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25/10/2018 | BELGIQUE | N°C.18.0014.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 octobre 2018, C.18.0014.F


N° C.18.0014.F
BP EUROPA, société européenne de droit allemand, dont le siège est établi à Hambourg (Allemagne), Überseeallee, 1, et dont une succursale est établie à Geel, Amocolaan, 2,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,

contre

Hugues BORN, avocat, en qualité de liquidateur judiciaire de la société privée à responsabilité limitée Immo Alpha 80,
défendeur en cassation,
représenté pa

r Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, ...

N° C.18.0014.F
BP EUROPA, société européenne de droit allemand, dont le siège est établi à Hambourg (Allemagne), Überseeallee, 1, et dont une succursale est établie à Geel, Amocolaan, 2,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,

contre

Hugues BORN, avocat, en qualité de liquidateur judiciaire de la société privée à responsabilité limitée Immo Alpha 80,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 8 décembre 2015 et 16 mai 2017 par la cour d'appel de Liège, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 3 février 2011.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat général Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

Dans la mesure où il invoque la méconnaissance du principe général du droit de l'interdiction de l'enrichissement sans cause, qui n'est pas applicable au litige et dont la cour d'appel n'a pas fait application, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Pour le surplus, suivant l'article 555, alinéa 1er, du Code civil, lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec ses matériaux, le propriétaire du fonds a droit ou de les retenir, ou d'obliger ce tiers à les enlever et, conformément au troisième alinéa de cet article, si le propriétaire préfère conserver ces plantations et constructions, il doit le remboursement de la valeur des matériaux et du prix de la main-d'œuvre, sans égard à la plus ou moins grande augmentation de valeur que le fonds a pu recevoir.
Il suit de cette disposition que, lorsque le tiers a eu recours à un entrepreneur pour la réalisation des constructions, la valeur des matériaux et le prix de la main-d'œuvre sont déterminés, en règle, par le prix qui lui a été facturé, et non en fonction de ce qu'il a effectivement payé sur ce prix.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.

Quant à la seconde branche :

L'arrêt attaqué du 8 décembre 2015 considère qu'« il est établi que c'est [le défendeur] qui a réalisé à ses frais sur le terrain appartenant à [la demanderesse], et non aux frais de cette dernière, les ouvrages litigieux, via un contrat d'entreprise qu'elle avait souscrit avec la Société mosane de construction », et que « la question de savoir si [le défendeur] a réglé le coût de la construction à son cocontractant [...] n'est pas déterminante à ce stade du raisonnement, n'étant pas établi que le contrat d'entreprise contenait une clause de réserve de propriété des matériaux », en sorte qu'« il appartenait donc à [la demanderesse] de rembourser le coût total de la construction, soit le coût de la main-d'œuvre et la valeur des matériaux, déterminé en se plaçant à l'époque de la construction », sous réserve de l'existence d'un abus de droit pour lequel il ordonne une réouverture des débats.
En considérant que l'absence de paiement par le défendeur de la totalité du prix des constructions n'a pas d'incidence sur la fixation de la valeur des constructions au sens de l'article 555 du Code civil, l'arrêt attaqué du 8 décembre 2015 statue sur les conséquences juridiques de ce défaut de paiement.
Le moyen, qui, en cette branche, procède d'une lecture inexacte de l'arrêt attaqué du 8 décembre 2015, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille septante-huit euros envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé en audience publique du vingt-cinq octobre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

P. De Wadripont M.-Cl. Ernotte M. Lemal
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Requête
POURVOI EN CASSATION

POUR: BP EUROPA SE, société Européenne de droit allemande, dont le siège social était établi à Max-Born-Strasse 2, D-22761 Hambourg (Allemagne), et actuellement à Überseeallee 1, D-20457 Hambourg (Allemagne), BCE 0457.173.569, dont la succursale Belge était établie à 2600 Berchem, Uitbreidingstraat 60-62, et actuellement à 2440 Geel, Amocolaan 2,

demanderesse en cassation,

assistée et représentée par Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à 2000 ANTWERPEN 1, Amerikalei 187/302, où il est fait élection de domicile,

CONTRE: BORN Hugues, avocat, en qualité de liquidateur judiciaire de la SPRL IMMO ALPHA 80 en liquidation,

défendeur en cassation,

*
* *

A Messieurs les Premier Président et Président,
Mesdames et Messieurs les conseillers composant la Cour de cassation de Belgique,
Mesdames, Messieurs,
La demanderesse a l'honneur de déférer à Votre censure deux arrêts rendus contradictoirement entre les parties le 8 décembre 2015 et le 16 mai 2017 par la troisième a chambre civile de la cour d'appel de Liège (2013/RG/78).

