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17/09/2018 | BELGIQUE | N°S.17.0034.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 septembre 2018, S.17.0034.F


N° S.17.0034.F
AG INSURANCE, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

S. D. M.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domic

ile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu...

N° S.17.0034.F
AG INSURANCE, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

S. D. M.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2016 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 1er août 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955 ;
- principe général du droit à un procès équitable ;
- principe général du droit de l'égalité des armes dans le cadre d'un procès ;
- articles 46 et 68 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail et, plus généralement, chapitre II, sections 1ère à 5, de cette loi ;
- en tant que de besoin, article 1018 du Code judiciaire ;
- en tant que de besoin, articles 1382 et 1383 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué déclare fondée la demande en paiement des frais du conseiller technique de la défenderesse et condamne la demanderesse au paiement de ces frais, soit 1.200 euros, par les motifs suivants :
« [La défenderesse] soutient que c'est pour assurer une juste défense sur le plan médical dans le cadre de l'expertise qu'il était nécessaire qu'elle s'adjoigne l'assistance d'un conseil technique ;
Elle entend fonder sa demande sur ce point sur l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à un procès équitable ;
La [demanderesse] soutient que, contrairement à ce que défend [la défenderesse], cette convention n'implique pas une prise en charge par l'assureur-loi des frais et honoraires du médecin-conseil de la victime de l'accident du travail ;
La [demanderesse] précise que 'le médecin-conseil de [la défenderesse] l'a bien assistée pendant les travaux d'expertise et qu'elle ne peut dès lors pas soutenir qu'elle n'a pas bénéficié d'un procès équitable' ;
La cour [du travail] considère que c'est bien pour s'assurer une juste défense sur le plan médical dans le cadre de l'expertise qui fut ordonnée par la cour [du travail] qu'il était nécessaire que [la défenderesse] s'adjoigne l'assistance d'un conseil technique, n'ayant elle-même aucune compétence médicale et n'étant, par conséquent, de toute évidence, pas en mesure de rencontrer les éléments médicaux invoqués par la [demanderesse], qui dispose des services d'un médecin-conseil ;
La cour [du travail] entend rappeler à ce propos que 'le droit d'accès à un juge et le principe de l'égalité des armes impliquent également l'obligation de garantir un équilibre entre les parties au procès et d'offrir à chaque partie la possibilité de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires' (C.E.D.H., Dombo c/Pays-Bas, 11 septembre 1993 ; Oçalan c/Turquie, 12 mars 2003 ; Yvon c/France, 24 avril 2003) ;
Comme l'a pertinemment considéré l'avocat général Henkes dans ses conclusions déposées dans la cause opposant l'Association intercommunale pour l'exploitation du circuit de Spa-Francorchamps contre T. et consorts, l'appui technique constitue une condition indispensable à la jouissance effective de son droit (conclusions de l'avocat général Henkes précédant l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 mai 2006, J.T., 2006, 339) ;
L'avocat général Henkes précise également avec pertinence à propos de cette aide technique que, 'constitutive d'un coût, cette aide doit être couverte, si l'on veut garantir l'effectivité de cette jouissance ; qu'ainsi, ce coût trouve sa cause dans le besoin de mettre en œuvre son droit' (conclusions de l'avocat général Henkes, op. cit., 340) ;
La cour [du travail] considère, au vu de ce qui précède, que la demande de [la défenderesse] basée sur l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à un procès équitable est tout à fait justifiée et, partant, fondée ;
Elle estime devoir préciser, en tant que de besoin, que, si la Cour de cassation ne s'est pas référée, dans l'arrêt précité du 5 mai 2006, aux dispositions de [cette convention] pour conclure à la prise en compte des frais de conseil technique dans l'indemnisation allouée au justiciable exproprié, l'invocation de cet arrêt n'en est pas pour autant moins pertinente ;
En effet, comme le précise Bertrand De Coninck, 'l'enseignement de l'arrêt [...] nous paraît [...] déterminant pour résoudre la question de la répétibilité dans les hypothèses de responsabilité sans faute ; [...] par l'arrêt du 5 mai 2006, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence, puisqu'elle admet que les frais de conseil technique peuvent faire partie de l'indemnité pour autant que le juge du fond vérifie « le caractère de nécessité du lien de cause à effet entre l'expropriation et les frais de conseil technique » ; voilà bien exprimée l'exigence du lien causal qui n'est pas propre au régime de l'indemnisation en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique [...] ; les implications pratiques sont évidentes dans des domaines où, curieusement, la jurisprudence publiée est, à notre connaissance, inexistante' (B. De Coninck, observations sous Cass., 5 mai 2006, J.T., 2006, 343).
Dans le présent litige, il apparaît clairement que les frais de conseil technique engagés par [la défenderesse] trouvent leur cause dans l'accident du travail dont elle a été victime, ayant dû, dans le cadre de l'expertise ordonnée par la cour [du travail], pour permettre à celle-ci d'évaluer justement et correctement les incapacités et séquelles en résultant ainsi que l'indemnisation de celles-ci, rencontrer les arguments médicaux précisément développés devant l'expert et soumis à celui-ci par le médecin-conseil de la [demanderesse] ;
Il résulte par conséquent de ce qui précède qu'à supposer même que la cour [du travail] n'eût pu retenir les moyens et arguments de [la défenderesse] afférents à son droit de bénéficier d'un procès équitable conformément à l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - quod non -, eu égard à ce qui précède, le lien de causalité entre la nécessité d'engager des frais de conseil technique et l'accident du travail étant établi, la [demanderesse] eût dû en toute hypothèse être condamnée à prendre en charge les frais et honoraires de ce conseil technique ;
La cour [du travail] souligne d'ailleurs qu'elle n'entend nullement se substituer au législateur, se limitant à l'application d'une norme supérieure qui constitue un principe général du droit ;
Il ne peut en effet être contesté que le principe de l'égalité des armes dans le cadre d'un procès constitue un principe général, celui-ci ayant été reconnu comme tel tant par la Cour européenne des droits de l'homme (C.E.D.H., 30 octobre 1991, Borgers c/Belgique) que par la Cour de cassation (Cass., 22 mars 1993, Pas., I, 308). Il en est de même du principe du procès équitable (Cass., 1er février 1984, Pas., I, 617) ;
[...] Il résulte de ce qui précède que la [demanderesse] doit être condamnée à prendre en charge les frais de conseil technique engagés par [la défenderesse]».

