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26/09/2018 | BELGIQUE | N°P.18.0250.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 26 septembre 2018, P.18.0250.F


N° P.18.0250.F
M. D.,
partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Marc Nève, avocat au barreau de Liège.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 21 février 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.




II. LA DÉCISION DE LA COU

R

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

1. L'arrêt attaqué dit non fondé l'appel du deman...

N° P.18.0250.F
M. D.,
partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Marc Nève, avocat au barreau de Liège.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 21 février 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

1. L'arrêt attaqué dit non fondé l'appel du demandeur contre l'ordonnance de la chambre du conseil, qui déclare n'y avoir lieu à poursuivre au motif que les faits, qualifiés par le demandeur de traitement inhumain et dégradant, ne présentent ni crime, ni délit, ni contravention.

Le moyen reproche aux juges d'appel d'avoir décidé qu'il n'existait pas de charges suffisantes quant aux infractions précitées, sans avoir pris en considération les rapports, invoqués par le demandeur dans ses conclusions, du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), qui considèrent que l'utilisation de techniques de désorientation spatio-temporelle durant les transports de détenus, comme le placement de lunettes opaques ou d'un casque, s'apparente à un traitement inhumain et dégradant. Selon le moyen, en ignorant ces rapports, alors que la Cour européenne des droits de l'homme s'y réfère systématiquement, l'arrêt viole les articles 149 de la Constitution et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2. L'article 149 de la Constitution n'est pas applicable aux juridictions d'instruction statuant sur le règlement de la procédure.

Dans cette mesure, le moyen manque en droit.

3. Le juge n'est pas tenu de rencontrer une défense devenue sans pertinence en raison d'une constatation de sa décision.

En vertu de l'article 417bis, 2°, du Code pénal, on entend par traitement inhumain tout traitement par lequel de graves souffrances mentales ou physiques sont intentionnellement infligées à une personne, notamment dans le but d'obtenir d'elle des renseignements ou des aveux, de la punir, de faire pression sur elle ou d'intimider cette personne ou des tiers. L'article 417bis, 3°, de ce code définit le traitement dégradant comme étant tout traitement qui cause à celui qui y est soumis, aux yeux d'autrui ou aux siens, une humiliation ou un avilissement graves.

Ces définitions ont été insérées dans le Code pénal par l'article 5 de la loi du 14 juin 2002 de mise en conformité du droit belge avec la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984. Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que la définition des termes précités se base, d'une part, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et, d'autre part, sur un arrêt de la Cour constitutionnelle du 29 juin 1994, alors Cour d'arbitrage. Il en ressort également que pour définir ces notions, le législateur a décidé de ne pas renvoyer aux déclarations formulées en la matière par le Comité européen pour la prévention de la torture ou par d'autres instances, mais a souhaité s'en tenir à la jurisprudence constante de la Cour européenne, qui a force obligatoire.

Devant la chambre des mises en accusation, le demandeur a soutenu que la circonstance de lui avoir mis des lunettes opaques et fait entendre une musique assourdissante, au cours de ses transferts d'une prison à une autre ou d'une prison vers le palais de justice, s'apparentait à un traitement inhumain et dégradant.

A l'appui de sa demande de surseoir à statuer en vue de faire identifier les personnes physiques responsables de ses transferts, le demandeur a invoqué les rapports du CPT relatifs aux visites effectuées en Belgique en 2009 et en 2013, ainsi que plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme relatifs à l'article 3 de la Convention.

La chambre des mises en accusation a d'abord considéré, en se référant à l'arrêt rendu le 7 janvier 2010 par la Cour européenne dans l'affaire P. P. c. Bulgarie, invoqué par le demandeur, qu'il existait une différence fondamentale entre le requérant dans l'affaire précitée, qui devait porter une cagoule en permanence, y compris au tribunal et pendant les visites de ses avocats et de ses proches, et le demandeur, qui n'a pas été contraint de porter une cagoule mais un masque opaque qui lui a été placé sur les yeux pendant ses transferts d'une prison à l'autre.

Elle a ensuite jugé qu'il n'était pas abusif ni vexatoire de faire porter, pendant le temps strictement nécessaire au transfert, des lunettes opaques à un détenu connu pour sa dangerosité et qui s'était déjà évadé. A cet égard, les juges d'appel ont considéré que selon l'enseignement de l'arrêt précité une telle mesure, légalement encadrée par une directive du ministre de la Justice, est permise si des conditions impérieuses l'exigent.

L'arrêt constate enfin qu'il ressort des déclarations du demandeur qu'aucun casque ne lui a été placé sur les oreilles, qu'il ne démontre pas avoir été soumis longtemps à un bruit qui l'aurait physiquement incommodé ou désorienté et que les mesures appliquées ne sont nullement comparables, ni en durée ni en intensité, à celles qui ont été prises contre des détenus dans l'affaire Irlande c. Royaume-Uni (CEDH, arrêt du 18 janvier 1978), également invoquée par le demandeur.

En s'étant référés, par ces motifs, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme pour rejeter l'allégation de traitement inhumain ou dégradant du demandeur, fondée sur cette jurisprudence, les juges d'appel ont légalement justifié leur décision.

Ils ne devaient pas, en outre, répondre à l'argumentation du demandeur qui, en tant qu'elle se fondait sur les rapports du CPT, était devenue sans pertinence.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :

4. Dès lors qu'il alléguait de manière défendable avoir été soumis à un traitement interdit par l'article 3 de la Convention, le demandeur soutient que l'arrêt ne pouvait pas, sans violer cette disposition ainsi que l'article 149 de la Constitution, ignorer son argumentation fondée sur les rapports du CPT, et refuser de faire procéder à une enquête officielle et effective en s'abstenant de faire identifier les personnes responsables des transferts litigieux.

La chambre des mises en accusation a légalement jugé qu'il n'existait pas de charges suffisantes permettant de considérer que le demandeur avait été victime d'un traitement inhumain ou dégradant. Ainsi, elle a implicitement mais certainement considéré que l'allégation du demandeur n'était pas défendable.

Dès lors, les juges d'appel ont pu légalement décider qu'il n'y avait pas lieu de faire identifier les personnes responsables des transfèrements.

Par ailleurs, ainsi qu'il est énoncé en réponse à la première branche, l'article 149 de la Constitution n'est pas applicable aux juridictions d'instruction statuant sur le règlement de la procédure.

Le moyen ne peut être accueilli.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de septante et un euros un centime dus.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-six septembre deux mille dix-huit par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
F. Gobert F. Lugentz T. Konsek
E. de Formanoir F. Roggen B. Dejemeppe



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 26/09/2018
Date de l'import : 09/03/2020

Fonds documentaire ?: juridat.be


Numérotation
Numéro d'arrêt : P.18.0250.F
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-09-26;p.18.0250.f ?

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