N° C.16.0288.F
ORES ASSETS, société coopérative à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Ottignies-Louvain-la-Neuve (Louvain-la-Neuve), avenue Jean Monnet, 2,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
1. SOIGNIMMO, société anonyme, dont le siège social est établi à Pepingen (Bogaarden), Terheugenstraat, 22,
2. ALGEMENE BOUWONDERNEMING G. S., société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi Pepingen (Bogaarden), Terheugenstraat, 22,
défenderesses en cassation,
représentées par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
3. CONSEILS ET SERVICE, société coopérative à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Soignies, rue de l'Aire, 4,
défenderesse en cassation,
4. M.-C. P.,
5. M. S.,
6. H. S.,
7. V. S.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2015 par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Didier Batselé a fait rapport
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Aux termes de l'article 1643 du Code civil, le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que dans ce cas il ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.
Le vendeur fabricant ou le vendeur spécialisé de choses pareilles à celle qu'il a vendue a l'obligation de fournir la chose sans vice et doit, à cette fin, prendre les mesures nécessaires pour déceler tous les vices possibles.
L'arrêt considère que, « même si la vente immobilière ne faisait pas partie du cœur des activités [des auteurs de la demanderesse], il faut malgré tout retenir que le bien vendu n'était pas un actif patrimonial quelconque mais un site ayant abrité les activités des sociétés de production et, ensuite, de distribution de gaz, auxquelles [ils] ont succédé, et, en définitive, un site abritant leurs propres activités, exploitées dans le même domaine, à savoir la distribution de gaz et d'électricité », que « c'est indéniablement la désaffectation et la démolition (apparemment dans les années 80) du gazomètre qui était auparavant exploité à cet endroit qui a conduit à la mise en vente de l'ensemble immobilier devenu superflu pour les sociétés venderesses », que « [les auteurs de la demanderesse], qui ont hérité des biens concernés dans le cadre de la reprise des activités de distribution de gaz et électricité des sociétés auxquelles ils appartenaient auparavant, ne pouvaient par conséquent [...] ignorer, ni l'activité industrielle historiquement exploitée sur ce site, ni l'existence d'une pollution du sol inhérente à la nature de cette activité, ni l'absence de réhabilitation des lieux », que « ces particularités n'ont jamais été portées à la connaissance des acquéreurs, [la demanderesse] se défendant au contraire en soutenant - en tout cas dans ses dernières conclusions - que les sociétés dont elle a repris les droits et obligations n'avaient pas connaissance de l'existence d'anciennes fondations et d'anciens équipements enfouis dans le sol ni d'une pollution du sol qui devait probablement dater de plus de cinquante ans », que « ce n'est toutefois pas parce qu'aucune des personnes qui se sont occupées de la mise en vente des biens litigieux ne se seraient, à en croire [la demanderesse], inquiétée de l'affectation historique du site qu'elle pourrait s'exonérer des conséquences d'une telle méconnaissance, dès lors que les organes des sociétés auxquelles elle succède étaient parfaitement à même d'opérer les vérifications utiles », et que « même [s'ils] n'étaient pas spécialisés dans la vente immobilière, [les auteurs de la demanderesse] auraient dû connaître, compte tenu de leurs activités, incluant notamment la réaffectation du site en immeuble de bureaux et d'entreposage de matériel de distribution, l'historique industriel des lieux et la conséquence qu'ils présentent des défauts les rendant impropres à la construction d'habitations, comme le projetaient les acquéreurs ».
L'arrêt, qui admet que la demanderesse ne s'identifiait pas à un vendeur spécialisé de choses pareilles à la chose vendue et considère qu'elle « ne pouvait légitimement se prévaloir de la clause exonératoire de garantie prévue à l'acte de vente », au motif, non qu'elle connaissait le vice de la chose vendue, mais qu'elle aurait dû le connaître, viole l'article 1643 du Code civil.
Le moyen est fondé.
Sur l'étendue de la cassation :
La cassation de la décision que la demanderesse a manqué à ses obligations contractuelles s'étend à celle que la demanderesse a commis une faute extracontractuelle à l'égard de la deuxième défenderesse, qui est fondée sur la même illégalité.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du six septembre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Delange D. Batselé Chr. Storck
Requête
1er feuillet
REQUETE EN CASSATION
_________________________
Pour : la S.C.R.L. ORES ASSETS, inscrite à la BCE sous le n° 0543.696.579, dont
le siège social est établi à 1348 Ottignies-Louvain-la-Neuve, avenue Jean Monnet,
2,
demanderesse,
assistée et représentée par Me Jacqueline Oosterbosch, avocate à la Cour de
cassation, dont le cabinet est établi à 4020 Liège, rue de Chaudfontaine, 11
où il est fait élection de domicile,
Contre : 1°. la S.A. SOIGNIMMO, inscrite à la BCE sous le n° 0466.894.652, dont
le siège social est établi à 1670 Pepingen (Bogaarden), Terheugenstraat, 22,
2°. la S.P.R.L. ALGEMENE BOUWONDERNEMING G.S.,
inscrite à la BCE sous le n° 0435.133.387, dont le siège social est établi
à 1670 Pepingen (Bogaarden), Terheugenstraat, 22,
3°. la S.C.R.L. CONSEIL ET SERVICES, inscrite à la BCE sous le n°
0435.420.528, dont le siège social est établi à 7060 Soignies, rue de l'Aire, 4,
défenderesses,
4°. Mme M.-C. P.,
en sa qualité d'héritière de feu M. H. S.,
2ème feuillet
5°. Mme M. S., , en sa qualité d'héritière de feu M. H. S.,
6°. Mme H. S., , en sa qualité d'héritière de feu M. H. S.,
7°. M. V. S., en sa
qualité d'héritier de feu M. H. S.,
défendeurs ou à tout le moins appelés en déclaration d'arrêt commun.
