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15/10/2018 | BELGIQUE | N°S.18.0015.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 octobre 2018, S.18.0015.F


N° S.18.0015.F
GAUDIER-REMBAUX, société anonyme, dont le siège social est établi à Écaussines, rue Arthur Pouplier, 2,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

F. L.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 11 septembre 2017 par la cour du travail de Mons.
Le 27 août 2018, l'avocat génér

al Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait...

N° S.18.0015.F
GAUDIER-REMBAUX, société anonyme, dont le siège social est établi à Écaussines, rue Arthur Pouplier, 2,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

F. L.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 11 septembre 2017 par la cour du travail de Mons.
Le 27 août 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Disposition légale violée

Article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, dans sa version applicable avant l'entrée en vigueur de la convention collective de travail n° 109 concernant la motivation du licenciement, conclue le 12 février 2014 au sein du Conseil national du travail, visée à l'article 38, 1°, de la loi du 26 décembre 2013 concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence, ainsi que de mesures d'accompagnement

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué dit l'appel non fondé, confirme le jugement entrepris et condamne la demanderesse aux dépens d'appel, aux motifs suivants :
« Dans l'arrêt du 8 février 2016, [la cour du travail] a rappelé comme suit les principes applicables :
‘Par licenciement abusif tel qu'il est défini à l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, il y a lieu d'entendre le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée dont les motifs n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;
En cas de contestation du caractère non abusif du licenciement, la charge de la preuve des motifs du licenciement incombe à l'employeur ;
En l'espèce, il revient à [la demanderesse], compte tenu du motif du licenciement initialement invoqué, d'établir l'existence des nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service qui l'ont conduite à prendre la décision de rupture et d'établir par ailleurs l'attitude et le manque d'aptitude [du défendeur] dans le cadre de sa formation au poste « débitage du granit » qu'il était censé devoir assurer après le départ de son titulaire, motif invoqué par [la demanderesse] en première instance et maintenu en degré d'appel ;
La Cour de cassation enseigne en outre qu'« il ressort de la genèse de la loi que les règles en matière de licenciement abusif visent à interdire tout licenciement pour des motifs manifestement déraisonnables » ;
Se pose ainsi [à la cour du travail] la question si le licenciement [du défendeur] en raison des nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, voire de l'attitude ou de l'inaptitude [du défendeur], repose sur des motifs manifestement déraisonnables de nature à fonder la demande de condamnation de [la demanderesse] à l'indemnité d'abus du droit de licenciement visée à l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 en vigueur à l'époque des faits' ;
Eu égard à l'arrêt rendu par la cour [du travail] le 8 février 2016, les enquêtes directes et contraires ont été tenues respectivement les 20 avril 2016 et 10 novembre 2016 ;
Par conclusions libellées après les enquêtes précitées, [la demanderesse] estime que le licenciement [du défendeur] n'est pas abusif et sollicite donc la réformation du jugement entrepris la condamnant au payement de 11.806,60 euros net à titre d'indemnité, outre les intérêts légaux et judiciaires et les frais et dépens de l'instance ;
[...] Sur la notion de nécessités économiques de l'entreprise
Selon l'arrêt de la Cour de cassation du 16 février 2015 (S. 13.0085.F) :
‘En vertu de l'article 63, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, est considéré comme abusif, pour l'application de cet article, le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée qui est effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. L'appréciation de la légitimité du motif de licenciement fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service n'autorise pas le juge à substituer à ceux de l'employeur ses propres critères d'organisation de ce fonctionnement' ;
