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07/11/2018 | BELGIQUE | N°P.18.1095.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 novembre 2018, P.18.1095.F


N° P.18.1095.F
EL H. A. A.
personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Jonathan De Taye, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, place Jean Jacobs, 5, où il est fait élection de domicile.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 25 octobre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie

certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général ...

N° P.18.1095.F
EL H. A. A.
personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Jonathan De Taye, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, place Jean Jacobs, 5, où il est fait élection de domicile.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 25 octobre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LES FAITS

Le demandeur fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen émis le 23 mai 2018 par le parquet de Paris. Cette autorité sollicite la remise du demandeur aux fins de le poursuivre du chef d'infractions terroristes.

Le juge d'instruction du tribunal de première instance francophone de Bruxelles l'a mis en détention sur cette base le 5 juin 2018. A ce moment, le demandeur était déjà inculpé et détenu préventivement du chef d'infractions terroristes, en vertu de deux mandats d'arrêt décernés dans le cadre de dossiers instruits en Belgique.

Par un arrêt du 28 juin 2018, devenu définitif, la chambre des mises en accusation de Bruxelles a confirmé l'ordonnance par laquelle la chambre du conseil, le 14 juin 2018, a rendu exécutoire le mandat d'arrêt européen précité.

Le 2 juillet 2018, le ministère public a informé le demandeur qu'il différait sa remise aux autorités françaises, pour qu'il puisse être poursuivi en Belgique en raison de faits autres que ceux visés par le mandat d'arrêt européen.

Par des arrêts rendus le 29 août 2018 et le 31 août 2018, la chambre des mises en accusation de Bruxelles, statuant sur le maintien de la détention préventive subie dans les dossiers instruits en Belgique, a décidé que cette détention serait dorénavant exécutée sous la modalité d'une surveillance électronique au domicile du demandeur.

Le 5 octobre 2018, le demandeur a déposé au greffe de la chambre du conseil, dans le cadre de la détention qu'il subit en prison en vertu du mandat d'arrêt européen, une requête de mise en liberté provisoire. Il y sollicite, à titre principal, sa mise en liberté, éventuellement sous conditions, et à titre subsidiaire, le bénéfice de la surveillance électronique.

La chambre du conseil a rejeté cette demande le 10 octobre 2018. L'arrêt attaqué, sur l'appel du demandeur, confirme cette décision.
III. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le deuxième moyen et la question préjudicielle :

1. Le moyen est pris de la violation de l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, dont notamment l'article 27 de cette loi.

Le demandeur soutient que la loi applicable au contrôle du maintien de sa détention est la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, et non celle du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen. Il fait valoir qu'il se trouve dans la même situation que n'importe quel inculpé détenu préventivement dans l'attente de son procès. Il ajoute que l'application de la loi relative à la détention préventive se justifie également en raison de la circonstance que la loi relative au mandat d'arrêt européen ne prévoit aucune procédure de contrôle du maintien de la détention de la personne qui, comme lui, est détenue en vertu d'un mandat d'arrêt européen exécutoire et dont la remise à l'Etat d'émission est différée.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la loi du 19 décembre 2003 serait applicable à sa détention et qu'il ne pourrait, pour cette raison et contrairement à l'inculpé placé sous mandat d'arrêt, bénéficier de la modalité de la détention sous surveillance électronique, le demandeur sollicite que la question préjudicielle suivante soit posée à la Cour constitutionnelle :

« Les articles 11 et 20, § 4, de la loi du 19 décembre 2003 sur le mandat d'arrêt européen violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution dès lors qu'ils ne permettent pas de modaliser la détention préventive dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen alors que cette hypothèse est possible pour le justiciable détenu préventivement sur pied de la loi sur la détention préventive ? ».

2. Le régime de la mise en liberté sous conditions ou sous caution, à sa demande, de la personne concernée par un mandat d'arrêt européen, n'est pas le même suivant qu'une décision définitive d'exécuter le mandat a déjà été prise ou, au contraire, que la procédure en vue de rendre le mandat exécutoire est encore en cours.

