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27/09/2018 | BELGIQUE | N°C.16.0138.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 27 septembre 2018, C.16.0138.F


N° C.16.0138.F
J. T.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. MATÉRIAUX BRICO J.P.B. SAINTE-ODE, société anonyme, dont le siège social est établi à Sainte-Ode, rue de la Vallée de l'Ourthe, 140,
défenderesse en cassation,
2. G. C. et
3. S. A.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
N° C.16.0375.F
1. G. C.

et
2. S. A.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation...

N° C.16.0138.F
J. T.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. MATÉRIAUX BRICO J.P.B. SAINTE-ODE, société anonyme, dont le siège social est établi à Sainte-Ode, rue de la Vallée de l'Ourthe, 140,
défenderesse en cassation,
2. G. C. et
3. S. A.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
N° C.16.0375.F
1. G. C. et
2. S. A.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

MATÉRIAUX BRICO J.P.B. SAINTE-ODE, société anonyme, dont le siège social est établi à Sainte-Ode, rue de la Vallée de l'Ourthe, 140,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,

en présence de

J. T.,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun.

I. La procédure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2015 par la cour d'appel de Liège.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation
À l'appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.16.0138.F, le demandeur présente deux moyens dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
À l'appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.16.0375.F, les demandeurs présentent deux moyens dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.

III. La décision de la Cour

Les pourvois sont dirigés contre le même arrêt ; il y a lieu de les joindre.

Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.16.0138.F :

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

En vertu de l'article 1436 du Code judiciaire, la saisie immobilière conservatoire est valable pendant trois années prenant cours à la date de sa transcription et à l'expiration de ce délai, la saisie cesse de plein droit de produire ses effets à moins que la transcription n'ait été renouvelée, comme il est dit à l'article 1439 de ce code.
Conformément à l'article 1395, alinéa 2, du même code, les demandes qui ont trait aux saisies conservatoires sont introduites et instruites devant le juge des saisies selon les formes du référé, sauf dans les cas où la loi prévoit qu'elles sont formées par requête.
Suivant l'article 1039, alinéa 2, du code, les ordonnances sur référé sont exécutoires par provision, nonobstant opposition ou appel, et sans caution, si le juge n'a pas ordonné qu'il en serait fourni une.
Il s'ensuit que, lorsque le juge des saisies statuant sur tierce opposition rétracte l'ordonnance autorisant une saisie immobilière conservatoire, sa décision exécutoire par provision fait obstacle à l'introduction d'une demande de renouvellement de la saisie ainsi levée.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.

Quant à la deuxième branche :

Le juge est tenu d'examiner la nature juridique des faits invoqués par les parties et, quelle que soit la qualification que celles-ci leur ont donnée, peut suppléer d'office aux motifs invoqués devant lui dès lors qu'il n'élève aucune contestation dont les parties ont exclu l'existence, qu'il se fonde uniquement sur des faits qui ont été régulièrement soumis à son appréciation, qu'il ne modifie pas l'objet de la demande et qu'il ne viole pas les droits de la défense.
Le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense n'est pas violé lorsque le juge fonde sa décision sur des éléments dont les parties pouvaient attendre, vu le déroulement des débats, qu'il les inclurait dans son jugement et qu'elles ont pu contredire.
L'arrêt constate que le jugement entrepris « prononce la rétractation de l'ordonnance rendue le 31 août 2010 [autorisant la première défenderesse à pratiquer une saisie immobilière conservatoire] et ordonne la mainlevée [de celle-ci] », que la première défenderesse « demande [...] de réformer le jugement entrepris » et que le demandeur et les deuxième et troisième défendeurs « demandent [...] de constater que l'appel est devenu sans objet ou non fondé à défaut pour [la première défenderesse] d'avoir procédé au renouvellement de la saisie immobilière conservatoire et de la transcription du commandement de payer transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie-exécution immobilière ».
L'arrêt, qui considère que « l'appel n'est pas devenu sans objet ou fondement du fait de l'absence de renouvellement imputable à [la première défenderesse] » dès lors que « [celle-ci] n'aurait pu procéder au renouvellement » en raison de ce que « les décisions du juge des saisies [sont] de plein droit exécutoires par provision », se borne à relever les moyens de droit dont l'application est commandée par les faits invoqués par le demandeur et les deuxième et troisième défendeurs à l'appui de leurs prétentions, sans élever une contestation dont les parties excluaient l'existence, partant, ne viole pas l'article 774, alinéa 2, du Code judiciaire et ne méconnaît pas le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche :

Les motifs vainement critiqués par les première et deuxième branches du moyen suffisent à fonder la décision de l'arrêt que « l'appel n'est pas devenu sans objet ou fondement du fait de l'absence de renouvellement imputable à [la première défenderesse] ».
Dirigé contre une considération surabondante de l'arrêt, le moyen, qui, en cette branche, ne saurait en entraîner la cassation, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.

Sur le second moyen :

Quant à la première branche :

Aux termes de l'article 1122, alinéa 1er, du Code judiciaire, toute personne qui n'a point été dûment appelée ou n'est pas intervenue à la cause en la même qualité peut former tierce opposition à la décision, même provisoire, qui préjudicie à ses droits.
L'arrêt constate que, « par une ordonnance du 31 août 2010, le juge des saisies [a autorisé la première défenderesse] à pratiquer une saisie immobilière conservatoire à charge de la [société] O. », que cette saisie « est pratiquée le 28 septembre 2010 et transcrite le 29 septembre 2010 » et que, « le 11 octobre 2010, le [notaire demandeur] vend l'immeuble objet de la saisie [aux deuxième et troisième défendeurs] ‘pour quitte et libre de toutes charges et dettes privilégiées ou hypothécaires généralement quelconques' sans consigner les causes de la saisie ».
Après avoir admis que « le [demandeur] est incontestablement menacé d'un ‘préjudice' tant matériel que moral dès lors que [la première défenderesse] et [les deuxième et troisième défendeurs] ont clairement indiqué leur intention de mettre sa responsabilité en cause », l'arrêt, qui considère que « le ‘préjudice' dont [le demandeur] est menacé résulte non de l'ordonnance autorisant la saisie mais de la faute (qu'il conteste) qu'il a commise en ne procédant pas aux vérifications qui s'imposaient » en sorte que « sa position juridique n'est pas menacée par » l'ordonnance précitée qui, « en aucun cas, [...] n'est, en tant que telle, in abstracto, susceptible de préjudicier à ses droits ou de le menacer d'un quelconque préjudice », ne justifie pas légalement sa décision de dire « la tierce opposition formée par [le demandeur] irrecevable ».

