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29/08/2018 | BELGIQUE | N°P.18.0902.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 août 2018, P.18.0902.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.18.0902.N
W. C.,
personne mise à la disposition du tribunal de l'application des peines,
détenu,
demandeur en cassation,
Me Paul Bekaert, avocat au barreau de Bruges.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 31 juillet 2018 par le tribunal de l'application des peines d'Anvers.
Le demandeur invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport.
L'avocat général

Jean-Marie Genicot a conclu.



II. LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE ET LES ÉLÉMENTS PERTINENTS

Des ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.18.0902.N
W. C.,
personne mise à la disposition du tribunal de l'application des peines,
détenu,
demandeur en cassation,
Me Paul Bekaert, avocat au barreau de Bruges.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 31 juillet 2018 par le tribunal de l'application des peines d'Anvers.
Le demandeur invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport.
L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.

II. LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE ET LES ÉLÉMENTS PERTINENTS

Des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, il ressort ce qu'il suit.

1. Par arrêt rendu contradictoirement le 1er février 2013 par la cour d'appel d'Anvers, le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement principale de trois ans du chef d'attentat à la pudeur sans violences ou menaces sur la personne d'un mineur de moins de seize ans (infraction aux articles 372, alinéa 1er, 374, 378 et 382bis du Code pénal) et ce, en état de récidive légale. Le même arrêt a également ordonné, de ce chef, sa mise à la disposition du tribunal de l'application des peines pour une période de dix ans.

2. Sur la base de l'arrêt précité, un mandat d'arrêt européen a été émis le 27 août 2014 par un avocat général près la cour d'appel d'Anvers, selon le modèle annexé à la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres et selon le modèle annexé à la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen. Le mandat mentionnait la peine privative de liberté de trois ans infligée (dont 968 jours encore à subir), la nature et la qualification légale des faits punissables ainsi que les dispositions légales applicables et exposait les faits. Ledit mandat d'arrêt européen ne faisait pas mention de la mise à disposition pour une période de dix ans à laquelle le demandeur avait également été condamné par l'arrêt précité.

3. Par décision rendue le 8 mars 2016, se référant au mandat d'arrêt européen susmentionné et après avoir constaté que la remise était demandée pour assurer l'exécution d'une peine privative de liberté d'une durée de trois ans prononcée par l'arrêt précité rendu par la cour d'appel d'Anvers, que la condition de la double incrimination du fait était remplie et qu'il n'existait aucun motif de refus faisant obstacle à la remise, le tribunal d'Amsterdam, chambre d'entraide judiciaire internationale, a autorisé la remise du demandeur à la Belgique aux fins de l'exécution de la peine privative de liberté à subir sur le territoire belge pour l'infraction pour laquelle sa remise avait été demandée.
4. Le demandeur a ensuite été remis à la Belgique et placé en détention. Cette détention était fondée sur la condamnation à trois ans d'emprisonnement prononcée par l'arrêt précité rendu par la cour d'appel d'Anvers, dont le terme avait été fixé au 12 août 2018, ainsi que sur la mise à la disposition du tribunal de l'application des peines pour une période de dix ans ordonnée par le même arrêt.

5. Selon l'article 34bis du Code pénal, la mise à la disposition du tribunal de l'application des peines est une peine complémentaire qui doit ou peut être prononcée dans les cas prévus par la loi aux fins de protection de la société à l'égard de personnes ayant commis certains faits graves portant atteinte à l'intégrité de personnes. Cette peine complémentaire prend cours à l'expiration de la peine d'emprisonnement principale. L'exécution de cette peine complémentaire est régie par les articles 95/2 à 95/30 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine. Selon l'article 95/2 de ladite loi du 17 mai 2006 :
- la mise à la disposition du tribunal de l'application des peines prononcée prend cours à l'expiration de la peine principale ;
- le tribunal de l'application des peines décide préalablement à l'expiration de la peine principale soit de priver de liberté, soit de libérer sous surveillance le condamné mis à disposition ;
- le condamné mis à disposition est privé de sa liberté lorsqu'il existe dans son chef un risque qu'il commette des infractions graves portant atteinte à l'intégrité physique ou psychique de tiers et qu'il n'est pas possible d'y pallier en imposant des conditions particulières dans le cadre d'une libération sous surveillance.

6. Le directeur de la prison de Wortel et le ministère public ont rendu un avis relatif à la privation de liberté, conformément aux articles 95/3 et 95/4 de la loi du 17 mai 2006.

7. Le tribunal de l'application des peines d'Anvers a examiné la cause aux audiences des 21 juin 2018 et 19 juillet 2018, au cours desquelles le demandeur et son conseil ont été entendus.

