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29/10/2018 | BELGIQUE | N°C.18.0152.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 octobre 2018, C.18.0152.F


N° C.18.0152.F
JMC CONSTRUCTIONS, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Anderlecht, rue Memling, 15,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

FRANKI, société anonyme, dont le siège social est établi à Flémalle, chemin des Moissons, 10,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, d

ont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.

I. L...

N° C.18.0152.F
JMC CONSTRUCTIONS, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Anderlecht, rue Memling, 15,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

FRANKI, société anonyme, dont le siège social est établi à Flémalle, chemin des Moissons, 10,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 février 2018 par la cour d'appel de Liège.
Le 20 septembre 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 24 septembre 2018, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la seconde branche :

Conformément à l'article 1108 du Code civil, un objet certain qui forme la matière de l'engagement constitue une condition essentielle pour la validité d'une convention.
L'article 6 de ce code dispose que l'on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.
Il suit de ces dispositions que la licéité de l'objet doit être appréciée au moment de la conclusion de la convention, et non par rapport à la manière dont celle-ci a été exécutée.
L'arrêt constate que la défenderesse, qui agit « en qualité d'entrepreneur général pour la construction d'écoles » au profit de diverses communes, « conclut avec [la demanderesse] des contrats de sous-traitance afin de l'épauler dans la réalisation de ces travaux par la fourniture de main-d'œuvre » et que, « dans le cadre des contrats de sous-traitance litigieux, [la demanderesse a elle-même] eu recours à trois entreprises sous-traitantes portugaises », dès lors qu'elle relève « qu'elle n'occupe pas directement d'ouvriers salariés ».
Il énonce que « les conventions de sous-traitance n'interdisent pas [...] le recours, par le sous-traitant, à de la main-d'œuvre étrangère pour autant qu'il fournisse à l'entrepreneur général avant le début des travaux les certificats de détachement pour les sous-traitants étrangers, ainsi que les accusés de réception ‘Limosa 1' de la déclaration Limosa effectuée pour chaque travailleur détaché (article 8 du contrat de sous-traitance) », et que, « pour les chantiers concernés, [la demanderesse a] fourni à [la défenderesse] divers documents (formulaires A1 et accusés de réception Limosa) pour les ouvriers portugais détachés sur les trois chantiers ».
Il considère que « l'objet de ces conventions est illicite puisqu'il vise des prestations de travail non conformes aux législations sociales » aux motifs qu'il est « apparu, lors d'un contrôle effectué le 28 août 2014 sur le chantier de Berchem-Sainte-Agathe par l'inspection sociale que six travailleurs portugais, présentés comme étant en situation de détachement par [la demanderesse], se trouvaient en situation irrégulière dès lors que le document A1 transmis par [celle-ci] à [la défenderesse] est un faux document », « des documents similaires [à ce] document A1 falsifié » ayant pour le surplus également été remis pour les deux autres chantiers, et que l'établissement d' « un procès-verbal de constat d'infraction pénale à charge de [la défenderesse] est la conséquence du non-respect [par la demanderesse] des obligations lui incombant contractuellement quant à la fourniture des documents requis par les législations sociales », qu' « elle en était seule responsable (voir article 8 du contrat de sous-traitance et l'article 19 des conditions générales) » et qu' « il lui appartenait [...] de respecter les législations sociales ou de les faire respecter par les sous-traitants qu'elle a elle-même choisis, [peu important] que la falsification des documents A1 émane de son sous-traitant Lobricense ou du comptable de celui-ci ».
Sur la base de ces considérations, l'arrêt n'a pu décider, sans violer les dispositions légales précitées, que ces manquements, qui relèvent de l'exécution des contrats de sous-traitance, rendaient l'objet de ces conventions illicite.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller Didier Batselé, président, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-neuf octobre deux mille dix-huit par le conseiller Didier Batselé, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange D. Batselé


Requête
POURVOI EN CASSATION

POUR : JMC CONSTRUCTION SPRL, dont le siège social est établi à 1070 Bruxelles, Rue Memling 15, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0867.005.103,

Demanderesse en cassation,

Assistée et représentée par Me Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont les bureaux sont établis Avenue Louise 480 - bte 3 à 1050 Bruxelles, chez qui il est fait élection de domicile,

CONTRE : Franki S.A., dont le siège social est établi à 4400 Flemalle, Chemin des Moissons, 10, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0402.973.335.

Défenderesse en cassation.

A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,

Mesdames,
Messieurs,

La demanderesse a l'honneur de soumettre à Votre censure l'arrêt rendu le 16 février 2018 par la 20ème chambre de la Cour d'appel de Liège (R.G. n° 2016/R.G./1204) dans les circonstances suivantes.