Quant à la seconde branche :

En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas intérêt pour la former.
L'intérêt n'est illégitime que lorsque l'action tend au maintien d'une situation contraire à l'ordre public ou à l'obtention d'un avantage illicite.

L'arrêt, qui considère qu'en essayant d'« obtenir la mainlevée de la saisie au mépris de laquelle l'acte authentique de vente a été dressé », le demandeur recherche un avantage illicite au motif que son « seul but [...] est d'échapper aux réclamations [des défendeurs], et donc à la responsabilité qui lui incombe (le cas échéant) en vertu des dispositions légales », viole la disposition légale précitée.

Le moyen, en chacune de ses branches, est fondé.

Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.16.0375.F :

Sur le premier moyen :

Pour les motifs donnés en réponse au premier moyen invoqué dans le cadre du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.16.0138.F, le moyen, similaire à ce moyen, ne peut être accueilli.

Sur le second moyen :

Quant à la troisième branche :

L'article 1130, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose que la juridiction qui accueille le recours en tierce opposition annule, en tout ou en partie, la décision attaquée, à l'égard du tiers seulement.
Le second alinéa de cet article ajoute que l'annulation a lieu à l'égard de toutes les parties dans la mesure où l'exécution de la décision attaquée serait incompatible avec l'exécution de la décision d'annulation.
L'arrêt constate que, « par une ordonnance du 31 août 2010, le juge des saisies a autorisé [la défenderesse] à pratiquer une saisie immobilière conservatoire à charge de la [société] O. [...] pour sûreté d'une créance évaluée à la somme provisionnelle de 60.000 euros en principal », que « la saisie immobilière conservatoire a été pratiquée le 28 septembre 2010 et transcrite le 29 septembre 2010 », que, « le 11 octobre 2010, [la partie appelée en déclaration d'arrêt commun] a vendu l'immeuble [...] aux demandeurs pour ‘quitte et libre de toutes charges et dettes privilégiées ou hypothécaires généralement quelconques' sans consigner les causes de la saisie », que, « le 9 novembre 2010, le tribunal de commerce a condamné par défaut la [société] O. à payer à [la défenderesse] la somme de 54.922,44 euros à majorer des intérêts de retard et judiciaires », que « cette décision est assortie de l'exécution provisoire », que, « le 20 mai 2011, le conseil de [la défenderesse] a mis en cause la responsabilité de [la partie appelée en déclaration d'arrêt commun] », que, « le 20 juillet 2011, [celle-ci] a cité [la défenderesse] en tierce opposition » et a « sollicité la rétractation de l'ordonnance [...] et la mainlevée de la saisie immobilière conservatoire », que, « le 21 décembre 2011, [la défenderesse] a fait signifier un commandement de payer [...] aux [demandeurs] » et que, « le 28 décembre 2011, les [demandeurs] ont cité [la défenderesse] en tierce opposition et sollicité la rétractation et la mainlevée des saisies immobilières conservatoire et exécution ».
L'exécution de l'ordonnance autorisant la saisie immobilière conservatoire à l'égard des demandeurs serait incompatible avec l'exécution de la décision de rétractation de ladite ordonnance et de mainlevée de cette saisie qui serait prononcée s'il était fait droit à la demande de la partie appelée en déclaration d'arrêt commun.
L'arrêt, qui considère qu'« à défaut d'indivisibilité, la tierce opposition formée par [la partie appelée en déclaration d'arrêt commun] n'entache pas la validité de l'acte de transformation posé à l'égard [...] des demandeurs », ne justifie pas légalement sa décision de déclarer non fondée leur demande d'annulation du commandement de payer transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie-exécution immobilière.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.

Sur l'étendue de la cassation :

La cassation des décisions que la tierce opposition de J. T. est irrecevable et que la demande de G. C. et S. A. en annulation du commandement de payer n'est pas fondée s'étend aux autres décisions sur le fondement de la tierce opposition de ces derniers, en raison de l'indivisibilité précisée dans la réponse à la troisième branche du second moyen de leur pourvoi.

Et il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Joint les pourvois inscrits au rôle général sous les numéros C.16.0138.F. et C.16.0375.F. ;
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il dit la tierce opposition de J. T. irrecevable, qu'il le condamne à une somme de quinze cents euros, qu'il dit non fondée la demande de G. C. et de S. A. et qu'il statue sur les dépens ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-sept septembre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange Chr. Storck

Requête

1er feuillet

00150892
REQUÊTE EN CASSATION
POUR :
Monsieur J. T.,
demandeur en cassation,
assisté et représenté par Me Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation soussigné, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, avenue Louise, 149 (Bte 20), où il est fait élection de domicile.
CONTRE :
1) La société anonyme MATÉRIAUX BRICO J.P.B. SAINTE-ODE, dont le siège social est établi à 6680 SAINTE-ODE, rue de la Vallée de l'Ourthe, 140, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0443713632, ci-après S.A. BRICO,
défenderesse en cassation
2) Monsieur G. C., et
3) Madame S. A.,
défendeurs en cassation, et à tout le moins, parties appelées à la cause pour s'entendre déclarer commun l'arrêt à intervenir.
* *
* 2ème feuillet

A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation de Belgique,
Messieurs,
Mesdames,
Le demandeur en cassation a l'honneur de déférer à votre censure l'arrêt rendu contradictoirement entre parties, le 5 novembre 2015, par la septième chambre de la cour d'appel de Liège (n° 2014/RG/249).

