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28/06/2018 | BELGIQUE | N°F.17.0016.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 28 juin 2018, F.17.0016.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.17.0016.N
T. D. G.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 avril 2016 par la cour d'appel de Gand.
Le 9 novembre 2017, l'avocat général délégué Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
L'avocat génér

al délégué Johan Van der Fraenen a conclu.
II. Faits et antécédents de procédure
Tels qu'ils ressor...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.17.0016.N
T. D. G.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 avril 2016 par la cour d'appel de Gand.
Le 9 novembre 2017, l'avocat général délégué Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
L'avocat général délégué Johan Van der Fraenen a conclu.
II. Faits et antécédents de procédure
Tels qu'ils ressortent de l'arrêt, les éléments de fait pertinents sont les suivants :
- le demandeur est l'administrateur délégué de la société anonyme Advanced Technology Company (ci-après ATC), une entreprise de commerce et de distribution d'ordinateurs et de composants informatiques ;
- en 1996, les activités d'ATC ont fait l'objet d'une instruction judiciaire à la suite d'une plainte de l'Inspection spéciale des impôts qui avait ouvert, en 1995, une enquête en relation avec une fraude de type carrousel à la TVA ;
- Au cours de l'instruction judiciaire, dans le cadre d'une commission rogatoire adressée au Grand-Duché de Luxembourg, le directeur de la banque Ferrier Lullin Luxembourg a remis des documents bancaires se rapportant au demandeur lors de son audition par le juge d'instruction luxembourgeois en présence de son homologue belge ;
- l'accord de la chambre du conseil du tribunal dans le ressort duquel la perquisition et la saisie ont été opérées, requis pour la remise de pièces en vertu de l'article 20, alinéa 2, du Traité du 27 juin 1962 d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas, n'a pas été sollicité ;
- après avoir été autorisé à recevoir communication du dossier répressif et à en prendre copie, le défendeur a envoyé au demandeur des avis de rectification de la déclaration à l'impôt des personnes physiques pour les exercices d'imposition 1997 et 1998, dans lesquels il annonçait que la moitié de divers montants qui, selon les documents bancaires précités, avaient été versés par les sociétés Intercontinental Stock Exchange (ISE) et World Wide Commodities and Trading (WWCT) sur un compte luxembourgeois ouvert au nom du demandeur et de son frère serait imposée au titre de bénéfice brut d'entreprises industrielles et commerciales. Pour l'exercice d'imposition 1997, le bénéfice imposable se chiffrait à 536.738,94 euros. Pour l'exercice d'imposition 1998, il s'agissait d'un montant de 576.717,62 euros ;
- le demandeur a fait savoir à chaque fois qu'il n'était pas d'accord avec les rectifications proposées ;
- le défendeur a persisté dans son intention de procéder à l'imposition et des cotisations à l'impôt des personnes physiques ont été établies respectivement les 23 décembre 1999 (exercice d'imposition 1997) et 20 octobre 2000 (exercice d'imposition 1998) ;
- les réclamations que le demandeur a introduites contre ces impositions ont été rejetées.
Le demandeur a ensuite introduit, auprès du tribunal de première instance de Bruges (depuis le 1er janvier 2014, tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges), un recours fiscal par lequel il réclamait le dégrèvement des cotisations à l'impôt des personnes physiques. Il faisait valoir, entre autres, que les documents remis dans le cadre de la commission rogatoire adressée au Grand-Duché de Luxembourg en application du traité Benelux du 27 juin 1962 ne pouvaient être transmis qu'à la partie requérante, en l'occurrence la Belgique, et que, par conséquent, il ne pouvait en être fait usage que moyennant l'accord préalable de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg. Le demandeur soutenait que, dès lors que cet accord n'avait pas été sollicité, les documents bancaires en question avaient été obtenus illégalement et ne pouvaient servir à établir à sa charge des cotisations à l'impôt des personnes physiques.
Le jugement du tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges, a dit recevable le recours fiscal introduit par le demandeur et a ordonné le dégrèvement des cotisations à l'impôt des personnes physiques qui avait été établies à son nom pour des montants, respectivement de 501.244,50 euros (exercice d'imposition 1997) et de 532.073,78 euros (exercice d'imposition 1998).
Le défendeur a interjeté appel de ce jugement.
L'arrêt rendu le 5 avril 2016 par la cour d'appel de Gand a déclaré l'appel recevable et fondé et a mis à néant le jugement entrepris, en tant qu'il ordonnait le dégrèvement de l'imposition proprement dite.

III. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen :

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;
- articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955 (M.B. du 19 août 1955, err. M.B. du 29 juin 1961) ;
- articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- article 20, alinéa 2, du Traité d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas, établi le 27 juin 1962 et approuvé par la loi du 1er juin 1964 (M.B. du 24 octobre 1967) ;
- article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale ;
- article 13 de la loi du 9 décembre 2004 sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d'informations à finalité judiciaire, l'entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l'article 90ter du Code d'instruction criminelle ;
- principe général du droit de bonne administration ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt dit recevable et fondé l'appel interjeté par le défendeur contre le jugement rendu le 4 décembre 2013 par le tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges, et met à néant ce jugement, sauf en ce qu'il dit recevable la demande formée par le demandeur.
L'arrêt ordonne le dégrèvement des cotisations enrôlées respectivement sous le numéro 975.678 pour l'exercice d'imposition 1997 et sous le numéro 706.672.138 pour l'exercice d'imposition 1998, chaque fois pour la partie qui constitue l'accroissement d'impôt, mais pas pour l'impôt proprement dit.
Le défendeur est condamné à restituer tous les montants perçus du chef des cotisations dégrevées, majorés des intérêts moratoires.
Chacune des parties étant condamnée à payer les dépens des deux instances, ils ne sont dès lors pas liquidés.
Le demandeur a fait valoir devant les juges d'appel que les pièces émanant de la banque Ferrier Lullin Luxembourg, qui fondent les cotisations litigieuses mises à sa charge, ont été obtenues illégalement auprès du directeur de la banque concernée, lors de son audition effectuée en exécution de la commission rogatoire émise depuis la Belgique dans le cadre de l'instruction judiciaire.
Le demandeur soutenait également que, dès lors que les pièces en question avaient été obtenues à la suite d'une perquisition opérée dans la banque concernée, il ne pouvait en être fait usage que moyennant l'accord de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg. Cet accord n'ayant jamais été sollicité, le demandeur estimait que les pièces en question avaient été obtenues de manière irrégulière et ne pouvaient donc servir à établir les cotisations litigieuses mises à sa charge.
Les juges d'appel ont rejeté cette défense.

Considérant que les pièces précitées pouvaient néanmoins être utilisées par le défendeur en tant que base pour les cotisations à l'impôt des personnes physiques contestées, ils ont motivé cette décision de rejet comme suit :
«3.2.2. [Le demandeur] invoque également le fait que les pièces émanant de la banque Ferrier Lullin Luxembourg, qui fondent les cotisations, ont été obtenues illégalement auprès de V. O., directeur de la banque, interrogé à l'époque dans le cadre de la commission rogatoire de la délégation belge.
[Le demandeur] affirme à raison que le sieur V. O. - lorsqu'il a été entendu le 15 juillet 1998 par un juge d'instruction luxembourgeois, en présence de son homologue belge (présent au Luxembourg avec les fonctionnaires de police chargés de mener l'enquête sur ATC sur commission rogatoire) - a remis les pièces jointes au procès-verbal numéro 55752 du 16 juillet 1999, sur la base desquelles les cotisations ont été établies, afin de donner suite à l'ordonnance de perquisition et de saisie qui avait été signifiée à la banque le 10 juin 1998. Tel était l'objet factuel de l'instruction menée par le tribunal correctionnel de Luxembourg dans le cadre de la citation directe que [le demandeur] et son frère H. avaient fait signifier au sieur V. O. du chef de la prévention de violation du secret bancaire par la remise de ces pièces. Le jugement rendu le 8 juin 2000 a prononcé l'acquittement du sieur V. O. du chef de cette prévention. Cet acquittement ne reposait pas exclusivement, comme l'allègue [le défendeur], sur la considération que le sieur V. O. ‘pouvait supposer qu'il était tenu de collaborer à l'enquête et que, par conséquent, il était exonéré de son obligation du secret bancaire'. La circonstance que le sieur V. O. n'avait apporté les pièces en question au cabinet du juge d'instruction que pour donner suite à l'ordonnance de perquisition et de saisie qui lui avait été signifiée et n'avait donc pas remis ces pièces volontairement, constituait un élément tout aussi essentiel à cet égard.
Dès lors qu'il s'avère que les pièces ont été remises par le sieur V. O. à la suite de la procédure de perquisition et de saisie exécutée auprès de la banque Ferrier Lullin Luxembourg, il ne pouvait en être fait usage que moyennant l'accord de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg.
Cette obligation résulte en effet des articles 20 et 24 du traité Benelux.

