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02/10/2018 | BELGIQUE | N°P.18.0770.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 octobre 2018, P.18.0770.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.18.0770.N
PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION,
requérant d'office en réouverture d'une procédure,
en la cause P.07.1829.N de

1. V. G.,
2. P. R.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Katia Bouve, avocat au barreau de Bruges,

contre

INSPECTEUR URBANISTE DE LA RÉGION FLAMANDE, compétent pour le territoire de la province du Limbourg,
demandeur en réparation,
défendeur en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Par réquisitoire reçu au greffe de la Co

ur le 10 juillet 2018, le procureur général près la Cour a demandé d'office d'ordonner la réouverture de la procédur...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.18.0770.N
PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION,
requérant d'office en réouverture d'une procédure,
en la cause P.07.1829.N de

1. V. G.,
2. P. R.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Katia Bouve, avocat au barreau de Bruges,

contre

INSPECTEUR URBANISTE DE LA RÉGION FLAMANDE, compétent pour le territoire de la province du Limbourg,
demandeur en réparation,
défendeur en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Par réquisitoire reçu au greffe de la Cour le 10 juillet 2018, le procureur général près la Cour a demandé d'office d'ordonner la réouverture de la procédure qui avait conduit à l'arrêt n° P.07.1829.N rendu par la Cour le 1eravril 2008, la rétractation de cet arrêt et, après avoir pris connaissance du mémoire déposé par les prévenus dans le cadre de cette procédure, qu'il soit statué à nouveau sur le pourvoi formé par les demandeurs. Ce réquisitoire est annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat général Marc Timperman a conclu.

II. LES ÉLÉMENTS DE FAIT PERTINENTS

Les éléments suivants ressortent des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard.

1. En la cause ayant conduit à l'arrêt n° P.07.1829.N du 1er avril 2008, les demandeurs :
- étaient poursuivis, respectivement en tant que propriétaire et utilisateur, pour avoir maintenu dans une zone naturelle, sans disposer préalablement d'un permis d'urbanisme, un chalet d'habitation en bois et brique à toiture plate, probablement érigé en l'année 1962, mais ayant subi des extensions considérables par la suite, une construction distincte en bois, d'une superficie d'environ 9 mètres sur 6 mètres, dans laquelle trois garages avaient été aménagés, et un mur en maçonnerie reliant les deux constructions précitées ;
- ont été acquittés, en ce qui concerne l'habitation de base, par arrêt du 14 novembre 2007 de la cour d'appel d'Anvers qui déclarait, par ailleurs, les juges d'appel sans compétence pour connaître de la demande de remise en état dans la mesure où celle-ci s'y rapportait ;
- ont été déclarés, par le même arrêt, coupables pour le surplus, condamnés chacun à une amende de 200,00 euros, majorée de 45 décimes additionnels ou 1.100,00 euros, à une peine d'emprisonnement subsidiaire d'un mois et au paiement d'une contribution au Fonds spécial pour l'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence ;
- se sont vu ordonner, pour les faits du chef desquels ils ont été déclarés coupables, de remettre les lieux en leur pristin état, ce qui impliquait la démolition de l'extension du chalet en bois et brique, y compris l'enlèvement de la dalle, soit en tout environ 57 mètres carrés, le démontage des garages en bois, y compris l'enlèvement de la dalle éventuelle, et la suppression du mur de liaison, fondations comprises, dans un délai d'un an après que l'arrêt a acquis force de chose jugée et ce, sous peine d'une astreinte de 125,00 euros par jour au bénéfice du défendeur, avec autorisation des autorités réclamant la remise en état des lieux d'y procéder d'office.

2. Les demandeurs se sont pourvus en cassation contre l'ensemble des dispositions de l'arrêt rendu le 23 novembre 2007 par la cour d'appel d'Anvers. L'affaire a été inscrite au rôle général de la Cour le 17 décembre 2007.