1. Cet arrêt statue sur les contestations nées à la suite d'une saisie conservatoire autorisée le 31 août 2010 par le juge des saisies de Neufchâteau et pratiquée le 28 septembre 2010 (et dûment transcrite le lendemain) par S.A. BRICO à charge d'une SPRL O., sur un immeuble sis à Bastogne, [...].
Le notaire T. à l'intervention duquel l'immeuble objet de la saisie avait été vendu aux défendeurs en cassation sub 2 et 3, le 11 octobre 2010, vit sa responsabilité mise en cause pour avoir procédé à la vente sans avoir eu égard à la saisie.

2. Le 20 juillet 2011, le notaire T. cita la S.A. BRICO en tierce opposition en sollicitant la rétractation de l'ordonnance du 31 août 2010 et la mainlevée de la saisie immobilière conservatoire du 28 septembre 2010.

Par son jugement du 19 mars 2013, le juge des saisies de Neufchâteau fit droit à cette tierce opposition ainsi qu'à celle que les actuels défendeurs sub 2 et 3 avaient signifiée le 28 décembre 2011 et prononça la rétractation de l'ordonnance du 31 août 2010, ordonna la mainlevée de la saisie immobilière conservatoire du 28 septembre 2010 et, faisant droit à une demande nouvelle du notaire T. constata également l'illégalité du commandement de payer du 21 décembre 2011, transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie-exécution immobilière et mit à néant les effets de ce commandement.

3. L'arrêt attaqué réforme ce jugement. 3ème feuillet

Il dit la tierce opposition du notaire T. irrecevable, dit non fondée la tierce opposition formée par les époux C. - A., condamne Me T. à payer à S.A. BRICO une indemnité de 1.500 euro à titre de dommages et intérêts pour tierce opposition téméraire et vexatoire et condamne les intimés aux dépens.
4. Au soutien du pourvoi en cassation qu'il forme contre cet arrêt, le demandeur en cassation a l'honneur d'invoquer les moyens de cassation suivants ci-après.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales violées
- articles 774, spécialement alinéa 2, 1419, 1433, 1434, 1436, 1439, 1440, 1441, 1497, 1498, 1569, 1570, 1571, 1610 et 1612 du Code judiciaire ;
- principe général du droit relatif aux droits de la défense ;
- article 149 de la Constitution coordonnée.

Décisions et motifs critiqués
Pour réformer le jugement dont appel, condamner le demandeur en cassation à une indemnité de 1.500 euro et condamner les parties intimées aux dépens, l'arrêt attaqué se fonde sur ce que (p. 5, sub 1).
« À l'égard des parties en cause, la décision entreprise a rétracté l'ordonnance rendue le 31 août 2010, ordonné la mainlevée de la saisie immobilière conservatoire pratiquée le 28 septembre 2010, et mis à néant les effets du commandement de payer transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie-exécution immobilière.
La mainlevée anéantit la saisie.
Les décisions du juge des saisies étant de plein droit exécutoires par provision, la S.A. BRICO n'aurait pu procéder au renouvellement de la saisie immobilière conservatoire ou de la transcription du commandement postérieurement au prononcé de la décision entreprise. » 4ème feuillet

GRIEFS
Première branche
1. Les articles 1436 et 1439 du Code judiciaire disposent que la saisie immobilière conservatoire cesse ses effets après trois ans à défaut de renouvellement.
Ces articles n'excluent pas qu'un tel renouvellement puisse être demandé à toutes fins utiles lorsque l'ordonnance autorisant la saisie a été rétractée sous réserve d'appel.
2. En décidant, pour les motifs reproduits au moyen que la défenderesse sub 1 n'aurait pu procéder au renouvellement conservatoire de la saisie ou de la transcription du commandement après la décision dont appel anéantissant la saisie, l'arrêt attaqué viole dès lors lesdits articles 1436 et 1439 du Code judiciaire en se fondant sur une exclusion que ces articles ne comportent pas.
Deuxième branche
3. Dans ses conclusions additionnelles et de synthèse d'appel (pp. 12 à 15), la défenderesse sub 1 n'invoquait pas qu'un renouvellement de la saisie était impossible en raison de l'anéantissement de celle-ci par l'ordonnance de rétractation.
Elle admettait au contraire qu'elle avait la possibilité temporelle de procéder au renouvellement (n° 20, p. 14) mais qu'il y avait eu, en l'espèce, fraude ou abus de droit.
4. Il suit de là que en rejetant la demande du demandeur sur une exception soulevée d'office, sans ordonner la réouverture des débats, l'arrêt attaqué a :
1°/ violé l'article 774, alinéa 2 du Code judiciaire qui imposait une telle réouverture des débats ; 5ème feuillet

