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15/11/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0411.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 novembre 2018, C.17.0411.F


N° C.17.0411.F
N. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

AGRICOLAM, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Soignies (Neufvilles), chemin du Calvaire, 14,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait éle

ction de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugem...

N° C.17.0411.F
N. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

AGRICOLAM, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Soignies (Neufvilles), chemin du Calvaire, 14,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 8 février 2017 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d'appel.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

Articles 7, 1°, 8, § 1er, 9 et 12.6 de la section 3 (« des règles particulières aux baux à ferme ») du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil (ci-après « loi sur le bail à ferme »)

Décisions et motifs critiqués

1. Le jugement attaqué valide le congé notifié par la défenderesse à la demanderesse par envoi recommandé du 25 novembre 2013 au motif d'exploitation personnelle moyennant un préavis de trois ans prenant fin le 30 novembre 2016 et dit que le bail à ferme dont la demanderesse bénéficiait sur les parcelles concernées a pris fin à cette date. Il condamne la demanderesse à remettre à la libre disposition de la défenderesse « lesdites parcelles libres d'occupation et en parfait état de propreté, d'engraissement et d'entretien » et la condamne dès lors aux dépens.
2. Après avoir rappelé que la défenderesse avait été constituée le 4 juin 2013 « par T. et B. R., frère et soeur, chacun détenteur de la moitié des parts sociales », que ceux-ci avaient fait apport à la défenderesse des terres dont ils étaient propriétaires à Soignies, dont les parcelles louées à la demanderesse, et que, « par lettre recommandée du 25 novembre 2013, [la défenderesse] a notifié un congé pour exploitation personnelle [à la demanderesse] moyennant un préavis de trois ans expirant le 30 novembre 2016 », ce congé étant « signé par les deux gérants (J. H. et T. R.) et [précisant] que l'exploitation sera assurée personnellement par J. H., agriculteur et gérant », le jugement attaqué fonde sa décision sur les motifs qu'il indique, tenus ici pour intégralement reproduits, et, notamment, sur les [considérations] suivantes :
La défenderesse démontre que J. H. « dispose des capacités requises (cfr certificats de formation professionnelle cours A de l'agriculture générale - cours B de reprise d'exploitation organisés par l'association sans but lucratif FJA après 75 heures + 93 heures de cours dont la valeur n'est pas autrement remise en cause) et, surabondamment, de l'expérience vantée à titre bénévole avec son beau-père, agriculteur durant plusieurs années ».
« Pour le surplus, la loi n'exige pas que les conditions de capacité requises soient remplies par tous les organes ou dirigeants responsables ; il suffit que l'un des gérants remplisse les conditions. Ainsi, ‘imposer cette obligation à tous conduirait à des conséquences absurdes et notamment à entraîner le refus de validation du congé pour exploitation personnelle donné par une société privée à responsabilité limitée constituée par un agriculteur si son épouse en est également désignée comme gérante mais s'occupe exclusivement de la comptabilité et de la gestion administrative au motif que tous les organes ne remplissent pas les conditions de capacité requises et ne fournissent pas un travail réel' (E. Beguin, ‘Bail à ferme et société de personnes', Rev. not. belge, 2010, 713).
En tout état de cause, rien n'interdisait à [la défenderesse] de nommer gérant, dans le cadre d'une co-gérance, un tiers (extérieur à la famille) qui dispose de qualités et compétences utiles. Prétendre qu'il ne s'agirait que d'une ‘façade' relève, ici encore, du procès d'intention sans éléments objectifs et probants à l'appui d'une telle affirmation.
Pour le surplus, il ne saurait être remis en cause que J. H. fournit un travail réel dans l'entreprise agricole au sens de l'article 9 de la loi sur le bail à ferme. Il y preste dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein et exécute, selon le contrat, les tâches suivantes : ‘agriculture (labour, semis, etc.), activités connexes et travaux d'entreprise liés à l'agriculture ; gestion des produits phytosanitaires et des engrais'. La loi n'interdit pas qu'un préposé puisse également être gérant et, in casu, aucun élément objectif ne permet de considérer que sa qualité d'employé l'empêcherait de bénéficier en outre d'un réel pouvoir décisionnel en sa qualité de gérant et en collégialité avec T. R.. Le fait qu'à un moment, en ses conclusions, [la défenderesse] ait indiqué ‘le' gérant n'est pas de nature à remettre en cause ce qui précède, s'agissant d'un terme générique qui, sous peine de jouer abusivement sur les mots, ne constitue pas une reconnaissance d'une autre réalité dénoncée - mais non démontrée - par [la demanderesse].
De même, un partage des tâches entre les co-gérants n'est pas en soi suspect ou signe d'une fraude à la loi. Forcément, chacun dispose de compétences spécifiques et agit dans son domaine de prédilection, c'est là tout l'intérêt d'une co-gérance.

