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15/10/2018 | BELGIQUE | N°S.18.0002.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 octobre 2018, S.18.0002.F


N° S.18.0002.F
M. K.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, et par Maître Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Louvain, Koning Leopold I-straat, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE SCHAERBEEK, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, boulevard Auguste Reyers, 70,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le p

ourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2017 par la cour du travail...

N° S.18.0002.F
M. K.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, et par Maître Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Louvain, Koning Leopold I-straat, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE SCHAERBEEK, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, boulevard Auguste Reyers, 70,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2017 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 6 août 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le demandeur a déposé le 10 septembre 2018 au greffe de la Cour une requête par laquelle il forme une demande en faux incident civil.
Par un acte déposé au greffe de la Cour le 27 septembre 2018, le demandeur se désiste de sa demande en faux incident civil.
Le conseiller Ariane Jacquemin a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

Articles 27, 806, dans ses versions successivement applicables à la suite de l'entrée en vigueur de la loi du 19 octobre 2015 mais avant l'entrée en vigueur de la loi du 6 juillet 2017, puis de l'entrée en vigueur de cette dernière loi, et 1067 du Code judiciaire

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt, statuant par défaut à l'égard du défendeur, constate que faire droit aux demandes du demandeur serait contraire à l'ordre public, dit non fondés l'appel du demandeur et les demandes qu'il a formées en degré d'appel, l'en déboute et le condamne aux dépens d'appel, non liquidés par le défendeur, aux motifs que
« Objet de la contestation
2. Lors de ses demandes originaires devant le tribunal du travail, [le demandeur] demande de condamner le [défendeur] à lui payer un montant de 11 x 867,40 euros d'arriérés d'aide sociale pour la période du 10 janvier au 15 décembre 2011, ainsi que divers autres montants pour des frais ou dommages divers (frais de copie, de transport, postaux, inscription à l'Université libre de Bruxelles, inscription aux cours du Goethe Institut, carte de lecteur aux bibliothèques de l'Université libre de Bruxelles et à la Bibliothèque royale de Belgique, préjudice moral, préjudice intellectuel, dommage socio-professionnel) ;
Le jugement entrepris, sur avis conforme de l'auditeur du travail, déclare la demande irrecevable au motif qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée. [Ce jugement] relève que le demandeur a déjà articulé des demandes parfaitement identiques dans divers procès l'opposant [au défendeur], demandes jugées irrecevables ou non fondées par des décisions définitives qu'il cite ;
[Le demandeur] fait valoir en appel un déni de justice et soulève que l'autorité de la chose jugée ne peut pas être soulevée d'office par le juge ;
Par lettre du 29 août 2017, le [défendeur] informe [qu'il] ne sera pas représenté lors de l'audience et soulève, 'pour rappel', que '[le demandeur] multiplie les procédures à l'égard du [défendeur] alors que sa demande a été définitivement jugée depuis plusieurs années, et ce malgré les rappels répétés du tribunal et de la cour [du travail] quant à l'effet de l'autorité de la chose jugée' ;
Quant au déni de justice et à l'exception de chose jugée
3. L'article 27 du Code judiciaire, invoqué par [le demandeur], évoque la nature et le régime de l'exception de chose jugée ;
L'exception de chose jugée est une fin de non-recevoir déduite de la force de chose jugée ;
Lorsqu'une décision judiciaire concernant une question litigieuse est définitive, il est exclu qu'il puisse être statué à nouveau sur la même question, entre les mêmes parties, même si de nouveaux moyens sont soulevés. Méconnaître l'autorité de la chose jugée d'une précédente décision procéderait de l'excès de pouvoir. La remise en cause des effets d'une décision qui n'est plus susceptible d'opposition ou d'appel heurterait l'ordre public ;
