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24/10/2018 | BELGIQUE | N°P.18.0715.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 octobre 2018, P.18.0715.F


N° P.18.0715.F
M. F., A., D., C., prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres David Ribant et Laurent Kennes, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre deux arrêts rendus le 16 mars 2018 et le 8 juin 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur fait valoir trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a con

clu.


II. LES FAITS

Le demandeur a été condamné par le premier juge aux termes d'un ju...

N° P.18.0715.F
M. F., A., D., C., prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres David Ribant et Laurent Kennes, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre deux arrêts rendus le 16 mars 2018 et le 8 juin 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur fait valoir trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LES FAITS

Le demandeur a été condamné par le premier juge aux termes d'un jugement contradictoire du 23 octobre 2017.

Le ministère public a interjeté appel de cette décision le 22 novembre 2017, limitant ce recours à la qualification d'un fait, à la période infractionnelle qui s'y rapporte, à la nature et à la hauteur des peines prononcées, y compris afin de contester l'unité d'intention, admise par le tribunal. Il entendait également faire écarter une pièce reposant au dossier.

Le demandeur, qui était détenu, a, par la voix de son conseil, interjeté appel contre les dispositions pénales de cette décision, par déclaration au greffe faite le lundi 27 novembre 2017, une requête contenant ses griefs étant déposée le même jour et dirigée contre la plupart des dispositions de la décision entreprise.

Aux termes de l'arrêt attaqué du 16 mars 2018, la cour d'appel a jugé l'appel du procureur du Roi recevable, celui du demandeur irrecevable au motif qu'il avait été formé en dehors du délai prévu par l'article 203, § 1er, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, et a ordonné la comparution de plusieurs témoins.

Par l'arrêt attaqué du 8 juin 2018, la cour d'appel a, dans les limites de l'appel du ministère public, statué sur l'action publique exercée à l'égard du demandeur, déclarant notamment celui-ci coupable de l'infraction visée par le recours du ministère public, en la requalifiant, et aggravant les sanctions prononcées.

III. LA DÉCISION DE LA COUR

A. En tant que le pourvoi est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 16 mars 2018 :

Sur le premier moyen :

Quant aux deux branches réunies :

Le demandeur invoque la violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la méconnaissance du principe de loyauté ainsi que du principe général de confiance légitime des citoyens dans les autorités. Selon le moyen, en interjetant appel le dernier jour utile, sans en aviser le conseil du demandeur, le procureur du Roi a agi de manière déloyale, privant ainsi le demandeur de la possibilité d'interjeter à son tour appel dans le délai légal et ce alors qu'il avait invité, par écrit, le ministère public à l'informer de ses intentions. Le moyen soutient qu'eu égard à cette déloyauté, la cour d'appel aurait dû déclarer nul l'appel du ministère public ou, à tout le moins, recevable celui du demandeur, bien qu'il fût formé en dehors du délai légal.

Conformément à l'article 203, § 1er, du Code d'instruction criminelle, il y aura, sauf l'exception portée en l'article 205 de ce code, déchéance de l'appel, si la déclaration d'appeler n'a pas été faite au greffe du tribunal qui a rendu le jugement, trente jours au plus tard après celui où il a été prononcé. Le ministère public dispose d'un délai supplémentaire de dix jours pour interjeter appel, après que le prévenu ou la partie civilement responsable a interjeté appel.

La circonstance, qui n'a pu surprendre le demandeur, qu'une partie décide de former appel le dernier jour utile sans en aviser son adversaire, ne saurait, à elle seule, emporter une violation, au préjudice de ce dernier, du droit à un procès équitable ou d'une autre norme.

Entièrement fondé sur la prémisse juridique contraire, le moyen manque en droit.

Sur le deuxième moyen :

Le demandeur invoque la violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Selon le moyen, le législateur aurait dû prévoir, de manière générale, le droit pour toute partie intimée de former appel incident et de bénéficier, à cette fin, d'un délai supplémentaire, de sorte que l'arrêt aurait dû admettre la force majeure invoquée par le demandeur pour justifier la tardiveté de son recours et déclarer celui-ci recevable.