Quant à la condition d'activité prépondérante, à supposer que le preneur exerce la profession agricole à titre principal, et sous réserve de ce que le conseil de la [demanderesse] ne paraît pas avoir répondu à l'interpellation du conseil de [la défenderesse] en vue de s'en assurer, cette condition apparaît remplie au vu des pièces produites par celle-ci, J. H. prestant à temps plein au sein de [la défenderesse], outre sa fonction de gérant, et [la défenderesse] ne faisant appel que très rarement à des sous-traitants.
Au vu des considérations qui précèdent, les conditions légales sont remplies et il n'est par ailleurs démontré ni qu'en l'espèce, [la défenderesse] constituerait en réalité une société de capitaux ni une quelconque fraude ou simulation à la loi ».
3. Le jugement attaqué rejette ainsi le moyen par lequel la demanderesse faisait valoir que « T. R. ne peut se prévaloir, en ce qui le concerne, d'aucune des conditions requises par la loi : il se présente lui-même comme économiste, ne produit aucun diplôme délivré par une école d'agriculture ou d'horticulture agréée par l'État et ne se prévaut d'aucune activité agricole poursuivie en dehors de la société qu'il vient de constituer avec sa sœur », et « que, lorsqu'une société a plusieurs organes ou dirigeants responsables, les conditions auxquelles la loi soumet la validation d'un congé doivent être réunies dans le chef de chacun d'eux, de sorte que le congé ne peut être validé si elles ne le sont que dans le chef d'un seul des dirigeants ».

Griefs

1. Aux termes de l'article 9, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme, « l'exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s'il s'agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés ».

L'article 9, alinéas 4 et 5, de la même loi ajoute :
« La personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables doivent :
- soit être porteur d'un certificat d'études ou d'un diplôme qui lui a été délivré après avoir suivi avec fruit un cours agricole ou des études à une école d'agriculture ou d'horticulture ;
- soit être exploitant agricole ou l'avoir été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années ;
- soit avoir participé effectivement pendant au moins un an à une exploitation agricole.
Les personnes morales dont il est question au présent article doivent être constituées conformément à la loi du 12 juillet 1979 créant la société agricole ou sous la forme d'une société de personnes ou d'une société d'une personne à responsabilité limitée. En outre, les personnes qui dirigent l'activité de la société en qualité d'administrateur ou de gérant doivent fournir un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole ».
Il résulte enfin de l'article 12.6, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme que, « quand le preneur exerce la profession agricole à titre principal, le juge ne pourra valider le congé en vue de l'exploitation personnelle que si l'exploitation de l'entreprise agricole dans laquelle les biens ruraux en question seront exploités constituera une partie prépondérante de l'activité professionnelle de la personne ou des personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, en outre, s'il s'agit de personnes morales, la ou les personnes qui dirigent l'activité en qualité d'administrateur ou de gérant ».
2. Il suit de la combinaison de ces textes que, lorsqu'une société de personnes qui donne un congé pour exploitation personnelle est pourvue, comme en l'espèce, de deux ou de plusieurs gérants, chacun de ceux-ci doit répondre aux conditions de diplôme ou d'expérience professionnelle visées à l'article 9, alinéa 4, de la loi sur le bail à ferme et doit en outre fournir un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole, et que, si l'article 12.6, alinéa 2, de la même loi est applicable, chacun des gérants doit consacrer une partie prépondérante de son activité professionnelle à l'activité agricole de la société.
3. En décidant de valider ce congé litigieux au motif qu'il suffisait que l'un des deux gérants de la défenderesse réponde aux conditions exigées par l'article 9 de la loi sur la bail à ferme et qu'il suffisait, pour répondre aux conditions de l'article 12.6, alinéa 2, de la même loi, que l'un des deux gérants ait pour activité professionnelle prépondérante la gestion de l'activité agricole de la défenderesse, sans constater que tel était aussi le cas de l'autre, le jugement attaqué viole les articles 9, spécialement, alinéas 1er, 4 et 5, et 12.6, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme ainsi que les autres dispositions visées au moyen.