‘Le contrôle du caractère licite du motif ne remet pas en cause le pouvoir de l'employeur d'opérer des choix au mieux des intérêts de l'entreprise. Le contrôle de légalité n'implique pas que les juridictions s'immisceraient dans la gestion ou l'organisation de l'entreprise et qu'elles vérifieraient ainsi l'opportunité des mesures mises en œuvre' : dans cet arrêt du 3 mai 2016, [la cour du travail de Mons] précise : ‘en effet, l'employeur est, en principe, seul juge des nécessités de son entreprise et de la valeur professionnelle des travailleurs qu'il occupe, le juge n'ayant, à cet égard, pas à s'immiscer dans la gestion de celle-ci [...], son rôle se limitant à vérifier la validité du motif avancé à l'appui de la décision de rompre et, en aucun cas, l'opportunité de cette décision' ;
[La demanderesse] précise bien qu'il n'a jamais été question de ‘restructuration économique' pour justifier le licenciement [du défendeur] ;
Le motif initial était sur le C4 : ‘ne convient plus' ;
[La demanderesse] expose qu'elle a précisé au syndicat [du défendeur] que, vu le contexte économique, elle avait été contrainte de se séparer d'une partie du personnel. En degré d'appel, à la suite de l'arrêt d'avant dire droit, [la demanderesse] a produit les annexes des bilans des années 20[10], 2011 et 2012 ;
À ce sujet, il faut rappeler qu'il appartient exclusivement à [la demanderesse] de prouver, de manière certaine, l'existence de circonstances spécifiques qui mettraient en péril l'entreprise s'il n'était pas mis fin au contrat du travailleur licencié [...] ;
Les pièces versées aux débats révèlent un chiffre d'affaires en progression (705.692 euros, 707.723 euros, 738.736 euros) entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2012. Par ailleurs, le nombre de travailleurs à temps plein a augmenté de sept à dix sur la même période [...] ;
Il convient de rappeler que [le défendeur] a été licencié en mars 2012. Le comptable de [la demanderesse] suggérait de réduire les rémunérations en 2012. Cependant, celles-ci ont augmenté en 2013 tout en diminuant en 2014 ;
Par ailleurs, [la demanderesse] demeure en défaut de produire le carnet de commandes justifiant une quelconque récession dans le secteur constituant son objet social. En outre, comme le souligne [le défendeur], [la demanderesse] n'a pas ou peu connu de chômage économique durant la période litigieuse ;
[La demanderesse] précise encore ce qui suit dans une lettre non datée : ‘quant au fait que ce soit [le défendeur] qui ait été licencié, c'est uniquement parce que les autres membres du personnel ont des tâches spécifiques (utilisation d'une machine numérique, polissage de pierres) pour lesquelles ils ont suivi une formation ou des contrats spécifiques d'apprentissage. N'ayant pas besoin de personnel supplémentaire pour les autres postes, [le défendeur] a reçu sa lettre de licenciement avec indemnités' ;
Ce raisonnement ne peut justifier le licenciement [du défendeur] puisqu'il se trouvait, au moment de son licenciement, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité ‘d'ouvrier polyvalent'. De plus, lorsqu'il a été licencié, il se trouvait en formation depuis plus de cinq mois au poste de débiteur sous les ordres de monsieur O., qui devait quitter cet emploi pour raisons médicales (cfr son audition lors des enquêtes). Ces enquêtes ont établi qu'il assurait avec un autre collègue le transport et le placement. Ce placement impliquait également des travaux d'électricité, de plomberie et de raccordements au gaz notamment ;
Si, certes, des licenciements sont intervenus, force est de constater qu'il s'agit de personnes ayant très peu d'ancienneté (Monsieur D. : quatre mois, monsieur E. O. E. A. : trois mois, monsieur H. : dix jours). Monsieur D. et monsieur D. ont perdu leur emploi en raison de leurs erreurs, selon leur employeur. Par ailleurs, [la demanderesse] a engagé du personnel, légitimement certes, mais en accroissant ainsi davantage la masse salariale jugée trop importante par son comptable ;
[La cour du travail] considère que les pièces versées aux débats par [la demanderesse] ne prouvent pas à suffisance que les motifs économiques invoqués sont établis ;
Il résulte des considérations de droit et de fait que [la demanderesse] ne renverse en aucune façon la présomption de licenciement abusif édictée par l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978, de sorte que [le défendeur] est en droit de prétendre au bénéfice d'une indemnité pour licenciement abusif correspondant à six mois de rémunération ».