L'article 20, paragraphes 1er et 2, est libellé dans les termes suivants :
‘1. À la demande de la Partie requérante, la Partie requise saisira, dans la mesure permise par sa législation, et remettra les objets :
a) qui peuvent servir de pièces à conviction ;
b) qui, provenant de l'infraction, auraient été trouvés avant ou après la remise de la personne arrêtée ;
2. La remise est subordonnée à l'accord de la Chambre du Conseil du tribunal du lieu où les perquisitions et saisies ont été opérées qui décide s'il convient ou non de transmettre en tout ou partie, à la Partie requérante, les objets saisis. Elle peut ordonner la restitution des objets qui ne se rattachent pas directement au fait imputé au prévenu et statue, le cas échéant, sur la réclamation des tiers détenteurs ou autres ayants droit'.
L'article 24, paragraphe 2, du traité est libellé dans les termes suivants :
‘2. Toutefois, les commissions rogatoires qui tendent à faire opérer une saisie ou une perquisition ne seront exécutées que pour l'un des faits pouvant justifier l'extradition en vertu du présent Traité et sous la réserve exprimée au paragraphe 2 de l'article 20'.
Cet accord n'ayant pas été sollicité, il y a lieu de considérer qu'il s'agit d'une irrégularité commise dans la procédure visant l'obtention des pièces concernées.
[Le défendeur] invoque cependant à raison que cette violation ne peut faire obstacle à l'usage de ces pièces parce que ce procédé résiste au test de l''Antigone fiscal' (e.a. Cass. 22 mai 2015, R.G. F.13.0077.N, www.juridat.be). La circonstance que les faits sont antérieurs à cette jurisprudence est sans incidence à cet égard. Les principes de l''Antigone fiscal' font partie du droit en soi ; ils n'ont pas été ‘introduits' à un moment déterminé ou avec effet à un moment déterminé. Il a toujours été loisible au juge du fond d'apprécier s'il pouvait être fait usage de certains éléments probants.

Les questions à examiner en relation avec l''Antigone fiscal' sont les suivantes :
- ce mode d'obtention des pièces est-il contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration, de sorte que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible ?
ou
- l'utilisation des pièces met-elle en péril le droit du contribuable à un procès équitable ?
Il suffit que l'une de ces questions reçoive une réponse affirmative.
La cour [d'appel] a estimé qu'une autorité agissant selon le principe de bonne administration devait se rendre compte que, lorsqu'une banque luxembourgeoise remet des pièces contenant des informations concrètes sur les opérations bancaires d'un client, elle ne les transmet normalement pas sans la moindre formalité (et donc pas volontairement). Cette autorité devait donc savoir que le banquier avait remis les pièces en raison (et sous la pression) de la perquisition et de la saisie signifiées à la banque et que cette remise ne s'était donc pas effectuée volontairement. Toutefois, rien n'indique que cette autorité devait savoir que l'usage de ces pièces dans ces circonstances aurait dû être autorisé par une décision (complémentaire) de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg.
Indépendamment du point de savoir s'il est question d'une irrégularité purement formelle, l'usage des pièces ne doit, quoi qu'il en soit, pas être considéré ‘en toutes circonstances' comme inadmissible. Les pièces concernées s'inscrivaient en effet dans le cadre d'une enquête reprochant [au demandeur] et à son frère T. des infractions très graves et ce, en relation avec une fraude de type carrousel à la TVA. Le secret bancaire dont question n'était pas absolu. Le secret bancaire en vigueur au Luxembourg dérivait de l'application du secret professionnel, prévu à l'article 458 du Code pénal, aux travailleurs occupés dans le secteur financier par l'article 41 de la loi du 3 avril 1993 relative au secteur financier. Ledit article 458 correspond, en substance, à l'article 458 du Code pénal belge et est libellé dans les termes suivants : [...]
‘Art. 458.
Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens; sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie, qui\ hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de 10.000 francs à 50.000 francs)'.
L'article 41, alinéas 1er et 2, précité de la loi du 3 avril 1993 relative au secteur financier est libellé dans les termes suivants :
‘1. Les administrateurs, les membres des organes directeurs et de surveillance, les dirigeants, les employés et les autres personnes qui sont au service des établissements de crédit et des autres professionnels du secteur financier visé à la partie 1 de la présente loi, sont obligées de garder secrets les renseignements confiés à eux dans le cadre de leur activité professionnelle ou dans l'exercice de leur mandat. La révélation de tels renseignements est punie des peines prévues à l'article 458 du Code pénal.
2. L'obligation au secret cesse lorsque la révélation d'un renseignement est autorisée ou imposée par ou en vertu d'une disposition législative, même antérieure à la présente loi'.
Dans l'arrêt Der Weduwe du 10 décembre 2002, la Cour de justice de l'Union européenne énonçait la considération suivante au point 30 :
‘Selon le gouvernement luxembourgeois, ces dispositions auraient une portée extraterritoriale. Cela vaudrait aussi pour le principe existant en droit luxembourgeois selon lequel il y a exonération de la responsabilité pénale en cas de témoignage en justice. Selon le gouvernement luxembourgeois, la notion d'autorités judiciaires figurant à l'article 458 du Code pénal luxembourgeois ne couvre, en effet, pas seulement les autorités judiciaires luxembourgeoises, mais également celles des autres États membres. De même, l'inculpé peut révéler des informations couvertes par le secret bancaire en cas d'audition en justice' (CJUE, 10 décembre 2002, affaire 0153/00, www.curia.europa.eu).

En cette cause, le juge d'instruction de Turnhout avait posé une question préjudicielle concernant une affaire dans laquelle des charges, entre autres, de fraude fiscale avaient été retenues à l'encontre du prévenu. Tenant compte de l'interprétation des autorités luxembourgeoises selon laquelle le secret bancaire ne pouvait être opposé aux autorités judiciaires étrangères (belges), la Cour de justice n'a même pas jugé nécessaire de répondre à la question préjudicielle (voir point 37). Cette même interprétation a d'ailleurs été admise par le tribunal correctionnel de Luxembourg dans un jugement du 8 juin 2000 (page 19).
Dans ce contexte, il est, quoi qu'il en soit, improbable que la chambre du conseil n'eût pas autorisé les enquêteurs belges à emporter les pièces à titre d'éléments probants.
Par rapport à la gravité des préventions qui résultent de l'instruction, l'irrégularité n'est pas suffisamment grave pour faire obstacle à l'utilisation des pièces concernées.
Dès lors que les pièces n'ont rien révélé de plus que des faits réels (opérations financières) dont [le demandeur] a pu prendre connaissance (même dès 1998, ainsi qu'il ressort de la procédure menée devant le tribunal correctionnel de Luxembourg) et que ce dernier était, au même titre que son frère, mieux que quiconque informé des opérations (donc déjà auparavant), il n'y a pas lieu de considérer qu'il a été dans l'impossibilité de s'armer contre les conséquences liées aux informations qui y étaient contenues (en particulier pour [le défendeur] en sa qualité d'administration fiscale). [Le demandeur] a pu exposer sa défense par tous moyens de droit dans la réclamation et dans la phase judiciaire du présent contentieux fiscal. Par conséquent, les droits de la défense ont également été respectés.
Ce moyen est donc, lui aussi, non fondé. »
(arrêt, pages 12 à 16)