LES FAITS DE LA CAUSE ET ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE

Le 6 mai 1991, un compromis de vente concernant un terrain a été signé entre la demanderesse (vendeur) et le défendeur (acheteur). Selon le compromis, l'acheteur sera le propriétaire et aura la jouissance du bien vendu à partir de la date de la passation de l'acte authentique de vente. Aussi selon le compromis, l'acheteur s'engageait à créer sur le terrain faisant l'objet de la vente un magasin alimentaire de type discount ALDI avec parking, dans un délai de 6 mois à dater de la passation de l'acte authentique de vente.

L'acte authentique de vente ne fut jamais passé. Le défendeur a toutefois commencé la construction d'un magasin avec parking sur le terrain, pour laquelle il a fait appel à un entrepreneur. Ensuite, le défendeur a conclu avec la société SA ALDI un contrat de bail commercial pour une durée de 27 ans avec effet du 1er avril 1992.

L'entrepreneur a facturé ses travaux pour un montant total de 15.517.812 BEF au défendeur. Le défendeur n'ayant pas payé le prix de la construction, l'entrepreneur n'a pu récupérer qu'un montant de 4.474.799 BEF par saisie-arrêt entre les mains de la société SA ALDI.

Par citation signifiée les 27 avril 1993 et 21 mai 1993, l'entrepreneur a assigné la demanderesse et le défendeur devant le tribunal de commerce de Charleroi.

Par jugement du 11 septembre 1996, le tribunal a prononcé la résolution ex tunc du compromis de vente aux torts du défendeur. Le surplus a été renvoyé au rôle.

Le 2 décembre 1996, le défendeur a interjeté appel devant la cour d'appel de Mons.

Le 8 septembre 1998, l'entrepreneur, la demanderesse et la société SA ALDI ont conclu une convention confidentielle par laquelle : la demanderesse vendait à la SA ALDI le terrain et l'immeuble litigieux ; la SA ALDI versait une indemnité d'occupation à la demanderesse et lui remboursait le précompte immobilier ; l'entrepreneur versait à la demanderesse les intérêts sur le prix de vente du terrain ; et la demanderesse versait à l'entrepreneur la partie du prix correspondant au coût de la construction. Le même jour, un compromis de vente a été signé et l'acte authentique de vente fut passé le 30 décembre 1999.

Le 17 avril 2000, la SA ALDI a fait intervention volontaire devant la cour d'appel de Mons.

Par arrêt du 4 décembre 2001, la cour d'appel de Mons a prononcé la résolution judiciaire de la vente aux torts réciproques des parties et a condamné la demanderesse à restituer l'acompte. La cour a ordonné la réouverture des débats afin que soit produite la transaction intervenue le 8 septembre 1999 et afin que les parties s'expliquent sur l'incidence de la transaction sur les demandes.

Par arrêt du 8 janvier 2008, la cour d'appel de Mons a ordonné la réouverture des débats, afin que les parties s'expliquent sur la question si le défendeur pouvait encore introduire sa demande d'indemnisation fondée sur l'article 555 du Code civil à l'encontre de la demanderesse, alors que cette dernière n'était plus propriétaire du fonds sur lequel étaient érigées les constructions au moment de l'introduction de la demande.

Par arrêt du 10 septembre 2008, la cour d'appel de Mons a dit pour droit que le défendeur, constructeur de mauvaise foi, ne pouvait demander l'application de l'article 555 du Code civil. La demande introduite par le défendeur en dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire a été déclarée non fondée. La cour a ordonné la réouverture des débats, afin que les parties s'expliquent sur les demandes entre les parties sur la base de l'article 1184 du Code civil.

Les 19 janvier 2009 et 13 août 2009, le défendeur et la SA ALDI ont introduit des pourvois en cassation entre les arrêts des 8 janvier 2008 et 10 septembre 2008.

Par arrêt du 10 septembre 2008, votre Cour a joint les deux pourvois et a cassé l'arrêt attaqué du 10 septembre 2008 en tant qu'il déclare non fondée la demande nouvelle du défendeur contre la demanderesse relative à l'indemnisation des constructions érigées sur le terrain litigieux. La cause a été renvoyée devant la cour d'appel de Liège.

Le 2 janvier 2013, le défendeur a assignée la demanderesse à comparaître devant la cour d'appel de Liège.

