et que, par conséquent, l'action publique est éteinte, dès lors que cette disposition introduit une inégalité de traitement injustifiée entre personnes morales se trouvant dans une situation juridique identique.

51. Il appartient à la juridiction de renvoi d'interpréter les dispositions qu'elle applique et à la Cour constitutionnelle de répondre à la question préjudicielle à partir de cette interprétation.

L'article 28, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 dispose que la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire sont tenues, pour la solution du litige à l'occasion duquel les questions visées à l'article 26 ont été posées, de se conformer à l'arrêt de la Cour constitutionnelle. Cependant, cette obligation existe uniquement si la loi doit faire l'objet d'une interprétation identique à celle de la Cour constitutionnelle destinée à en évaluer la constitutionnalité. Rien n'empêche la Cour, en vertu de sa mission constitutionnelle et légale, d'interpréter différemment la loi qui fait l'objet de la question préjudicielle.

52. L'article 20, alinéa 2, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, dans sa version applicable en l'espèce, dispose :
« L'action publique s'éteint par la mort de l'inculpé ou par la clôture de la liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation lorsqu'il s'agit d'une personne morale.
L'action publique pourra encore être exercée ultérieurement, si la mise en liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation a eu pour but d'échapper aux poursuites ou si la personne morale a été inculpée par le juge d'instruction conformément à l'article 61bis avant la perte de la personnalité juridique.
L'action civile peut être exercée contre l'inculpé et contre ses ayants-droit. »

53. Par son arrêt n° 54/2017 du 11 mai 2017, la Cour constitutionnelle s'est bornée à examiner l'article 20, alinéa 2, du titre préliminaire du Code de procédure pénale à la lumière de l'interprétation selon laquelle cette disposition fait naître une différence de traitement en ne prévoyant pas l'obligation de rapporter la preuve que la dissolution ou la mise en liquidation de la personne morale inculpée par le juge d'instruction avant la perte de sa personnalité juridique avait pour but d'échapper aux poursuites, alors que cette preuve doit toujours être rapportée dans d'autres cas. Elle constate ensuite une violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l'article en cause crée une différence de traitement entre, d'une part, les personnes morales qui ont été inculpées par un juge d'instruction avant leur mise en liquidation, dissolution judiciaire ou dissolution sans liquidation et, d'autre part, les personnes morales qui, avant leur mise en liquidation, dissolution judiciaire ou dissolution sans liquidation, ont été renvoyées au tribunal correctionnel par la chambre du conseil ou ont été directement citées au fond.

54. Il ressort toutefois des travaux préparatoires de la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales que, par l'article 20 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, le législateur a voulu empêcher la mise en échec de l'action publique par la liquidation ou la dissolution lorsque, notamment, celle-ci intervient après que la personne morale a eu connaissance, de manière certaine, de l'existence de poursuites par l'effet d'une inculpation. Il en va de même, a fortiori, d'une citation à comparaître ou d'un renvoi au tribunal correctionnel.

Il s'ensuit que, dans le cas de personnes morales renvoyées devant un tribunal correctionnel par la chambre du conseil ou directement citées au fond avant leur mise en liquidation, leur dissolution judiciaire ou leur dissolution sans liquidation, la preuve ne doit pas être rapportée que la liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation avait pour but d'échapper aux poursuites. Ainsi, l'inégalité de traitement dénoncée n'existe pas à l'égard de la personne morale inculpée avant la mise en liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation. En outre, il résulte de l'arrêt n° 54/2017 de la Cour constitutionnelle du 11 mai 2017 que l'inégalité de traitement entre ces personnes morales et celles qui ont fait l'objet d'une mise à l'instruction judiciaire ou d'une plainte avec constitution de partie civile nominative ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

55. Par ce fondement juridique que la Cour substitue aux motifs critiqués par le moyen, la décision selon laquelle il ne peut nullement être conclu à l'extinction de l'action publique contre la demanderesse I.4 est légalement justifiée.

Fût-il fondé, le moyen ne saurait donc entraîner la cassation et est irrecevable, à défaut d'intérêt.

(...)
Sur le premier moyen de la demanderesse II :

58. Le moyen est pris de la violation des articles 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 149 de la Constitution, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit non bis in idem : l'arrêt rejette illégalement le principe non bis in idem en admettant que le paiement effectué par la demanderesse, en ce compris l'amende infligée d'office par le Bureau permanent du Parlement flamand, ne peut être qualifié de peine.