A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,
Messieurs, Mesdames,
La demanderesse a l'honneur de déférer à votre censure l'arrêt prononcé contradictoirement entre les parties le 12 octobre 2015 par la deuxième chambre de la cour d'appel de Mons (n° 2013/RG/9).
Les faits et antécédents de la cause, tels qu'ils ressortent des pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard, peuvent être brièvement résumés comme suit.
Il était constant que la demanderesse, soit la s.c.r.l. Ores Assets (ci-après Ores), vient aux droits et obligations, après diverses fusions, de l'Intercommunale générale de distribution de signaux analogiques et numériques du Hainaut occidental (IGEHO), et de l'Intercommunale du gaz du Hainaut (IGH).
3ème feuillet
Le 14 octobre 1999, IGEHO et IGH vendent (i) à M. H. S. (par ailleurs échevin de la Ville de Soignies et membre du conseil d'administration de d'IGEHO) et son épouse, Mme M.-C. P., le lot 1b repris au plan du géomètre A. dressé le 1er septembre 1999, soit le bien cadastré section B, partie du n° 275/W/4 et (ii) à la s.a. Soignimmo ( constituée par les époux S.-P.) le lot 1a, soit les biens cadastrés section B, partie des n°° 275/W/4 et 274/T/4 et le n° 275/M/5..
Le 18 octobre 1999, la s.a. Soignimmo, représentée par les époux S.-P., revend à la s.c.r.l. Conseil & Services (dont certains des fondateurs et administrateurs étaient apparentés à Mme M.-C. P.) la parcelle cadastrée section B, partie des n°° 275/W/4 et 275/T/4 ainsi que la parcelle n° 274/M/5.
M. H. S. et Mme M.-C. P. revendent ensuite toutes les actions de Soignimmo aux consorts S., à une s.p.r.l. S-Bouw et à la s.p.r.l. Algemene Bouwonderneming G. S. (ci-après s.p.r.l. S.).
Le 10 juillet 2005, la s.a. Soignimmo autorise la s.p.r.l. S. à démolir les constructions se trouvant sur son terrain, lui concède un droit de superficie pour douze ans et lui donne pouvoir de solliciter les autorisations en vue de la construction d'un immeuble à appartements. La s.p.r.l. S. demande un permis d'urbanisme en joignant un rapport d'analyse du sol de Laborex révélant un dépassement des normes au niveau des hydrocarbures et des huiles minérales. Le permis d'urbanisme octroyé le 6 février 2007 est subordonné à des conditions de réalisation de sondages supplémentaires et de dépollution du site.
Le 10 avril 2007, Soignimmo et la s.p.r.l. S., invoquant la garantie des vices cachés du vendeur, mettent en demeure les époux S.-P. et IGEHO.
Une expertise amiable est réalisée par le bureau ERM de l'accord de toutes les parties (sauf les époux S.-P.); ce rapport daté du 12 août 2008 conclut à une forte contamination du sol et de l'eau souterraine.
4ème feuillet
Par exploits des 18 et 19 décembre 2008, la s.a. Soignimmo, la s.p.r.l. S. et la s.c.r.l. Conseil & Services citent IGEHO et IGH devant le tribunal de commerce de Mons, lequel, par jugement du 10 janvier 2009, renvoie la cause au tribunal de première instance de Mons.
La s.c.r.l. Intercommunale d'électricité du Hainaut (IEH) fait intervention volontaire à la cause en raison de ce que IGEHO lui a fait apport d'une branche d'activité.
Par jugement du 13 mars 2012, le tribunal :
- dit que les actions des parties demanderesses ont été introduites dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil et, en outre, qu'elles ne sont pas prescrites en tant qu'elles sont fondées sur la responsabilité extracontractuelle;
- que IGEHO, IGH et IEH qui "doivent être considérées comme des professionnelles" sont contractuellement tenues de garantir la s.c.r.l. Conseil & Services et la s.a. Soignimmo des vices révélés par le rapport du bureau ERM;
- qu'en cachant l'existence de ces vices, elles ont engagé leur responsabilité extracontractuelle à l'égard de la s.p.r.l. S..
IGH et IEH (indiquant avoir repris les droits et obligations de IGEHO) interjettent appel.
Dans la suite de la procédure, Ores conclut comme venant aux droits de ces parties et cite en reprise d'instance les héritiers d'H. S., décédé.
L'arrêt attaqué :
- reçoit l'appel et la demande en reprise d'instance;
- dit la demande de la s.a. Soignimmo fondée en son principe et condamne la demanderesse Ores à lui payer un euro provisionnel à titre de restitution partielle du prix de vente et un euro provisionnel à titre de dommages et intérêts pour le manque à gagner résultant du retard ou, le cas échéant, de l'impossibilité de valoriser son investissement immobilier;
5ème feuillet
- avant dire droit pour le surplus, désigne un expert en environnement avec pour mission de décrire les défauts affectant le sous-sol ainsi que les travaux nécessaires pour les rendre propres à la construction ou à la revente et de déterminer la valeur vénale des biens vendus en 1999 en tenant compte du coût des travaux pour remédier aux défauts d'écrit;
- condamne la demanderesse à payer à la s.p.r.l. S. un euro provisionnel à titre de dommages et intérêts;
- réserve à statuer sur le fondement de la demande principale de la s.c.r.l. Conseil & Services "dans l'attente de la preuve de son dommage";
- déboute la demanderesse de sa demande en intervention forcée contre H. S. (et donc ses héritiers, ici les défendeurs sub 4 à 7);
- condamne la demanderesse aux dépens des défendeurs sub 4 à 7 et réserve le surplus des dépens.