Par l'arrêt attaqué du 8 décembre 2015, la cour d'appel de Liège dit que les conditions de l'article 555 initio du Code civil sont remplis, et ordonne la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent quant à un éventuel abus de droit commis par le défendeur en exigeant de la demanderesse de lui payer tout ou partie du coût de la construction.

Par l'arrêt attaqué du 16 mai 2017, la cour d'appel de Liège dit que le défendeur n'a pas commis un abus de droit. La demanderesse est condamnée à payer au défendeur la somme de 385.271,46 euros (ou 15.541.812 BEF), à augmenter des intérêts, sur la base de l'article 555 du Code civil. Les dépens sont compensés entre les parties.

A l'appui du pourvoi qu'elle forme contre les arrêts attaqués, la demanderesse croit pouvoir invoquer le moyen unique de cassation ci-après libellé.


MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions légales violées
 Articles 555, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
 Articles 19, alinéa 1er, 23, 24 et 26 du Code judiciaire ;
 Le principe général du droit de l'enrichissement sans cause.

Décision attaquée

Par l'arrêt interlocutoire du 8 décembre 2015, la cour d'appel dit pour droit que les conditions de l'article 555 initio du Code civil sont remplies, aux motifs suivants :

« 2.
En l'espèce, [le défendeur] a bien la qualité de ‘tiers' au sens de cet article.

En effet la convention signée par elle-même et [la demanderesse], le 6.05.1991, dont l'objet était la vente du fonds sis à Huy-Tihange par la seconde à la première, prévoyait que ‘l'acquéreur sera propriétaire du bien vendu et en aura la jouissance à partir de la date de la passation de l'acte authentique' ; or cet acte authentique ne fût jamais passé.

La construction a été faite par [le défendeur] et avec ses matériaux au sens de l'article 555 du Code civil lequel doit être interprété au regard de l'article 553 du Code civil qui dispose que ‘Toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l'intérieur, sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si le contraire n'est prouvé ; on omet'.

Si les deux premières présomptions édictées par cet article (le propriétaire du terrain est présumé avoir fait les ouvrages lui-même et il est présumé les avoir faits à ses frais) sont renversées, il est alors établi qu'une autre personne que le propriétaire du terrain, a, à ses frais, réalisé les ouvrages sur le terrain. Ce cas est réglé par l'article 555 du Code civil.

En l'espèce il est établi que c'est [le défendeur] qui a réalisé à ses frais sur le terrain appartenant à [la demanderesse], et non défendeur frais de cette dernière, les ouvrages litigieux, via un contrat d'entreprise qu'elle avait souscrit avec la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION.


3.
Il n'est pas contesté que le magasin avec parking qui avait été ainsi érigé sur ledit fonds qui appartenait à l'époque à [la demanderesse] était susceptible d'enlèvement.

4.
[La demanderesse] alors qu'elle était toujours propriétaire du fonds sur lequel avait été érigé la construction litigieuse, avait de façon implicite mais certaine fait le choix de garder la construction litigieuse et non pas celui d'en exiger l'enlèvement, puisque le 8.09.1998, elle passait avec la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION et la SA ALDI, une convention par laquelle :
- elle vendait à la SA ALDI le terrain et l'immeuble litigieux qu'elle savait avoir été construit par [le défendeur], la convention mentionnant expressément que ‘[le défendeur] fit construire sur la parcelle un immeuble à usage commercial' et que ‘[la demanderesse], propriétaire du terrain est également propriétaire de l'immeuble érigé sur ce dernier, au titre de l'article 555 du Code civil'
- la SA ALDI lui versait une indemnité d'occupation pour la période durant laquelle elle avait occupé le terrain et lui remboursait le précompte immobilier
- la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION lui versait les intérêts sur le prix de vente du terrain calculés depuis la date à laquelle l'acte authentique de vente aurait dû être passé avec [le défendeur]
- elle versait à la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION la partie du prix correspondant au coût de la construction

et que ce même jour le compromis de vente était passé dans lequel était inscrit que ‘l'immeuble a été construit par la société Mosane de Construction, actuellement en liquidation, sans l'autorisation de [la demanderesse]. [La demanderesse] est par conséquent propriétaire de l'immeuble par voie d'accession, conformément à l'article 555 du Code civil'.