8. Le conseil du demandeur a invoqué en substance devant le tribunal de l'application des peines que, dès lors que le mandat d'arrêt européen émis par la Belgique ne fait pas mention de la peine de mise à disposition, la remise accordée par les Pays-Bas ne pouvait s'y rapporter et le tribunal de l'application des peines ne pouvait ordonner la privation de liberté en exécution de la peine de mise à disposition.

9. Sur la base de l'article 27 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002, le ministère public près le tribunal de l'application des peines a adressé aux autorités néerlandaises, le 2 juillet 2018, une demande de consentement additionnel portant sur la mise à disposition pour une période de dix ans prononcée à l'encontre du demandeur. Les autorités néerlandaises n'ont pas accueilli cette demande, estimant qu'un consentement additionnel fondé sur la disposition précitée de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 et sur l'article 14.3 de la loi néerlandaise en matière de remise (Nederlandse Overleveringswet) n'était susceptible d'être fourni qu'aux seules fins de poursuites et de condamnation pour tout fait autre que celui qui a motivé l'octroi de la remise, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

10. Par jugement rendu le 31 juillet 2018, le tribunal de l'application des peines d'Anvers a rejeté la défense du demandeur. Il a certes admis que le mandat d'arrêt européen émis par la Belgique fait uniquement mention de la peine privative de liberté principale de trois ans et non de la peine complémentaire de mise à disposition, mais il a également décidé que les informations qu'un mandat d'arrêt européen doit contenir sur la base de l'article 2, § 4, de la loi du 19 décembre 2003 ne sont pas prescrites à peine de nullité, mais visent uniquement à permettre à l'autorité requise de se prononcer sur l'exécution du mandat d'arrêt européen et qu'aucun élément ne fait apparaître que la mention relative à la mise à disposition impliquerait un quelconque motif de refuser le mandat, de sorte que ni le mandat d'arrêt européen du 27 août 2014, ni la décision rendue le 8 mars 2018 par le tribunal d'Amsterdam, ni aucune disposition ne s'opposent à l'exécution de la mise à disposition. Eu égard à ce qui précède, le tribunal de l'application des peines s'est prononcé en faveur de la privation de liberté.

11. En exécution de cette décision, le demandeur a été incarcéré. Il reste en détention jusqu'à ce que le tribunal de l'application des peines prenne une nouvelle décision.

12. Le demandeur a introduit le 3 août 2018 un pourvoi en cassation contre le jugement rendu le 31 juillet 2018 par le tribunal de l'application des peines et il a déposé le 7 août 2018 un mémoire comportant des griefs.

III. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le premier moyen :

13. Le moyen invoque la violation de l'article 2, § 4, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen : le jugement ordonne l'exécution de la mise à la disposition du tribunal de l'application des peines à laquelle le demandeur a été condamné par arrêt de la cour d'appel d'Anvers, alors que le demandeur n'a pas fait l'objet d'une remise pour cette peine ; le mandat d'arrêt européen émis par le ministère public belge fait uniquement mention de la peine privative de liberté infligée au demandeur ; ainsi, il n'existe pas de mandat d'arrêt européen émis par la Belgique pour la mise à disposition et la remise par le juge néerlandais fondée sur le mandat d'arrêt européen belge ne peut donc s'y rapporter ; le tribunal de l'application des peines ne peut régulariser l'absence de mandat d'arrêt européen pour la mise à disposition ; la référence faite à l'article 2, § 4, de la loi du 19 décembre 2003 est ainsi sans pertinence.

14. Selon l'article 2.1 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, un mandat d'arrêt européen peut être émis à des fins d'exécution d'une peine, lorsqu'une condamnation à une peine est intervenue ou qu'une mesure de sûreté a été infligée d'une durée d'au moins quatre mois. L'article 3 de la loi du 19 décembre 2003 a la même portée.

Selon l'article 8.1 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002, le mandat d'arrêt européen est établi conformément au formulaire annexé à ladite décision-cadre et il contient, entre autres, les informations suivantes : c) l'indication de l'existence d'un jugement exécutoire, d) la nature et la qualification légale de l'infraction, e) la description des circonstances de la commission de l'infraction, f) la peine prononcée. L'article 2, § 4, de la loi du 19 décembre 2003 est libellé dans des termes analogues.

L'article 27.2 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 dispose que, sauf dans les cas visés aux articles 27.1 et 27.3, une personne qui a été remise ne peut être poursuivie, condamnée ou privée de liberté pour une infraction commise avant sa remise autre que celle qui a motivé cette remise. La teneur de l'article 37 de la loi du 19 décembre 2003 est similaire.