Griefs

1. En vertu de l'article 63, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, est considéré comme abusif, pour l'application de cet article, le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée qui est effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.
Selon le deuxième alinéa du même article, en cas de contestation, la charge de la preuve des motifs du licenciement invoqués incombe à l'employeur.
Le troisième alinéa dudit article dispose que, sans préjudice de l'article 39, § 1er, l'employeur qui licencie abusivement un ouvrier engagé pour une durée indéterminée est tenu de payer à cet ouvrier une indemnité correspondant à la rémunération de six mois, sauf si une autre indemnisation est prévue par une convention collective de travail rendue obligatoire par le Roi.
Pour qu'un licenciement, lorsqu'il est fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, ne soit pas considéré comme abusif en vertu de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978, il n'est pas exigé qu'il existe des circonstances spécifiques qui mettraient en péril l'entreprise s'il n'était pas mis fin au contrat du travailleur licencié.
En outre, l'appréciation de la légitimité du motif de licenciement fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service n'autorise le juge ni à substituer à ceux de l'employeur ses propres critères d'organisation de ce fonctionnement ni à s'immiscer dans la gestion de l'entreprise. Le juge ne peut pas juger l'opportunité des mesures mises en œuvre.
2. L'arrêt attaqué déclare l'appel non fondé et décide que les pièces versées aux débats par la demanderesse ne prouvent pas à suffisance que les motifs économiques invoqués sont établis, aux motifs que :
- la demanderesse précise bien qu'il n'a jamais été question de « restructuration économique » pour justifier le licenciement du défendeur ;
- le motif initial était sur le C4 : « ne convient plus » ;
- la demanderesse expose qu'elle a précisé au syndicat du défendeur que, vu le contexte économique, elle avait été contrainte de se séparer d'une partie du personnel ; en degré d'appel, à la suite de l'arrêt d'avant dire droit, la demanderesse a produit les annexes des bilans des années 2010, 2011 et 2012 ;
- à ce sujet, il faut rappeler qu'il appartient exclusivement à la demanderesse de prouver, de manière certaine, l'existence de circonstances spécifiques qui mettraient en péril l'entreprise s'il n'était pas mis fin au contrat du travailleur licencié ;
- les pièces versées au débat révèlent un chiffre d'affaires en progression (705.692 euros, 707.723 euros, 738.736 euros) entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2012 ; par ailleurs, le nombre de travailleurs à temps plein a augmenté de sept à dix sur la même période ;
- il convient de rappeler que le défendeur a été licencié en mars 2012 ; le comptable de la demanderesse suggérait de réduire les rémunérations en 2012 ; cependant, celles-ci ont augmenté en 2013 tout en diminuant en 2014 ;
- par ailleurs, la demanderesse demeure en défaut de produire le carnet de commandes justifiant une quelconque récession dans le secteur constituant son objet social ; en outre, comme le souligne le défendeur, la demanderesse n'a pas ou peu connu de chômage économique durant la période litigieuse ;
- la demanderesse précise encore ce qui suit dans une lettre non datée : « quant au fait que ce soit [le défendeur] qui ait été licencié, c'est uniquement parce que les autres membres du personnel ont des tâches spécifiques (utilisation d'une machine numérique, polissage de pierres) pour lesquelles ils ont suivi une formation ou des contrats spécifiques d'apprentissage. N'ayant pas besoin de personnel supplémentaire pour les autres postes, [le défendeur] a reçu sa lettre de licenciement avec indemnités » ;
- ce raisonnement ne peut justifier le licenciement du défendeur puisqu'il se trouvait, au moment de son licenciement, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité « d'ouvrier polyvalent » ; de plus, lorsqu'il a été licencié, il se trouvait en formation depuis plus de cinq mois au poste de débiteur sous les ordres de monsieur O., qui devait quitter cet emploi pour raisons médicales ; les enquêtes ont établi que le défendeur assurait avec un autre collègue le transport et le placement ; ce placement impliquait également des travaux d'électricité, de plomberie et de raccordements au gaz notamment ;
- si, certes, des licenciements sont intervenus, force est de constater qu'il s'agit de personnes ayant très peu d'ancienneté (à savoir monsieur D. : quatre mois, monsieur E. O. E. A. : trois mois, monsieur H. : dix jours) ; monsieur D. et monsieur D. ont perdu leur emploi en raison de leurs erreurs, selon leur employeur ; par ailleurs, la demanderesse a engagé du personnel, légitimement certes, mais en accroissant ainsi davantage la masse salariale jugée trop importante par son comptable.
3.1. En exigeant de la demanderesse la preuve de l'existence de circonstances spécifiques qui mettraient en péril l'entreprise s'il n'était pas mis fin au contrat du défendeur, l'arrêt attaqué ajoute une condition à l'article 63, alinéas 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978 et viole dès lors cet article. Partant de l'idée que les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, sans le licenciement concerné, mettent l'entreprise en danger, l'arrêt attaqué procède à une appréciation qui va au-delà de celle qui est visée à l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et viole cette disposition.
En confirmant par ce motif le jugement et, dès lors, la condamnation de la demanderesse à payer au défendeur 11.806,60 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif, l'arrêt attaqué viole en outre l'article 63, alinéa 3, de la loi du 3 juillet 1978.