2°/ méconnu le droit de défense du demandeur en rejetant sa demande sur une défense opposée d'office sans lui donner la possibilité de se défendre sur ce point (violation du principe général du droit imposant le respect des droits de la défense).
Troisième branche
5. Les saisies immobilières conservatoires (articles 1419, 1433, 1434 du Code judiciaire) comme leur mainlevée (articles 1440 et 1441 du Code judiciaire) font l'objet d'une publicité hypothécaire. Il en va de même pour la conversion d'une saisie immobilière conservatoire en saisie-exécution (articles 1497, alinéa 2 et 1498 du Code judiciaire) et plus généralement des saisies-exécution immobilières et leur mainlevée (1569 et 1570 du Code judiciaire).
6. En vertu de l'article 1571 du Code judiciaire, s'il y a eu précédente saisie présentée et transcrite, le conservateur constate son refus en marge de la seconde et il énonce la date de la précédente, les nom, prénom, domicile et profession du saisissant et du saisi et la date de la transcription.
En vertu de l'article 1610 du même code, la subrogation est aussi accordée sur requête, présentée au juge par tout autre créancier qui a pratiqué une saisie sur les mêmes biens, lorsque le poursuivant n'a pas rempli une formalité ou n'a pas fait un acte de procédure dans les délais prescrits ou s'il y a fraude, collusion ou négligence et, en ce cas, sans préjudice de tous dommages-intérêts.
L'article 1612 de ce même code dispose que lorsqu'une saisie-exécution immobilière a été rayée, le plus diligent des saisissants postérieurs peut poursuivre sur sa saisie, encore qu'il ne se soit pas présenté le premier à la transcription.
7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'une mainlevée d'une saisie immobilière est sans effets procéduraux en l'absence de sa radiation à la conservation des hypothèques.
En considérant dès lors, de manière générale et sans restrictions, que « la mainlevée anéantit la saisie » alors qu'elle est sans effet en absence de radiation l'arrêt attaqué a violé lesdits articles 1419, 1433, 1434, 1440, 1441, 1497, alinéa 2, 1498, 1569, 1570, 1571, 1610 et 1612 du Code judiciaire. 6ème feuillet

8. À tout le moins, à défaut d'avoir recherché si la saisie avait été radiée, l'arrêt attaqué ne contient pas les constatations de fait devant permettre à la Cour de contrôler la légalité de sa décision sur l'anéantissement de la saisie par la mainlevée et n'est dès lors pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
Développements
Deuxième branche
- voy. P. MARCHAL, Principes généraux du droit, 2e éd., coll. RPDB, Bruxelles, Bruylant, 2014, nos 128 et 188.

Troisième branche
- voy. G. DE LEVAL, La saisie immobilière, Bruxelles, Larcier, 2012, 6e éd., no658 et Cass., 30 janvier 2009, Pas., 2009, no 81, sub no 6 ;

- Cass., 7 décembre 2001 (aud. plén.), Pas., 2001, no 681 avec les conclusions de Monsieur le procureur général du Jardin ; Cass., 9 septembre 2010, Pas., 2010, no 506 ; Cass., 4 février 2013, Pas., 2013, no 81.

SECOND MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales violées
- articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire ;
- articles 6, 1131, 1133, 1142, 1145, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151, 1382 et 1383 du Code civil ;
- principe général du droit imposant le respect des droits de la défense ;
- article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955.
7ème feuillet

Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué déclare irrecevable la tierce opposition formée par le demandeur, le condamne à une indemnité de 1.500 euro pour procédure téméraire et vexatoire et le condamne aux dépens (p. 12) et fonde ces décisions sur les motifs suivants (p. 6 et 7).
« Le tiers opposant doit avoir qualité et intérêt à agir.
‘L'intérêt requis pour former tierce opposition doit s'apprécier au jour de l'introduction du recours, conformément à l'article 18, alinéa 1er du Code judiciaire, être né et actuel, ainsi que légitime. La jurisprudence semble retenir une définition très large de l'intérêt puisque la Cour de cassation a estimé récemment que la tierce opposition n'est irrecevable qu'à défaut d'intérêt dans le chef d'une personne dont la position juridique n'est pas menacée par la décision attaquée (Cass., 21 mars 2003, Pas., 2003, p. 592) (...).
La décision attaquée doit être susceptible de préjudicier aux droits du tiers. Cette condition signifie que le tiers opposant doit avoir éprouvé un préjudice ou être menacé d'un préjudice, peu importe que celui-ci soit matériel ou purement moral. (...) Si cette condition est intimement liée à l'intérêt à agir qui doit être présent pour ouvrir le droit à toute action en justice, la doctrine précise toutefois qu'il ne faut pas confondre, en ce qui concerne la condition du préjudice, la recevabilité et le fond. Pour que la tierce opposition soit irrecevable, il faut que le préjudice soit impossible ; pour qu'elle soit recevable, il suffit que le tiers opposant puisse subir un préjudice. C'est ainsi qu'en jurisprudence, il a été rappelé que si le juge doit vérifier d'office si le demandeur a intérêt pour former tierce opposition conformément à l'article 17 du Code judiciaire, cet examen s'inscrit dans le cadre de l'examen de l'affaire sur le fond et ne peut donc jamais se limiter à un examen prima facie comme c'est le cas lorsque l'on examine si une demande est recevable (...).
En conclusion, l'on pourrait donc dire qu'au stade de la recevabilité de la tierce opposition, le juge doit vérifier, d'office et in abstracto, si le tiers opposant a un intérêt à agir, cette condition étant remplie dès lors que le tiers peut subir prima facie un quelconque préjudice découlant de la décision qu'il entend critiquer, tandis qu'au stage de l'examen quant au fond de la tierce opposition, le juge va vérifier in concreto l'existence de ce préjudice' (J.-F. VAN DROOGHENBROECK, Droit judiciaire, Tome 2, Manuel de procédure civile, Larcier 2015, no 9.78).
2.1. Tierce opposition du notaire T. 8ème feuillet