Second moyen

Dispositions légales violées

- articles 7, 1°, 8, § 1er, 9 et 12.6 de la section 3 (« des règles particulières aux baux à ferme ») du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil (ci-après « loi sur le bail à ferme ») ;
- article 1384, alinéa 3, du Code civil ;
- articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ;
- articles 61, 256 et 257 du Code des sociétés.

Décisions et motifs critiqués

1. Le jugement attaqué valide le congé notifié par la défenderesse à la demanderesse par envoi recommandé du 25 novembre 2013 au motif d'exploitation personnelle moyennant un préavis de trois ans prenant fin le 30 novembre 2016 et dit que le bail à ferme dont la demanderesse bénéficiait sur les parcelles concernées a pris fin à cette date. Il condamne la demanderesse à remettre à la libre disposition de la défenderesse « lesdites parcelles libres d'occupation et en parfait état de propreté, d'engraissement et d'entretien » et la condamne dès lors aux dépens.
2. Après avoir rappelé que la défenderesse avait été constituée le 4 juin 2013 « par T. et B. R., frère et soeur, chacun détenteur de la moitié des parts sociales », que ceux-ci avaient fait apport à la défenderesse des terres dont ils étaient propriétaires à Soignies, dont les parcelles louées à la demanderesse, et que, « par lettre recommandée du 25 novembre 2013, [la défenderesse] a notifié un congé pour exploitation personnelle [à la demanderesse] moyennant un préavis de trois ans expirant le 30 novembre 2016 », ce congé étant « signé par les deux gérants (J. H. et T. R.) et [précisant] que l'exploitation sera assurée personnellement par J. H., agriculteur et gérant », le jugement attaqué fonde sa décision sur les motifs qu'il indique, tenus ici pour intégralement reproduits, et, notamment, sur les [considérations] suivantes :
« Rien n'interdisait à la défenderesse de nommer gérant, dans le cadre d'une co-gérance, un tiers (extérieur à la famille) qui dispose de qualités et compétences utiles. Prétendre qu'il ne s'agirait que d'une ‘façade' relève, ici encore, du procès d'intention sans éléments objectifs et probants à l'appui d'une telle affirmation.
Pour le surplus, il ne saurait être remis en cause que J. H. fournit un travail réel dans l'entreprise agricole au sens de l'article 9 de la loi sur le bail à ferme. Il y preste dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein et exécute, selon le contrat, les tâches suivantes : ‘agriculture (labour, semis, etc.), activités connexes et travaux d'entreprise liés à l'agriculture ; gestion des produits phytosanitaires et des engrais'. La loi n'interdit pas qu'un préposé puisse également être gérant et, in casu, aucun élément objectif ne permet de considérer que sa qualité d'employé l'empêcherait de bénéficier en outre d'un réel pouvoir décisionnel en sa qualité de gérant et en collégialité avec T. R.. Le fait qu'à un moment, en ses conclusions, [la défenderesse] ait indiqué ‘ le' gérant n'est pas de nature à remettre en cause ce qui précède, s'agissant d'un terme générique qui, sous peine de jouer abusivement sur les mots, ne constitue pas une reconnaissance d'une autre réalité dénoncée - mais non démontrée - par [la demanderesse].
Quant à la condition d'activité prépondérante, à supposer que le preneur exerce la profession agricole à titre principal, et sous réserve de ce que le conseil de la [demanderesse] ne paraît pas avoir répondu à l'interpellation du conseil de [la défenderesse] en vue de s'en assurer, cette condition apparaît remplie au vu des pièces produites par celle-ci, J. H. prestant à temps plein au sein de [la défenderesse], outre sa fonction de gérant, et [la défenderesse] ne faisant appel que très rarement à des sous-traitants.
Au vu des considérations qui précèdent, les conditions légales sont remplies et il n'est par ailleurs démontré ni qu'en l'espèce, [la défenderesse] constituerait en réalité une société de capitaux ni une quelconque fraude ou simulation à la loi ».