3.2. En décidant que la demanderesse ne prouve pas suffisamment les motifs économiques invoqués aux motifs que
- les pièces versées aux débats révèlent un chiffre d'affaires en progression (705.692 euros, 707.723 euros, 738.736 euros) entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2012 ; par ailleurs, le nombre de travailleurs à temps plein a augmenté de sept à dix sur le même période ;
- il convient de rappeler que le défendeur a été licencié en mars 2012 ; le comptable de la demanderesse suggérait de réduire les rémunérations en 2012 ; cependant, celles-ci ont augmenté en 2013 tout en diminuant en 2014 ;
- par ailleurs, la demanderesse demeure en défaut de produire le carnet de commandes justifiant une quelconque récession dans le secteur constituant son objet social ; en outre, comme le souligne le défendeur, la demanderesse n'a pas ou peu connu de chômage économique durant la période litigieuse ;
- la demanderesse précise encore ce qui suit dans une lettre non datée : « quant au fait que ce soit [le défendeur] qui ait été licencié, c'est uniquement parce que les autres membres du personnel ont des tâches spécifiques (utilisation d'une machine numérique, polissage de pierres) pour lesquelles ils ont suivi une formation ou des contrats spécifiques d'apprentissage. N'ayant pas besoin de personnel supplémentaire pour les autres postes, [le défendeur] a reçu sa lettre de licenciement avec indemnités » ;
- ce raisonnement ne peut justifier le licenciement du défendeur puisqu'il se trouvait, au moment de son licenciement, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité « d'ouvrier polyvalent » ; de plus, lorsqu'il a été licencié, il se trouvait en formation depuis plus de cinq mois au poste de débiteur sous les ordres de monsieur O., qui devait quitter cet emploi pour raisons médicales ; les enquêtes ont établi que le défendeur assurait avec un autre collègue le transport et le placement ; ce placement impliquait également des travaux d'électricité, de plomberie et de raccordements au gaz notamment ; si, certes, des licenciements sont intervenus, force est de constater qu'il s'agit de personnes ayant très peu d'ancienneté (à savoir monsieur D. : quatre mois, monsieur E. O. E. A. : trois mois, monsieur H. : dix jours) ; monsieur D. et monsieur D. ont perdu leur emploi en raison de leurs erreurs, selon leur employeur ; par ailleurs, la demanderesse a engagé du personnel, légitimement certes, mais en accroissant ainsi davantage la masse salariale jugée trop importante par son comptable,
tandis que la cour du travail, dans son arrêt interlocutoire du 8 février 2016, avait observé que :
- la demanderesse produit un tableau établi par son comptable relatif aux années 2010, 2011 et 2012 démontrant une baisse significative des bénéfices de la société et, corrélativement, une hausse importante de la masse salariale ;
- il ressort des bilans arrêtés aux 31 mars 2010, 31 mars 2011 et 31 mars 2012 que le chiffre d'affaires, en légère augmentation, était passé de 705.692 euros à 738.736 euros et que la masse salariale avait augmenté de 195.130 euros à 288.446 euros, alors que les bénéfices avaient chuté de 10.860 euros à 3.962 euros ;
- la justification des engagements de trois travailleurs paraît parfaitement plausible et difficilement contestable, vu que :
. l'engagement de V. B. - engagé le 11 septembre 2012 en qualité de représentant de commerce en vue d'assurer la promotion des produits auprès des cuisinistes, les prises de mesures et le suivi du service après-vente - avait pour but de trouver de nouveaux clients, ce qui ne correspondait aucunement à la fonction du défendeur ;
. l'engagement de K. R. - engagé le 14 novembre 2012 sous contrat PFI pour assurer le remplacement « au pied levé » de monsieur O., en incapacité de travail depuis le 26 octobre 2012 - se justifie par l'urgence de procéder au remplacement du titulaire du poste de travail ; le choix s'est porté sur ce travailleur, qui avait déjà fait un stage en son entreprise et dont elle connaissait par conséquent les compétences ;
. l'engagement de V. D. - engagé le 19 avril 2012 comme ouvrier-livreur dans le cadre d'un article 60, soit un coût mensuel quasi nul -, dont la fonction basique de chauffeur-livreur était justifiée par son coût mensuel quasi-nul, s'agissant d'un engagement relevant de l'article 60, § 7, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale,
l'arrêt attaqué effectue une contrôle qui dépasse celui qui est prévu à l'article 63, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 et viole cet article.
De ce qui précède, il ressort en effet que l'arrêt attaqué s'autorise à effectuer un contrôle d'opportunité. Vu les constatations que le chiffre d'affaires, en légère augmentation, était passé de 705.692,00 euros à 738.736,00 euros, que la masse salariale avait augmenté de 195.130 euros à 288.446,00 euros, alors que les bénéfices avaient chuté de 10.868 euros à 3.962 euros, ni la production du carnet de commandes justifiant une quelconque récession dans le secteur ni le fait que la demanderesse n'a pas ou peu connu de chômage économique durant la période litigieuse ne peuvent être déterminants pour juger les nécessités du fonctionnement de la demanderesse.
En décidant comme il le fait, l'arrêt attaqué vérifie l'opportunité des mesures mises en œuvre par la demanderesse. Partant, l'arrêt attaqué remet en cause le pouvoir de la demanderesse d'opérer des choix au mieux des intérêts de l'entreprise et s'immisce dans la gestion de la demanderesse. Par conséquent, il viole l'article 63, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978.
En confirmant le jugement et, dès lors, la condamnation de la demanderesse à payer au défendeur la somme de 11.806,60 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif, l'arrêt attaqué viole en outre l'article 63, alinéa 3, de la loi du 3 juillet 1978.