Le notaire T. est incontestablement menacé d'un « préjudice » tant matériel que moral dès lors que l'appelante et les époux C.-A. ont clairement indiqué leur intention de mettre sa responsabilité en cause.
Le premier juge précise à cet égard qu'il ‘est constant [qu'il] a passé l'acte de vente de l'immeuble le 11 octobre 2010 sans s'être procuré un certificat hypothécaire récent et sans avoir effectué une recherche supplémentaire la veille ou le jour de l'acte ; si ces mesures de précaution avaient été prises, elles lui auraient permis d'apprendre qu'au moment de la vente, une saisie immobilière conservatoire de l'immeuble avait été transcrite le 29 septembre 2010, et ainsi ne pas poursuivre la vente'.
Il résulte toutefois de ces constatations et des éléments du dossier que le « préjudice » dont le notaire T. est menacé résulte non de l'ordonnance autorisant la saisie mais de la faute (qu'il conteste) qu'il a commise en ne procédant pas aux vérifications qui s'imposaient.
En aucun cas l'ordonnance du 31 août 2010 n'est, en tant que telle, in abstracto, susceptible de préjudicier à ses droits ou de le menacer d'un quelconque préjudice.
Sa position juridique n'est pas menacée par la décision attaquée. Seule la faute qui lui est imputée peut être à l'origine du préjudice qu'il invoque.
Dès lors qu'il consisterait à obtenir la mainlevée de la saisie au mépris de laquelle l'acte authentique de vente a été dressé pour échapper aux conséquences dommageables de la passation de cet acte, l'intérêt invoqué ne serait en toute hypothèse pas légitime.
‘L'intérêt légitime doit aussi s'apprécier en fonction de l'objet de la demande, c'est-à-dire du résultat recherché. En ce sens, l'intérêt est, au regard de droit subjectif substantiel, illégitime lorsque la demande en justice tend (...) à l'obtention d'un avantage illicite' (J. VAN COMPERNOLLE, Droit judiciaire, Tome 2, Manuel de procédure civile, Larcier 2015, no 2.8).
Dès lors que le seul but du notaire T. est d'échapper aux réclamations de l'appelante et des intimés et donc à la responsabilité qui lui incombe (le cas échéant) en vertu des dispositions légales, l'avantage qu'il recherche n'est pas licite. » 9ème feuillet

GRIEFS
Première branche
1. L'arrêt attaqué décide, pour les motifs reproduits au moyen (p. 6 in fine et p. 7, al. 1 à 7), que le demandeur en cassation ne justifie pas d'un intérêt à former tierce opposition parce que le préjudice dont il est menacé résulterait non de l'ordonnance autorisant la saisie mais uniquement de la faute qui lui est imputée.
2. L'article 1122 du Code judiciaire dispose que toute personne qui n'a point été appelée à l'instance peut former tierce opposition à la décision qui préjudicie à ses droits. Cet intérêt s'apprécie de la même manière que l'intérêt à agir visé aux articles 17 et 18 du Code judiciaire.
Le tiers opposant dispose d'un intérêt à former tierce opposition dès lors que si elle était déclarée fondée il pourrait en retirer un avantage ou éviter un inconvénient (articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire).
L'arrêt attaqué constate (p. 4, al. 2) que le 20 mai 2011 la défenderesse sub 1 avait mis en cause la responsabilité du demandeur, dès lors que (p. 3, al. 9) ce dernier aurait commis une faute en vendant l'immeuble objet de la saisie quitte et libre de toutes charges sans consigner les causes de la saisie.
La responsabilité du demandeur ne pourrait toutefois être engagée que si la faute qui lui était imputée avait causé un dommage (art. 1142, 1145, 1146, 1147, 1149, 1150 et 1151 du Code civil, si la responsabilité invoquée était contractuelle ; articles 1382 et 1383 du Code civil, si cette responsabilité était extracontractuelle).
L'ordonnance autorisant la saisie portait donc préjudice au demandeur car, si elle était rétractée, la faute qui lui était imputée n'aurait pu causer le dommage invoqué par la défenderesse sub 1 en sorte que sa responsabilité n'aurait pu être engagée à l'égard de cette dernière ou, à tout le moins, n'aurait pu être engagée qu'à concurrence d'un préjudice plus réduit (articles 1142, 1145, 1147, 1149 et 1151 du Code civil et articles 1382 et 1383 de ce code). 10ème feuillet

3. Il suit de là que, en considérant que l'ordonnance autorisant la saisie n'était en aucun cas susceptible de préjudicier le demandeur, l'arrêt attaqué a :
1°/ méconnu les principes de la responsabilité civile contractuelle (violation des articles 1142, 1145, 1146, 1147, 1149, 1150 et 1151 du Code civil) et extra-contractuelle (violation des articles 1382 et 1383 du Code civil) ;
2°/ méconnu la notion d'intérêt au sens des articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire et, partant, violé lesdits articles.
Seconde branche
4. Si l'intérêt à agir (articles 17 et 18 du Code judiciaire) comme l'intérêt à former une tierce opposition (article 1122 du Code judiciaire) doit être légitime, cet intérêt n'est illégitime que s'il tend au maintien d'une situation contraire à l'ordre public ou à l'obtention d'un avantage illicite (articles 17 et 18 du Code judiciaire, 6, 1131 et 1133 du Code civil).
La personne qui est menacée par une action en responsabilité ne poursuit pas l'obtention d'un avantage illicite en introduisant une tierce opposition qui, si elle était accueillie, rendrait cette action sans effet ou en réduirait les conséquences (articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire et 6, 1131 et 1133 du Code civil).
Ce faisant, le tiers opposant ne fait qu'user de son droit de défense (principe général du droit relatif aux droits de la défense et article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales visé au moyen).
5. L'arrêt attaqué décide toutefois, pour les motifs reproduits au moyen (arrêt p. 7, al. 5 à 7) que l'intérêt invoqué par le demandeur ne serait en toute hypothèse pas légitime dès lors que son seul but, en formant tierce opposition est d'échapper à la responsabilité qui lui incombe (le cas échéant).
Ce faisant, l'arrêt attaqué :
1°/ méconnaît la notion d'intérêt légitime à introduire une tierce opposition (violation des articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire et des articles 6, 1131 et 1133 du Code civil) ; 11ème feuillet

2°/ viole le droit de défense du demandeur (violation du principe général du droit relatif aux droits de la défense) ;
3°/ méconnaît, partant, le droit du demandeur à un procès équitable (violation de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales visé au moyen).
Développements
Première branche
1° - voy. G. BLOCK , Les fins de non recevoir en procédure civile, Éd. Bruylant, 2002, nos 62 à 14 ; R. Jafferali, L'intérêt légitime à agir, J.T., 2012, p. 253.
2° - P. MARCHAL, Principes généraux du droit, 2è éd., coll. RPDB, Bruxelles, Bruylant, 2014, no 234.
Seconde branche
- sur la notion d'intérêt, illégitime, voy. not. Cass., 14 novembre 2012, Pas., 2012, n° 691 ; Cass., 28 novembre 2013, Pas., 2013, n° 645.