Il s'en suit que l'obligation de rembourser la valeur des matériaux et le prix de la main d'œuvre, sans égard à la plus ou moins grande augmentation de valeur que le fonds a pu recevoir, est née dans le chef de [la demanderesse], au moment où elle a opéré ce choix et manifesté ainsi sa volonté d'exercer son droit d'accession, soit avant la convention ayant pour objet la vente de son terrain et de la construction s'y trouvant à la SA ALDI.

Il est sans incidence quant à ce que la demande en indemnisation basée sur l'article 555 du Code civil ait été introduite à l'encontre de [la demanderesse] alors que celle-ci n'avait plus la qualité de propriétaire. L'option conférée par l'article 555 initio du Code civil n'a pas été cédée à la société ALDI au titre d'accessoire de la vente immobilière puisque le vendeur [la demanderesse] avait déjà en sa qualité de propriétaire du terrain exercé son choix avant ladite vente.
5.
Il appartiendrait donc à [la demanderesse] de rembourser le coût total de la construction soit le coût de la main d'œuvre et la valeur des matériaux, déterminé en se plaçant à l'époque de la construction. » (arrêt attaqué du 8 décembre 2015, pages 10-12).

Par l'arrêt du 16 mai 2017, statuant après l'arrêt interlocutoire du 8 décembre 2015, la cour d'appel condamne la demanderesse à payer au défendeur la somme de 385.271,46 euros, à augmenter des intérêts, sur la base de l'article 555 du Code civil, aux motifs suivants :

« L'arrêt rendu par la cour de céans le 8.12.2015 a définitivement tranché que les conditions de l'article 555 initio du Code civil étaient remplies, mais a soulevé la question d'un éventuel abus de droit ainsi conféré par cette disposition au [défendeur] d'obtenir de [la demanderesse] le remboursement de la valeur des matériaux et du prix de la main d'œuvre - sans égard à la plus ou moins grande augmentation de valeur que le fonds a pu recevoir.

Toute l'argumentation développée par [la demanderesse] qui rement en cause ce qui a ainsi été définitivement tranché est sans pertinence.

2.
Il n'est pas démontré que [le défendeur] commet un abus de droit.

Elle est de mauvaise foi, certes, mais la disposition énoncée à l'article 555 initio a justement pour but de régler le sort des constructions érigées sur le terrain d'autrui par un tiers qui n'est pas un possesseur de bonne foi.

La situation de l'entrepreneur la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION qui pour le compte du [défendeur] avait érigé la construction sur le terrain appartenant à la [demanderesse], lequel entrepreneur n'a été payé que partiellement du chef des travaux ainsi réalisés, est sans incidence quant à l'exercice par [le défendeur] du droit qui lui est conféré par l'article 555 initio du Code civil à l'égard de [la demanderesse], nonobstant la convention passée le 8.09.1998 entre la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION, [la demanderesse] et la SA ALDI par laquelle :

- la [demanderesse] vendait à la SA ALDI le terrain et l'immeuble litigieux pour le prix de 15.234.875 BEF soit 2.234.875 BEF pour le terrain et 13.000.000 BEF pour l'immeuble
- [la demanderesse] reconnaissait que la partie du prix correspondant au coût de la construction du bâtiment revenait à la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION ; qu'en conséquence dès la signature de l'acte authentique de vente, elle s'engageait à lui verser la somme de 13.000.000 BEF ; qu'elle s'engageait en outre à bloquer la somme de 13.000.000 BEF à la Caisse des Dépôts et Consignations jusqu'à l'issue de l'instance pendante devant la cour d'appel de Mons, étant précisé que les fonds ne pourront être libérés en faveur de la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION que moyennant l'accord de [la demanderesse] lequel ne pourra être refusé si la décision du tribunal de commerce de Charleroi est définitivement confirmée,

et donc l'exécution pourrait être compromise de par la présente demande du [défendeur].

L'exercice de ce droit par [le défendeur] ne dépasse pas l'exercice normal par une personne prudente et raisonnable ; elle a un intérêt raisonnable et suffisant à l'exercer, d'autant que la demande a été initiée par le liquidateur judiciaire dans l'intérêt des créanciers de la société ; elle a déjà payé la somme de 110.927,38 euros à l'entrepreneur - via une saisie arrêt -, et elle est toujours débitrice du surplus qui d'élève en principal à la somme de 385.271,46 euros ;

Le ‘préjudice' qui serait causé par cet exercice à [la demanderesse] laquelle était devenue propriétaire de la construction - qu'elle n'avait pas financée - par accession lorsqu'elle a exercé son option de la garder, laquelle a sans qu'elle y soit obligée conclut la convention précitée avec la SOCIETE MOSANE DE CONSTRUCTION, étant précisé en sus que les fonds qu'elle a décaissés sont toujours consignés, n'est pas hors de proportion avec l'avantage recherché.