A l'encontre de cette décision, la demanderesse croit pouvoir faire valoir les moyens de cassation suivants.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales violées
- les articles 1116, 1117, 1134, 1641, 1643, 1644, 1645 et 1646 du Code civil,
- les dispositions de la loi du 27 juin 1978 relatives à la rénovation des sites wallons d'activité
économique désaffectés,
- les dispositions du décret wallon du 11 septembre 1985 organisant l'évaluation des incidences sur
l'environnement dans la Région wallonne,
- les dispositions du décret wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets,
- les dispositions de la directive 75/442/CEE du Conseil du 15 juillet 1975 relative aux déchets, telle
qu'elle a été modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil du 18 mars 1991.
6ème feuillet
Décision critiquée
L'arrêt attaqué décide que la demanderesse ne pouvait se prévaloir de la clause exonératoire de garantie prévue à l'acte de vente et
(i) condamne la demanderesse à payer à la s.a. Soignimmo (première défenderesse), la somme provisionnelle de un euro à titre de restitution partielle du prix de vente du terrain sis à ..., rue ..., cadastrée section B, n° 275/Z/4 et la somme provisionnelle de un euro du chef de manque à gagner résultant du retard où le cas échéant de la possibilité de valoriser son investissement immobilier et, avant dire droit pour le surplus, désigne un expert;
(ii) dit, par confirmation des motifs décisoires du premier juge, que la demanderesse est contractuellement tenue de garantie la s.c.r.l. Conseil et & Services (la troisième défenderesse) "des vices révélés par le rapport de l'ERM" et réserve à statuer sur le fondement de la demande de celle-ci "dans l'attente de la preuve de son dommage";
(iii) dit engagée la responsabilité extracontractuelle de la demanderesse à l'égard de la s.p.r.l. Algemene Bouwonderneming G. S. (la deuxième défenderesse) et la condamne à lui payer un euro provisionnel à titre de dommages et intérêts, pour tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et spécialement pour les motifs que :
"Le litige porte sur l'indemnisation des conséquences de la découverte des équipements enfouis dans le sous-sol et de la pollution du sol affectant l'ensemble des bâtiments, bureaux, dépendances, terrain et jardin, sis à S. (...) vendu le 14 octobre 1999 par IGEHO et IGH (actuellement la demanderesse) à M. S. et son épouse, Mme P., et à la société immobilière qu'ils ont constituée, Soignimmo.
L'origine de propriété révèle que les biens appartenaient originairement
- pour le bien cadastré sous le n° 275/T/4 à Hainautgaz qui l'a apporté, le 25 mars 1986, à IGH, et
- pour les biens cadastrés sous les n° 275/W/4 et 274/M/5, à Intercom, qui l'a apporté à Hennelgaz et
ensuite, le 16 décembre 1982, à IGEHO.
(La demanderesse) reconnaît que le site a abrité une activité industrielle de production de gaz mais elle précise que les usines à gaz ont toutes été désaffectées après la seconde guerre mondiale, de sorte que le terrain litigieux n'a plus été exploité pour la production de gaz mais
7ème feuillet
uniquement à des fins de distribution depuis lors. Finalement, en 1999, les activités exercées sur le site étaient limitées à des activités administratives (bureaux installés dans bâtiment existant) et d'entreposage de matériel de distribution gaz et électricité (...) [arrêt, p. 4]
(...)
b) Quant au délai d'intentement de l'action
(...)
Eu égard au fait que les bâtiments ayant historiquement abrité des activités polluantes (anciens fours ?) avaient été détruit depuis probablement plus de vingt-cinq ans, eu égard au caractère enfoui des citernes qui furent découvertes et eu égard à la profondeur de la contamination du sol, seuls d'importants travaux d'excavation, de profonds forages et d'expertes analyses, permettaient de les découvrir [arrêt, p. 12].
(...).
c) Quant à la clause exonératoire de garantie
L'acte de vente du 14 octobre 1989 stipule que : «Le bien dont l'acquéreur aura la pleine propriété à compter de ce jour, est transmis dans l'état et la situation où il se trouve actuellement, tel qu'il s'étend et se comporte sans pouvoir prétendre à aucune indemnité ni à aucune réduction du prix ci-après fixé, soit pour mauvais état des bâtiments, vétusté ou autre cause, soit pour tous vices de construction, du sol ou du sous-sol, apparents ou cachés [...]».
Même si elle est licite, il se déduit de l'article 1643 du Code civil que pareille clause de non-garantie ne peut sortir aucun effet lorsque le vendeur connaît le vice dont la chose est affectée : sachant la chose vicieuse, le vendeur ne peut, sans mauvaise foi, vendre comme normale une chose qui ne l'est pas (Cass., 25 mai 1989, J.T., 1989, p. 620).
Face à un vendeur professionnel, l'appréciation de son aptitude, voire de son obligation, à connaître les défauts affectant la chose vendue, est plus sévère, en particulier s'il s'agit d'un vendeur professionnel spécialisé, même s'il conserve toujours la possibilité de démontrer qu'il se trouvait en présence d'un vice indécelable (Cass., 19 septembre 1997, Pas., 1997, I, p. 883).
Il y a erreur invincible du professionnel s'il démontre avoir agi comme l'aurait fait, placé dans la même situation, tout professionnel de même niveau de spécialisation attentif, raisonnable et prudent (...). Toute la question consiste donc à savoir si, dans les circonstances de la cause, le vice allégué était de nature telle qu'il ne pouvait échapper à l'examen vigilant du professionnel.