Griefs

Première branche

Les juges d'appel ont examiné la défense exposée par le demandeur quant à la légalité du procédé par lequel les pièces émanant de la banque Ferrier Lullin Luxembourg ont été utilisées pour établir les cotisations mises à sa charge.
Les juges d'appel ont d'abord constaté que ces pièces ont été obtenues à l'occasion d'une commission rogatoire adressée par la Belgique au Luxembourg.
Contrairement à ce que le défendeur a allégué devant le premier juge, les juges d'appel ont expressément considéré que les pièces concernées avaient été remises par le directeur de la banque concernée pour donner suite à l'ordonnance de perquisition et de saisie qui avait été signifiée à la banque le 10 juin 1998 (arrêt, p. 13, alinéa 1er).
Alors que le défendeur a toujours soutenu devant le juge du fond que ces pièces avaient été remises volontairement par le directeur de la banque concernée, les juges d'appel ont constaté à juste titre et de manière souveraine que le directeur de la banque n'avait apporté les documents concernés au cabinet du juge d'instruction que pour donner suite à l'ordonnance de perquisition et de saisie et que ces pièces n'avaient donc pas été remises volontairement (arrêt, p. 13, alinéa 1er).
C'est à juste titre qu'ils ont ensuite considéré que, dès lors qu'il s'avère que les pièces ont été obtenues par le biais d'une perquisition, il suit des articles 20 et 24 du traité Benelux qu'il ne pouvait en être fait usage qu'à la condition que la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg ait consenti à leur remise.
Les juges d'appel ont constaté que cet accord n'avait pas été sollicité et qu'il y avait donc lieu de considérer qu'il s'agissait d'une irrégularité commise dans la procédure visant l'obtention des pièces en question (arrêt, p. 14, alinéa 2).

Aux pages 14 à 16 de l'arrêt, les juges d'appel ont ensuite examiné quelle suite il convenait de réserver à cette irrégularité et se sont penchés en particulier sur la question de savoir si, de ce fait, les documents concernés n'auraient pas pu être utilisés à l'époque et s'ils ne pouvaient plus l'être désormais non plus.
Ce faisant, les juges d'appel ont considéré qu'il convenait d'appliquer la jurisprudence de Votre Cour relative à l''Antigone fiscal' et que le contrôle qui s'ensuivait impliquait l'examen de deux questions :
Ce mode d'obtention des pièces est-il contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration, de sorte que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible ?
L'utilisation des pièces met-elle en péril le droit du contribuable à un procès équitable ?
Dans le cadre de l'examen de la première question, les juges d'appel ont estimé qu'une autorité agissant selon le principe de bonne administration devait avoir conscience qu'un banquier ne remet normalement pas sans la moindre formalité (et donc pas volontairement) les pièces contenant des informations concrètes sur les opérations bancaires d'un client. Ils ont également considéré que cette autorité devait donc savoir que le banquier avait remis les pièces en raison de l'ordre de perquisition signifié à la banque et que cette remise ne s'était donc pas effectuée volontairement (arrêt, p. 14).
Dès lors que l'irrégularité constatée par les juges d'appel consiste en la circonstance que la prise de possession des pièces concernées n'a pas été suivie d'une demande d'assentiment du tribunal d'arrondissement de Luxembourg pour la transmission de ces pièces aux autorités belges, ces considérations, qui portent uniquement sur la question si l'autorité devait savoir que la remise des pièces avait eu lieu sous la contrainte, sont dénuées de pertinence. En effet, elles ne concernent pas les conséquences à relier à la faute constatée du défendeur.
S'agissant de l'irrégularité proprement dite, qui a été constatée par les juges d'appel et dont ils examinent les conséquences sur la procédure actuelle, ces derniers ont considéré : « Rien n'indique cependant que l'autorité était consciente que l'usage de ces pièces aurait dû, dans ces circonstances, être autorisé par une décision (complémentaire) de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg » (arrêt, p. 14, alinéa 5).
Les juges d'appel ont ensuite déduit de cette constatation que, indépendamment du point de savoir s'il est question d'une irrégularité purement formelle, l'usage des pièces ne devait, quoi qu'il en soit, pas être considéré en toutes circonstances comme inadmissible. Ils ont ajouté que les pièces s'inscrivaient dans le cadre d'une instruction reprochant des infractions très graves au demandeur et ce, en relation avec une fraude de type carrousel à la TVA (arrêt, p. 14).
Les juges d'appel ont encore ajouté que, d'une part, le secret bancaire n'était pas absolu au Luxembourg - élément dénué de pertinence car ne portant pas sur les conséquences de la faute consistant en l'absence d'accord du tribunal d'arrondissement de Luxembourg - et que, d'autre part, dans ce contexte, il est, quoi qu'il en soit, peu probable que la chambre du conseil n'eût pas autorisé les enquêteurs belges à emporter les pièces à titre d'éléments de preuve (arrêt, p. 14 à 16).
La législation fiscale ne contient aucune disposition générale interdisant l'utilisation d'une preuve obtenue illégalement en vue de déterminer une dette d'impôt et, s'il y a lieu, pour infliger un accroissement ou une amende.
L'utilisation par l'administration d'une preuve obtenue illégalement doit être contrôlée à la lumière des principes de bonne administration et du droit à un procès équitable : sauf lorsque le législateur prévoit des sanctions particulières, l'utilisation d'une preuve obtenue illégalement ne peut être écartée en matière fiscale que si les moyens de preuve ont été obtenus d'une manière qui est tellement contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible, ou si cette utilisation met en péril le droit du contribuable à un procès équitable. Lors de ce contrôle, le juge peut notamment tenir compte d'une ou de plusieurs des circonstances suivantes : le caractère purement formel de l'irrégularité, son incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, le caractère intentionnel ou non de l'illicéité commise par l'autorité et la circonstance que la gravité de l'infraction excède de manière importante l'illicéité commise.
Après avoir constaté que l'obtention et l'utilisation des pièces bancaires concernées étaient entachées d'une irrégularité, les juges d'appel ont constaté, dans le cadre de l'examen de l'admissibilité de ces éléments en matière fiscale :
que rien n'indique que l'autorité avait conscience que l'utilisation de ces pièces dans ces circonstances aurait dû être autorisée par une décision de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg ;
que les pièces s'inscrivaient dans le cadre d'une enquête reprochant des infractions très graves au demandeur et à son frère ;
qu'il est, quoi qu'il en soit, improbable que la chambre du conseil n'eût pas autorisé les enquêteurs belges à emporter les pièces à titre d'éléments de preuve ;
que, par rapport à la gravité des préventions révélées par l'instruction, l'irrégularité n'est pas suffisamment grave pour faire obstacle à l'utilisation des pièces concernées.
Le double contrôle Antigone effectué par les juges d'appel à la page 14 de l'arrêt attaqué porte sur deux questions, dont la seconde a trait au droit du contribuable concerné à un procès équitable.
Les constatations des juges d'appel, selon lesquelles les pièces s'inscrivaient dans le cadre d'une enquête reprochant des infractions très graves au demandeur, qu'il est, quoi qu'il en soit, peu probable que la chambre du conseil n'eût pas autorisé les enquêteurs belges à emporter les pièces à titre d'éléments de preuve et que, par rapport à la gravité des préventions révélées par l'instruction, l'irrégularité n'est pas suffisamment grave pour faire obstacle à l'utilisation des pièces concernées portent, comme c'est le cas, du reste, en cas d'application de l'article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, sur la question de savoir si l'irrégularité met en péril le droit du justiciable concerné à un procès équitable.
Partant, ces constatations des juges d'appel n'ont trait qu'à la seconde question posée, à savoir si l'utilisation des pièces a mis en péril le droit du demandeur à un procès équitable.
S'agissant de la première question, celle de savoir si le mode d'obtention des pièces est contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration, de sorte que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible, les juges d'appel se sont bornés à considérer que « rien n'indique que l'autorité était consciente que l'utilisation de ces pièces dans ces circonstances aurait dû être autorisée par une décision de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg » (arrêt, p.14, alinéa 5, in fine).
Ce faisant, les juges d'appel se sont bornés à constater qu'à ce moment précis, l'autorité ignorait qu'il fallait obtenir l'accord du tribunal d'arrondissement de Luxembourg. Ce fait, qui est incontestable, constitue précisément l'irrégularité.
Toutefois, cette constatation n'est pas suffisante pour répondre négativement à la première question posée par les juges d'appel. En effet, si selon l' 'Antigone fiscal', il faut apprécier si ce procédé est tellement contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration, que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible, les juges d'appel auraient dû examiner non seulement si, à ce moment, l'autorité était consciente de la nécessité d'obtenir l'accord du tribunal d'arrondissement de Luxembourg - cette omission constituant l'irrégularité - mais également si, nonobstant le fait qu'elle ne le savait pas à ce moment, il ne peut être attendu d'une autorité agissant raisonnablement selon le principe de bonne administration qu'elle aurait dû le savoir.
La simple constatation que l'autorité ignorait l'obligation légale et conventionnelle d'obtenir l'accord complémentaire du tribunal d'arrondissement de Luxembourg ne suffit pas lorsque le juge du fond n'examine pas aussi si l'autorité ne devait pas être consciente de cette obligation dans le cas d'espèce et ne le constate pas davantage.