PAR CES CONSIDÉRATIONS,
l'avocat à la Cour de cassation soussigné, pour le demandeur en cassation, conclut, Messieurs, Mesdames, qu'il vous plaise, recevant le pourvoi, casser l'arrêt attaqué, ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de l'arrêt cassé, statuer comme de droit sur les dépens et renvoyer la cause devant une autre cour d'appel.
Bruxelles, le 5 avril 2016
Pour le demandeur en cassation,
son conseil,
Paul Alain Foriers 12ème feuillet

Pièces jointes :
1. Déclaration pro fisco en application de l'article 2691 du Code des droits d'enregistrement d'hypothèque et de greffe.
2. Il sera joint en outre à la présente requête en cassation, lors de son dépôt au greffe de la Cour, l'original de l'exploit constatant sa signification aux défendeurs en cassation.


POURVOI EN CASSATION

POUR : 1. Monsieur G. C.,

2. Madame S. A.,

Demandeurs en cassation,

Assistés et représentés par Me Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont les bureaux sont établis Avenue Louise 480 - bte 3 à 1050 Bruxelles, chez qui il est fait élection de domicile,

CONTRE : 1. La société anonyme Matériaux Brico J.P.B. Sainte-Ode, dont le siège social est établi à 6680 Sainte-Ode, rue de la Vallée de l'Ourthe, 140, inscrite à la BCE sous le n° 0443713632

Défenderesse en cassation.

2. Monsieur J. T.,

Appelé en déclaration d'arrêt commun

A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,

Mesdames,
Messieurs,

Les demandeurs ont l'honneur de soumettre à Votre censure l'arrêt rendu le 5 novembre 2015 par la 7ème chambre de la Cour d'appel de Liège (R.G. : 2014/R.G./249) dans les circonstances suivantes.

Par requête déposée le 26 août 2010 la défenderesse a sollicité l'autorisation de pratiquer une saisie-immobilière conservatoire sur un immeuble appartenant à la SPRL O. pour sûreté d'une créance dont la défenderesse soutenait être titulaire à l'égard de ladite société, à concurrence de 60.000 euro à titre principal et de 1.500 euro de frais de procédure.
Cette saisie a été autorisée par ordonnance du 31 août 2010.
La saisie immobilière conservatoire a été pratiquée le 28 septembre 2010 et transcrite le lendemain.
Le 11 octobre 2010, l'appelé en déclaration d'arrêt commun a passé acte authentique de vente de cet immeuble aux demandeurs, l'acte mentionnant que l'immeuble était quitte et libre de toutes charges.
Par jugement prononcé par défaut le 9 novembre 2010 à l'encontre de la SPRL O. celle-ci a été condamnée à payer à la défenderesse une somme principale de 54.922,44 euro . Cette décision, exécutoire par provision, a été signifiée à la SPRL O. le 20 juillet 2011.
Le 20 juillet 2011, l'appelé en déclaration d'arrêt commun a formé tierce opposition à l'ordonnance du 31 août 2010, demandant sa rétractation et la main-levée de la saisie-immobilière conservatoire.
Le 22 novembre 2011, la défenderesse a fait sommation aux demandeurs de s'acquitter des sommes dont elle estimait que la SA O. leur était redevable.
La défenderesse a fait une seconde sommation de payer signifiée, aux demandeurs le 21 décembre 2011, transformant la saisie-conservatoire en saisie-exécution.
Le 28 décembre 2011, les demandeurs, ont formé tierce opposition à l'ordonnance du 31 août 2011.
Par jugement du 19 mars 2013, le juge des saisies a fait droit aux tierces-opposition.
Sur appel interjeté par la défenderesse la cour a réformé la décision du premier juge, déclarant irrecevable la demande de l'appelé en déclaration d'arrêt commun, et non fondée celle formée par les demandeurs.
A l'encontre de cette décision les demandeurs ont l'honneur de présenter les moyens suivants.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Dispositions légales dont la violation est invoquée

- Articles 774, spécialement alinéa 2, 1419, 1433, 1434, 1436, 1439, 1440, 1441, 1497, 1498, 1569, 1570,1571,1610 et 1612 du Code judiciaire ;
- Principe général du droit relatif au respect des droits de la défense ;
- Article 149 de la Constitution
Partie critiquée de la décision
Pour réformer le jugement dont appel et rejeter le moyen par lequel les demandeurs soutenaient que l'appel de la défenderesse était devenu sans objet et devait de ce fait être déclaré non fondé la cour se fonde sur les motifs suivants :
« À l'égard des parties en cause, la décision entreprise a rétracté l'ordonnance rendue le 31 août 2010, ordonné la mainlevée de la saisie immobilière conservatoire pratiquée le 28 septembre 2010, et mis à néant les effets du commandement de payer transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie-exécution immobilière.
La mainlevée anéantit la saisie.
Les décisions du juge des saisies étant de plein droit exécutoires par provision, la (défenderesse) n'aurait pu procéder au renouvellement de la saisie immobilière conservatoire ou de la transcription du commandement postérieurement au prononcé de la décision entreprise.

Il se justifie par conséquent d'examiner en degré d'appel la validité de ces actes juridictionnel et de procédure.