8ème feuillet
En l'espèce, même si la vente immobilière ne faisait pas partie du cœur des activités d'IGEHO et IGH, il faut malgré tout retenir que le bien vendu n'était pas un actif patrimonial quelconque mais un site ayant abrité les activités des sociétés de production et, ensuite, de distribution de gaz, auxquelles elles ont succédé, et, en définitive, un site abritant leurs propres activités, exploitées dans le même domaine, à savoir la distribution de gaz et d'électricité.
Il ressort des explications données par (la demanderesse) que la production de gaz a historiquement fait partie des activités des sociétés aux droits desquelles elle vient actuellement : l'usine à gaz de Soignies aurait ainsi été exploitée à partir de 1883 par la Compagnie du Gaz pour la France et l'étranger, en abrégé CGGFE, qui en aurait fait apport en 1925 à la Société centrale pour l'exploitation intercommunale de l'industrie du gaz et de l'électricité, en abrégé Gazelec, reprise en 1960 par la Société intercommunale belge d'électricité, en abrégé Intercom, qui a finalement apporté le bien à IGEHO le 16 décembre 1982, comme il a été dit ci-dessus.
C'est indéniablement la désaffectation et la démolition (apparemment dans les années 80) du gazomètre qui était auparavant exploité à cet endroit qui a conduit à la mise en vente de l'ensemble immobilier devenu superflu pour les sociétés vendeuses.
IGEHO et IGH, qui ont hérité des biens concernés dans le cadre de la reprise des activités de distribution de gaz et électricité des sociétés auxquelles ils appartenaient auparavant, ne pouvaient par conséquent pas ignorer ni l'activité industrielle historiquement exploitée sur ce site, ni l'existence d'une pollution du sol inhérente à la nature de cette activité, ni l'absence de réhabilitation des lieux.
Ces particularités n'ont jamais été portées à la connaissance des acquéreurs, (la demanderesse) se défendant au contraire en soutenant - en tout cas dans ses dernières conclusions- que les sociétés dont elle a repris les droits et obligations n'avaient pas connaissance de l'existence d'anciennes fondations et d'anciens équipements enfouis dans le sol ni d'une pollution du sol qui devait probablement dater de plus de cinquante ans.
Ce n'est toutefois pas parce qu'aucune des personnes qui se sont occupées la mise en vente des biens litigieux ne se seraient, à en croire (la demanderesse), inquiétée de l'affectation historique du site, qu'elle pourrait s'exonérer des conséquences d'une telle méconnaissance, dès lors que les organes des sociétés auxquelles elle succède étaient parfaitement à même d'opérer les vérifications utiles. Même si elles n'étaient pas spécialisées dans la vente immobilière, IGEHO et IGH auraient dû connaître,
9ème feuillet
compte tenu de leurs activités, incluant notamment la réaffectation du site en immeuble de bureaux et d'entreposage de matériel de distribution, l'historique industriel des lieux et la conséquence qu'ils présentent des défauts les rendant impropres à la construction d'habitations, comme le projetaient les acquéreurs.
Or, le vendeur qui aurait dû connaître le vice doit être assimilé à celui qui connaissait le vice, en ce sens qu'il ne pourrait, de bonne foi, s'exonérer de la garantie qui lui incombe (...).
Il faut souligner à cet égard que, contrairement à ce que soutient (la demanderesse), la problématique de l'assainissement des anciens sites industriels était déjà d'actualité à l'époque de la vente, que ce soit dans le cadre de la politique de rénovation des sites d'activité économique désaffectés (Loi du 27 juin 1978), de la réglementation de l'évaluation des incidences sur l'environnement (Décret du 11 septembre 1985 organisant l'évaluation des incidences sur l'environnement dans la Région wallonne), ou de la gestion des déchets (directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 et décret wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets) - étant entendu qu'un sol pollué est un déchet dont le détenteur doit assurer la décontamination (C.J.C.E., 7 septembre 2004, Rec. C.I.C.E., 2004, liv. 8-9, (A), l, p.7613).
Dans un tel contexte, le premier Juge a, à bon droit, considéré (que la demanderesse) ne pouvait pas légitimement se prévaloir de la clause exonératoire de garantie prévue à l'acte de vente.
(...)
e) Quant au caractère caché du vice
Aux termes de l'article 1642 du Code civil, «Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont J'acheteur a pu se convaincre lui-même.» Le caractère caché ou non du vice de la chose vendue est laissé à l'appréciation souveraine du juge du fond (Cass., 24 novembre 1989, Pas., 1990 (reflet), l, 376), notamment en fonction de la qualité de l'acheteur.
(La demanderesse) reconnaît qu'à l'époque de la vente, les biens litigieux étaient affectés à usage de bureaux et dépôt de matériel de distribution de gaz et électricité. Cela signifie qu'extérieurement, les équipements souterrains et la pollution du sol, ne pouvaient pas être décelés, sans les recherches, les travaux d'excavation et les analyses chimiques qui permirent de les découvrir.
(...)
10ème feuillet
En définitive, (...), il ne ressort d'aucun des éléments soumis à l'appréciation de la Cour que les défauts découverts en 2007 aient jamais été portés à la connaissance de M.S.
Rien n'établit que ceux-ci auraient été notoires - (la demanderesse) plaidant elle-même, faut-il le rappeler, que les sociétés dont elle a repris les droits et obligations n'en auraient elles-mêmes pas eu connaissance - d'autant que, d'après les anciennes photographies du site (de 1971 et antérieures) figurant dans le rapport d'ERM, le gazomètre ne se trouvait pas sur les parcelles concernées par le présent litige, ce bâtiment circulaire étant implanté sur une parcelle située au sud-est de celle vendue à (la troisième défenderesse).