La circonstance qu'à la suite d'une négligence, l'autorité n'applique pas une disposition légale qu'elle a édictée n'exclut pas, en effet, que cette circonstance révèle une faute grave et inexcusable au point de devoir considérer l'utilisation de la preuve en question comme inadmissible.
En effet, il est évident qu'une irrégularité commise par l'autorité à l'occasion du recueil de preuves, même si elle n'est pas intentionnelle et résulte d'une faute involontaire, peut être considérée selon les circonstances comme une négligence ou une faute inexcusable qu'une autorité agissant selon le principe de bonne administration n'est pas supposée commettre et que l'on ne saurait davantage accepter.
L'article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale laisse en effet expressément place pour la circonstance et la considération que l'irrégularité, même si elle n'a pas été commise intentionnellement, constitue une négligence inexcusable qui entraîne l'impossibilité d'utiliser la preuve en question à charge d'un justiciable.
Les juges d'appel se sont contentés de constater que l'autorité ignorait que l'utilisation de ces pièces aurait dû être approuvée par la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg, sans examiner si pareille attitude de l'autorité ne doit pas être considérée comme une faute inexcusable qui contraint à écarter la preuve ainsi obtenue.
En considérant que les moyens de preuve obtenus par l'autorité auprès de la banque concernée au Luxembourg pouvaient être utilisés, sans examiner si le comportement de l'autorité n'a pas eu pour effet qu'il constitue une négligence inexcusable s'opposant en toutes circonstances à leur usage, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision (violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, 13 de la loi du 9 décembre 2004 sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d'informations à finalité judiciaire, l'entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l'article 90ter du Code d'instruction criminelle, 20, alinéa 2, du Traité d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas, établi le 27 juin 1962 et approuvé par la loi du 1er juin 1964, du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense et du principe général du droit de la bonne administration).

Deuxième branche

Dans ses conclusions régulièrement déposées devant les juges d'appel, le demandeur exposait expressément sa défense concernant la licéité de l'usage à son détriment des pièces bancaires concernées.
Il soutenait non seulement qu'il ne pouvait être fait référence à l'arrêt de Votre Cour du 22 mai 2015, mais également que l'utilisation de ces pièces serait contraire à ce qui pouvait être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration. Il faisait expressément valoir à cet égard qu'il ressort de la jurisprudence Antigone en matière pénale que, lorsqu'il s'agit d'apprécier la question si l'utilisation de la preuve obtenue illégalement met en péril le droit à un procès équitable, la négligence inexcusable est assimilée au caractère intentionnel de l'illégalité commise.
Il soutenait également que l'illicéité avait donc été commise intentionnellement afin de refuser le droit de contrôle et qu'à tout moins, le juge d'instruction devait le savoir, ce qui rend inexcusable un tel degré de négligence.
Dans ses conclusions d'appel, le demandeur formulait cette défense dans les termes suivants :
« 79. C'est également à tort que [le défendeur] se réfère à l'arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2015, qui a admis le ‘test Antigone fiscal'. Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise :
‘ Sauf lorsque le législateur prévoit des sanctions particulières, l'utilisation d'une preuve obtenue illégalement ne peut être écartée en matière fiscale que si les moyens de preuve sont obtenus d'une manière tellement contraire à ce qui est raisonnablement attendu d'une autorité agissant correctement que cette utilisation doit en toutes circonstances être considérée comme inadmissible, ou si cette utilisation met en péril le droit du contribuable à un procès équitable.
Lors de cette appréciation, le juge peut notamment tenir compte d'une ou de plusieurs des circonstances suivantes : le caractère purement formel de l'irrégularité, son incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, le caractère intentionnel ou non de l'illégalité commise par l'autorité et la circonstance que la gravité de l'infraction excède de manière importante l'illégalité commise.'
Tout d'abord, [le demandeur] conteste l'applicabilité de cette (nouvelle) jurisprudence en l'espèce, dès lors que son application constituerait une méconnaissance de divers principes généraux du droit, à savoir :
- le principe général du droit relatif à la primauté de la règle de droit international à effet direct dans l'ordre juridique interne sur toutes les règles de droit national ;
- le principe général du droit selon lequel, lors de l'application du droit interne, le juge national doit interpréter la règle de droit national de manière à ce qu'elle soit conforme à la ou aux règles de droit international pertinentes à effet direct dans l'ordre juridique interne ;
- le principe général du droit international public selon lequel les conventions doivent être respectées (pacta sunt servanda) ;
- le principe général du droit international public selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ou nul ne peut profiter de son propre tort (nemo auditur suam turpidudinem allegans ou nemo ex propria turpitudine commodum capere potest) ;
- le principe général du droit international public selon lequel un fait illicite ne peut engendrer de droit (ex injuria jus non oritur).
Il suit de ces principes généraux du droit que l'autorité ne peut tirer profit de sa propre faute.