Griefs

1. D'une part, aux termes de l'article 9, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme, « l'exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s'il s'agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés ».
L'article 9, alinéas 4 et 5, de la même loi ajoute :
« La personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables doivent :
- soit être porteur d'un certificat d'études ou d'un diplôme qui lui a été délivré après avoir suivi avec fruit un cours agricole ou des études à une école d'agriculture ou d'horticulture ;
- soit être exploitant agricole ou l'avoir été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années ;
- soit avoir participé effectivement pendant au moins un an à une exploitation agricole.
Les personnes morales dont il est question au présent article doivent être constituées conformément à la loi du 12 juillet 1979 créant la société agricole ou sous la forme d'une société de personnes ou d'une société d'une personne à responsabilité limitée. En outre, les personnes qui dirigent l'activité de la société en qualité d'administrateur ou de gérant doivent fournir un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole ».
Il résulte enfin de l'article 12.6, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme que, « quand le preneur exerce la profession agricole à titre principal, le juge ne pourra valider le congé en vue de l'exploitation personnelle que si l'exploitation de l'entreprise agricole dans laquelle les biens ruraux en question seront exploités constituera une partie prépondérante de l'activité professionnelle de la personne ou des personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, en outre, s'il s'agit de personnes morales, la ou les personnes qui dirigent l'activité en qualité d'administrateur ou de gérant ».
Il suit de l'économie de ces textes, telle qu'elle ressort de l'article 9, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme, que les conditions qu'ils prescrivent doivent être remplies par des organes de la société qui donne congé pour exploitation personnelle qui n'ont pas la qualité de préposé de celle-ci.
2. D'autre part, les sociétés de personnes à responsabilité limitée sont gérées par une ou plusieurs personnes rémunérées ou non, associées ou non, les gérants (article 255 du Code des sociétés), qui en sont les organes (articles 61 du Code des sociétés), « chaque gérant [pouvant] accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à l'accomplissement de l'objet social, sauf ceux que le [...] Code [des sociétés] réserve à l'assemblée générale » (article 257 du Code des sociétés).
3. Enfin, le contrat de travail est le contrat par lequel un travailleur preste contre rémunération ses services sous l'autorité d'un employeur (articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail), dont il est le préposé au sens, notamment, des articles 1384, alinéa 3, du Code civil et 9, alinéa 1er , de la loi sur le bail à ferme.
Si la qualité de gérant n'exclut pas que celui qui est investi de cette qualité soit dans les liens d'un contrat de travail avec la société dont il assume la gestion, c'est à la condition qu'il agisse sous l'autorité de cette société agissant par la voix d'un autre gérant ou d'un organe de gestion collégial dont il n'est qu'un des membres et dans lequel il est susceptible d'être mis en minorité en raison d'un mécanisme de prise de décision à la majorité.
4. En fondant dès lors sa décision sur la considération que « J. H. fournit un travail réel dans l'entreprise agricole » pour laquelle il « preste dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein », que « la loi n'interdit pas qu'un préposé puisse également être gérant et [qu'en l'espèce], aucun élément objectif ne permet de considérer que sa qualité d'employé l'empêcherait de bénéficier en outre d'un réel pouvoir décisionnel en sa qualité de gérant et en collégialité avec T. R. », le jugement attaqué :
1° viole les articles 9, alinéas 1er, 4 et 5, et 12, spécialement 6, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme en considérant qu'une société peut donner congé pour exploitation personnelle sur pied des articles 7, 1°, et 8 de la même loi si la personne indiquée dans le congé comme son organe chargé de l'exploitation est dans les liens d'un contrat de travail avec cette société et donc son préposé alors que cette exploitation ne peut être le fait de préposés, eussent-ils même, comme en l'espèce, la qualité d'organe ;
2° viole, à tout le moins, les articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et les articles 61, 256 et 257 du Code des sociétés en refusant de déduire du contrat de travail à temps plein qui liait J. H. à la défenderesse qu'il agissait sous l'autorité de l'autre gérant de celle-ci, T. R., pour les activités agricoles de la société,
3° et, dès lors, ne justifie pas légalement sa décision (violation de toutes les dispositions visées au moyen).