Le seul fait que qu'IGEHO et IGH, actrices historiques de la distribution de gaz dans la région, doivent, quant à elle, être considérées comme n'ayant pu ignorer les vices du sol vendu, n'implique pas automatiquement que chacune des personnes physiques, en particulier M. S., qui faisaient partie de leur conseil d'administration était censée détenir la même information.
(...)
Il n'est donc pas contradictoire d'estimer, comme l'a fait le premier Juge, qu'IGEHO et IGH devaient, en raison de leur qualité et de leur activité, connaître les vices concernés, tout en admettant que l'un de leurs administrateurs pouvait personnellement les ignorer.
Cette ignorance est tout aussi légitime dans le chef de (la première défenderesse), société constituée le 9 septembre 1999, soit un mois avant la passation de l'acte authentique de vente, par M. S. et son épouse, infirmière, que rien ne devait amener à opérer d'autres investigations que celles relatives à la situation cadastrale et urbanistique des lieux. Il en est de même pour (les première et deuxième défenderesses).
Dans de telles conditions, c'est à bon droit que le premier juge a dit (que la demanderesse) était tenue à la garantie des vices cachés envers (les première et deuxième défenderesses), leur action étant bien recevable et fondée quant à son principe.
(...)
i) Quant aux dommages et intérêts complémentaires
L'article 1645 du Code civil oblige le vendeur qui connaissait les vices de la chose vendue, à indemniser l'acheteur, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages résiduels complémentaires. Cette disposition s'applique aussi bien dans l'hypothèse de l'action rédhibitoire que dans celle d'une action estimatoire (DELFORGE, C. et
VAN ZUYLEN, J., Les défauts de la chose. Responsabilités contractuelle et extracontractuelle,
Anthémis, Limal, 2015, p. 28).
11ème feuillet
Actuellement réduite à la somme provisionnelle de 1,00 euro du chef du manque à gagner résultant du retard ou, le cas échéant, de l'impossibilité de valoriser son
investissement immobilier, la demande de (la première défenderesse) est à cet égard fondée.
Il convient par contre de réserver à statuer sur la demande de dommages et intérêts de (la troisième défenderesse), même réduite à la somme provisionnelle de 1,00 euro , dans l'attente de la preuve de l'existence d'un préjudice dans son chef (jusqu'à présent décrit comme étant tout préjudice moral et matériel éventuel, y compris les pertes liées aux baux de ses appartements ou le trouble de jouissance possible, résultant des travaux d'assainissement nécessaires). L'expertise judiciaire portera donc également sur la nécessité d'effectuer des travaux d'assainissement sur la parcelle appartenant à (la troisième défenderesse), y compris dans la perspective d'une revente du bien.
(...)
2. La responsabilité extracontractuelle (de la demanderesse)
Celui qui commet une faute contractuelle engageant sa responsabilité contractuelle à l'égard de son cocontractant peut aussi engager sa responsabilité extracontractuelle à l'égard d'un tiers lorsque son manquement à ses obligations contractuelles constitue, simultanément et indépendamment du contrat, une violation de l'obligation générale de prudence s'imposant à tous, étant entendu que la coexistence des responsabilités contractuelle à l'égard du cocontractant et extracontractuelle à l'égard d'un tiers ne requiert
pas que le dommage subi par le tiers soit étranger à l'exécution du contrat (Cass., 2S octobre
2012, Pas., 2012, p. 2039) .
Le fait de vendre un bien sans informer l'acquéreur des anciennes fondations et anciennes Citernes qui sont enfouies en sous-sol ni de la pollution du sol qui doit résulter des anciennes activités industrielles du site, constitue une négligence fautive susceptible de causer un dommage à des tiers.
Tel est spécialement le cas du superficiaire qui, en méconnaissance de cause, a légitimement cru pouvoir construire des habitations sur un terrain qui s'est révélé impropre à cet usage.
Actuellement réduite à la somme provisionnelle de 1,00 euro du chef des frais exposés en pure perte de ce fait, d'un éventuel manque à gagner ou des frais supplémentaires à envisager en raison de l'interruption du chantier, la demande de (la deuxième défenderesse) est par conséquent fondée".
12ème feuillet
Grief
Aux termes des articles 1641 et 1643 du Code civil, le vendeur est tenu des vices cachés, même s'il ne les connaissait pas, sauf s'il a stipulé dans le contrat qu'il ne serait tenu à aucune garantie.
En vertu de ces mêmes dispositions et des articles 1116 et 1117 du Code civil, le vendeur fabriquant de la chose vendue ou spécialiste dans la vente de choses pareilles à celle vendue, qui est tenu de fournir la chose sans vice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour déceler tous les vices possibles, ne peut invoquer son ignorance du vice et s'exonérer de la garantie des vices cachés et est tenu, outre la restitution du prix et des frais de la vente, d'éventuels dommages et intérêts sur la base de l'article 1645 du Code civil.
Par contre, ni ces dispositions ni aucune autre n'interdisent au vendeur qui ne connaissait pas le vice et qui n'est ni fabriquant de la chose vendue ni vendeur spécialisé de choses pareilles à celle-ci et qui, partant, n'est pas tenu de fournir une chose sans vice, de stipuler, dans une convention qui fait la loi des parties conformément à l'article 1134 du Code civil, que l'acheteur ne pourra prétendre à aucune indemnité notamment pour vices cachés.