Griefs

Première branche

La défenderesse soutenait que « c'est pour assurer une juste défense sur le plan médical dans le cadre de l'expertise qu'il était nécessaire qu'elle s'adjoigne l'assistance d'un conseil technique », ce que l'arrêt attaqué admet.
La défenderesse précisait fonder sa demande de remboursement des frais relatifs aux honoraires de ce conseiller technique « sur l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à un procès équitable ».
Il résulte de l'article 6, § 1er, de [cette convention] que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ».
Le droit à un procès équitable, dont relève le droit à l'égalité des armes, « implique uniquement que chaque partie au procès puisse utiliser les mêmes moyens procéduraux et prendre connaissance dans les mêmes conditions de pièces, données et éléments soumis à l'appréciation du juge qui connaît de la cause » (Cass., 24 septembre 2002, Pas., p. 1722 ; Cass., 4 octobre 2005, Larcier Cass., 2006, n° 30 ; Cass., 25 octobre 2006, Larcier Cass., 2007, n° 126).
En l'espèce, la défenderesse a bénéficié d'un procès équitable dans la mesure où, comme le constate l'arrêt, elle a été effectivement assistée d'un conseiller technique et qu'elle a donc pu assurer sa juste défense sur le plan médical dans le cadre de l'expertise ordonnée par la cour du travail.
Le droit au procès équitable consacré par l'article 6, § 1er, de la Convention n'implique cependant pas que la demanderesse ne doive pas assumer elle-même les frais de ce conseiller technique.
Il n'implique pas davantage que ces frais doivent être mis à charge d'une autre partie au procès dans le cadre duquel l'expertise judiciaire a été ordonnée.
Les principes généraux du droit de l'égalité des armes dans le cadre d'un procès et du procès équitable, reconnus en droit belge, s'ils imposent une égalité procédurale des parties dans le procès ne justifient pas non plus que la demanderesse soit condamnée à de tels frais.
L'arrêt attaqué se réfère de manière incorrecte à l'arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2006. Il ne résulte pas de celui-ci que les nécessaires frais de conseil technique d'une partie au procès doivent être mis à charge d'une autre partie pour assurer le respect des principes du procès équitable et de l'égalité des armes dans le procès.
Au contraire, dans ses conclusions très étoffées précédant cet arrêt, le premier avocat général Henkes en doutait : « Peut-on déduire de ces considérations [...] que la répétibilité serait, en fin de compte, une conséquence automatique, directement applicable en droit (procédural) interne, du nécessaire respect de l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? Pour l'heure je n'en suis pas convaincu » (Pas., 2006, p. 1071). Et il rappelait opportunément que, dans l'arrêt alors attaqué, la répétibilité des frais techniques n'avait pas été accordée par le juge du fond pour répondre aux exigences du procès équitable consacré par l'article 6, § 1er, précité, mais comme composante de son dommage. En l'espèce il s'agissait du dommage subi par un exproprié : « Le juge du fond a estimé que la juste indemnité doit couvrir l'ensemble du dommage entraîné par l'expropriation envisagée et que les frais de défense (expert) engagés pour obtenir cette indemnité font partie de ce dommage pour les raisons qu'il énonce. Ce faisant, le juge situe sa réponse dans le droit matériel de l'indemnisation d'un dommage ».
Il ressort de l'article 46 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail qu'en dehors des cas qui y sont précisément visés (par exemple lorsque l'accident a été intentionnellement provoqué), la victime n'a pas droit à la réparation intégrale de son dommage mais uniquement à la réparation des dommages énumérés aux sections 1ère à 5 du chapitre II de la loi, parmi lesquels ne figurent pas les frais d'un conseil technique.
Il en résulte qu'en décidant que la demande de la défenderesse, « basée sur l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à un procès équitable est tout à fait justifiée et partant fondée » et que la « norme supérieure » que constituent le principe général du droit de l'égalité des armes dans le cadre d'un procès et le principe général du droit du procès équitable s'impose au juge qui doit faire application de cette norme supérieure en condamnant la demanderesse aux frais techniques de la défenderesse, l'arrêt attaqué donne à cet article et aux principes généraux du droit visés en tête du moyen une portée que ceux-ci n'ont pas.

