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29/10/2018 | BELGIQUE | N°C.18.0212.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 octobre 2018, C.18.0212.F


N° C.18.0212.F
M. B.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

BELFIUS ASSURANCES, société anonyme, dont le siège social est établi à Saint-Josse-ten-Noode, place Charles Rogier, 11,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile.
I. La

procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 20 novembr...

N° C.18.0212.F
M. B.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

BELFIUS ASSURANCES, société anonyme, dont le siège social est établi à Saint-Josse-ten-Noode, place Charles Rogier, 11,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 20 novembre 2017 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d'appel.
Le 20 septembre 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 24 septembre 2018, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

En vertu de l'article 2244, alinéas 1er et 2, du Code civil, une citation en justice, signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forme l'interruption civile jusqu'à la prononciation d'une décision définitive.
Cet effet interruptif ne saurait toutefois se produire avant que le délai de prescription ait pris cours.
L'article 34, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, applicable au litige, dispose que l'action récursoire de l'assureur contre l'assuré se prescrit par trois ans à compter du jour du paiement par l'assureur, le cas de fraude excepté.
Cette disposition fait courir la prescription de l'action récursoire de l'assureur contre l'assuré à compter du jour du paiement.
Il s'ensuit que, lorsque l'action récursoire a pour objet le remboursement de paiements successifs effectués par l'assureur à une partie lésée par la faute de l'assuré, c'est la date de chacun de ces paiements qui détermine le point de départ de la prescription triennale.
Il ressort des pièces de la procédure que, par citation signifiée le 1er juin 2001, la défenderesse a demandé la condamnation du défendeur à payer la somme provisionnelle de 275.000 francs sur un solde évalué pour le tout et sous réserves à 1.500.000 francs en remboursement des décaissements effectués en faveur des victimes d'un accident causé par son assuré, le demandeur, et que, par des conclusions déposées devant le premier juge le 23 septembre 2015, elle a demandé sa condamnation à la somme de 19.273,85 euros représentant la moitié de décaissements effectués respectivement les 25 avril 1996, 26 mars 2002, 11 juin 2002, 27 mai 2005, 3 mai 2011 et 11 juin 2012, sous déduction de paiements effectués avant citation par le demandeur.
Le jugement attaqué énonce que la défenderesse « a effectué son premier paiement le 25 avril 1996 ce qui constitue le point de départ du délai de prescription de trois ans », que « les remboursements [du demandeur], dont le dernier datant du 5 juin 1998, ont interrompu la prescription de trois ans » et que « la citation signifiée le 1er juin 2001 est intervenue avant l'expiration dudit délai à compter du 5 juin 1998 ».
Le jugement attaqué, qui considère que, « dans sa citation, [la défenderesse] a immédiatement fait valoir ses prétentions en réclamant une somme provisionnelle et en chiffrant la réclamation totale, et ce, sous réserves, dès lors que le dommage définitif des parties préjudiciées n'était pas fixé » et que le demandeur « était donc avisé d'un complément de demande, outre la somme provisionnelle réclamée », ne justifie pas légalement sa décision que le demandeur « ne peut invoquer la prescription pour les décaissements après 2001 ».
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant le tribunal de première instance de Namur, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller Didier Batselé, président, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-neuf octobre deux mille dix-huit par le conseiller Didier Batselé, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange D. Batselé

1er feuillet

00180133
REQUETE EN CASSATION
POUR : Monsieur M. B.,
demandeur en cassation,
assisté et représenté par Me Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation soussigné, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, avenue Louise, 149 (bte 20), où il est fait élection de domicile.
CONTRE : La société anonyme BELFIUS ASSURANCES, dont le siège social est établi à 1210 Saint-Josse-ten-Noode, avenue Galilée, 5, inscrite à la BCE sous le n° 0405.764.064,
défenderesse en cassation.
* *
*
A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,
Messieurs,
Mesdames,
Le demandeur en cassation a l'honneur de déférer à votre censure le jugement rendu le 20 novembre 2017 par la troisième chambre civile du tribunal de première instance du Hainaut, division de Tournai, siégeant en degré d'appel (R.G. n° 17/230/A)
Les faits de la cause et les antécédents de la procédure, auxquels votre haute juridiction peut avoir égard, sont les suivants. 2ème feuillet