4. En l'occurrence, au cours de la procédure en première instance, le [défendeur] a attiré l'attention de l'auditorat du travail et du tribunal [du travail], observant que [le demandeur] multiplie les procédures à [son] égard alors que sa demande a été définitivement jugée depuis plusieurs années, et ce malgré les rappels répétés du tribunal et de la cour [du travail] quant à l'autorité de la chose jugée ;
Cette fin de non-recevoir est un moyen qui a été contesté par des écrits déposés par [le demandeur] devant le tribunal [du travail], en particulier un écrit déposé au greffe le 5 décembre 2016 ;
5. [Le demandeur] fait actuellement grief au [défendeur] de ne pas lui avoir accordé un montant qu'il qualifie 'd'allocation d'attente et de soutien' en attendant la solution du litige qui l'oppose à l'Office national de l'emploi et à Actiris pour la période du 10 janvier au 15 décembre 2011. Il soutient qu'il ne s'agit pas de la même demande que celle qui a déjà été soumise lors des procédures précédentes ;
6. Toutefois, la demande de montants à charge du [défendeur] pour la période du 10 janvier au 15 décembre 2011 a été introduite et réintroduite à plusieurs reprises par [le demandeur] et cette contestation a été jugée (définitivement) entre les mêmes parties, sous l'angle d'une avance sur des allocations de chômage tant au regard de la loi du 8 juillet 1976 - aide sociale - qu'au regard de la loi du 26 mai 2002 - revenu d'intégration sociale ; elle a été également examinée sous l'angle d'une aide sociale ponctuelle ;
Le fait qu'actuellement [le demandeur] réclame ces montants à charge du [défendeur] au titre d'une 'allocation d'attente et de soutien' ne modifie pas l'objet de la demande ;
En d'autres termes, le recours contre la décision du [défendeur] refusant l'octroi d'une aide financière au cours de la période du 10 janvier au 15 décembre 2011 est définitivement jugé, quel que soit le fondement juridique de ce recours ;
7. Il en va de même des demandes de prise en charge des frais d'inscription à l'Université libre de Bruxelles (doctorat), des frais d'inscription aux cours d'allemand suivis au Goethe Institut, des dommages et intérêts liés à son endettement, etc.
Ces demandes ont été tranchées, entre les mêmes parties, et définitivement, par les différentes décisions citées par le premier juge ;
En tant que de besoin, la cour [du travail] rappelle qu'une condamnation à des dommages et intérêts exige la preuve d'une faute et qu'aucune faute n'est établie à charge du [défendeur] ;
8. Statuer sur les demandes [du demandeur] serait contraire à l'ordre public, alors que ces demandes, identiques et entre les mêmes parties, ont fait l'objet de décisions judiciaires définitives ;
[Le demandeur] n'établit pas en quoi les (autres) dispositions légales invoquées pourraient influencer la solution du litige et mener au fondement de ses demandes ;
9. [Le demandeur] soutient qu'il y a déni de justice.
Il y a déni de justice lorsque la juridiction saisie ne se prononce pas sur la contestation qui lui est soumise. Tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Il n'y a en outre pas déni de justice lorsque le juge se borne à ne pas avoir égard à un moyen ou considère ne pas devoir y répondre ;
10. L'appel sera déclaré non fondé sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant les autres arguments ou moyens invoqués par [le demandeur], ceux-ci ne pouvant mener à une autre conclusion ;
Quant à l'application de l'article 780bis du Code judiciaire
11. [Le demandeur] demande de condamner le [défendeur] sur la base de l'article 780bis du Code judiciaire ;
L'article 780bis, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire dispose que la partie qui utilise la procédure à des fins manifestement dilatoires ou abusives peut être condamnée à une amende de quinze à deux mille cinq cents euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ;
L'abus de procédure existe lorsqu'une partie au procès agit sans intérêt raisonnable ou suffisant mais d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal par une partie au procès prudente et diligente, comme lors de l'utilisation d'une procédure à des fins manifestement dilatoires ou abusives mettant en péril tant l'intérêt des parties qu'une administration de la justice correcte et efficace ;
Dans le présent dossier, il n'y a pas trace d'un tel comportement de la part du [défendeur] ;
Cette demande n'est manifestement pas fondée ;
Quant à la demande d'assistance judiciaire
12. L'appel étant déclaré non fondé, la demande d'assistance judiciaire pour exécuter l'arrêt à venir au bénéfice [du demandeur] est sans objet ».