L'appel n'est pas devenu sans objet ou fondement du fait de l'absence de renouvellement imputable à (la défenderesse) »

Griefs
Première branche

Les articles 1436 et 1439 du Code judiciaire disposent que la saisie immobilière conservatoire cesse ses effets après trois ans à défaut de renouvellement.Ces articles n'excluent pas qu'un tel renouvellement puisse être demandé à toutes fins utiles lorsque l'ordonnance autorisant la saisie a été rétractée sous réserve d'appel.

En décidant, pour les motifs reproduits au moyen que la défenderesse n'aurait pu procéder au renouvellement conservatoire de la saisie ou de la transcription du commandement après la décision dont appel anéantissant la saisie, et en déduisant que l'appel de la défenderesse n'était pas devenu sans objet, l'arrêt attaqué viole dès lors lesdits articles 1436 et 1439 du Code judiciaire en se fondant sur une exclusion que ces articles ne comportent pas.


Deuxième branche

Dans ses conclusions additionnelles et de synthèse d'appel (pp. 12 à 15), la défenderesse n'invoquait pas qu'un renouvellement de la saisie était impossible en raison de l'anéantissement de celle-ci par l'ordonnance de rétractation.

Elle admettait au contraire qu'elle avait la possibilité temporelle de procéder au renouvellement (n° 20, p. 14) mais qu'il y avait eu, en l'espèce, fraude ou abus de droit.
Il suit de là que en rejetant la demande des demandeurs sur une exception soulevée d'office, sans ordonner la réouverture des débats, l'arrêt attaqué a :

1°/ violé l'article 774, alinéa 2 du Code judiciaire qui imposait une telle réouverture

2°/ méconnu le droit de défense des demandeurs en rejetant leur demande sur une défense opposée d'office sans leur donner la possibilité de se défendre sur ce point (violation du principe général du droit imposant le respect des droits de la défense).

Troisième branche

Les saisies immobilières conservatoires (articles 1419,1433, 1434 du Code judiciaire) comme leur mainlevée (articles 1440 et 1441 du Code judiciaire) font l'objet d'une publicité hypothécaire, il en va de même pour la conversion d'une saisie immobilière conservatoire en saisie-exécution (articles 1497, alinéa 2 et 1498 du Code judiciaire) et plus généralement des saisies- exécution immobilières et leur mainlevée (1569 et 1570 du Code judiciaire).
En vertu de l'article 1571 du Code judiciaire, s'il y a eu précédente saisie présentée et transcrite, le conservateur constate son refus en marge de la seconde et iI énonce la date de la précédente, les nom, prénom, domicile et profession du saisissant et du saisi et la date de la transcription.
En vertu de l'article 1610 du même code, la subrogation est aussi accordée sur requête, présentée au juge par tout autre créancier qui a pratiqué une saisie sur les mêmes biens, lorsque le poursuivant n'a pas rempli une formalité ou n'a pas fait un acte de procédure dans les délais prescrits ou s'il y a fraude, collusion ou négligence et, en ce cas, sans préjudice de tous dommages-intérêts.
L'article 1612 de ce même code dispose que lorsqu'une saisie-exécution immobilière a été rayée, le plus diligent des saisissants postérieurs peut poursuivre sur sa saisie, encore qu'il ne se soit pas présenté le premier à la transcription.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'une mainlevée d'une saisie immobilière est sans effets procéduraux en l'absence de sa radiation à la conservation des hypothèques.
En considérant dès lors, de manière générale et sans restrictions, que «la mainlevée anéantit la saisie » alors qu'elle est sans effet en absence de radiation l'arrêt attaqué a violé lesdits articles 1419, 1433,1434. 1440, 1441, 1497, alinéa 2, 1498,1569, 1570, 1571, 1610 et 1612 du Code Judiciaire.

A tout le moins, à défaut d'avoir recherché si la saisie avait été radiée, l'arrêt attaqué ne contient pas les constatations de fait devant permettre à la Cour de contrôler la légalité de sa décision sur l'anéantissement de la saisie par la mainlevée et n'est dès lors pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Dispositions légales dont la violation est invoquée
- Article 149 de la Constitution
- Articles 31, 774, alinéa 2 1033, 1034, 1122, 1125 et, 1130 alinéas1 et 2 et 1419 du Code judiciaire
- Principe général du droit relatif au respect des droits de la défense

Partie critiquée de la décision

La cour déclare fondé l'appel introduit par la défenderesse à l'encontre de l'ordonnance du 31 août 2010 et déclare en conséquence n'y avoir pas lieu de faire droit à la demande des demandeurs tendant à la rétractation de cette ordonnance, leur demande de main-levée de la saisie et de mise à néant du commandement de payer transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie exécution aux motifs que :
« Lors de la signification du commandement de payer transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie exécution immobilière (21 décembre 2011) la validité de l'ordonnance du 31 août 2010 et de la saisie immobilière conservatoire n'était contestée que dans le cadre de la tierce opposition formée le 20 juillet 2011 par (l'appelé en déclaration d'arrêt commun). Conformément à l'article 1130, alinéa 1er du Code judiciaire, la juridiction qui accueille la tierce opposition annule- le cas échéant- la décision attaquée en tout ou en partie mais à l'égard du tiers seulement. A défaut d'indivisibilité, la tierce opposition formée par (l'appelé en déclaration d'arrêt commun) n'entache pas la validité de l'acte de transformation posé à l'égard du débiteur SPRL O. et des (demandeurs). Ces derniers n'ont quant à eux signifié leur citation en tierce opposition que postérieurement.
La demande d'annulation du commandement de payer n'est par conséquent pas fondée
L'appel est par conséquent fondé. Il n'y a pas lieu de rétracter l'ordonnance rendue le 31 août 2010, ni d'ordonner la main levée de la saisie et de mettre à néant le commandement de payer transformant la saisie immobilière conservatoire en saisie exécution subséquent ».