2. La défenderesse en cassation, la SA Belfius Assurances (dénomination en anglais : Belfius Insurance), vient aux droits et obligations de la compagnie Dexia Assurances, venant elle-même aux droits et obligations de la compagnie Les Assurances populaires.
Cette dernière assurait la responsabilité civile relative à un véhicule appartenant à M. F. Le 5 janvier 1995, le demandeur en cassation a conduit ce véhicule et a causé un accident de la circulation à Tournai, occasionnant d'importants dégâts matériels à une brasserie qui appartenait à Interbrew et qui était exploitée par les consorts P. et L.
Le demandeur fut poursuivi devant le tribunal de police de Tournai pour conduite en état d'intoxication alcoolique et en état d'ivresse et pour défaut de permis de conduire. Interbrew et les consorts P. et L se constituèrent parties civiles. Les Assurances populaires intervinrent volontairement à la cause.
Par jugement du 25 mars 1996, le tribunal de police dit les préventions établies, condamna le demandeur à une peine et alloua les sommes provisionnelles de 100.000 FB aux consorts P. et L. et de 200.000 FB à Interbrew.
Ce jugement a été confirmé en degré d'appel par un jugement rendu le 13 septembre 1996 par le tribunal correctionnel de Tournai.
Des expertises se sont déroulées et il y a eu un accord d'indemnisation avec Interbrew.
Il restait encore à déterminer le préjudice des exploitants de la brasserie.
Par jugement du 8 novembre 2010, le tribunal de police de Tournai condamna le demandeur et Dexia Assurances à payer à M. L. et au curateur à la faillite de M. P. la somme de 13.869,17 euro à majorer des intérêts compensatoires à partir du 5 janvier 1995 et, des intérêts judiciaires, sous déduction des provisions versées et des intérêts créditeurs y afférents, outre les dépens.
3. Entre-temps, par lettre du 17 septembre 1996 la compagnie Les Assurances populaires, par la voix de son conseil, avait avisé le demandeur de son intention d'exercer une action récursoire en vue de récupérer à sa charge les débours en faveur des parties préjudiciées. 3ème feuillet

Le conseil du demandeur avait accusé réception de cette lettre par un courrier du 4 novembre 1996 et proposé des remboursements mensuels de 1.000 FB par mois, remboursements qui furent effectués à concurrence de 25.000 FB, jusqu'au 5 juin 1998, date du dernier versement.
4. Par exploit du 1er juin 2001, Les Assurances populaires ont cité le demandeur devant le tribunal de police de Tournai, chambre civile.
L'objet de la demande était le suivant :
- condamner le cité à payer la somme provisionnelle de 275.000 FB avec les intérêts compensatoires au taux légal à dater du 17 septembre 1996 jusqu'au jour de la citation et les intérêts judiciaires à dater de la citation jusqu'au jour du paiement effectif, outre les dépens de l'instance ;
- surseoir à statuer sur le solde évalué pour le tout, et sous réserves, à 1.500.000 FB.
Par jugement du 4 décembre 2012, le tribunal de police omit la cause du rôle général, les débats n'ayant pas été ouverts ou n'ayant pas été continués depuis plus de trois ans et le maintien de la cause au rôle n'étant pas demandé.
Par des conclusions déposées au greffe du tribunal, le 23 septembre 2015, la défenderesse reprit l'instance.
La défenderesse faisait valoir que ses débours étaient les suivants :
- 7.436,81 euro (soit 300.000FB) à Immobrew (lire : Interbrew) et aux consorts P.-L., le 25 avril 1996 ;
- 9.915,74 euro aux consorts P.-L., le 26 mars 2002 ;
- 9.533,55 euro à KBC pour le dommage d'Immobrew (lire : Interbrew), le 11 juin 2002 ;
- 5.361,10 euro à Generali Belgium, assureur incendie, le 27 mai 2005 ;
- 4.122,72 euro aux consorts P.-L., le 3 mai 2011 ;
- 3.417,25 euro aux consorts P.-L., le 11 juin 2012 ;
soit au total 39.787,17 euro . 4ème feuillet