En outre, il résulte de l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que toute personne victime d'une violation de la Convention a droit à une réparation immédiate qui, en principe, doit consister en une restitutio in integrum.
Il est constant que l'action publique est apparue prescrite et inévitablement aussi que le délai raisonnable pour être jugé (article 6, § 1er, de la convention) a été dépassé. L'irrégularité invoquée par [le demandeur] date de 1998. À cette époque, la règle générale que la preuve obtenue illégalement en matière pénale devait toujours être écartée s'appliquait encore (cette règle n'ayant été revue en matière pénale qu'à partir du 14 octobre 2003).
Par conséquent, l'autorité ne peut absolument pas se prévaloir d'un nouveau revirement de la jurisprudence datant du 22 mai 2015, soit 17 ans après l'irrégularité commise et bien après le dépassement du délai raisonnable. En effet, l'autorité n'aurait pas pu invoquer cette jurisprudence si elle n'avait pas été d'abord elle-même à l'origine d'un dépassement du délai raisonnable.
Ensuite, [le demandeur] relève que, même en application de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, la preuve obtenue illégalement au Luxembourg devrait encore être écartée.
Force est en effet de constater que son usage serait contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration et mettrait également en péril le droit du contribuable à un procès équitable. Il y a lieu de retenir les considérations suivantes à cet égard :
- l'obligation d'obtenir l'accord de la chambre du conseil de Luxembourg concerne une formalité qui ne revêt pas du tout un caractère purement formel.
- l'inobservation de cette obligation a eu une incidence directe sur le droit protégé par la règle, à savoir le droit de contrôle par un juge indépendant et impartial du pays dans lequel la preuve est recueillie.
- il ressort de la jurisprudence Antigone en matière pénale que la négligence inexcusable est assimilée au caractère intentionnel de l'irrégularité commise (voir p. ex. Cass. 23 septembre 2008, RG P.08.0519.N, T.Strafr. 2009, 151, avec note de F. Schuermans). Il ressort des faits décrits par [le demandeur] que le juge d'instruction B. savait qu'il n'était pas question d'un acte volontaire et donc que le contrôle par la chambre du conseil de Luxembourg était requis. Partant, l'illégalité a été commise de manière intentionnelle afin de priver [le demandeur] du droit de contrôle. Étant donné qu'il aurait dû à tout le moins le savoir, un tel degré de négligence n'est pas excusable.
- Conformément à l'article 13 de la loi du 9 décembre 2004 sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d'informations à finalité judiciaire, l'entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l'article 90ter du Code d'instruction criminelle, il ne peut, d'ailleurs, être fait usage en Belgique d'éléments de preuve recueillis irrégulièrement à l'étranger lorsque l'irrégularité résulte, selon le droit de l'État dans lequel l'élément de preuve a été recueilli, de la violation d'une règle de forme prescrite à peine de nullité ; or, au moment où l'irrégularité a été commise, l'utilisation de la preuve obtenue illégalement au Luxembourg était absolument exclue (D. Spielmann & A. Spielmann, Droit pénal général luxembourgeois, Bruylant, 2002, p. 169).
- eu égard à la stricte protection dont bénéficiait le secret bancaire au Luxembourg à l'époque de l'irrégularité invoquée (1998), il est vraisemblable qu'un contrôle effectué par la chambre du conseil de Luxembourg aurait entraîné l'impossibilité d'utiliser les pièces remises par le sieur V. O. à titre de preuve ; se servir malgré tout de cette preuve lorsque le droit à ce contrôle judiciaire a été refusé [au demandeur] en raison d'une faute commise par l'autorité elle-même constituerait dès lors une violation du droit à un procès équitable. »
(conclusions d'appel du demandeur, p. 36 à 38)
Dans ses conclusions de synthèse régulièrement déposées devant les juges d'appel, le demandeur soutenait ainsi expressément que, même si l'autorité ignorait que l'usage de ces pièces aurait dû être approuvé par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, il convenait d'examiner s'il n'y avait pas lieu de considérer pareille attitude de l'autorité comme une faute inexcusable contraignant à écarter l'élément de preuve concerné. Le demandeur renvoyait expressément à cet égard à la jurisprudence de Votre Cour selon laquelle la négligence inexcusable est assimilée au caractère intentionnel de l'illégalité commise.
Dès lors que, ainsi qu'il est indiqué au moyen, en sa première branche, les juges d'appel se sont bornés à constater que l'autorité ignorait que l'utilisation de ces pièces devait être approuvée par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, sans examiner si pareille attitude constituait une faute inexcusable, ils n'ont, de la sorte, aucunement répondu à la défense que le demandeur exposait sur ce point dans ses conclusions de synthèse.
Ainsi, l'arrêt ne satisfait pas à la règle de forme prévue à l'article 149 de la Constitution.

Troisième branche

Les juges d'appel ont considéré que, vu le contexte, il est, quoi qu'il en soit, peu probable que la chambre du conseil n'eût pas autorisé les enquêteurs belges à emporter les pièces à titre d'éléments probants (arrêt, p. 16, alinéa 2).
Sur la base de ce motif, ils ont considéré que, même si leur obtention et leur remise aux autorités belges n'avaient pas été approuvées par la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg, les pièces bancaires concernées pouvaient effectivement être utilisées par les autorités fiscales afin d'établir une cotisation à charge du demandeur.
Ainsi que l'ont considéré les juges d'appel eux-mêmes, il convient tout d'abord d'examiner si la manière dont ces pièces ont été obtenues est contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration, de sorte que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible.
La simple considération qu'il est, quoi qu'il en soit, peu probable que la chambre du conseil n'eût pas autorisé les enquêteurs belges à emporter les pièces à titre d'éléments probants ne valide aucunement l'usage de ces pièces obtenues de manière irrégulière.

En effet, cette considération n'a trait ni à l'attitude d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration ni à la question de savoir si le droit du contribuable concerné à un procès équitable a été violé. Les juges d'appel se sont contentés d'exprimer une simple hypothèse qui ne peut aucunement être établie et qui est sans lien avec la question de savoir si l'autorité en question a agi selon le principe de bonne administration et si l'usage des pièces met en péril le droit du contribuable à un procès équitable.
Dans la mesure où ils ont donc autorisé l'usage des pièces bancaires concernées par les autorités fiscales en se fondant sur la simple hypothèse qu'il est, quoi qu'il en soit, peu probable que la chambre du conseil n'eût pas autorisé les enquêteurs belges à emporter les pièces à titre d'éléments probants, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision (violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, 13 de la loi du 9 décembre 2004, 20, alinéa 2, du Traité d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas, établi le 27 juin 1962 et approuvé par la loi du 1er juin 1964, du principe général du droit relatif à la protection des droits de la défense et du principe général du droit de la bonne administration).

Quatrième branche

L'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, adoptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.
L'article 8 de la Charte énonce, entre autres, que toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.
L'article 47 dispose que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
À l'instar de l'article 7 de la Charte, l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales porte sur le droit au respect de la vie privée, de la vie familiale, du domicile et de la correspondance.
En l'espèce, la communication d'informations bancaires se fondait sur le Traité Benelux du 27 juin 1962 précité. Ainsi que les juges d'appel l'ont constaté, les dispositions de ce traité ont été violées.
Même si toute violation de la loi n'entraîne pas forcément une violation de la vie privée, c'est cependant le cas lorsque la violation de la disposition légale est cruciale dans le cadre de la protection juridique de la vie privée.
L'obligation d'obtenir l'accord de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg pour la transmission des informations concernées visait manifestement à faire vérifier par un juge si l'acquisition de ces informations et leur transmission étaient légales et, en particulier, de vérifier si les objets saisis étaient effectivement en lien direct avec les faits mis à charge.
La communication d'informations bancaires relatives à des personnes physiques, tel le demandeur, constitue toujours une ingérence dans la vie privée. Il convient d'admettre que les données fiscales, à l'instar des données médicales, sont d'une nature sensible et par conséquent ont trait à la vie privée d'une personne physique.
Il s'ensuit que, lorsque le caractère légal de la remise de données bancaires à une autorité nationale est mis en question, il convient également de le vérifier à l'aune des dispositions des articles 8 de la Convention et 7 de la Charte. Il résulte en effet de ces dispositions que la remise de ces données n'est possible que moyennant le respect des procédures légalement prévues à cet effet.
Dans ce cadre, la Cour de justice de l'Union européenne a déjà expressément considéré que, si la juridiction nationale constate qu'un assujetti n'a pas eu la possibilité de contrôler les données obtenues ou que ces preuves ont été obtenues dans le cadre de la procédure pénale ou utilisées dans la procédure administrative en violation de l'article 7 de la Charte, ladite juridiction nationale doit écarter ces preuves et annuler ladite décision si celle‑ci se trouve, de ce fait, sans fondement.
Il est établi que les données bancaires remises aux autorités belges au Luxembourg se rapportent à la vie privée du demandeur. Les juges d'appel ont également constaté que la remise de ces données sensibles aux autorités belges ne s'est pas effectuée conformément aux modalités légalement prescrites et, en particulier, sans que la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg y consente.
Il s'ensuit que des données relatives à la vie privée du demandeur au sens des articles 8 de la Convention et 7 de la Charte ont été remises aux autorités belges et qu'elles ont servi à établir une cotisation fiscale sans l'accord nécessaire d'une autorité judiciaire de l'État dans lequel elles ont été recueillies et ce, bien que le Traité Benelux souligne expressément la nécessité d'obtenir cet accord.
La circonstance que les données concernées se rapportent à la vie privée du demandeur en tant que personne physique au sens des articles 8 de la Convention et 7 de la Charte et que ces données ont été remises aux autorités sans que la procédure prescrite ait été respectée justifie en soi la conclusion que, même en admettant que l'autorité ignorait la nécessité d'obtenir l'accord complémentaire du tribunal d'arrondissement de Luxembourg, la manière dont les données ont été remises viole un droit fondamental du demandeur.
En cas de violation d'un droit fondamental, il est donc impossible d'admettre, ce qu'ont fait pourtant les juges d'appel, que la manière dont les pièces ont été recueillies n'est pas contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration, de sorte que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible.
Les juges d'appel, qui ont néanmoins admis cette preuve et considéré que le défendeur pouvait utiliser les données bancaires et les pièces concernées pour établir les cotisations fiscales contestées à charge du demandeur, n'ont pas légalement justifié leur décision (violation de toutes les dispositions légales et de tous les principes généraux du droit cités au moyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution).