3. Par lettre du 14 février 2008, signée de sa main, le conseil des demandeurs, Me K. B., avocate au barreau de Bruges, a déposé un mémoire reçu au greffe de la Cour le 15 février 2008, soit dans les deux mois de l'inscription de l'affaire au rôle, ainsi que le requiert l'article 420bis, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, dans sa version applicable à cette date. Ce mémoire, qui indiquait que les demandeurs bénéficiaient de l'assistance de leur conseil, Me. K. B., était signé « Pour les demandeurs, leur conseil, Me. K. B., p.o. G. K. ».

4. Par arrêt P.07.1829.N du 1er avril 2008, la Cour a décidé que ce mémoire, signé « p.o. » G. K., qui ne renseignait pas la qualité du signataire, était irrecevable. Après avoir constaté que les formalités substantielles ou prescrites à peine à de nullité avaient été observées et que la décision était conforme à la loi, la Cour a rejeté les pourvois.

5. Le 13 mars 2018, la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après la Cour européenne), deuxième section, siégeant en un comité composé de trois juges, a rendu à l'unanimité la décision suivante dans l'affaire n° 47739/[08] de Viviane Goyens et Paul Robben contre la Belgique :
- acte a été pris des termes de la déclaration du gouvernement belge concernant l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements pris ;
- l'affaire a été rayée du rôle en application de l'article 37, § 1er, de ladite Convention ;

Cette décision a été communiquée le 5 avril 2018.

6. Les éléments suivants ressortent de la décision précitée de la Cour européenne :
- en vue de résoudre la question soulevée par la requête des demandeurs, le gouvernement belge a déposé une déclaration unilatérale dans laquelle il reconnaît que l'irrecevabilité du mémoire des demandeurs au motif que le signataire du mémoire n'avait pas mentionné sa qualité d'avocat est contraire au droit d'accès au juge garanti par l'article 6 de la Convention (point 9) ;
- compte tenu de la reconnaissance de cette violation, le gouvernement belge demande la radiation de l'affaire en contrepartie du versement à chacun des demandeurs de la somme de 8.000,00 euros à titre de compensation pour le préjudice moral et les frais et dépens (point 9) ;
- la suppression de l'astreinte prononcée par l'arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 14 novembre 2007 était inenvisageable (point 10).

7. S'agissant de cette déclaration unilatérale faite par le gouvernement belge et les contestations élevées en la matière par les demandeurs, la Cour européenne s'est prononcée ainsi qu'il suit :
- le montant de l'indemnisation proposée est conforme aux montants alloués dans des affaires comparables (point 16) ;
- la réouverture de la procédure devant les juridictions nationales est le moyen le plus approprié, sinon le seul d'assurer la restitutio in integrum et de redresser les violations du droit à un procès équitable (point 17) ;
- l'article 442bis du Code d'instruction criminelle, tel que modifié par la loi du 5 février 2016, permet aux demandeurs de solliciter la réouverture de la procédure à la suite d'une décision entérinant une déclaration unilatérale de reconnaissance par le gouvernement d'une violation de la Convention (point 17) ;
- la circonstance que la déclaration unilatérale du gouvernement n'entérine pas la suppression ou le règlement de l'astreinte ne peut être retenue pour rejeter la déclaration unilatérale (point 17) ;
- à la lumière de sa jurisprudence claire et constante relative au droit d'accès à un tribunal, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête des demandeurs ;
- dans le cas où le gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, l'affaire pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l'article 37, § 2, de la Convention.

III. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur la demande en réouverture de la procédure

8. L'article 442bis, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle prévoit qu'il peut être demandé la réouverture de la procédure en ce qui concerne l'action publique, en cas de décision par laquelle la Cour européenne des droits de l'homme prend acte de la déclaration unilatérale de reconnaissance de la violation conformément à l'article 37, § 1er, de la Convention et décide, par voie de conséquence, de rayer l'affaire du rôle.