En raison d'une disposition du contrat-type d'assurance automobile, le recours était toutefois limité à la moitié de cette somme, soit 19.893,58 euro . Compte tenu des sommes déjà remboursées (619,73 euro ), la défenderesse demandait en principal la somme de 19.273,85 euro à majorer des intérêts moratoires, à dater de chacun des décaissements, et des intérêts judiciaires ensuite jusqu'à parfait paiement, outre les frais et dépens de l'instance.
Le demandeur, « quoique dûment cité et appelé », ne comparut pas devant le tribunal de police.
Par jugement du 3 novembre 2016, le tribunal de police du Hainaut, division de Tournai, fit droit à la demande de la défenderesse.
5. Par requête déposée au greffe du tribunal de première instance du Hainaut, division de Tournai, le demandeur interjeta appel de ce jugement.
Par le jugement du 20 novembre 2017, ledit tribunal reçoit l'appel et le déclare non fondé. Il confirme donc le jugement déféré et condamne le demandeur aux frais et dépens de la procédure d'appel.
* *
*
Au soutien du pourvoi qu'il forme contre ce jugement, le demandeur a l'honneur de faire valoir les moyens de cassation suivants.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales violées
- article 2244 du Code civil, avant sa modification par l'article 2 la loi du 25 juillet 2008, et article 2244, alinéas 1er et 2, du Code civil, dans sa version actuelle,
- articles 807 et 808 du Code judiciaire,
- article 34, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (avant son abrogation par l'article 347 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances ; applicable au litige en vertu de l'article 311, § 3, de ladite loi) ;
- article 88, § 3, de loi du 4 avril 2014 relative aux assurances (pour autant que de besoin). 5ème feuillet

Décision et motifs critiqués
I. Le jugement attaqué constate les faits suivants :
« La demande originaire de [la défenderesse] est une action récursoire contre son assuré [le demandeur] condamné du chef d'intoxication alcoolique, d'ivresse au volant et de défaut de permis de conduire à l'occasion d'un accident de roulage survenu à Tournai, le 5 janvier 1995.
Le tribunal retient que :
- La citation de l'action récursoire a été signifiée le 1er juin 2001. Son dispositif vise la condamnation [du demandeur] au paiement de la somme provisionnelle de 275.000 francs belges anciens sur un solde évalué pour le tout et sous réserves à 1.500.000 francs belges anciens ;
- [Le demandeur] a été avisé par courrier du 17 septembre 1996 de l'intention de [la défenderesse] d'exercer une action récursoire aux fins de récupérer à sa charge les débours en faveur des parties préjudiciées dans l'accident [...] ;
- Le conseil [du demandeur] a accusé réception de la lettre du 17 septembre 1996 [...] en proposant des remboursements mensuels par son client compte tenu de sa situation financière ;
- [Le demandeur] a effectué des remboursement en faveur de [la défenderesse], le dernier datant du 5 juin 1998 ;
- [...] [la défenderesse] rapporte la preuve de ses décaissements, notamment en 1996 et en 2002. D'autres ont suivi jusqu'en 2012 »

(jugement, p.3).
II. Le demandeur avait saisi le tribunal de ses conclusions additionnelles dans lesquelles il faisait valoir ce qui suit :
« Qu'à la suite de la citation introductive d'instance signifiée le 1er juin 2001, [la défenderesse] a réclamé les débours effectués les 26 mars 2002, 11 juin 2002, 27 mai 2005 et 3 mai 2011 par conclusions qu'elle a déposées le 25 février 2015 (le concluant dispose comme date le 23 septembre 2015 auquel cas les débours du 11 juin 2012 sont également visés), soit plus de trois ans après les décaissements ;
Que la demande relative à ces paiements est indéniablement prescrite », référence étant faite à un arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 1992 (lesdites conclusions, pp. III-IV). 6ème feuillet