En particulier, aucune disposition de la loi du 27 juin 1978 relative à la rénovation des sites wallons d'activité économique désaffectés ni du décret wallon du 11 septembre 1985 organisant l'évaluation des incidences sur l'environnement dans la Région wallonne, ni de la directive 75/442/CEE, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE, ni du décret wallon du 27 juin 1976 relatif aux déchets, n'imposait à l'époque de la vente - soit en 1999 - ni n'impose actuellement une obligation au vendeur d'un terrain d'un site industriel désaffecté, non spécialisé dans la vente de choses pareilles, de le fournir sans pollution et aucune de ces dispositions ne lui interdit de s'exonérer de toute responsabilité en raison d'une éventuelle pollution.
La validité d'une clause exonératoire de la garantie des vices cachés pour ce vendeur est subordonnée à la seule condition qu'il n'ait pas connu le vice, même s'il aurait pu le connaître, dès lors qu'il est illicite de s'exonérer de son dol mais parfaitement licite de s'exonérer de son éventuelle responsabilité pour faute, notamment pour négligence.
13ème feuillet
L'arrêt attaqué qui :
(i) ne constate pas que les sociétés IGEHO et IGH connaissaient le vice,
(ii) constate que le bien vendu était "un site ayant abrité des activités des sociétés de production et, ensuite, de distribution de gaz, auxquelles (IGEHO et IGH) ont succédé, et, en définitive, un site abritant leurs propres activités, exploitées dans le même domaine, à savoir la distribution de gaz et d'électricité",
(iii) considère que "les sociétés IGEHO et IGH n'étaient pas spécialisées dans la vente immobilière",
mais qui décide qu'ayant "hérité des biens concernés dans la reprise des activités de distribution de gaz et électricité des sociétés auxquelles ils appartenaient auparavant, (IGEHO et IGH) ne pouvaient par conséquent pas ignorer ni l'activité industrielle historiquement exploitée sur ce site, ni l'existence d'une pollution inhérente à la nature de cette activité" et que la demanderesse ne "pourrait s'exonérer des conséquences d'une telle méconnaissance [soit de l'affectation historique du site], dès lors que les organes des sociétés auxquelles elles succèdent étaient parfaitement à même d'opérer les vérifications utiles", qu' IGHO et IGH "auraient dû connaître, compte tenu de leurs activités, (...) l'historique industriel des lieux et la conséquence qu'ils présentent des défauts les rendant impropres à la construction d'habitations, comme le projetaient les acquéreurs", que "contrairement à ce que soutient (la demanderesse), la problématique de l'assainissement des anciens sites industriels était déjà d'actualité à l'époque de la vente que ce soit dans le cadre de la politique de rénovation des sites d'activité économique désaffectés (loi du 27 juin 1978), de la réglementation de l'évaluation des incidences sur l'environnement (décret du 11 septembre 1985 organisant l'évaluation des incidences sur l'environnement dans la Région wallonne), ou de la gestion des déchets (directive 75/442/CEE du Conseil, du 18 mars 1991, décret wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets) - étant entendu qu'un sol pollué est un déchet dont le détenteur doit assurer la décontamination (C.J.C.E., 7 septembre 2004, [...])" et que "le vendeur qui aurait dû connaître le vice doit être assimilé à celui qui connaissait le vice, en ce sens qu'il ne pourrait, de bonne foi, s'exonérer de la garantie qui lui incombe" pour en déduire que la demanderesse "ne pouvait pas légitimement se prévaloir de la clause exonératoire de garantie prévue à l'acte de vente",
applique à tort aux sociétés IGEHO et IGH, qui n'étaient ni marchands fabricants de la chose vendue ni vendeurs spécialisés de choses pareilles à celle vendue, une présomption de connaissance du vice qui n'est applicable qu'à ces vendeurs et viole toutes les dispositions visées au moyen.
14ème feuillet
Développements du premier moyen de cassation
L'article 1643 du Code civil stipule que le vendeur doit la garantie des vices cachés qu'il ait ou non connaissance du vice; il est tenu du remboursement du prix, ou de partie de celui-ci, et des frais de la vente. La connaissance du vice emporte uniquement que le vendeur ne peut invoquer une clause de non-garantie des vices et qu'il pourra être tenu de dommages et intérêts complémentaires sur la base de l'article 1645 du même code.
Ainsi que l'ont pertinemment souligné L. Simont et P.A. Foriers, l'interdiction pour le vendeur qui connaît le vice, et n'en avertit pas l'acheteur, de s'exonérer de la garantie des vices cachés est fondée sur la règle que l'on ne peut s'exonérer de son dol (voy. L. Simont et P.A. Foriers, Les contrats spéciaux, ex. jur., R.C.J.B., 2014, p. 736, n° 67; De koop - La vente, 2002, p. 40).
Depuis l'arrêt de votre Cour du 4 mai 1939 (Pas., 1939, I, 223), la portée des articles 1641,1643, 1645 et 1646 du Code civil a été affinée. Votre Cour a considéré que "celui qui ferme volontairement les yeux, néglige de les ouvrir lorsqu'il avait l'obligation de le faire, ne saurait se prévaloir légitimement de la circonstance qu'il n'a pas aperçu ce qu'il pouvait ou devoir voir; (...) que le fabricant ou le marchand, qui livre à un acheteur un produit de son industrie ou de son commerce, est tenu de s'assurer préalablement que la chose qu'il vend n'est pas affectée de défauts cachés, qui suivant l'article 1641 du Code civil, la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui en diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus (...); que cette obligation, imposée au fabricant ou au marchand de vérifier la chose qu'il vend, a nécessairement pour conséquence qu'il doit être considéré comme ayant connu les vices dont elle est affectée".
Après cette décision de principe, il a été unanimement admis que le vendeur "professionnel", c'est-à-dire celui qui a fabriqué la chose vendue ou qui est spécialisé dans la vente de choses semblables à celle-ci, ne peut s'exonérer de la garantie des vices cachés qu'il pouvait ou devait connaître (ce qui n'est pas le cas d'un vice indécelable).