Dans ce dernier cas, la personne mise en détention par le juge d'instruction peut, en vertu des articles 20, §§ 2 et 3, de la loi du 19 décembre 2003, lui adresser une demande de remise en liberté sous conditions ou sous caution. Le juge d'instruction est tenu de statuer sur cette demande dans les quinze jours, et s'il ne statue pas dans ce délai ou s'il rejette la requête, la personne concernée peut adresser sa demande à la chambre du conseil.

En outre, la juridiction qui statue sur l'exécution du mandat d'arrêt européen peut prévoir, en vertu de l'article 20, § 4, alinéa 2, de la loi du 19 décembre 2003, la mise en liberté sous conditions ou sous caution de la personne concernée jusqu'à la remise effective à l'Etat d'émission, dans les conditions prévues à l'article 11, §§ 4 et 5, de la loi.

Par contre, lorsque, comme dans le cas du demandeur, la personne est détenue en vertu d'une décision définitive d'exécuter le mandat d'arrêt européen, et que sa remise à l'Etat d'émission est différée pour une raison prévue aux articles 23 et 24 de la loi du 19 décembre 2003, aucune disposition de cette loi ne prévoit la possibilité de demander la mise en liberté sous conditions ou sous caution, ni d'ailleurs la détention sous surveillance électronique.

3. Le régime de la mise en liberté sous conditions ou sous caution, à sa demande, de la personne détenue en vertu d'une décision définitive d'exécuter le mandat d'arrêt européen, et dont la remise à l'Etat d'émission est différée pour une raison prévue aux articles 23 et 24 de la loi du 19 décembre 2003, est également différent du régime applicable à l'inculpé placé sous mandat d'arrêt dans le cadre d'une instruction ouverte à sa charge en Belgique.

En vertu de l'article 35 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, le juge d'instruction et les juridictions d'instruction peuvent, le cas échéant à la demande de l'inculpé, ordonner sa mise en liberté sous conditions ou sous caution chaque fois que la détention préventive de cette personne peut être ordonnée ou maintenue. La juridiction d'instruction qui renvoie l'inculpé devant le tribunal correctionnel ou devant le tribunal de police dispose également de cette faculté en vertu de l'article 26, § 3, de la loi précitée.

4. Les articles 21, §§ 1er, alinéa 2, et 4, et 22, alinéas 1er, 6 et 7, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive permettent également aux juridictions d'instruction statuant sur le maintien de la détention préventive, le cas échéant à la demande de l'inculpé, de décider que le mandat d'arrêt ne sera plus exécuté dans une prison mais par une détention sous surveillance électronique. L'article 26, § 3, alinéa 2, de cette loi, que la Cour constitutionnelle a annulé par son arrêt n° 148/2017 du 21 décembre 2017 en ce qu'il ne permet pas à la chambre du conseil statuant au stade du règlement de la procédure d'accorder à l'inculpé qui exécute la détention préventive en prison de bénéficier de la détention préventive sous surveillance électronique, doit être interprété comme autorisant également la juridiction d'instruction réglant la procédure à appliquer cette modalité, le cas échéant à la demande de l'inculpé.

5. L'article 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales permet à la personne détenue en vertu d'un mandat d'arrêt européen rendu exécutoire, de demander au juge de vérifier la légalité de sa détention, notamment du point de vue de la durée raisonnable des poursuites, mais ne lui permet pas de demander une mise en liberté sous conditions ou sous caution, ni une détention sous surveillance électronique.

6. Il résulte de ce qui précède que le législateur traite différemment, en ce qui concerne la mise en liberté sous conditions ou sous caution, d'une part, les personnes détenues en vertu d'un mandat d'arrêt européen rendu exécutoire et dont la remise à l'Etat d'émission est différée, et, d'autre part, les personnes détenues en vertu d'une ordonnance de mise en détention prise par le juge d'instruction sur la base d'un mandat d'arrêt européen qui n'a pas encore été rendu exécutoire. Alors que les personnes de la première catégorie ne peuvent pas demander leur mise en liberté sous conditions ou sous caution, les personnes de la deuxième catégorie peuvent demander leur mise en liberté sous conditions ou sous caution au juge d'instruction et, le cas échéant, à la chambre du conseil si le juge d'instruction n'a pas statué dans les quinze jours ou s'il a rejeté cette demande.