III. Par confirmation du jugement du premier juge, le jugement entrepris condamne le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 19.273,85 euro à majorer des intérêts moratoires à dater des décaissements, soit :
- 7.436,81 euro à dater du 25 avril 1996,
- 9.915,74 euro à dater du 26 mars 2002,
- 9.533,55 euro à dater du 11 juin 2002,
- 5.361,10 euro à dater du 27 mai 2005,
- 4.122,72 euro à dater du 3 mai 2011,
- 3.417,25 euro à dater du 11 juin 2012,
et des intérêts judiciaires jusqu'à parfait paiement ;
condamne le demandeur aux dépens.
III. Le jugement attaqué fonde cette décision sur les motifs suivants :
« Le second [moyen du demandeur] vise à entendre déclarer l'action de [la défenderesse] forclose par prescription.
Or, il ressort que :
- [la défenderesse] a effectué son premier paiement le 25 avril 1996, ce qui constitue le point de départ du délai de prescription de trois ans ;
- les remboursements [du demandeur], dont le dernier datant du 5 juin 1998, ont interrompu la prescription de trois ans, la citation signifiée le 1er juin 2001 est intervenue avant l'expiration dudit délai à compter du 5 juin 1998 ;
- dans sa citation, [la défenderesse] a immédiatement fait valoir ses prétentions en réclamant une somme provisionnelle et en chiffrant la réclamation totale, et ce, sous réserves, dès lors que le dommage définitif des parties préjudiciées n'était pas fixé (expertises en cours). [Le demandeur] était donc avisé d'un complément de demande, outre la somme provisionnelle réclamée. Il ne peut invoquer la prescription pour les décaissements après 2001 ».

Griefs
I. L'article 34, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, applicable à la cause en vertu de l'article 311, § 3, de ladite loi la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, dispose : « L'action récursoire de l'assureur contre l'assuré se prescrit par trois ans à compter du jour du paiement par l'assureur, le cas de fraude excepté ». L'article 88, 3, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances énonce du reste la même règle. 7ème feuillet

À l'instar, en principe, de tout délai de prescription, ce délai ne peut courir avant la naissance de l'action.
Il s'ensuit que le délai de prescription de l'action récursoire de l'assureur contre l'assuré en remboursement de ses débours au profit des personnes préjudiciées, ne peut courir qu'à compter du jour du paiement des débours et que si l'assureur a effectué plusieurs paiements successifs en vue d'indemniser les victimes, la date de chacun des paiements constitue le point de départ d'un délai de prescription distinct.
2. Certes, en vertu de l'article 2244 du Code civil, une citation en justice interrompt la prescription de la demande qu'elle introduit et des demandes qui y sont virtuellement comprises, ce qui comprend les demandes visées à l'article 808 du Code judiciaire, et l'interruption de la prescription par une citation se prolonge pendant tout le cours de l'instance jusqu'au prononcé d'une décision.
La demande tendant au remboursement de sommes déboursées après par l'assureur après la citation introductive d'instance ne constitue cependant pas une demande visée à l'article 808 du Code judiciaire lequel ne vise que les demandes d'intérêts, arrivages, loyers et de tous accessoires en ce compris les augmentations ou dommages-intérêts justifiés se rattachant à la demande introduite par l'acte introductif d'instance. Elle n'est pas davantage virtuellement comprise dans la demande récursoire concernant un premier versement.
3. Il résulte de la combinaison de ces principes que la prescription de l'action récursoire relative à des paiements intervenus postérieurement à la citation introductive d'instance ne peut être interrompue par cette citation. Seules les conclusions étendant la demande originaire au remboursement de ces montants peuvent avoir pareil effet interruptif.
La circonstance qu'en vertu de l'article 807 du Code judiciaire, « la demande dont le juge est saisi peut être étendue ou modifiée, si les conclusions nouvelles, contradictoirement prises, sont fondées sur un fait ou un acte invoqué dans la citation, même si leur qualification juridique est différente », est impuissante à modifier cette solution, car la prescription de la demande étendue ou modifiée n'est pas interrompue par l'acte introductif d'instance sur laquelle elle est greffé. 8ème feuillet