15ème feuillet
Le fondement de cette solution ressort clairement de la formulation des arrêts postérieurs de votre Cour, formulation qui n'a quasiment pas varié : "le vendeur fabricant ou le vendeur spécialisé de choses pareilles à celle qu'il a vendue à l'obligation de fournir la chose sans vice et doit, à cette fin, prendre toutes les mesures nécessaires pour déceler tous les vices possibles" (voy. Cass., 17 mai 1984, Pas., 1984, n° 529; 15 juin 1989, Pas., 1989, I, n° 604; 7 décembre 1990, Pas., 1991, n° 182; 19 septembre 1997, Pas., 1997, n° 362; 18 octobre 2001, Pas., 2001, n° 556). C'est bien en raison de l'obligation spécifique du vendeur fabricant ou spécialisé de fournir la chose sans vice et, partant, de s'assurer préalablement de l'absence de vice, que ce vendeur ne peut se prévaloir de l'ignorance du vice, sauf s'il était indécelable.
A l'inverse, le vendeur occasionnel, non fabricant et non spécialisé, n'a lui aucune obligation de cet ordre et n'est nullement tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour déceler tous les vices possibles. L'application en ce qui le concerne des articles 1643 et 1645 du Code civil requiert la preuve qu'il connaissait le vice et l'a caché à l'acquéreur.
S'agissant de la vente d'un terrain qui s'est avéré pollué, il a déjà été décidé qu'est un vendeur spécialisé le vendeur professionnel de la vente de sites industriels (cour d'appel de Liège, 11 décembre 2007, n° 2006/RG/592 - sommaire publié sur juridat). Cette solution est dans la droite ligne de la jurisprudence de votre Cour dès lors qu'il était constaté que l'activité du vendeur était précisément la vente de choses pareilles à celle vendue.
Un arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 17 juin 2000 (aménagement 2001, p. 241) a considéré, dans l'hypothèse de la vente par une entreprise d'un terrain qui s'est avéré pollué, que ladite entreprise devait être considérée "comme un vendeur qui, au même titre qu'un vendeur professionnel (...) est réputé être au courant du vice caché". En l'espèce, l'entreprise avait poursuivi l'activité de l'ancienne usine et la cour d'appel en a déduit "une connaissance professionnelle particulière des bâtiments affectés à cette activité".
16ème feuillet
Cette décision, qui ne s'attache pas au caractère professionnel de la vente mais bien à l'activité, étrangère à la vente, de la partie venderesse et à la "connaissance particulière" qu'elle peut avoir à ce titre du bien vendu, ajoute à la loi en appliquant à un vendeur qui n'est ni un fabricant ni un vendeur spécialisé dans la vente des choses semblables à celle vendue les articles 1643 et 1645 du Code civil.
Dans son arrêt du 5 décembre 2002 (Pas., n° 652), votre Cour a censuré l'arrêt qui avait fait peser sur un garagiste professionnel et spécialisé "la présomption de connaissance du vice caché qui aurait pesé sur lui s'il était vendeur", considérant "qu'il ne ressort d'aucune disposition légale qu'un entrepreneur spécialisé est présumé avoir eu connaissance du vice caché dont la chose qui lui a été confiée pour entretien demeure affectée après l'exécution de son ouvrage".
Il en va de même dans la présente espèce. Aucune disposition légale ne fait peser sur les entreprises de distribution de gaz et d'électricité, qui ne sont "pas spécialisées dans la vente immobilière", une présomption de connaissance du vice caché, en l'espèce la pollution, du terrain qu'elles vendent. Aucune disposition ne leur impose de fournir une chose sans vice de pollution, - ni à l'époque de la vente en 1999 ni actuellement - et certainement pas la loi du 27 juin 1978 relative à la rénovation des sites wallons d'activité économique désaffectés, ou le décret wallon du 11 septembre 1985 organisant l'évaluation des incidences sur l'environnement, ou la directive 75/442/CEE du Conseil telle que modifiée par la directive 91/156/CEE (l'arrêt de la Cour de Justice qui a considéré qu'un sol pollué pouvait constituer un déchet date du 7 septembre 2004 et ne décide rien sur la question de savoir qui doit en assurer la décontamination) ou encore le décret wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets. C'est le décret wallon du 5 décembre 2008 relatif à la gestion des sols qui envisage, en son article 21, que "les obligations visées à l'article 18 (soit procéder à une étude d'orientation et, le cas échéant, à une étude de caractérisation et éventuellement un assainissement) naissent d'office du fait de "la cession d'un terrain sur lequel est ou a été implantée une installation ou une activité susceptible de polluer le sol figurant dans la liste établie en annexe 3 du présent décret". Mais cette obligation n'est encore qu'envisagée, l'article 99 du même décret disposant que l'article 21 n'entrera en vigueur qu'à une date fixée par le gouvernement et qui ne l'a pas encore été.
17ème feuillet
L'arrêt attaqué ne vise d'ailleurs aucune disposition précise se bornant à évoquer la "problématique de l'assainissement des anciens sites industriels" qui "étaient déjà d'actualité à l'époque de la vente", sans nullement se préoccuper des destinataires des obligations découlant des instruments normatifs invoqués.
Dès lors que (i) les sociétés IGEHO et IGH n'avaient pas pour activité la vente de biens immobiliers, (ii) n'avaient aucune obligation de vendre un bien sans vice de pollution, (iii) ignoraient l'existence de ce vice, rien ne leur interdisait de s'exonérer de la garantie des vices cachés - notamment de la pollution historique cachée -, l'arrêt ne pouvait légalement décider que la demanderesse, qui vient à leurs droits et obligations, ne pouvait se prévaloir de cette clause sans violer toutes les dispositions visées au moyen et spécialement les articles 1134, 1641, 1643, 1645 et 1646 du Code civil.