59. Il est question de poursuite pénale au sens des articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4.1 du protocole additionnel n° 7 à cette Convention lorsque cette poursuite répond à une qualification pénale selon le droit interne, que, selon sa nature, l'infraction vaut pour l'ensemble des citoyens ou que, selon sa nature et sa gravité, la sanction de l'infraction poursuit un but répressif ou préventif.

60. L'arrêt (p. ...) considère que :
- la peine que le Bureau permanent du Parlement flamand a infligée à la demanderesse n'est autre que la résultante de la violation d'un certain nombre de dispositions purement contractuelles ;
- il s'agissait d'une mesure infligée d'office pour comportement contraire à la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services et au Cahier général des charges qui en découle ;
- en l'espèce, le pouvoir adjudicateur a acquis de plein droit le montant du cautionnement (en l'occurrence 15.000 euros) à titre d'indemnité forfaitaire, assorti d'une amende correspondant à une fois et demie le montant initial du marché (en l'occurrence 72.093,40 euros) à titre de mesure complémentaire ;
- les 33.364,17 euros en surplus, mentionnés par la demanderesse, faisaient uniquement l'objet d'un règlement financier interne ;
- pour sa part, le Parlement flamand a reconnu être encore débiteur d'un montant de 69.480,16 euros envers la demanderesse ;
- eu égard à tous ces montants dus de part et d'autre, une compensation a ensuite été opérée et une convention a été conclue qui, de facto, se confond avec une transaction ;
- enfin, il est émis une réserve à l'article 6 de cette même convention quant à l'exclusion éventuelle de la demanderesse de futurs marchés et « aux éventuels dommages qui ne seraient pas couverts par la retenue du cautionnement et qui trouveraient leur origine dans les informations dont le Parlement flamand ne dispose pas actuellement et dont il prendrait connaissance dans le cadre de l'instruction du dossier répressif » ;
- une convention de transaction par laquelle deux parties contractuantes s'entendent entre elles concernant les différents montants dus de part et d'autre - même si elles savent que cette convention comporte notamment des clauses pénales prévoyant des dommages forfaitaires - ne se confond pas avec une sanction pénale ;
- en l'espèce, il n'est en effet pas question d'une sanction imposée unilatéralement mais d'un accord négocié et donc du consentement de la partie « sanctionnée » ;
- en outre, la compensation financière visait essentiellement à réparer le dommage subi par l'autre partie contractante sans que son caractère forfaitaire y fasse obstacle ;
- de surcroît, l'opération financière dans son ensemble trouvait son origine dans un contentieux civil et contractuel ;
- la circonstance qu'en l'occurrence, la partie adverse était un organisme public et que le cahier des charges est lié à la loi du 24 décembre 1993 ne change rien à ce qui précède ;
- au final, le Bureau permanent du Parlement flamand a remédié aux manquements contractuels et aucune infraction - ni, a fortiori, l'élément moral qui est inhérent à celle-ci - n'a été sanctionnée ;
- l'illustre d'autant plus le fait que la convention de transaction a été conclue dès le 13 janvier 2010 et que la chambre du conseil n'a renvoyé la demanderesse devant la juridiction de jugement que le 16 décembre 2011 ;
- il est dès lors également logique et cohérent que la convention ait fait abstraction de la procédure pénale en intégrant la formule suivante : « aux éventuels dommages qui ne seraient pas couverts par la retenue du cautionnement et qui trouveraient leur origine dans les informations dont le Parlement flamand ne dispose pas actuellement et dont il prendrait connaissance dans le cadre de l'instruction du dossier répressif » ;
- l'incidence définitive de la procédure pénale n'était pas encore connue à ce moment-là ;
- la cour d'appel a ainsi conclu que des mesures de nature civile - en l'occurrence, renfermées dans une convention de transaction - ne se confondent pas avec une peine, de sorte que le principe non bis in idem ne peut être davantage méconnu.

Par ces motifs, la décision est légalement justifiée.

Le moyen ne peut être accueilli.
(...)
Le contrôle d'office

78. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Dit pour droit que la décision attaquée rendue sur l'action publique exercée à charge du demandeur III.1 demeure sans effet ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne la demanderesse III.2 à la moitié des frais du pourvoi III et laisse le surplus à charge de l'État ;
Condamne les demandeurs I et II aux frais de leur pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Antoine Lievens, Sidney Berneman et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept novembre deux mille dix-huit par le président Paul Maffei, en présence de l'avocat général délégué Alain Winants, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.

Traduction établie sous le contrôle du conseiller Françoise Roggen et transcrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.18.0007.N
Date de la décision : 27/11/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-11-27;p.18.0007.n ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award