Du reste, la déclaration dans la citation en justice que le citant se réserve le droit d'étendre sa demande en cours d'instance à un montant supérieur à celui réclamé, ne constitue pas une cause d'interruption de la prescription au sens de l'article 2244 du Code civil.
4. Le jugement attaqué ne dénie pas que, comme le demandeur l'avait fait valoir en conclusions, la défenderesse n'a réclamé le remboursement de ses débours effectués postérieurement à la citation introductive d'instance que par voie de conclusions déposées le 25 février 2015 ou le 23 septembre 2015, soit plus de trois ans après les décaissements, sauf pour le décaissement effectué le 11 juin 2012 s'il fallait retenir que les conclusions ont été déposées le 25 février 2015.
En décidant que la citation introductive d'instance du 1er juin 2001 a interrompu la prescription de l'action récursoire de la défenderesse contre le défendeur non seulement pour la somme provisionnelle demandée dans cette citation, mais aussi pour toutes sommes réclamées ultérieurement au motif que « dans sa citation, [la défenderesse] a immédiatement fait valoir ses prétentions en réclamant une somme provisionnelle et en chiffrant la réclamation totale, et ce, sous réserves, dès lors que le dommage définitif des parties préjudiciées n'était pas fixé (expertises en cours) [et que] [le demandeur] était donc avisé d'un complément de demande, outre la somme provisionnelle réclamée », en manière telle que le demandeur « ne peut invoquer la prescription pour les décaissements après 2001 », le jugement attaqué viole l'article 2244 du Code civil (dans sa version initiale ou en les deux premier alinéas de sa version actuelle), les articles 807 et 808 du Code judiciaire, l'article 34, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre et l'article 88, § 3, de loi du 4 avril 2014 relative aux assurances (ce dernier article étant cité pour autant que de besoin).
Développements
1. Le point de départ du délai de prescription de l'action récursoire de l'assureur contre l'assuré en remboursement de ses débours au profit des personnes préjudiciées, est le jour du paiement des débours. Avant d'avoir effectué le paiement d'indemnités aux parties préjudiciées, l'assureur ne dispose pas d'une action en remboursement contre son assuré. Dès lors, la prescription ne peut commencer à courir qu'une fois le paiement effectué (B. DUBUISSON, « L'action directe et l'action récursoire », Dix années d'application de la loi du 25 juin 1992, sous la direction de B. Dubuisson et P. Jadoul, Bruylant-Academia, 2003, p. 203 ; voir Cass. 18 mars 2013, Pas., n° 195, avec les conclusions de M. 9ème feuillet

l'avocat général GENICOT : la prescription, qui est une défense opposée à une action tardive, ne peut courir avant que cette action soit née).
Si l'assureur a effectué plusieurs paiements successifs en vue d'indemniser les victimes, la date de chacun des paiements constitue le point de départ d'un délai de prescription distinct (B. DUBUISSON, ibidem).
Dans un arrêt du 13 janvier 1983 (Pas., I, n° 282), rendu dans une cause où était applicable la loi du 11 juin 1874 sur les assurances, dont l'article 32 prévoyait que toute action dérivant de la police d'assurance est prescrite après trois ans à compter de l'événement qui y donne ouverture1, votre Cour a rejeté comme manquant en droit le moyen selon lequel « en présence de paiements successifs par l'assureur à la victime, l'événement qui donne ouverture à l'action de l'assureur est le premier paiement, puisqu'il fait partie d'une dette unique et indivisible de l'assureur à l'égard de la victime ... et reconnue par cet assureur dès le premier paiement » (voir aussi Cass., 29 mai 1986, Pas., I, n° 611).
1 La loi du 25 juin 1992 s'est bornée à préciser, pour l'action récursoire, que l'événement qui donne ouverture à l'action est le paiement fait par l'assureur, en sorte que la jurisprudence de la Cour de cassation rendue sous l'empire de la loi du 11 juin 1874 reste pertinente sur la question de la prescription de l'action s'il y a eu des paiements successifs (B. DUBUISSON, étude précitée, p. 203 ; J.-F. VAN DROOGHENBROECK, « La prescription de l'action récursoire à l'aune de la loi du 25 juin 1992 », R.G.A.R., 1996, n° 12.640/2).
« Une citation en justice interrompt la prescription pour la demande qu'elle introduit et pour celles qui y sont virtuellement comprises ; une demande introduite en paiement d'une partie d'une dette, exigible en entier, interrompt la prescription pour la partie de la dette ne constituant pas l'objet immédiat de la demande ; la citation n'interrompt pas la prescription pour les sommes non encore payées par l'assureur, qui ne sont pas exigibles et pour lesquelles le délai de prescription n'a pas pris cours ; ce n'est pas la citation, mais bien les conclusions prises par l'assureur avant la clôture des débats, dans lesquelles il prétend au paiement ou à la constatation de son droit, qui interrompent la prescription pour les sommes versées aux parties lésées postérieurement à la citation et au cours de l'instance » (Cass., 10 janvier 1992, Pas., I, n° 237).
Cet arrêt a rejeté le pourvoi de l'assureur contre la décision des juges d'appel de déclarer prescrite sa demande tendant au paiement de sommes payées depuis la citation mais plus de trois ans avant les conclusions réclamant ce paiement, dans un cas où la citation portait sur une somme postulée à titre provisionnel. 10ème feuillet