9. Selon l'article 442ter, 3°, du Code d'instruction criminelle, le droit de demander la réouverture de la procédure appartient au procureur général près la Cour de cassation, d'office.

10. Le réquisitoire du procureur général près la Cour satisfait aux conditions de forme et de temps énoncées à l'article 442quater, § 2, du Code d'instruction criminelle.

11. L'article 442bis, alinéa 1er, dudit code précise que la demande de réouverture ne peut concerner que l'action publique. La décision à prononcer sur l'action introduite par les autorités réclamant la réparation en matière d'aménagement du territoire, telles que le défendeur, est une mesure de nature civile qui relève néanmoins de l'action publique. La décision à prononcer sur l'action des autorités réclamant la réparation relève donc de la notion d'action publique au sens de l'article 442bis, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle.

12. Il résulte de la déclaration unilatérale précitée du gouvernement belge et de son appréciation par la Cour européenne par la décision précitée du 18 mars 2018, telle que communiquée le 5 avril 2018, qu'en déclarant irrecevable le mémoire des demandeurs au seul motif qu'il avait été signé par une personne dont la qualité n'était pas mentionnée, alors qu'il ressortait de la lecture conjointe du mémoire et de la lettre d'accompagnement signée par Me K. B. que ce mémoire émanait effectivement de Me K. B., la Cour de cassation a violé le droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1er, de la Convention.

13. La violation ainsi constatée de l'article 6 de la Convention consécutivement à une erreur ou à une défaillance dans la procédure est d'une gravité telle qu'un doute sérieux existe quant au résultat de la procédure attaquée. En effet, la Cour de cassation aurait pu statuer autrement qu'elle l'a fait par arrêt du 1er avril 2008 si elle avait pris connaissance des moyens développés dans le mémoire des demandeurs.

14. S'étant vu ordonner de rétablir, à leur charge, les lieux en leur pristin état, ainsi qu'il est décrit précédemment, sous peine d'une astreinte de 125,00 euros par jour, les demandeurs continuent à souffrir des conséquences négatives très graves de la procédure attaquée, que seule une réouverture peut réparer.

15. Les conditions visées aux articles 442bis et 442quinquies, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle sont réunies. Il y a lieu de rouvrir la procédure et de retirer l'arrêt P.07.1829.N dans la mesure précisée ci-après.

B. Sur les pourvois formés par les demandeurs contre l'arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 14 novembre 2007 :

Sur le premier moyen :

16. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 14, § 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 96, § 4, et 191 du décret du Parlement flamand du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, ainsi que des règles relatives à la charge de preuve en matière répressive : l'arrêt apprécie, à tort, souverainement les éléments de preuve apportés par les demandeurs et décide que l'agrandissement de l'habitation de base et les annexes n'ont fait l'objet d'aucun permis, sans s'appuyer sur la réfutation, par le ministère public, de ces éléments de preuve ; il résulte de l'article 96, § 4, du décret du Parlement flamand du 18 mai 1999 que, si le juge constate que les demandeurs présentent une quelconque preuve, il ne peut plus l'apprécier, mais doit tenir pour acquise la présomption de permis, telle que prévue par la loi ; en produisant les deux témoignages ainsi que l'acte de partage notarié, les demandeurs ont apporté une quelconque preuve que l'extension de l'habitation de base et les annexes ont été bâties avant l'entrée en vigueur du plan régional en avril 1979 ; en se bornant à admettre qu'il n'est pas démontré que les constructions ont été érigées avant l'entrée en vigueur du plan régional, l'arrêt ne respecte pas le régime de la preuve particulier figurant aux articles 96, § 4, et 191 dudit décret et il dispense le ministère public et le défendeur de la charge de la preuve qui pèse sur eux.