III. La décision de la Cour

En vertu de l'article 63, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, est considéré comme abusif, pour l'application de cet article, le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée qui est effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.
L'alinéa 2 du même article dispose qu'en cas de contestation, la charge de la preuve des motifs du licenciement invoqués incombe à l'employeur.
Examinant les nécessités du fonctionnement de son entreprise invoquées par la demanderesse pour fonder le licenciement, l'arrêt attaqué, qui relève que le défendeur « a été licencié en mars 2012 », constate que « les pièces versées aux débats révèlent un chiffre d'affaires en progression [...] entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2012 » ; que « le nombre de travailleurs à temps plein a augmenté de sept à dix pendant la même période » ; que, si « le comptable de [la demanderesse] suggérait de réduire les rémunérations en 2012, [...] celles-ci ont augmenté en 2013 tout en diminuant en 2014 » ; que la demanderesse « demeure en défaut de produire le carnet de commandes justifiant une quelconque récession dans le secteur constituant son objet social », et que la « société n'a pas ou peu connu de chômage économique durant la période litigieuse ».
Il ressort de ces motifs que, quels que soient les termes qu'il utilise, l'arrêt attaqué recherche si, comme il observe que la demanderesse l'exposait en conclusions, celle-ci avait, « vu le contexte économique, [...] été contrainte de se séparer d'une partie du personnel », sans lui imposer la preuve « de circonstances spécifiques qui [eussent mis] l'entreprise en péril s'il [n'avait pas été] mis fin au contrat du travailleur licencié ».
En étudiant ensuite, par les motifs que le moyen reproduit et critique, les mouvements de personnel survenus au sein de l'entreprise, l'arrêt attaqué, qui ne s'immisce pas dans le contrôle de l'opportunité des mesures prises par la demanderesse, apprécie si celle-ci établit, comme elle en a la charge, que le licenciement du défendeur est en lien avec les nécessités du fonctionnement de l'entreprise.
En déduisant de l'ensemble de ces énonciations que la preuve « des motifs économiques invoqués » n'est pas rapportée « à suffisance », l'arrêt attaqué fait une exacte application de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978.
Le moyen ne peut être accueilli

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de six cent cinquante-sept euros quatre-vingt-cinq centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du quinze octobre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M. Lemal
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.18.0015.F
Date de la décision : 15/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-15;s.18.0015.f ?

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