Second moyen

Dispositions légales violées

- article 327 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après C.I.R. 1992) ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Décisions et motifs critiqués

Dans ses conclusions régulièrement déposées devant les juges d'appel, le demandeur faisait valoir que le dossier répressif ne pouvait être communiqué qu'à un fonctionnaire chargé de l'établissement ou de l'enrôlement des impôts, que la qualité de la personne ayant concrètement consulté ce dossier répressif constitué à charge du demandeur n'apparaît pas en cette cause et qu'il n'est donc pas établi que le dossier a réellement été consulté par un fonctionnaire légalement qualifié.
Les juges d'appel ont considéré que ce droit de consultation peut être délégué et que cette délégation ne doit pas du tout être prouvée d'une manière formelle.
Ils ont également estimé que l'on est en droit de supposer que le greffe aura refusé de communiquer le dossier à des personnes non autorisées et que, cette communication ayant été effectuée, l'on peut en déduire qu'un fonctionnaire qualifié, en l'occurrence un fonctionnaire chargé de l'établissement de l'impôt, muni de l'autorisation requise, s'est présenté au greffe.
Cette décision des juges d'appel est motivée ainsi qu'il suit :
« 3.5. De l'article 327, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 - communication au fonctionnaire ayant reçu une autorisation expresse à cet effet.
Le texte de l'article 327, § 1er, alinéas 1er et 2, précité est libellé dans les termes suivants :
§ 1er. Les services administratifs de l'État, y compris les parquets et les greffes des Cours et de toutes les juridictions, les administrations des Communautés, des Régions, des provinces, des agglomérations, des fédérations de communes et des communes, ainsi que les établissements et organismes publics sont tenus, lorsqu'ils en sont requis par un fonctionnaire chargé de l'établissement ou du recouvrement des impôts, de lui fournir tous renseignements en leur possession, de lui communiquer, sans déplacement, tous actes, pièces, registres et documents quelconques qu'ils détiennent et de lui laisser prendre tous renseignements, copies ou extraits que ledit fonctionnaire juge nécessaires pour assurer l'établissement ou la perception des impôts établis par l'État.
Toutefois, les actes, pièces, registres, documents ou renseignements relatifs à des procédures judiciaires ne peuvent être communiqués sans l'autorisation expresse du procureur fédéral, du procureur général ou de l'auditeur général.
Il suit de l'article 327, § 1er, que le personnel du greffe ne peut donner communication qu'aux fonctionnaires des administrations de l'État chargés de l'établissement ou du recouvrement des impôts, qui sont en mesure de produire une autorisation du procureur général ou de l'auditeur général. L'on peut supposer que le greffe refuse de donner communication à des personnes non autorisées. Le personnel du Service public fédéral Justice est dûment formé et les instructions nécessaires existent en la matière. L'on peut donc déduire du fait que les pièces ont été communiquées qu'un fonctionnaire qualifié, en l'occurrence un fonctionnaire chargé de l'établissement des impôts, muni de l'autorisation requise, s'est présenté au greffe.
En outre, l'article 327, § 1er, autorise (implicitement) la délégation de la mission de consultation. [Le demandeur] renvoie certes au Com.IR 327/20, mais il passe manifestement sous silence qu'il y est expressément prévu que les receveurs, contrôleurs en chef, inspecteurs, directeurs adjoints et directeurs titulaires peuvent déléguer le droit de consultation à des suppléants ou remplaçants. Il faut aussi supposer que le contrôle au greffe s'est également déroulé dans les règles à cet égard. Quoi qu'il en soit, cette directive administrative n'a pas force de loi et ne peut faire obstacle à la règle générale selon laquelle le droit de consultation (qui implique également un droit de prendre copie) peut être délégué (Cass., 23 avril 1998, R.W. 1998-1999, 1158). Rien n'indique que la délégation doit être prouvée d'une manière formelle. Le fonctionnaire qualifié qui se présente au greffe doit pouvoir produire l'autorisation, laquelle peut révéler qu'il a été mandaté et, dès lors, délégué à cet effet. C'est donc à tort que [le demandeur] exige une preuve formelle de la qualité du ou des fonctionnaires venus consulter le dossier répressif et la preuve de la délégation dont ils étaient porteurs.
Ce moyen est, lui aussi, non fondé ».
(arrêt, p. 18 et 19)