En ce qu'il critique le régime de l'appel contenu dans l'article 203 du Code d'instruction criminelle, le moyen, qui n'est pas dirigé contre la décision attaquée, est irrecevable.

La force majeure ne peut résulter que d'une circonstance indépendante de la volonté humaine et que cette volonté n'a pu ni prévoir ni conjurer.

Pour les motifs indiqués en réponse au premier moyen, la circonstance qu'une partie interjette appel le dernier jour du délai prévu par l'article 203, § 1er, du Code d'instruction criminelle, quand bien même elle s'abstiendrait d'en aviser son adversaire, n'est pas de nature à déjouer les prévisions raisonnables de ce dernier.

À cet égard, le moyen manque en droit.

Sur les questions préjudicielles :

À titre subsidiaire, le demandeur propose d'abord à la Cour de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« L'article 203, §§ 1er et 2, du Code d'instruction criminelle, combiné avec l'article 204 du même code, viole-t-il les droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (notamment ses articles 10, 11 et 13) et l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, interprété en ce sens qu'en cas d'appel formé par le ministère public peu avant l'issue du délai ordinaire d'appel, le prévenu ne dispose pas d'un délai d'appel extraordinaire de réaction, alors qu'un tel délai de dix jours est ouvert au ministère public dans l'hypothèse où le prévenu interjette appel peu avant l'issue du délai ordinaire d'appel ? ».

Le demandeur soutient en substance qu'il existe une discrimination entre la situation du prévenu et celle du ministère public, lorsqu'ils décident d'interjeter appel peu avant l'expiration du délai légal, dans la mesure où l'exercice de ce recours prolonge, dans la première hypothèse, le délai permettant à l'intimé de former à son tour appel ou, à tout le moins, lui permet d'envisager durant dix jours supplémentaires cette possibilité à la lumière du recours du prévenu, alors que tel n'est pas le cas dans la seconde hypothèse, nonobstant la circonstance que le ministère public peut, conformément à l'article 204 du Code d'instruction criminelle, lui aussi limiter son recours et, partant, la saisine du juge d'appel.

Conformément à l'article 203, § 1er, alinéa 2, et § 2, du Code d'instruction criminelle, le ministère public dispose d'un délai supplémentaire de dix jours pour interjeter appel, après que le prévenu ou la partie civilement responsable a interjeté appel et, lorsque pareil recours sera dirigé contre la partie civile, celle-ci aura un délai supplémentaire de dix jours pour interjeter appel contre les prévenus et les personnes civilement responsables qu'elle entend maintenir à la cause, sans préjudice de son droit de faire appel incident.

De telles modalités ne sont pas prévues en faveur du prévenu intimé.
Il y a lieu d'interroger la Cour constitutionnelle, à titre préjudiciel.

En revanche, il n'y a pas lieu de poser la seconde question préjudicielle proposée, relative à la circonstance particulière du prévenu intimé qui n'a pas été avisé du recours du ministère public, alors qu'il avait demandé à l'être, pareille situation étant étrangère à la différence de traitement dénoncée.

B. En tant que le pourvoi est dirigé contre l'arrêt du 8 juin 2018 :

Il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu à la question visée au dispositif.

Compte tenu de la circonstance que le demandeur est détenu, il parait souhaitable d'abréger les délais fixés aux articles 85, 87 et 89 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Sursoit à statuer sur le surplus du pourvoi jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu à la question préjudicielle suivante :

« L'article 203, §§ 1er et 2, du Code d'instruction criminelle, combiné avec l'article 204 du même code, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement combinés avec l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où, en cas d'appel formé par le ministère public ou la partie civile, le prévenu ne dispose pas d'un délai supplémentaire d'appel, alors qu'un tel délai de dix jours est ouvert au ministère public et, le cas échéant, à la partie civile dans l'hypothèse où le prévenu interjette appel, et alors que chacune de ces parties peut limiter la saisine des juges d'appel ? »
Réserve les frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-quatre octobre deux mille dix-huit par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
F. Gobert F. Stévenart Meeûs F. Lugentz
E. de Formanoir F. Roggen B. Dejemeppe


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.18.0715.F
Date de la décision : 24/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-24;p.18.0715.f ?

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