Selon l'article 1.3 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002, cette même décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l'obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Les informations prévues à l'article 8.1, c), d), e) et f), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 doivent permettre à l'autorité judiciaire d'exécution de vérifier s'il a été satisfait aux conditions de forme et de fond pour la remise sur la base d'un mandat d'arrêt européen et s'il existe, le cas échéant, des raisons de prendre en considération un motif de refus, tel que le respect des droits fondamentaux et des principes généraux inscrits à l'article 6 de la Convention précitée.

16. À la lumière du moyen invoqué par le demandeur, des antécédents de la procédure et des éléments pertinents de la cause exposés ci-avant ainsi que des considérations susmentionnées, la question se pose de savoir :
- s'il suffit que, dans le mandat d'arrêt européen, l'autorité judiciaire d'émission fasse seulement mention de la peine privative de liberté exécutoire qui a été infligée, sans donc faire état de la peine complémentaire prononcée pour la même infraction et par la même décision judiciaire, telle que la mise à disposition, qui ne donnera lieu à une privation effective de liberté qu'après l'exécution de la peine privative de liberté principale, et ce uniquement après une décision formelle rendue à cette fin par le tribunal de l'application des peines ;
- en cas de réponse affirmative à cette première question, si la remise par l'État membre de l'autorité judiciaire d'exécution sur la base d'un mandat d'arrêt européen qui ne mentionne que la peine privative de liberté exécutoire qui a été infligée, et donc pas la peine complémentaire de mise à disposition qui a été prononcée pour la même infraction et par la même décision judiciaire, a pour conséquence qu'il peut être procédé, dans l'État membre de l'autorité judiciaire d'émission, à une privation effective de liberté en exécution de cette peine complémentaire ;
- en cas de réponse négative à la première question, si le fait que, dans le mandat d'arrêt européen, l'autorité judiciaire d'émission n'a pas mentionné la peine complémentaire de mise à disposition qui a été prononcée a pour conséquence que cette peine complémentaire, dont il peut être admis que l'autorité judiciaire d'exécution n'a pas connaissance, ne saurait donner lieu à une privation effective de liberté dans l'État membre de l'autorité judiciaire d'émission.

17. Seule une interprétation de l'article 8.1, f), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 permet de répondre à ces questions. Il y a donc lieu, conformément à l'article 267, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne, dans les termes énoncés au dispositif.

18. Dès lors que le demandeur est en détention et que la réponse aux questions posées est déterminante pour sa situation de détention et le maintien de celle-ci, la Cour demande à la Cour de justice de l'Union européenne d'activer la procédure d'urgence, prévue à l'article 267, dernier alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à l'article 107 du Règlement de procédure de la Cour de Justice de l'Union européenne du 25 septembre 2012.

19. L'examen des moyens du demandeur est suspendu jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se prononce sur les questions posées ci-après.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne réponde aux questions préjudicielles suivantes :
1. l'article 8.1, f), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres doit-il être interprété en ce sens qu'il suffit que, dans le mandat d'arrêt européen, l'autorité judiciaire d'émission fasse seulement mention de la peine privative de liberté exécutoire qui a été infligée, sans donc faire état de la peine complémentaire prononcée pour la même infraction et par la même décision judiciaire, telle que la mise à disposition, qui ne donnera lieu à une privation effective de liberté qu'après l'exécution de la peine privative de liberté principale, et ce uniquement après une décision formelle rendue à cette fin par le tribunal de l'application des peines ;
2. en cas de réponse affirmative à la première question, l'article 8.1, f), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 doit-il être interprété en ce sens que la remise par l'État membre de l'autorité judiciaire d'exécution sur la base d'un mandat d'arrêt européen qui ne mentionne que la peine privative de liberté exécutoire qui a été infligée, et donc pas la peine complémentaire de mise à disposition qui a été prononcée pour la même infraction et par la même décision judiciaire, a pour conséquence qu'il peut être procédé, dans l'État membre de l'autorité judiciaire d'émission, à une privation effective de liberté en exécution de cette peine complémentaire ;
3. en cas de réponse négative à la première question, l'article 8.1, f), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 doit-il être interprété en ce sens que le fait que, dans le mandat d'arrêt européen, l'autorité judiciaire d'émission n'a pas mentionné la peine complémentaire de mise à disposition qui a été prononcée a pour conséquence que cette peine complémentaire, dont il peut être admis que l'autorité judiciaire d'exécution n'a pas connaissance, ne saurait donner lieu à une privation effective de liberté dans l'État membre de l'autorité judiciaire d'émission.
Réserve la décision sur les frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Françoise Roggen, Koenraad Moens et Ariane Jacquemin, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-neuf août deux mille dix-huit par le président Paul Maffei, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Frank Adriaensen.

Traduction établie sous le contrôle du conseiller Ariane Jacquemin et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.18.0902.N
Date de la décision : 29/08/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-08-29;p.18.0902.n ?

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