Griefs

Remarque préalable

L'article 1419 du Code judiciaire prévoit que l'ordonnance accordant l'autorisation de saisir conservatoirement est soumise aux recours prévus par les articles 1031 à 1034 du code.
En vertu de l'article 1033 du Code judiciaire toute personne qui n'a pas été à la cause peut former tierce opposition à une ordonnance rendue sur requête unilatérale qui préjudicie à ses droits.
Ce recours doit être formée par citation dans le mois de la signification de la décision qui aurait été faite à l'opposant (articles 1034 et 1125 du Code judiciaire).
Les demandeurs, dont il n'était pas contesté qu'ils avaient introduit leur tierce opposition dans le délai légal, étaient par conséquent recevables à faire valoir leurs droits pour contester l'ordonnance du 31 août 2010 et l'ordre de commandement de payer qui leur avait été signifié par la défenderesse, quelle que soit la date à laquelle l'appelé en déclaration d'arrêt commun avait lui-même formé tierce opposition, également dans le délai légal.
La cour déclare sans fondement la tierce opposition des demandeurs sur la base de deux ordres de considérations qui laissent perplexes ;
- D'une part le fait que la tierce opposition des demandeurs avait été formée après celle de l'appelé en déclaration d'arrêt commun
- D'autre part que la tierce opposition de l'appelé en déclaration d'arrêt commun ne pouvait entacher la validité de l'acte de transformation de la saisie conservatoire de l'immeuble des demandeurs en saisie exécution et le commandement de payer qui leur avait été adressé de ce chef, faute d'indivisibilité entre les décisions qui résulteraient de ces deux recours

Première branche
La tierce opposition saisit le juge de la demande qui en fait l'objet indépendamment des autres tierces oppositions éventuellement formées.
En considérant que la tierce opposition des demandeurs était non fondée faute d'être liée par un lien d'invisibilité avec celle du défendeur ou pour avoir été introduite après celle-ci, la cour méconnait les conditions dans lesquelles il peut être fait tierce opposition et les effets de celle-ci et partant les articles 1033, 1034, 1122, 1125 et 1129 du Code judiciaire.

Deuxième branche
A tout le moins en ne précisant pas sur quelles bases légales la tierce opposition des demandeurs devait être de ce chef être déclarée non fondée la cour rend impossible le contrôle de la légalité de son arrêt par Votre Cour et partant viole l'article 149 de la Constitution

Troisième branche

En vertu de l'article 1130, alinéa 2 du Code judiciaire, la tierce opposition produit ses effets à l'égard de toutes les parties dans la mesure où l'exécution de la décision attaquée serait incompatible avec l'exécution de la décision d'annulation, c'est-à-dire s'il y a indivisibilité au sens de l'article 31 du même code.
La demande de l'appelé en déclaration d'arrêt commun tendait à entendre ordonner la main-levée de la saisie conservatoire pratiquée par la défenderesse sur le bien devenu la propriété des demandeurs. La demande de ceux-ci tendait aux mêmes fins.
Le premier juge avait fait droit à ces deux recours.
Certes, la cour a considéré, pour des motifs contestables, que le recours du demandeur était irrecevable.
L'indivisibilité s'apprécie cependant, non par rapport à cet élément procédural postérieur à la demande, mais par rapport à l'objet du litige et à la décision qui pourrait en résulter sur le fond.
Or le tribunal et la cour saisie du recours contre l'ordonnance du 31 août 2010 n'auraient pu sans rendre des décisions non-susceptibles d'exécution conjointe faire droit à la demande de main-levée de la saisie demandée par l'une des parties et rejeter cette même demande formulée par l'autre partie, même si les conséquences de leurs actions respectives n'étaient en pratique pas nécessairement identiques.
Une saisie existe et est valable ou non, et ne peut subir un sort différend lorsqu'il y a plusieurs tiers opposants à celle-ci.
Autrement dit, il y aurait incompatibilité entre, d'une part, l'exécution de la décision qui rejette une tierce opposition contre une ordonnance autorisant une saisie, et permettant ainsi au créancier saisissant de procéder à la réalisation du bien saisi et d'autre part l'exécution de la décision formée par une autre partie accueillant la tierce opposition à l'ordonnance autorisant la même saisie, ordonnant la main-levée de celle-ci, paralysant ainsi les droits du créancier saisissant. Il en résulte qu'il y a indivisibilité entre ces deux procédures mettant en cause la validité de cette saisie.
En déclarant non fondée la demande des demandeurs au motif que la procédure en résultant ne serait pas liée par un lien d'indivisibilité avec le litige opposant l'appelé en déclaration d'arrêt commun,à la défenderesse, la cour viole les articles 31 et 1130 du Code judiciaire.

Quatrième branche

Dans ses conclusions additionnelles et de synthèse d'appel la défenderesse ne soutenait pas que la tierce opposition formée par les demandeurs était non-fondée pour les motifs que retient la cour dans le passage est reproduit au moyen.
En se fondant sur ces motifs pour déclarer d'office non-fondée la demande des demandeurs, sans ordonner la réouverture des débats pour permettre aux demandeurs de s'expliquer à ce propos, l'arrêt a violé les droits de la défense des demandeurs ainsi que l'article 774 alinéa 2 du Code judiciaire qui imposait une telle réouverture.

PAR CES CONSIDERATIONS

L'avocat à la Cour de cassation soussigné prie qu'il Vous plaise, Mesdames, Messieurs, de casser l'arrêt entrepris, d'ordonner que mention de Votre décision soit faite en marge de la décision annulée, de renvoyer la cause devant une autre Cour d'appel et de statuer comme de droit sur les dépens.

Bruxelles, le 23 août 2016
Pour les demandeurs
Leur conseil
Isabelle Heenen


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0138.F
Date de la décision : 27/09/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-09-27;c.16.0138.f ?

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