Griefs

Il ressort de l'arrêt que le défendeur n'a pas comparu à l'audience publique d'introduction de l'appel, ni personne pour lui, et que les débats ont été clôturés après que le demandeur eut plaidé sa cause. Il en ressort également que le jugement entrepris a été prononcé en l'absence du défendeur.
Aux termes de l'article 806 du Code judiciaire, le juge, statuant par défaut, fait droit aux demandes ou moyens de défense de la partie comparante, sauf dans la mesure où la procédure, ces demandes ou moyens sont contraires à l'ordre public.
En vertu de l'article 1067 du Code judiciaire, les règles du jugement par défaut et de l'opposition sont applicables en degré d'appel.
L'arrêt dit l'appel du demandeur non fondé parce qu'il considère que « faire droit aux demandes [du demandeur] serait contraire à l'ordre public » et ce, au motif que faire droit à ses demandes violerait l'autorité de la chose jugée des décisions citées par le premier juge.
Or, aux termes de l'article 27 du Code judiciaire, si l'exception de chose jugée peut être invoquée en tout état de cause devant le juge du fond saisi de la demande, elle ne peut toutefois être soulevée d'office par le juge. Il s'ensuit qu'en matière civile, l'autorité de la chose jugée n'est pas, en règle, d'ordre public.
Dès lors, l'arrêt, prononcé par défaut à l'égard du défendeur, se prononçant sur l'appel d'un jugement rendu par défaut à l'égard du défendeur, qui décide que faire droit aux demandes du demandeur serait contraire à l'ordre public en raison de l'autorité de la chose jugée d'autres décisions définitives, viole les articles 27, 806 et 1067 du Code judiciaire, tels qu'ils sont visés en tête du moyen.

III. La décision de la Cour

Aux termes de l'article 806 du Code judiciaire, tel qu'il a été modifié par l'article 20 de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice, dans le jugement par défaut, le juge fait droit aux demandes ou moyens de défense de la partie comparante, sauf dans la mesure où la procédure, ces demandes ou moyens sont contraires à l'ordre public.
L'article 138 de la loi du 6 juillet 2017 portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice, a complété ledit article 806, qui dispose désormais que, dans le jugement par défaut, le juge fait droit aux demandes ou moyens de défense de la partie comparante, sauf dans la mesure où la procédure, ces demandes ou moyens sont contraires à l'ordre public, y compris les règles de droit que le juge peut, en vertu de la loi, appliquer d'office.
Est d'ordre public au sens de cette disposition la règle de droit qui touche aux intérêts essentiels de l'État ou de la collectivité, ou qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquelles repose l'ordre économique ou moral de la société.
Il est contraire à l'ordre public ainsi entendu qu'un juge, statuât-il par défaut, fasse droit à une demande ou à un moyen de défense qui, d'après les éléments soumis à son appréciation, est manifestement irrecevable ou non fondé.
L'arrêt constate que le demandeur a déposé le 5 décembre 2016 au greffe du tribunal du travail une requête par laquelle il a formé contre le défendeur des demandes dont il a contesté que l'exception de chose jugée visée à l'article 23 du Code judiciaire pût leur être opposée en soutenant « qu'elles diffèrent [de celles] qui ont fait l'objet de précédentes procédures » ; que le jugement entrepris, statuant par défaut à l'égard du défendeur, a dit cette requête « irrecevable au motif qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée », en relevant que « le demandeur a déjà articulé des demandes parfaitement identiques dans divers procès l'opposant [au défendeur], demandes jugées irrecevables ou non fondées par des décisions définitives » qu'il a citées, et que le demandeur « fait valoir en appel [...] que l'autorité de la chose jugée ne peut être soulevée d'office par le juge ».
En examinant, comme l'avait fait le premier juge, si l'objet de la demande était le même que celui des demandes antérieurement formées par le demandeur contre le défendeur, la cour du travail n'a pas soulevé d'office l'exception de chose jugée mais a statué sur le moyen par lequel la partie comparante entendait prévenir cette exception.
Dès lors que l'arrêt relève que le demandeur « multiplie les procédures contre [le défendeur] alors que sa demande a été définitivement jugée depuis plusieurs années, malgré les rappels réitérés du tribunal et de la cour [du travail] quant à l'autorité de la chose jugée », la cour du travail a pu considérer qu'il eût contrevenu à l'ordre public, même en l'absence du défendeur, de faire droit à la demande.
Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le défendeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent nonante euros septante-sept centimes en débet envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du quinze octobre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M. Lemal
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.18.0002.F
Date de la décision : 15/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-15;s.18.0002.f ?

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