Il résulte également de ce qui précède que le législateur traite différemment, d'une part, les personnes détenues en vertu d'un mandat d'arrêt rendu exécutoire et dont la remise à l'Etat d'émission est différée, et, d'autre part, les inculpés placés sous mandat d'arrêt dans le cadre d'une instruction ouverte en Belgique. Les personnes de la première catégorie ne peuvent pas demander leur mise en liberté sous conditions ou sous caution, ni demander d'exécuter la détention sous surveillance électronique, tandis que celles de la deuxième catégorie peuvent demander aux juridictions d'instruction statuant sur le maintien de la détention préventive ou sur le règlement de la procédure d'être mises en liberté sous conditions ou sous caution, ou d'exécuter le mandat d'arrêt sous surveillance électronique.

Il y a lieu de poser à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles énoncées au dispositif du présent arrêt, relativement à la conformité, à cet égard, de l'article 20, §§ 2, 3 et 4, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen, aux articles 10 et 11 de la Constitution.

7. Dans la présente procédure, la Cour n'est pas saisie d'un pourvoi dirigé contre un arrêt de la chambre des mises en accusation statuant sur l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, mais d'un pourvoi dirigé contre un arrêt statuant sur l'appel formé contre une ordonnance de la chambre du conseil rejetant une demande de mise en liberté provisoire introduite par une personne détenue en vertu d'une décision définitive d'exécuter le mandat d'arrêt européen. La procédure relative à l'examen du pourvoi dont la Cour est saisie n'est pas régie par l'article 18 de la loi du 19 décembre 2003, mais par les dispositions du Code d'instruction criminelle.

Il en résulte que le demandeur reste détenu dans une prison en vertu de l'arrêt de la chambre des mises en accusation du 28 juin 2018, qui constitue le titre de sa détention jusqu'à sa remise effective aux autorités judiciaires françaises, nonobstant la circonstance que la Cour ne statuera pas sur le pourvoi dans un délai de quinze jours à compter de la date du pourvoi.

8. Eu égard à la circonstance que le demandeur est détenu, il paraît souhaitable d'abréger les délais fixés aux articles 85, 87 et 89 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu aux questions préjudicielles suivantes :

« 1. Les articles 20, §§ 2, 3 et 4, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions ne permettent pas aux personnes détenues en vertu d'un mandat d'arrêt européen rendu exécutoire et dont la remise à l'Etat d'émission est différée pour une raison prévue aux articles 23 et 24 de la loi, de demander leur mise en liberté sous conditions ou sous caution, alors que les personnes détenues en vertu d'une ordonnance de mise en détention du juge d'instruction sur la base d'un mandat d'arrêt européen qui n'a pas encore été rendu exécutoire peuvent former une telle demande ?

2. Les articles 20, §§ 2, 3 et 4, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions ne permettent pas aux personnes détenues en vertu d'un mandat d'arrêt européen rendu exécutoire et dont la remise à l'Etat d'émission est différée pour une raison prévue aux articles 23 et 24 de la loi, de demander leur mise en liberté sous conditions ou sous caution, ni de demander d'exécuter la détention sous surveillance électronique, alors que les personnes inculpées qui sont placées sous mandat d'arrêt dans le cadre d'une instruction ouverte en Belgique peuvent demander aux juridictions d'instruction statuant sur le maintien de la détention préventive ou sur le règlement de la procédure d'être mises en liberté sous conditions ou sous caution, ou d'exécuter le mandat d'arrêt sous surveillance électronique ? ».
Réserve les frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, premier président, Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir et Tamara Konsek, conseillers, et prononcé en audience publique du sept novembre deux mille dix-huit par le chevalier Jean de Codt, premier président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.
T. Fenaux T. Konsek E. de Formanoir
F. Roggen B. Dejemeppe J. de Codt


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.18.1095.F
Date de la décision : 07/11/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-11-07;p.18.1095.f ?

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