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10/10/2018 | BELGIQUE | N°P.18.0660.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 octobre 2018, P.18.0660.F


N° P.18.0660.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL A BRUXELLES,
demandeur en cassation,

contre

1. S. E.,
prévenue,
2. G. U., agissant en qualité de tuteur de la mineure étrangère non accompagnée E. S.,
3. S. F.,
père d'E. S., civilement responsable,
4. S. G.,
mère d'E. S., civilement responsable,
défendeurs en cassation.


I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre les arrêts rendus le 7 mars 2018 et le 29 mai 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre spécifique de l

a jeunesse.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le...

N° P.18.0660.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL A BRUXELLES,
demandeur en cassation,

contre

1. S. E.,
prévenue,
2. G. U., agissant en qualité de tuteur de la mineure étrangère non accompagnée E. S.,
3. S. F.,
père d'E. S., civilement responsable,
4. S. G.,
mère d'E. S., civilement responsable,
défendeurs en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre les arrêts rendus le 7 mars 2018 et le 29 mai 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre spécifique de la jeunesse.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LES ANTÉCÉDENTS

E. S., défenderesse, est une mineure étrangère non accompagnée au sens du chapitre VI, intitulé « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés », du titre XIII de la loi-programme du 24 décembre 2002, ci-après la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés. U. G., défendeur, a été désigné tuteur le 25 septembre 2015, en application de l'article 3, § 2, 1°, de la loi précitée.

La mineure d'âge a été déférée au tribunal de la jeunesse francophone de Bruxelles en raison de faits qualifiés infraction, commis alors qu'elle était âgée de seize ans ou plus. En application de l'article 57bis de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait, le tribunal de la jeunesse s'est dessaisi et a renvoyé l'affaire au ministère public aux fins de poursuite, s'il y a lieu, devant une chambre spécifique au sein du tribunal de la jeunesse.

Par défaut à l'égard de la mineure d'âge et de ses parents, et contradictoirement à l'égard du tuteur, les arrêts attaqués statuent sur l'appel de la mineure d'âge, formé le 4 octobre 2016, et sur celui du tuteur, formé le 10 octobre 2016, contre le jugement de la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse du 22 juin 2016. Cette décision condamnait la mineure à un emprisonnement de 36 mois, assorti pour la moitié de cette peine d'un sursis à l'exécution pendant cinq ans.

L'arrêt du 7 mars 2018 déclare irrecevable l'appel interjeté personnellement par la mineure d'âge, au motif qu'en vertu de l'article 9, § 1er, de la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés, le tuteur désigné en application de cette loi est seul apte à représenter le mineur dans tous les actes juridiques, dans toutes les procédures et dans les voies de recours, à la seule exception de la demande d'asile que le mineur non accompagné peut introduire seul sans être représenté par son tuteur. Concernant l'appel formé par le tuteur, l'arrêt considère que l'article 16, § 1er, de la loi précitée prescrit la notification au tuteur de toutes les décisions relatives au mineur non accompagné et que les délais de recours commencent à courir à partir de cette notification, de sorte qu'en l'absence de notification au tuteur du jugement du 22 juin 2016, le recours exercé par ce dernier le 10 octobre 2016 au nom et pour le compte de la mineure est recevable.

Après réouverture des débats, l'arrêt du 29 mai 2018 réforme le jugement du 22 juin 2016 et déclare irrégulière la saisine de la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse ainsi que la procédure mue devant elle, aux motifs que, en violation des articles 9 et 16 de la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés, le tuteur n'a pas été convoqué à l'interrogatoire du juge d'instruction, aux audiences de la chambre du conseil statuant sur le maintien de la détention préventive et le règlement de la procédure, et aux audiences de la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse, que le tuteur n'a pas représenté la mineure à cet interrogatoire et à ces audiences, et que le mandat d'arrêt et les décisions des juridictions précitées n'ont pas été notifiés au tuteur.

III. LA DÉCISION DE LA COUR

Le demandeur se désiste de son pourvoi formé le 8 juin 2018, dans l'hypothèse où la Cour considérerait que les arrêts attaqués ou l'un d'eux seraient susceptibles d'opposition.

La mineure d'âge et ses parents sont sans intérêt à former opposition aux arrêts attaqués.

Il n'y a dès lors pas lieu de décréter le désistement au motif que le pourvoi, formé pendant le délai ordinaire d'opposition, n'est recevable qu'après l'expiration de ce délai.