3.
Il s'en suit que [la demanderesse] est redevable de la valeur des matériaux et du prix de la main d'œuvre en se plaçant à l'époque de la construction, laquelle s'élève à la somme totale de 385.271,46 euros (15.541.812 BEF à l'époque), peu importe que [le défendeur] n'ait pas réglé l'entièreté de sa dette à l'égard de l'entrepreneur, ayant été définitivement jugé par l'arrêt rendu par la cour de céans le 8.12.2015 que [le défendeur] était dans les conditions d'application de l'article 555 initio du Code civil, que la construction avait été faite par elle et avec ses matériaux, et que la question de savoir si elle avait réglé le coût de la construction à son cocontractant l'entrepreneur n'était pas déterminante quant à l'application de l'article 555 initio.

Cette somme sera augmentée d'intérêts aux taux légaux depuis le 8.02.2001, date de la formation par [le défendeur] de sa demande de condamnation de [la demanderesse] à lui payer la somme de 15.541.812 BEF sur la base de l'article 555 du Code civil (voir conclusions d'appel déposées au greffe de la cour d'appel de Mons le 8.02.2001). » (arrêt attaqué du 16 mai 2017, pages 6-8).


Griefs

Première branche

L'article 555 du Code civil dispose que lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec ses matériaux, le propriétaire du fonds a droit ou de les retenir, ou d'obliger ce tiers à les enlever. Si le propriétaire du fonds demande la suppression des plantations et constructions, elle est aux frais de celui qui les a faites, sans aucune indemnité pour lui ; il peut même être condamné à des dommages et intérêts, s'il y a lieu, pour le préjudice que peut avoir éprouvé le propriétaire du fonds. Si le propriétaire préfère conserver ces plantations et constructions, il doit le remboursement de la valeur des matériaux et du prix de la main d'œuvre, sans égard à la plus ou moins grande augmentation de valeur que le fonds a pu recevoir. Néanmoins, si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé, qui n'aurait pas été condamné à la restitution des fruits, attendu sa bonne foi, le propriétaire ne pourra demander la suppression des dits ouvrages, plantations et constructions ; mais il aura le choix, ou de rembourser la valeur des matériaux et du prix de la main-d'œuvre, ou de rembourser une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur.

Alors que cette disposition accorde au tiers un droit de remboursement si le propriétaire du fonds préfère conserver les plantations et constructions faits par le tiers et avec ses matériaux, cette même disposition ainsi que le principe général du droit de l'enrichissement sans cause empêchent que le tiers puisse obtenir du propriétaire du fonds une indemnisation qui dépasse les frais que le tiers lui-même a fait. Si le tiers a fait appel à un entrepreneur pour faire les plantations et constructions, le « remboursement de la valeur des matériaux et du prix de la main d'œuvre » au sens de l'article 555 doit être compris comme le remboursement des montants que le tiers a payé à l'entrepreneur.

Les juges d'appel ont constaté que l'entrepreneur qui pour le compte du défendeur avait érigé la construction sur le terrain appartenant à la demanderesse, et qui avait facturé au défendeur ses travaux pour un montant total de 15.517.812 BEF, n'a été payé que très partiellement du chef des travaux ainsi réalisés.

Les juges d'appel ont toutefois considéré que « les conditions de l'article 555 initio du Code civil sont remplies », que « la question de savoir si [le défendeur] avait réglé le coût de la construction à son cocontractant l'entrepreneur n'était pas déterminante quant à l'application de l'article 555 initio », et que ce paiement incomplet « est sans incidence quant à l'exercice par [le défendeur] du droit qui lui est conféré par l'article 555 initio du Code civil à l'égard de [la demanderesse] », de sorte que la demanderesse est tenue à payer « la somme totale de 385.271,46 euros (15.541.812 BEF à l'époque), peu importe que [le défendeur] n'ait pas réglé l'entièreté de sa dette à l'égard de l'entrepreneur ».

En considérant ainsi, les juges d'appel ont violé l'article 555 du Code civil et ont méconnu le principe général du droit de l'enrichissement sans cause.