La S.P.R.L. JMC CONSTRUCTION (ci-après « JMC ») est une entreprise active dans le secteur de la construction. Travaillant principalement avec des sous-traitants, elle n'occupe directement aucun ouvrier salarié.
Le 24 juin 2014, JMC a signé un contrat de sous-traitance avec la S.A. FRANKI (ci-après « Franki») pour des travaux à réaliser sur le chantier de l'école de Corroy-Le-Grand.
Le 5 août 2014, un contrat identique a été signé pour un chantier à Auderghem.
Un troisième contrat non écrit s'est noué entre les parties pour le chantier de Berchem-Ste-Agathe.
Dans le cadre de l'exécution des travaux de sous-traitance, JMC a fait elle-même appel à trois entreprises sous-traitantes portugaises, en l'occurrence, Destinos Plenos, Evaluçao Periferica et Lobricense.
Franki a été informée de l'intervention de ces (sous-)sous-traitants.
Conformément à l'article 18 des conditions générales des contrats de sous-traitance, JMC a transmis à Franki les preuves de déclaration Limosa pour chaque travailleur détaché participant aux travaux.
Le 28 août 2014, l'inspection sociale a effectué un contrôle sur le chantier de la commune de Berchem-Ste Agathe et il est apparu que Franki avait remis aux inspecteurs, au moment du contrôle, copie d'un faux document présentant les ouvriers comme étant des ouvriers en situation de détachement et ressortissant de la sécurité sociale portugaise.
Au moment du contrôle, aucun contrat de sous-traitance n'avait été conclu entre Franki et les ouvriers du sous-traitant alors que les six ouvriers étaient au travail et que Franki aurait dû préalablement déclarer les ouvriers à la Dimona.
Ces faits ont été portés à la connaissance de l'Auditorat du travail de Bruxelles.
Le 22 septembre 2014, Franki a écrit à JMC que le maître de l'ouvrage du chantier de Berchem-Ste-Agathe refusait sa présence sur le chantier et a mis fin à la relation contractuelle entre parties.
Franki a résilié les contrats pour les autres chantiers indiquant qu'elle enverrait prochainement un décompte précis des sommes dues pour les travaux exécutés au jour de la résiliation.
JMC a ensuite adressé à Franki des factures pour les trois chantiers sur la base de leur état d'avancement. Ces factures n'ont pas fait l'objet de contestation mais n'ont pas été payées.
Après mise en demeure, JMC a assigné Franki en paiement de ses factures.
Franki a formé une demande reconventionnelle en paiement d'un euro à titre provisionnel de dommage et intérêts.
Le tribunal a communiqué la cause au Ministère public pour entendre son avis en ce qui concerne l'application éventuelle de la règle « le criminel tient le civil en état » et ordonné d'office la réouverture des débats.
Le Ministère public a rendu un avis verbal confirmant qu'une transaction pénale avait été payée par Franki et que l'Auditorat du travail de Bruxelles avait constaté l'extinction de l'action publique.
Statuant en prosécution de cause, le tribunal a dit la demande principale recevable, prononcé la nullité de la convention avenue entre les parties et ordonné la réouverture des débats pour qu'elles s'expliquent quant aux restitutions réciproques éventuelles.
Sur appel interjeté par JMC, la Cour a confirmé la nullité des conventions de sous-traitance et déclaré non-fondée la demande formée par JMC.
A l'encontre de cette décision la demanderesse a l'honneur de formuler le moyen suivant.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions légales dont la violation est invoquée
- Article 149 de la Constitution
- Articles 6, 1108 et 1131 du Code civil

Partie critiquée de la décision
L'arrêt déclare nulles les conventions conclues entre la demanderesse et la défenderesse au motif que ces conventions auraient eu un objet illicite et rejette la demande de la demanderesse en paiement de ses factures dues en vertu de ces conventions et demeurées impayées par la défenderesse.
L'arrêt motive cette décision de la manière suivante :
« L'objet de ces conventions est illicite puisqu'il vise des prestations de travail non conformes aux législations sociales, ainsi que cela résulte du contrôle effectué par l'inspection sociale sur le chantier de Berchem-Sainte-Agathe.
En effet, le sous-traitant JMC, qui avait recours à de la main d'œuvre étrangère, était tenu de respecter et/ou de faire respecter toutes les dispositions légales en la matière, ce qui n'était pas le cas puisque des travailleurs étaient présentés comme étant des ouvriers en situation de détachement et ressortissant de la sécurité sociale portugaise sur base d'un document falsifié.
Ces ressortissants portugais ne pouvant être considérés comme des travailleurs détachés, il incombait à Franki dans le contexte pré-décrit de déclarer ces travailleurs à la Dimona. Cette déclaration préalable à l'occupation n'a pas été faite conformément aux articles 4 à 8 de l'A.R. du 5/11/2002. Ce manquement est sanctionné pénalement (article 181 du Code pénal social). C'est d'ailleurs sur cette base qu'une transaction pénale a été proposée à Franki.
Les dispositions pénales étant d'ordre public, les conventions de sous-traitance avenues entre parties violent l'ordre public et sont en conséquence frappées de nullité absolue, laquelle doit être soulevée d'office par le juge ».