A. En tant que le pourvoi est dirigé contre l'arrêt du 7 mars 2018 :

Sur le moyen :

Quant aux première, deuxième et quatrième branches réunies :

1. Le moyen est pris de la violation des articles 9 de la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés, 57bis de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, 182, 185, § 1er, 202, 203bis et 210 du Code d'instruction criminelle, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La première branche du moyen soutient que l'article 9 de la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés doit être interprété, en ce qui concerne les procédures judiciaires, comme octroyant au tuteur du mineur non accompagné une capacité analogue à celle du tuteur désigné en application du Code civil, sans porter préjudice à la capacité propre reconnue au mineur dans certains cas. Ainsi, le mineur qui a fait l'objet d'une décision de dessaisissement a le droit de former lui-même, le cas échéant à l'intervention de son avocat, opposition ou appel contre les décisions de la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse relatives à l'action publique, tandis que les parents ou le tuteur de droit commun ne peuvent exercer ces recours au nom du mineur. Dans la deuxième branche du moyen, le demandeur fait valoir que la procédure pénale commune est applicable devant la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse, que les parents du mineur ne sont parties à la cause qu'en tant que civilement responsables, que le tuteur du mineur non accompagné, qui n'est pas civilement responsable, n'est pas une partie devant cette juridiction et que, par conséquent, son appel est irrecevable à défaut de qualité pour agir. En sa quatrième branche, le moyen fait valoir que les décisions des juges d'appel violent le droit de la personne accusée, consacré par les dispositions conventionnelles précitées, de se défendre elle-même ou d'avoir l'assistance d'un défenseur de son choix, d'être traité de manière égale devant les tribunaux et de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité, conformément à la loi.

2. L'article 9, § 1er, alinéa 1er, de la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés dispose que, sous réserve de ce qui est prévu à l'article 10, § 2, le tuteur a pour mission de représenter le mineur dans tous les actes juridiques, dans les procédures prévues par les lois sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, ainsi que dans toute autre procédure administrative ou judiciaire. Le deuxième alinéa, 1° à 3°, énonce que le tuteur est notamment compétent pour introduire une demande d'asile ou d'autorisation de séjour, veiller, dans l'intérêt du mineur, au respect des lois sur l'accès au territoire, le séjour et l'éloignement des étrangers et exercer les voies de recours. Le troisième alinéa précise que le mineur peut toutefois introduire seul une demande d'asile sans être représenté par son tuteur.

En vertu de l'article 16, § 1er, alinéa 1er, de la loi précitée, toutes les convocations, décisions ou demandes de renseignements relatives au mineur non accompagné sont notifiées au tuteur et les délais de recours commencent à courir à partir de cette notification. Le deuxième alinéa énonce que les significations et notifications dans le cadre d'une procédure judiciaire relative à un mineur étranger non accompagné sont faites conformément aux dispositions du Code judiciaire et que les délais établis pour l'accomplissement des actes de procédure judiciaire sont soumis aux dispositions de ce code. Le troisième alinéa ajoute que, en même temps que la notification au tuteur, une copie est transmise à la résidence du mineur et au service des tutelles.

Il ressort des travaux préparatoires de la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés que le législateur a mis en place un régime spécifique de représentation et d'assistance pour les mineurs étrangers qui arrivent en Belgique sans être accompagnés d'une personne exerçant l'autorité parentale ou la tutelle. Afin de remédier, notamment, au problème de l'absence de représentation légale de ces mineurs, la loi a instauré auprès du service public fédéral Justice un service de tutelle chargé de désigner un tuteur doté d'un pouvoir de représentation générale du mineur en ce qui concerne sa personne et ses biens.

Il ne ressort ni du texte ni des travaux préparatoires de la loi précitée que le législateur a eu l'intention de priver le mineur étranger non accompagné de la capacité d'accomplir personnellement ou par son avocat les actes juridiques ou de procédure que les mineurs d'âge accomplissent eux-mêmes sans l'intervention de leur représentant légal.

Lorsque, comme en l'espèce, le mineur d'âge est une personne qui était âgée de seize ans ou plus au moment du fait qualifié infraction et qui a fait l'objet d'une décision de dessaisissement en application de l'article 57bis de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, ce mineur exerce personnellement, le cas échéant à l'intervention de son avocat, les voies de recours prévues par la loi contre les décisions des juridictions d'instruction et des chambres spécifiques des juridictions de la jeunesse relatives à l'action publique. Ses parents ou son tuteur n'ont pas le pouvoir de former ces recours en son nom.