Seconde branche

Par l'arrêt interlocutoire du 8 décembre 2015, les juges d'appel ont constaté que le défendeur a la qualité de ‘tiers' au sens de l'article 555 du Code civil, que la construction a été faite par le défendeur et avec ses matériaux au sens du même article, que la demanderesse était propriétaire du fonds sur lequel avait érigé la construction litigieuse, et que la demanderesse a choisi d'exercer son droit d'accession, de sorte qu'il appartient à la demanderesse de rembourser le coût total de la construction soit le coût de la main d'œuvre et la valeur des matériaux, déterminé en se plaçant à l'époque de la construction. Toutefois, ils ont ordonné la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent sur un abus de droit éventuel qui pourrait être reproché au défendeur, au regard, entre autres, du fait que le défendeur ne conteste pas n'avoir réglé aucune des factures qui lui furent adressées par l'entrepreneur et que l'entrepreneur n'a pu récupérer qu'une somme de 4.474.799 BEF suite à une saisie arrêt pratiquée entre les mains de la SA ALDI.

Il s'ensuit que, dans l'arrêt interlocutoire du 8 décembre 2015, les juges d'appel n'ont pas tranché la question des conséquences juridiques du fait que le défendeur n'a pas payé (la totalité de) le prix de la construction. Bien qu'ils aient dit pour droit que la demanderesse est tenue de rembourser le coût total de la construction soit le coût de la main d'œuvre et la valeur des matériaux, ils ne se sont pas exprimés sur la question de comment ce « coût » doit être compris en vue du paiement incomplet des factures de l'entrepreneur.

Par l'arrêt du 16 mai 2017, les juges d'appel considèrent que la demanderesse est redevable de la valeur des matériaux et du prix de la main d'œuvre en se plaçant à l'époque de la construction, laquelle s'élève à la somme totale de 385.271,46 euros, « peu importe que [le défendeur] n'ait pas réglé l'entièreté de sa dette à l'égard de l'entrepreneur, ayant été définitivement jugé par l'arrêt rendu par la cour de céans le 8.12.2015 que [le défendeur] était dans les conditions d'application de l'article 555 initio du Code civil, que la construction avait été faite par elle et avec ses matériaux, et que la question de savoir si elle avait réglé le coût de la construction à son cocontractant l'entrepreneur n'était pas déterminante quant à l'application de l'article 555 initio ».

En considérant ainsi, les juges d'appel interprètent l'arrêt interlocutoire du 8 décembre 2015 d'une manière inconciliable avec ses termes et violent la foi qui lui est due. Ils attribuent à cet arrêt une affirmation qu'il ne comporte pas, à savoir une décision définitive sur les conséquences juridiques du fait que le défendeur n'a pas payé (la totalité de) le prix de la construction (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

En considérant ainsi, les juges d'appel méconnaissent également l'autorité de la chose jugée de cet arrêt (violation des articles 23, 24 et 26 du Code judiciaire) ainsi que la notion légale de « jugement définitif » (violation de l'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire).

DEVELOPPEMENTS

Première branche

Voy. sur l'article 555 du Code civil C. DE WULF, Rechtsherstel voor verschuivingen van vermogen bij het einde van een huwelijk en bij het einde van een samenwoning, Brugge, die Keure, 2017, 229, nr. 432: « indien de eigenaar van het erf de werken wenst te behouden, moet hij aan de derde de waarde van de materialen en het arbeidsloon vergoeden, hij moet m.a.w. de gemaakte kosten vergoeden » (trad. libre: « si le propriétaire du fonds préfère conserver les constructions, il doit le remboursement de la valeur des matériaux et du prix de la main d'œuvre, c'est-à-dire qu'il doit le remboursement des coûts supportés »).

L'enrichissement sans cause est un principe général du droit (Cass. 23 octobre 2014, Pas. 2014, liv. 10, 2328 ; Cass. 19 janvier 2009, Pas. 2009, liv. 1, 153).

Seconde branche
Voy. Cass. 12 juin 1995, Pas. 1995, I, 619 : Viole la foi due à un arrêt interlocutoire, le juge d'appel qui considère « que, comme l'a déjà décidé l'arrêt interlocutoire, l'intention frauduleuse est établie », alors que cet arrêt interlocutoire n'implique pas la décision que l'intention frauduleuse est établie.


Par ces moyens et considérations, l'avocat à la Cour de cassation soussigné conclut, pour la demanderesse, qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt attaqué, renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel et statuer sur les dépens comme de droit.

Anvers, le 27 décembre 2017

Johan Verbist

Annexe : exploit de signification du présent pourvoi au défendeur


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0014.F
Date de la décision : 25/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-25;c.18.0014.f ?

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