Votre Cour de cassation a confirmé cette solution dans un arrêt du 26 février 2007 (Pas., n° 112), toujours concernant un litige où la loi du 11 juin 1874 était d'application, dans un cas où la citation introductive d'instance visait à réclamer à l'assuré « le remboursement de toutes les sommes que l'assureur a dû et devra décaisser en raison du sinistre ». Les juges d'appel avaient fait droit à la demande de l'assureur en considérant que « la citation vise ainsi non seulement virtuellement, mais même expressément, la récupération de tous les décaissements en relation avec le sinistre ». Votre Cour a cassé cette décision aux motifs suivants :
« En vertu de l'article 2244 du Code civil, une citation en justice interrompt la prescription pour la demande qu'elle introduit et pour celles qui y sont virtuellement comprises. Cet effet interruptif ne saurait toutefois se produire avant que le délai de prescription n'ait pris cours.
Aux termes de l'article 32 de la loi du 11 juin 1874 sur les assurances, toute action dérivant d'une police d'assurance est prescrite après trois ans, à compter de l'événement qui y donne ouverture.
Dans le cas d'une action en répétition des sommes qu'il a payées aux victimes d'un accident, exercée par l'assureur contre l'assuré, la prescription ne peut courir avant que l'assureur ne dispose d'une action pour contraindre l'assuré au remboursement.
L'événement qui donne naissance à cette action et à partir duquel prend cours la prescription est le paiement fait par l'assureur après qu'il a été établi qu'il est légalement tenu d'indemniser le tiers lésé.
Lorsque l'action en répétition a pour objet le remboursement de paiements successifs effectués par l'assureur à une partie lésée par la faute de l'assuré, c'est la date de chacun de ces paiements qui détermine le point de départ de la prescription triennale.
L'arrêt, qui décide que la citation du 16 septembre 1983 a interrompu la prescription de l'action en répétition des sommes payées postérieurement à cette date au motif que celle-ci vise ‘non seulement virtuellement mais même expressément la récupération de tous les décaissements en relation avec le sinistre', viole les dispositions légales précitées » (voir encore Cass. 10 juin 2016, RG n° C.15.0103.F : l'effet interruptif d'une citation en justice, signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire, ne saurait se produire avant que le délai de prescription ait pris cours). 11ème feuillet