Griefs

L'article 327 du Code des impôts sur les revenus 1992 détermine les modalités selon lesquelles l'administration fiscale peut obtenir communication d'un dossier répressif.
Il en ressort en particulier qu'il ne peut être donné communication d'un dossier répressif que moyennant l'autorisation expresse du procureur général, d'une part, et que cette communication doit être effectuée à un fonctionnaire chargé de l'établissement ou du recouvrement des impôts, d'autre part.
Il n'est pas contesté par les parties que l'administration a obtenu l'autorisation formelle de consulter le dossier répressif constitué à charge du demandeur.
Les juges d'appel ont considéré à raison qu'il résulte de l'article 327 dudit code que seuls les fonctionnaires chargés de l'établissement ou du recouvrement des impôts, qui sont en mesure de produire une autorisation du procureur général, peuvent recevoir communication du dossier répressif.
Ils ont également constaté que le présent dossier ne révèle pas la qualité exacte de la personne qui a reçu communication du dossier répressif.
Les juges d'appel ont déduit de la considération que le personnel du Service public fédéral Justice est dûment formé et que les instructions nécessaires existent en la matière que, le dossier ayant été communiqué, l'on est en droit de supposer qu'un fonctionnaire qualifié, en l'occurrence un fonctionnaire chargé de l'établissement des impôts, s'est présenté au greffe.
Il ressort de la disposition légale invoquée au moyen que la loi prescrit des conditions expresses concernant non seulement les modalités d'obtention de l'autorisation permettant d'obtenir communication du dossier répressif, mais également les modalités concrètes de cette communication. Pour être plus précis, il est expressément prescrit que c'est un fonctionnaire chargé de l'établissement ou du recouvrement des impôts qui doit prendre communication de ce dossier.
Le demandeur est dès lors en droit de demander au défendeur de fournir la preuve que le dossier judiciaire a effectivement été communiqué à un fonctionnaire possédant la qualité légalement requise.
Il ne peut raisonnablement être conclu du seul fait de la communication du dossier répressif et de l'absence de refus du personnel du greffe que cette communication a valablement été effectuée à un fonctionnaire compétent et chargé de l'établissement ou du recouvrement des impôts.
L'administration est tenue de prouver par tous moyens de droit que la communication du dossier a été effectuée à un fonctionnaire chargé de l'établissement et du recouvrement des impôts ayant reçu à cet effet l'autorisation expresse du procureur général ou de l'auditeur général.
La ratio legis de la condition de la communication du dossier judiciaire à un fonctionnaire fiscal d'un grade précis est de garantir que la collecte des preuves de la base imposable soit effectuée par une personne disposant de la formation et de l'expérience nécessaires lui permettant d'apprécier prima facie, lors de la consultation du dossier judiciaire et de l'examen des faits et éléments y contenus, si les éléments probants recueillis peuvent étayer valablement, le cas échéant, des cotisations à établir ou des impôts à recouvrer ultérieurement et si la récolte de ces éléments est nécessaire à l'établissement ou au recouvrement de ces impôts.
Les droits de la défense sont également violés lorsque le contribuable, à l'instar du demandeur, n'a pas la garantie et ne dispose pas de la preuve que le dossier répressif a été consulté par un fonctionnaire compétent disposant de la formation requise pour apprécier la pertinence des éléments présents à la lumière d'une éventuelle imposition ou de la défense en justice d'une imposition déjà établie.
Dans ces circonstances, les renseignements obtenus par la communication du dossier judiciaire ne sauraient fonder l'existence de revenus imposables.
Les juges d'appel se sont bornés à considérer que l'on peut partir du principe que le greffe refuse la communication du dossier à des personnes non qualifiées et l'ont déduit du seul fait que le dossier a été communiqué à un fonctionnaire légalement qualifié.
Ainsi, les juges d'appel devaient exiger que le défendeur produise la preuve que le dossier répressif avait effectivement été communiqué à un fonctionnaire investi de la compétence légale requise.
Dès lors qu'ils n'ont pas imposé la production de cette preuve au défendeur et ont déclaré la demande du demandeur partiellement non fondée sans que la preuve précitée ait été rapportée, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision (violation de toutes les dispositions légales citées au moyen).

IV. La décision de la Cour

Sur le second moyen :

1. Aux termes de l'article 327, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, les services administratifs de l'État, y compris les parquets et les greffes des Cours et de toutes les juridictions, les administrations des Communautés, des Régions, des provinces, des agglomérations, des fédérations de communes et des communes, ainsi que les établissements et organismes publics sont tenus, lorsqu'ils en sont requis par un fonctionnaire chargé de l'établissement ou du recouvrement des impôts, de lui fournir tous renseignements en leur possession, de lui communiquer, sans déplacement, tous actes, pièces, registres et documents quelconques qu'ils détiennent et de lui laisser prendre tous renseignements, copies ou extraits que ledit fonctionnaire juge nécessaires pour assurer l'établissement ou la perception des impôts établis par l'État.
Il ne suit pas de cette disposition que le fonctionnaire chargé de l'établissement ou du recouvrement des impôts doit pouvoir justifier d'un grade particulier ou prouver qu'il est habilité à enrôler l'impôt pour pouvoir consulter les actes, pièces, registres et documents qui y sont mentionnés ou en prendre copie. Cette disposition vise uniquement à imposer que les fonctionnaires sollicitant des renseignements ou consultant des documents agissent en vue d'établir ou de recouvrer des impôts, et non à d'autres fins.
2. Le moyen, qui repose sur un autre soutènement, manque en droit.

Sur le premier moyen :

Quant à la quatrième branche :