Seconde branche

L'arrêt attaqué décide aussi que, quand bien même l'article 6, § 1er, de la Convention et le principe du procès équitable ne pourraient justifier la condamnation de la demanderesse aux frais techniques de la défenderesse, « le lien de causalité entre la nécessité d'engager des frais de conseil technique et l'accident du travail étant établi, la [demanderesse] eût dû en toute hypothèse être condamnée à prendre en charge les frais et honoraires de ce conseil technique ».
L'arrêt attaqué n'explique pas sur quel fondement juridique autre que l'article 6, § 1er, de la Convention et les principes généraux du droit précités il fonde cette obligation pour la demanderesse de prendre en charge de tels frais.
L'obligation pour la demanderesse de rembourser les frais techniques de la défenderesse ne saurait résulter du seul constat d'un lien de causalité nécessaire entre ces frais et l'accident du travail dont la défenderesse a été victime. Et ceci encore moins « en toute hypothèse ».
La condamnation de la demanderesse à rembourser de tels frais ne peut en tout cas être fondée sur l'article 1018 du Code judiciaire, lequel n'inclut pas dans les dépens les frais de conseils techniques propres à une partie, fussent-ils nécessaires.
La loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail applicable au cas d'espèce exclut au contraire que la demanderesse puisse encourir une telle condamnation au titre de ses obligations légales d'assureur-loi.
En effet, la demanderesse n'était à la cause qu'en sa qualité d'assureur-loi de la défenderesse, à l'égard de laquelle elle n'a commis aucune faute. Le régime d'indemnisation de la défenderesse est exclusivement celui de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, fondé sur une réparation forfaitaire du dommage s'expliquant par une réglementation de la responsabilité s'écartant du droit commun, basée non plus sur la notion de faute, mais sur celle de risque professionnel. L'arrêt attaqué ne fonde d'ailleurs pas la condamnation sur les articles 1382 et 1383 du Code civil mais sur le seul régime légal.
Ce régime repose sur l'instauration de l'assurance obligatoire, en vertu de laquelle le travailleur ne s'adresse plus à l'employeur mais à « l'assureur-loi ». Le financement du système forfaitaire est assuré par les employeurs, qui sont obligés, depuis 1971, de souscrire une assurance en matière d'accidents du travail et de supporter le coût des primes.
C'est le préjudice du travailleur et non plus la responsabilité de l'employeur qui est assuré, de sorte que le système se rapproche d'un mécanisme d'assurances sociales : « le principe veut que la réparation soit complète, même si elle doit demeurer dans certaines limites » (Doc. parl., Sénat, 1969-1970, n° 328, p. 1).
Le caractère forfaitaire de cette réparation résulte expressément de l'article 46 et du chapitre II de la loi, et spécialement, pour ce qui concerne le cas d'espèce, des sections 2 et 3, qui précisent les seules indemnités qui sont légalement dues par l'assureur à la victime d'une incapacité de travail découlant d'un accident du travail.
Le législateur a également fixé des limites à cette réparation pour ce qui concerne le remboursement des frais de la victime d'un accident du travail. Avec le souci du maintien d'un équilibre dans la répartition du risque professionnel entre les différents acteurs concernés par la législation sur les accidents du travail, il n'a pas prévu d'inclure les frais de conseil technique de l'assuré dans le montant de la réparation forfaitaire.
En revanche, avec le souci du même équilibre, il a prévu que les dépens, au sens de l'article 1018 du Code judiciaire, sont en principe toujours mis à charge de l'entreprise d'assurances : « Sauf si la demande est téméraire et vexatoire, les dépens de toute action fondée sur la présente loi sont à charge de l'entreprise d'assurances » (article 68). L'arrêt attaqué n'inclut pas les frais techniques en cause dans les dépens, auxquels la demanderesse est condamnée par ailleurs.
Il faut donc conclure, avec la Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 61/2016 du 28 avril 2016, que:
« B.8.4. La combinaison de l'article 68 de la loi sur les accidents du travail et de l'article 1018 du Code judiciaire a dès lors pour conséquence que les frais d'assistance d'un médecin-conseil ne peuvent, en principe, pas être mis à charge de l'assureur-loi ».
La Cour constitutionnelle continuait le raisonnement :
« B.10. Tous les travailleurs relevant de la loi sur les accidents du travail sont dès lors traités de manière identique en ce qui concerne les dépens, que leur procès porte essentiellement sur un élément d'ordre juridique ou d'ordre médical : si les frais d'assistance d'un médecin-conseil ne peuvent, en principe, être mis à charge de l'assureur-loi, l'indemnité de procédure visée à l'article 1022 du Code judiciaire couvrant forfaitairement les frais d'assistance d'un avocat est, par contre, toujours mise à charge de l'assureur-loi, qui doit la verser au travailleur, sauf si sa demande est téméraire et vexatoire. Ce régime est d'ailleurs celui qui est également prévu pour les assurés sociaux visés à l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire.
B.11.1. Il convient de constater que l'absence de possibilité de principe de mettre à charge de l'assureur-loi les frais d'assistance d'un médecin-conseil est raisonnablement justifiée et n'entraîne aucune limitation disproportionnée des droits des travailleurs concernés. [...]
B.11.4. le principe d'égalité et de non-discrimination, combiné ou non avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales, n'impose pas, dans le contexte de la législation sur les accidents du travail, de déroger davantage au droit commun en ce qui concerne la répartition des frais de la procédure en prévoyant que les frais d'assistance du médecin-conseil du travailleur sont, en outre, toujours mis à charge de l'assureur-loi. Cette charge procédurale additionnelle étendrait en effet la couverture du risque professionnel et, partant, risquerait de modifier l'équilibre existant dans la répartition de ce risque entre les différents acteurs concernés par la législation sur les accidents du travail, en alourdissant la charge économique qui pèse sur les employeurs dans le financement de l'assurance obligatoire en matière d'accidents du travail ».
Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle conclut que l'article 68 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail ne viole notamment pas l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Il en résulte qu'en condamnant la demanderesse à payer à la défenderesse les frais techniques exposés par cette dernière au motif du seul caractère établi d'un « lien de causalité entre la nécessité d'engager des frais de conseils techniques et l'accident du travail » impliquant que la demanderesse doit « en toute hypothèse » être condamnée à prendre en charge ces frais, l'arrêt attaqué ne motive pas régulièrement sa décision dès lors qu'il ne permet pas de comprendre sur quel fondement juridique repose pareille obligation, mettant ainsi la Cour de cassation dans l'impossibilité d'exercer son contrôle de légalité (violation de l'article 149 de la Constitution).
Si, par impossible, il fallait comprendre l'arrêt attaqué comme fondant la condamnation sur l'article 1018 du Code judiciaire au titre des dépens, cette disposition légale aurait alors été violée.
Si, par impossible, il fallait comprendre l'arrêt attaqué comme fondant la condamnation sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, ce sont alors ces articles qui auraient été violés, aucune faute et aucun lien de causalité entre cette faute et le dommage n'étant rapportée.
En toute hypothèse, en condamnant la demanderesse à prendre en charge de tels frais, l'arrêt attaqué viole l'article 68 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, qui ne met à charge de l'entreprise d'assurances que les dépens au sens de l'article 1018 du Code judiciaire (ce que ne sont pas les frais techniques d'une partie), ainsi que le caractère forfaitaire de l'indemnisation due en vertu de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail tel que celui-ci est déterminé par l'article 46 et le chapitre II, spécialement aux sections 2 et 3, qui limitent l'indemnisation de la défenderesse par la demanderesse aux seules indemnités résultant de cette loi.