2. Du reste, la déclaration par une partie qu'elle réserve son droit d'intenter une action en justice ne constitue pas une cause d'interruption de la prescription de cette action (Cass., 3 juin 1991, précédé des conclusions de M. le procureur général LECLERCQ, alors avocat général, Pas., I, n° 510 ; S. MOSSELMANS, « La modification de la demande dans le cadre de l'article 807 du Code judiciaire », Rapport de la Cour de cassation, 2002, p. 183).
Dès lors, la mention dans la citation introductive d'instance que celle-ci vise le paiement d'une somme provisionnelle pour des sommes déjà versées aux victimes et la demande qu'il soit sursis à statuer sur le solde évalué pour le tout à un montant supérieur, ne permet pas de justifier la décision entreprise que cette citation a interrompu la prescription non seulement pour le remboursement des sommes déjà payées, mais également pour le remboursement de sommes non encore payées à la date de la citation, pour lesquelles l'assureur ne disposait pas encore d'une action récursoire et pour lesquelles la prescription ne courait pas encore.
3. Selon les conclusions de synthèse d'appel de la défenderesse, la jurisprudence précitée de l'arrêt de votre Cour du 10 janvier 1992 ne pouvait pas s'appliquer depuis que la loi du 25 juin 1998 avait ajouté à l'article 2244 du Code civil un alinéa 2, selon lequel « une citation en justice interrompt la prescription jusqu'au prononcé d'une décision définitive » (lesdites conclusions, p. 4).
Cette thèse est inexacte car le législateur n'a fait que transcrire en termes de loi une règle formulée de longue date par votre Cour (Cass., 11 juin 1957, Pas., I, 523 ; Cass., 30 juin 1997, Pas., I, n° 309 ; Cass. 24 avril 1992, Pas., I, n° 447 ; voir conclusions de M. l'avocat général GENICOT avant Cass., 18 mars 2013, Pas., n° 196 ; voir les travaux préparatoires de la loi du 25 juin 1998 : Ch. des Repr., Doc. 52-0832/006, pp. 9-10). 12ème feuillet

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Disposition légale violée
- article 149 de la Constitution
Décision et motifs critiqués
Par confirmation du jugement du premier juge, le jugement entrepris condamne le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 19.273,85 euro à majorer des intérêts moratoires à dater des décaissements, soit :
- 7.436,81 euro à dater du 25 avril 1996,
- 9.915,74 euro à dater du 26 mars 2002,
- 9.533,55 euro à dater du 11 juin 2002,
- 5.361,10 euro à dater du 27 mai 2005,
- 4.122,72 euro à dater du 3 mai 2011,
- 3.417,25 euro à dater du 11 juin 2012,
et des intérêts judiciaires jusqu'à parfait paiement ;
condamne le demandeur aux dépens.
Grief
À l'encontre de la demande de la défenderesse d'obtenir des intérêts moratoires à dater de chaque décaissement, le demandeur avait fait valoir, à titre subsidiaire, dans ses conclusions additionnelles prises devant le tribunal, « que sans doute à la suite de plusieurs fusions-absorptions, [la défenderesse] n'a diligenté la cause qu'à la suite du dépôt de ses conclusions de reprise d'instance le 23 septembre 2015 ; que c'est à ce moment que [la défenderesse] a réclamé l'intégralité des débours qu'elle aurait - quod non - décaissés ; qu'il y a lieu de dire que les intérêts ne sont dus, à titre subsidiaire, qu'à dater du 23 septembre 2015 » (lesdites conclusions, p. IV).
Le jugement attaqué confirme en tous points le jugement dont appel qui avait alloué à la défenderesse des intérêts moratoires à dater des décaissements, sans répondre au moyen précité des conclusions du demandeur. Le jugement n'est partant pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution). 13ème feuillet

PAR CES MOYENS ET CES CONSIDERATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation soussigné, pour le demandeur en cassation, conclut, Messieurs, Mesdames, qu'il vous plaise, casser le jugement attaqué ; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée ; renvoyer la cause devant une autre tribunal de première instance siégeant en degré d'appel ; statuer sur les dépens comme de droit.
Bruxelles, le 9 mai 2018
Pour le demandeur en cassation,
son conseil,
Paul Alain Foriers
Pièce jointe :
Il sera joint à la présente requête en cassation, lors de son dépôt au greffe de la Cour, l'original de l'exploit constatant sa signification à la défenderesse en cassation.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0212.F
Date de la décision : 29/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-29;c.18.0212.f ?

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