Griefs

Première branche

N'est pas régulièrement motivée la décision du juge du fond qui ne répond pas aux conclusions des parties.
En conclusions la demanderesse soutenait :
« ...l'objet d'une convention est fixé lors de sa formation.
...
L'ensemble des conventions de sous-traitance entre parties (ou projet) prévoit expressément le respect scrupuleux par les parties des formalités administratives dont notamment les déclarations DIMONA et autres formalités en cas de travailleurs étrangers (demande de documents A1 et LIMOSA).
...
La circonstance que dans le cadre d'une convention de sous-traitance des formalités administratives n'aient pas été accomplies correctement n'implique pas que son objet est illicite.
Les conventions de sous-traitance n'avaient aucunement pour objet d'éluder de quelconques obligations administratives (ou non) et il n'a jamais été dans l'intention des parties de s'y soustraire ».
Ces motifs ne répondent pas aux conclusions de la demanderesse en ce qu'elles soutenaient ainsi que les conventions de sous-traitance entre parties n'avaient pas pour objet d'éluder les obligations administratives des parties et que le non-accomplissement ensuite de ces obligations ne rendait pas l'objet illicite.
L'arrêt viole ainsi l'article 149 de la Constitution.

Deuxième branche

L'objet d'une convention doit s'apprécier au moment de sa conclusion, indépendamment de la manière dont celle-ci a été exécutée (Cass., 28 novembre 2011, R.G. : 13.0233.N).
Par arrêt du 30 janvier 2015 (R.G. : C.14.0285.N), Votre Cour a précisé que « En vertu des articles 6 et 1108 du Code civil est nulle la convention dont l'objet est illicite. L'objet d'une convention est illicite si elle oblige à une prestation interdite par une loi d'ordre public ou contraire aux bonnes mœurs. Sauf dispositions légales contraires, l'infraction à une règle d'ordre public commise lors de la conclusion de la convention n'entraîne, en principe, la nullité de la convention que lorsqu'il résulte de cette infraction que l'objet de la convention est illicite » (mise en évidence faite par la demanderesse).
Cet arrêt confirme que la violation d'une disposition d'ordre public en cours d'exécution n'entraine pas en soi l'illicéité de l'objet de la convention (pour un commentaire de cet arrêt : voy. L. Cornelis, Mal aimé, mal gardé : l'ordre public en droit privé, R.C.J.B., 2017, 190.- B. Khol, Examen de jurisprudence, Les contrats spéciaux, Le louage d'ouvrage, R.C.J.B., 2017, 601, n°185 qui indique que l'on distingue les causes d'extinction et de dissolution du contrat contemporaines à sa formation et celles qui sont postérieures à celle-ci, rangeant dans la première catégorie la nullité pour objet illicite).
L'arrêt entrepris prononce la nullité des conventions de sous-traitance avenues entre parties en se fondant sur des éléments postérieurs à la conclusion de ces conventions, à savoir la manière dont celles-ci avaient été exécutées en ce qui concerne les formalités administratives à remplir pour l'engagement des travailleurs affectés au chantier, sans constater que l'objet des conventions au moment de leur conclusion était d'éluder ces formalités ou de les méconnaître.
En se fondant sur ces éléments postérieurs à la conclusion des conventions pour considérer que l'objet de celles-ci était illicite, l'arrêt méconnait les dispositions du Code civil visées au moyen.

PAR CES CONSIDERATIONS

L'avocat à la Cour de cassation soussigné prie qu'il vous plaise, Mesdames, Messieurs, de casser l'arrêt entrepris, d'ordonner que mention de Votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée, de renvoyer la cause devant une autre Cour d'appel et de statuer comme de droit sur les dépens.

Bruxelles, le 23 mars 2018

Isabelle Heenen


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0152.F
Date de la décision : 29/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-29;c.18.0152.f ?

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