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Le droit à un procès équitable, dont relève le droit à l'égalité des armes et qui est garanti par l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, implique que chaque partie au procès puisse utiliser les mêmes moyens procéduraux.
En vertu du droit à l'égalité des armes, toute partie doit pouvoir être assistée d'un conseil technique au cours d'une expertise judiciaire et, si elle ne dispose pas des moyens suffisants, bénéficier de l'assistance judiciaire à cette fin.
Toutefois, lorsqu'une partie a été assistée par un conseil technique, ni l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni le principe de l'égalité des armes n'imposent, pour assurer au procès un caractère équitable, que les frais et honoraires de ce conseil technique soient mis à charge d'une autre partie au procès que celle qui a eu recours à l'assistance de ce conseil.
L'arrêt attaqué, qui considère que la demanderesse doit être condamnée au paiement des frais du conseil technique de la défenderesse par application de l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, viole cette disposition.

Quant à la seconde branche :

Conformément à l'article 46, § 2, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, l'assureur-loi est tenu au paiement des indemnités telles qu'elles sont limitativement déterminées par cette loi au profit de la victime ou de ses ayants droit.
En vertu de l'article 68 de la même loi, sauf si la demande est téméraire et vexatoire, les dépens de toutes actions fondées sur cette loi sont à charge de l'assureur-loi.
L'article 1018 du Code judiciaire, qui énumère ce que comprennent les dépens, ne reprend pas les frais et honoraires du conseil technique qu'une partie s'adjoint au cours de la procédure.
Il suit de ces dispositions que l'assureur-loi n'est, en règle, pas tenu de prendre en charge les frais et honoraires du conseil technique de cette partie.
En considérant que « les frais de conseil technique engagés par [la défenderesse] trouvent leur cause dans l'accident du travail dont elle a été victime, ayant dû, dans le cadre de l'expertise ordonnée par la cour [du travail], pour permettre à celle-ci [d'évaluer] justement et correctement les incapacités et séquelles en résultant ainsi que l'indemnisation de celles-ci, rencontrer les arguments médicaux précisément développés devant l'expert [...] par le médecin conseil de la [demanderesse] » et que, « le lien de causalité entre la nécessité d'exposer des frais de conseil technique et l'accident du travail étant établi, la [demanderesse] eût dû en toute hypothèse être condamnée à prendre en charge les frais et honoraires de ce conseil technique », l'arrêt attaqué ne justifie pas légalement sa décision de condamner la demanderesse au paiement de ces frais.
Le moyen, en chacune de ses branches, est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne la demanderesse à payer à la défenderesse les frais de son conseil technique ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Vu l'article 68 de la loi du 10 avril 1971, condamne la demanderesse aux dépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de cent quarante euros septante-sept centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du dix-sept septembre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.17.0034.F
Date de la décision : 17/09/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-09-17;s.17.0034.f ?

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