Etendue de la cassation
La décision condamnant la demanderesse à l'égard de la deuxième défenderesse, sur la base de la responsabilité extracontractuelle, est fondée sur les mêmes motifs que la décision privant de tout effet la clause exonératoire de garantie prévue à l'acte de vente critiquée au moyen, à savoir que les sociétés IGEHO et IGH ne pouvaient vendre le bien sans avertir les acquéreurs d'un vice qu'elles "auraient dû" connaître et ne pouvaient s'exonérer de cette "méconnaissance".
La cassation doit dès lors s'étendre au dispositif relatif à la deuxième défenderesse et c'est subsidiairement que la demanderesse dirigera un moyen spécifique contre celui-ci.
18ème feuillet
SECOND MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales violées
- les articles 1116, 1117, 1382, 1383, 1641, 1643, 1644, 1645 et 1646 du Code civil.
Décision Critiquée
L'arrêt attaqué, qui a engagé la responsabilité extracontractuelle de la demanderesse à l'égard de la deuxième défenderesse et la condamne à lui payer un euro provisionnel à titre de dommages et intérêts, pour tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et spécialement pour les motifs rappelés au premier moyen et les motifs suivants :
"Celui qui commet une faute extracontractuelle engageant sa responsabilité contractuelle à l'égard de son cocontractant peut aussi engager sa responsabilité extracontractuelle à l'égard d'un tiers lorsque son manquement à ses obligations contractuelles constitue, simultanément et indépendamment du contrat, une violation de l'obligation générale de prudence s'imposant à tous, étant entendu que la coexistence des responsabilités contractuelles à l'égard du cocontractant et extracontractuelle à l'égard d'un tiers ne requiert pas que le dommage subi par le tiers soit étranger à l'exécution du contrat (...).
Le fait de vendre un bien sans informer l'acquéreur des anciennes fondations et anciennes citernes qui sont enfouies en sous-sol et de la pollution du sol qui doit résulter des anciennes activités industrielles du site, constitue une négligence fautive susceptible de causer un dommage à des tiers.
Tel est spécialement le cas du superficiaire qui, en méconnaissance de cause, a légitimement cru pouvoir construire des habitations sur un terrain qui s'est révélé impropre à cet usage.
Actuellement réduite à la somme provisionnelle de un euro du chef des frais exposés en pure perte de ce fait, d'un éventuel manque à gagner ou des frais supplémentaires envisagés en raison de l'interruption du chantier, la demande de (la deuxième défenderesse) est par conséquent fondée".
19ème feuillet
Grief
Aucune disposition légale n'instaure une présomption de connaissance du vice dans le chef de sociétés distributrices de gaz et d'électricité, qui ne sont pas spécialisées dans la vente immobilière, et, partant, ni les articles 1641, 1643, 1645 et 1646 du Code civil ni aucune autre disposition, ne leur interdisent de vendre un terrain sur un site où a été exploitée historiquement une activité industrielle de production de gaz, en insérant dans le contrat de vente une clause exonératoire de toute garantie, notamment des vices cachés, lorsqu'il n'est pas établi qu'elles avaient connaissance d'un vice affectant le terrain.
Il s'ensuit que le fait, pour ces sociétés, de le vendre en s'exonérant de toute garantie quant à l'état du terrain ne peut, en soi, être constitutif d'une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
L'arrêt attaqué, qui ne constate pas que les sociétés IGEHO et IGH connaissaient les "anciennes fondations et anciennes citernes qui sont enfouies en sous-sol" et "la pollution du sol qui doit résulter des anciennes activités industrielles du site", qui constate que ces sociétés ne sont pas "spécialisées dans la vente immobilière" et qui décide qu'elles ne pouvaient se prévaloir de la clause exonératoire de garantie prévue à l'acte de vente et ont commis une faute en vendant ce bien sans informer l'acquéreur des anciennes fondations et citernes enfouies en sous-sol ni de la pollution du sol qui doit résulter des anciennes activités industrielles du site, aux motifs qu'elles "ont hérité des biens concernés dans le cadre de la reprise des activités de distribution de gaz et d'électricité des sociétés auxquelles ils appartenaient auparavant (et) ne pouvaient par conséquent pas ignorer l'activité industrielle historiquement exploitée sur ce site, ni l'existence d'une pollution du sol inhérente à la nature de cette activité, ni l'absence de réhabilitation des lieux" et "auraient dû connaître, compte tenu de leurs activités, (...) l'historique industriel des lieux et la conséquence qu'ils présentent des défauts les rendant impropres à la construction d'habitations", n'est pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen).
20ème et dernier feuillet
Développements du second moyen de cassation
Le dispositif condamnant la demanderesse à l'égard de la seconde défenderesse est fondé sur les mêmes motifs que ceux retenant sa responsabilité contractuelle, privant de tout effet la clause exonératoire de garantie insérée dans le contrat de vente.
Or, à supposer même qu'une négligence puisse être imputée aux sociétés IGEHO et IGH pour ne pas s'être inquiétées d'une éventuelle pollution du sol du terrain qu'elles vendaient, aucune disposition n'interdit de s'exonérer d'une éventuelle négligence et aucune faute quasi délictuelle ne peut être déduite de ce fait.
PAR CES CONSIDERATIONS,
l'avocate à la Cour de cassation soussignée, pour la demanderesse, conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt attaqué; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée; renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel; statuer comme de droit quant aux dépens.
Jacqueline Oosterbosch
Liège, le 22 juin 2016