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

L'article 9 de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme soumet la validité des congés donnés par les personnes morales en vue d'exploiter elles-mêmes le bien loué aux conditions notamment que l'exploitation du bien repris au preneur consiste en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés, que leurs organes ou dirigeants responsables satisfassent aux exigences d'aptitude requises par l'alinéa 4 de cette disposition et que les personnes qui dirigent l'activité de la société en qualité d'administrateur ou de gérant fournissent un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole.
Aux termes de l'article 12.6, alinéa 2, de cette loi, quand le preneur exerce la profession agricole à titre principal, le juge ne pourra valider le congé en vue de l'exploitation personnelle que si l'entreprise agricole dans laquelle les biens ruraux seront exploités constituera une partie prépondérante de l'activité professionnelle de la personne ou des personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, en outre, s'il s'agit de personnes morales, la ou les personnes qui dirigent l'activité en qualité d'administrateur ou de gérant.
Il ne se déduit pas de ces dispositions que, lorsque le congé en vue de l'exploitation personnelle est donné par une société privée à responsabilité limitée qui est gérée par plusieurs personnes, toutes ces personnes doivent remplir les conditions précitées et consacrer une partie prépondérante de leur activité professionnelle à l'activité agricole de la société.
Le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.

Sur le second moyen :

Si l'article 9 de la loi sur les baux à ferme prescrit qu'en cas de congé donné par une personne morale en vue de l'exploitation personnelle, l'exploitation du bien repris au preneur doit être assurée par les organes ou dirigeants responsables de cette personne morale et pas seulement par ses préposés, il n'exige pas que cette exploitation soit exclusivement assurée par les organes ou dirigeants responsables de cette personne morale ni n'interdit que l'exécution de certaines tâches relatives à cette exploitation soit confiée à ses préposés.
La circonstance que le gérant d'une société privée à responsabilité limitée, qui dirige l'exploitation du bien repris par cette société en vue de son exploitation personnelle, accomplit certaines tâches matérielles relatives à cette exploitation dans le cadre d'un contrat de travail, ces tâches fussent-elles accomplies sous l'autorité de l'autre gérant de la société, n'implique pas en soi que l'exploitation dudit bien serait assurée par un préposé de la société et non par son gérant.
Le jugement attaqué considère que la demanderesse ne rapporte pas la preuve « que J. H. aurait été ‘importé' au sein de la société et nommé co-gérant pour les seuls besoins de la cause et qu'il ne disposerait, dans les faits, d'aucun réel pouvoir décisionnel et directionnel » et que « les pièces produites démontrent que les documents officiels sont co-signés par J. H. et T. R. (factures, déclarations de superficie, transfert des primes PAC, congé-renon, etc.) ».
Il considère également que « rien n'interdisait à [la défenderesse] de nommer gérant, dans le cadre d'une co-gérance, un tiers (extérieur à la famille) qui dispose de qualités et compétences utiles » et que « prétendre qu'il ne s'agirait que d'une ‘façade' relève [...] du procès d'intention sans éléments objectifs et probants à l'appui d'une telle affirmation ».
Il considère encore qu'« il ne saurait être remis en cause que J. H. fournit un travail réel dans l'entreprise agricole au sens de l'article 9 de la loi sur le bail à ferme », qu'« il y preste dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein et exécute, selon le contrat, les tâches suivantes : ‘agriculture (labour, semis, etc.), activités connexes et travaux d'entreprise liés à l'agriculture ; gestion des produits phytosanitaires et des engrais' », et qu'« aucun élément objectif ne permet de considérer que sa qualité d'employé l'empêcherait de bénéficier en outre d'un réel pouvoir décisionnel en sa qualité de gérant et en collégialité avec T. R. ».
Le jugement attaqué, qui considère ainsi, par une appréciation qui gît en fait, que J. H. dirigeait effectivement l'exploitation de l'entreprise agricole de la défenderesse en qualité de gérant et que les prestations effectuées par lui dans le cadre de son contrat de travail étaient limitées à certaines tâches matérielles relatives à cette exploitation, ne viole aucune des dispositions légales visées au moyen.
Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de sept cent nonante-deux euros septante-trois centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Françoise Roggen, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé en audience publique du quinze novembre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont M.-Cl. Ernotte M. Lemal
Fr. Roggen D. Batselé Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0411.F
Date de la décision : 15/11/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-11-15;c.17.0411.f ?

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