Dès lors que le mineur étranger non accompagné qui a fait l'objet d'une décision de dessaisissement ne se trouve pas, en ce qui concerne les recours contre les décisions rendues sur l'action publique à la suite du jugement de dessaisissement, dans la situation d'incapacité à laquelle la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés a entendu remédier, l'article 9, § 1er, de cette loi ne peut être interprété comme ayant pour effet de le priver du droit d'exercer ces recours personnellement ou à l'intervention de son avocat, d'attribuer l'exercice de ce droit au tuteur agissant en qualité de représentant du mineur non accompagné et de faire courir le délai de recours à partir de la notification de ces décisions au tuteur.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6.3.c), de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout accusé a droit à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix. L'article 14.3.d), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, en vertu de l'article 14.5 de ce pacte, toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.

A supposer que l'article 9, § 1er, de la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés ait pour effet de priver le mineur étranger non accompagné qui a fait l'objet d'une décision de dessaisissement, du droit d'exercer lui-même ou à l'intervention de son avocat les recours prévus par la loi contre les décisions relatives à l'action publique des juridictions d'instruction et des chambres spécifiques des juridictions de la jeunesse, et d'attribuer l'exercice de ce droit au tuteur, ladite disposition légale serait contraire aux dispositions conventionnelles précitées et ne pourrait, dans cette mesure, être appliquée.

En déclarant irrecevable l'appel interjeté par la mineure étrangère non accompagnée contre le jugement du 22 juin 2016 de la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse, et en déclarant recevable l'appel formé contre cette décision par le tuteur au nom et pour le compte de la mineure, aux motifs que seul le tuteur était habilité à exercer ce recours en qualité de représentant de la mineure et que le délai d'appel, en l'absence de notification au tuteur, n'a pas commencé à courir, l'arrêt du 7 mars 2018 viole les dispositions visées au moyen.

Dans cette mesure, le moyen est fondé.

3. L'appel de la mineure d'âge est toutefois irrecevable pour un autre motif.

En effet, l'arrêt constate que le jugement précité a été rendu contradictoirement à son égard. Lorsque la mineure a interjeté appel, le 4 octobre 2016, le délai de trente jours à compter du jour de la prononciation du jugement, prévu à peine de déchéance par l'article 203, § 1er, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, était expiré.

Partant, la décision des juges d'appel déclarant l'appel formé par la mineure d'âge irrecevable est légalement justifiée.

Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.

La cassation de l'arrêt du 7 mars 2018 sera dès lors limitée à la décision déclarant recevable l'appel formé par le tuteur.

Et pour le surplus, les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

Il n'y a pas lieu d'examiner le surplus du moyen, qui ne saurait entraîner une cassation dans d'autres termes que ceux du dispositif du présent arrêt.

B. En tant que le pourvoi est dirigé contre l'arrêt du 29 mai 2018 :

4. Ainsi qu'il est exposé ci-dessus, l'arrêt du 7 mars 2018 décide légalement que l'appel de la mineure d'âge est irrecevable. Cet arrêt est cassé en tant qu'il dit recevable l'appel interjeté par le tuteur, au motif que celui-ci n'était pas habilité à interjeter appel au nom et pour le compte de la mineure.

Il en résulte que la cour d'appel était sans pouvoir pour statuer sur le fondement du recours de la mineure d'âge.

Par conséquent, toutes les dispositions de l'arrêt du 29 mai 2018 sont illégales, et la cassation est prononcée sans renvoi, sauf pour statuer sur les frais de l'action publique exposés en degré d'appel.

Il n'y a pas lieu d'examiner le surplus du moyen, qui ne saurait entraîner une cassation de l'arrêt dans d'autres termes que ceux du dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Casse l'arrêt du 7 mars 2018 en tant qu'il déclare recevable l'appel du tuteur ;
Casse l'arrêt du 29 mai 2018 ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé du 7 mars 2018 et de l'arrêt cassé du 29 mai 2018 ;
Réserve les trois quarts des frais du pourvoi pour qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi et laisse le surplus à charge de l'Etat ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi, sauf pour statuer sur les frais de l'action publique exposés en degré d'appel ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles, chambre spécifique de la jeunesse, autrement composée.
Lesdits frais taxés à la somme de deux cent quatre-vingts euros quatre-vingt-cinq centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Sidney Berneman, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du dix octobre deux mille dix-huit par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
F. Gobert F. Lugentz T. Konsek
E. de Formanoir S. Berneman F. Roggen


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.18.0660.F
Date de la décision : 10/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-10;p.18.0660.f ?

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