17. L'article 96, § 4, alinéa 2, du décret du Parlement flamand du 18 mai 1999, tel qu'applicable en l'espèce, dispose que les constructions dont il a été démontré par une quelconque preuve qu'elles ont été bâties après l'entrée en vigueur de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962, mais qui datent d'avant le tout premier établissement définitif du plan régional dans lequel elles sont situées, reçoivent une mention dans le registre des permis qu'il existe une présomption que la construction doit être considérée comme faisant l'objet d'un permis, si les autorités ne peuvent démontrer par une quelconque preuve, sauf témoignages, par exemple au moyen d'un plan de construction approuvé, un procès-verbal ou un recours, que la construction a été érigée en infraction. L'article 191, § 1er, du décret du Parlement flamand du 18 mai 1999 comporte une disposition analogue.

18. Il résulte de cette disposition que, si un prévenu démontre par une quelconque preuve qu'une construction est postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 29 mars 1962, mais antérieure au tout premier établissement définitif du plan régional, il existe une présomption que cette construction a fait l'objet d'une permis, sauf preuve contraire à apporter par les autorités que la construction a été érigée en infraction. Pour que le prévenu puisse se prévaloir de la présomption de permis, il doit démontrer par une quelconque preuve que la construction date de la période concernée. Cette condition imposée au prévenu pour pouvoir bénéficier de la présomption de permis ne viole pas, en tant que telle, les articles 6, § 2, de la Convention et 14, § 2, du Pacte et ne constitue pas davantage une méconnaissance des règles relatives à la charge de la preuve en matière répressive.

19. Il ne résulte pas de l'article 96, § 4, alinéa 2, du décret du Parlement flamand du 18 mai 1999 que le juge ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation concernant les éléments invoqués par un prévenu à titre de quelconque preuve qu'une construction a été érigée après l'entrée en vigueur de la loi du 29 mars 1962, mais avant le premier établissement du plan régional. Le juge est bel et bien habilité à apprécier s'il a été démontré par les éléments de preuve invoqués que la construction date de la période précitée et ce, nonobstant la preuve contraire à apporter par les parties poursuivantes.

Le moyen, qui est déduit d'une autre prémisse juridique, manque en droit.


Sur le second moyen :

20. Le moyen est pris de la violation des articles 1157, 1319, 1320 et 1322 du Code civil, ainsi que de la règle relative à la foi due aux procès-verbaux et aux pièces du dossier répressif : en considérant, en ce qui concerne la mention « maison d'habitation avec dépendances » figurant dans l'acte de partage notarié du 14 mars 1979, que le terme « dépendances » doit être lu dans son acception usuelle et ne saurait donc porter sur les garages, l'arrêt méconnaît la foi due à cet acte ; il suit en effet de cette interprétation que rien ne relève de la notion de « dépendances » ; en outre, cette interprétation contrevient à la règle selon laquelle une clause qui se prête à deux interprétations doit s'entendre dans le sens où elle peut avoir une quelconque conséquence et pas dans le sens où elle ne peut entraîner aucune conséquence.

21. L'article 1157 du Code civil ne s'applique pas, en règle, à l'administration de la preuve en matière pénale.

Dans la mesure où il procède d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.

22. Par le motif que le moyen critique, l'arrêt fait de la mention figurant dans l'acte de partage une interprétation qui n'est pas inconciliable avec ses termes.

Dans cette mesure, le moyen manque en fait.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Ordonne la réouverture de la procédure ;
Retire l'arrêt rendu par la Cour le 1er avril 2018 sous le numéro P.07.1829.N en tant que cet arrêt refuse de se prononcer sur les moyens que les demandeurs invoquent dans leur mémoire et rejette le pourvoi formé par les demandeurs contre l'arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 14 novembre 2007 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement retiré ;
Rejette les pourvois formés par les demandeurs contre l'arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 14 novembre 2007 ;
Laisse les frais à charge de l'État.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Alain Bloch, Peter Hoet, Sidney Berneman et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audience publique du deux octobre deux mille dix-huit par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Marc Timperman, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.

Traduction établie sous le contrôle du président de section Benoît Dejemeppe et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.18.0770.N
Date de la décision : 02/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-10-02;p.18.0770.n ?

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