3. Le demandeur soutient que :
- la communication d'informations bancaires relatives à des personnes physiques constitue une ingérence dans la vie privée ;
- il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que la remise de ces données est subordonnée au respect des procédures légalement prévues à cet effet ;
- le fait que ces conditions n'ont pas été respectées en la présente cause justifie la conclusion qu'un droit fondamental du demandeur a été violé ;
- en cas de violation d'un droit fondamental, il est impossible d'admettre que la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis n'est pas contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration, de sorte que cette utilisation doit, en toutes circonstances, être considérée comme inadmissible.
4. La législation fiscale ne contient aucune disposition générale interdisant l'utilisation d'une preuve obtenue illégalement pour déterminer une dette d'impôt et, s'il y a lieu, pour infliger un accroissement ou une amende.
L'utilisation par l'administration d'une preuve obtenue illégalement doit être contrôlée à l'aune des principes de bonne administration et du droit à un procès équitable.
Sauf lorsque le législateur prévoit des sanctions particulières, l'utilisation d'une preuve obtenue illégalement ne peut être écartée en matière fiscale que si les moyens de preuve ont été obtenus d'une manière tellement contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration que cette utilisation doit en toutes circonstances être considérée comme inadmissible, ou si cette utilisation met en péril le droit du contribuable à un procès équitable.
Lors de ce contrôle, le juge peut notamment tenir compte d'une ou de plusieurs des circonstances suivantes : le caractère purement formel de l'irrégularité, son incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, le caractère intentionnel ou non de l'illégalité commise par l'autorité et la circonstance que la gravité de l'infraction excède de manière importante l'illégalité commise.
5. Il ne suit pas de l'article 8 de la Convention, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, que la preuve obtenue en méconnaissance de ce droit fondamental est toujours inadmissible.
Sauf lorsque la loi elle-même détermine les effets juridiques de la méconnaissance d'une formalité légalement prescrite relative à la protection de la vie privée, la circonstance que des éléments de preuve ont été obtenus au mépris d'une telle formalité n'implique pas, en matière fiscale, automatiquement et dans toutes les circonstances que ces éléments de preuve ont été obtenus d'une manière tellement contraire à ce qui peut être attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration que cette utilisation doit en toutes circonstances être considérée comme inadmissible.
Dans son appréciation, le juge est tenu, même lorsqu'une formalité garantissant la protection de la vie privée a été méconnue et qu'il y a donc violation de l'article 8 de la Convention, de mettre en balance l'intérêt public tenant à la correcte perception de l'impôt légalement dû et à la lutte contre la fraude fiscale, d'une part, et l'intérêt privé du contribuable à la protection de ses droits fondamentaux, d'autre part. À cet effet, il peut tenir compte d'une ou de plusieurs des circonstances énoncées au point 4.
6. Dans sa note en réponse du 8 mars 2018 aux conclusions du ministère public, le demandeur soutient que si, dans le cadre d'une taxation en matière d'impôt sur les revenus, il est admis en droit belge que des preuves obtenues au mépris d'un droit fondamental peuvent être admises selon les circonstances, cela entraîne une différence de traitement injustifié entre contribuables au regard du principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination, selon qu'ils font l'objet d'une taxation en matière d'impôt sur les revenus ou d'une perception de la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que, dans un arrêt du 17 décembre 2015 rendu dans la cause Webmindlicenses (C-419/14), la Cour de justice de l'Union européenne a considéré qu'il convient d'écarter les preuves obtenues au mépris d'un droit fondamental dans le cadre d'une perception de la taxe sur la valeur ajoutée.
Il demande dès lors que soit posée à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « L'article 327, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, sur la base duquel l'administration fiscale peut obtenir communication de pièces relatives à une procédure judiciaire, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus éventuellement en combinaison avec les articles 22 de la Constitution et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lorsque ledit article est interprété en ce sens que le juge du fond peut apprécier l'utilisation des pièces obtenues dans le cadre de cette disposition en violation du droit au respect de la vie privée, en contrôlant cette utilisation à la lumière des principes de bonne administration et du droit à un procès équitable, et qu'il crée ainsi une distinction injustifiée entre contribuables qui se savent l'objet d'une enquête portant sur des opérations imposables, selon que cette enquête est menée par l'administration compétente pour l'impôt sur les revenus ou qu'elle l'est par l'administration compétente pour la taxe sur la valeur ajoutée, puisque le juge du fond ne peut apprécier l'utilisation de pièces obtenues en violation du droit à la protection de la vie privée, dont l'administration compétente pour la taxe sur la valeur ajoutée a pris connaissance par la communication, de la même manière que dans le cadre de l'impôt sur les revenus, de pièces relatives à la procédure en application de l'article 93quaterdecies, § 1er, alinéa 2, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ? »
7. Dans un arrêt du 17 décembre 2015 rendu dans la cause Webmindlicenses (C-419/14) portant sur un redressement en matière de taxe sur la valeur ajoutée fondée sur des éléments issus d'une instruction non encore clôturée, lesquels avaient été obtenus par l'écoute de conversations téléphoniques et la saisie de courriels, la Cour de justice de l'Union européenne a notamment considéré que :
- s'agissant du droit à un recours effectif en justice garanti par l'article 47 de la Charte et les conséquences à tirer d'une violation des droits garantis par le droit de l'Union, il convient de rappeler qu'en vertu de cette disposition, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans les conditions prévues à cet article (considérant 86) ;
- l'effectivité du contrôle juridictionnel garanti par cet article exige que la juridiction qui procède au contrôle de la légalité d'une décision constituant une mise en œuvre du droit de l'Union puisse vérifier si les preuves sur lesquelles cette décision est fondée n'ont pas été obtenues et utilisées en violation des droits garantis par ledit droit et, spécialement, par la Charte (considérant 87) ;
- cette exigence est satisfaite si la juridiction saisie d'un recours contre la décision de l'administration fiscale procédant à un redressement de la taxe sur la valeur ajoutée est habilitée à contrôler que les preuves provenant d'une procédure pénale parallèle non encore clôturée, sur lesquelles est fondée cette décision, ont été obtenues dans cette procédure pénale en conformité avec les droits garantis par le droit de l'Union, ou peut, à tout le moins, s'assurer, sur le fondement d'un contrôle déjà exercé par une juridiction pénale dans le cadre d'une procédure contradictoire, que lesdites preuves ont été obtenues en conformité avec ce droit (considérant 88) ;
- lorsqu'il n'est pas satisfait à cette exigence et que, partant, le droit à un recours juridictionnel n'est pas effectif, ou en cas de violation d'un autre droit garanti par le droit de l'Union, les preuves obtenues dans le cadre de la procédure pénale et utilisées dans la procédure fiscale administrative doivent être écartées et la décision attaquée qui repose sur ces preuves doit être annulée si, de ce fait, celle‑ci se trouve sans fondement (considérant 89).
8. En revanche, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré à plusieurs reprises que l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne réglemente pas en soi l'admissibilité d'une preuve dans une procédure et que la détermination de ces règles relève au premier chef du droit interne (CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c. Zwitserland, § 46 ; CEDH, 9 juin 1998, Teixeira de Castro c. Portugal, § 34 ; CEDH, Grande chambre, 11 juillet 2006, Jalloh c. Allemagne, § 94 ; CEDH, 1er mars 2007, Heglas c. République tchèque, § 84 ; CEDH, 28 juillet 2009, Lee Davies c. Belgique, § 40 ; CEdH, Grand chambre, 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, § 162).
Il ressort néanmoins de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que l'utilisation, dans une procédure, d'une preuve obtenue illégalement peut conduire dans certaines circonstances à une violation du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6, § 1er, de la Convention. Pour apprécier l'éventuelle violation de ce droit, il convient d'examiner la procédure dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été obtenue, ce qui suppose également un examen de l'illégalité alléguée lors de l'obtention de la preuve et, lorsqu'il s'agit d'une violation d'un autre droit garanti par la Convention, également un examen de la nature de cette violation. À cet égard, il faut prêter attention en particulier à l'authenticité et à la qualité de la preuve et à son importance dans la cause concernée, ainsi qu'à la question si les droits de la défense ont été respectés, en ce sens que l'intéressé doit avoir eu la possibilité de contester l'authenticité et la qualité de la preuve (CEDH, 12 mai 2000, Khan c. Royaume-Uni, §§ 34-35 ; CEDH, 25 septembre 2001 ; P.G et J.H. c. Royaume-Uni, §§ 76-77 ; CEDH, 5 novembre 2002, Allan c. Royaume-Uni, §§ 42-43 ; CEDH, 1er mars 2007 ; Heglas c. République tchèque, §§ 85-86 ; CEDH, Grande chambre, 10 mars 2009, Bykov c. Russie, §§ 89-90).
Les arrêts précités, qui portent tous sur des éléments de preuve obtenus en violation de l'article 8 de la Convention, font apparaître, d'une part, que la Cour européenne des droits de l'homme considère que les articles 6 et 8 de la Convention ne réglementent pas l'admissibilité d'une preuve dans une procédure et, d'autre part, que l'utilisation d'une preuve obtenue en violation de l'article 8 de la Convention n'entraîne pas nécessairement une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6, § 1er, de la Convention.
Il résulte de cette jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que, dès lors qu'une preuve obtenue en violation d'une disposition légale visant à garantir le droit au respect de la vie privée n'est pas automatiquement nulle, le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention ne s'en trouve pas en soi violé.
9. Dans un arrêt du 31 janvier 2017, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré en outre que l'article 13 de la Convention, en vertu duquel toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal, ne commande pas en soi l'écartement des débats de la preuve obtenue en violation de l'article 8 de la Convention ou l'irrecevabilité des poursuites engagées sur la base de cette preuve (CEDH, 31 janvier 2017, Kalnéniené c. Belgique, § 61).
10. À la lumière, notamment, de la jurisprudence précitée, certes développée en matière pénale, la Cour considère qu'il apparaît nécessaire de soumettre à nouveau à la Cour de justice de l'Union européenne la question de savoir si l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que, dans les affaires concernant la taxe sur la valeur ajoutée, matière relevant du droit de l'Union, il s'oppose en toutes circonstances à l'utilisation d'éléments de preuve obtenus en méconnaissance du droit au respect de la vie privée garanti par l'article 7 de la Charte, ou s'il laisse place à une réglementation nationale dans le cadre de laquelle la juridiction qui doit apprécier si un tel élément de preuve peut être utilisé comme fondement pour une perception de la taxe sur la valeur ajoutée est tenue de procéder à un examen tel que précisé au point 4 de l'arrêt.
11. La Cour relève que, bien que la présente cause concerne l'impôt sur les revenus et que cette matière ne relève donc pas du droit de l'Union, la réponse à la question préjudicielle est nécessaire pour pouvoir se prononcer sur l'inégalité de traitement entre contribuables, alléguée par le demandeur, selon qu'ils font l'objet d'une taxation en matière d'impôt sur les revenus ou d'une perception de taxe sur la valeur ajoutée.
Avant de statuer, la Cour est donc tenue, conformément à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle formulée dans le dispositif de cet arrêt.

Par ces motifs,

La Cour

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée, par décision préjudicielle, sur la question suivante :
« L'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens que, dans les affaires concernant la taxe sur la valeur ajoutée, il s'oppose en toutes circonstances à l'utilisation d'éléments de preuve obtenus en méconnaissance du droit au respect de la vie privée garanti par l'article 7 de la Charte ou s'il laisse place à une réglementation nationale dans le cadre de laquelle la juridiction qui doit apprécier si un tel élément de preuve peut être utilisé comme fondement pour une perception de la taxe sur la valeur ajoutée est tenue de procéder à un examen tel que précisé au point 4 de l'arrêt ? »
Réserve la décision sur les dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Beatrijs Deconinck, président, le président de section Alain Smetryns et les conseillers Geert Jocqué, Bart Wylleman et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du vingt-huit juin deux mille dix-huit par le président de section Beatrijs Deconinck, en présence de l'avocat général Christian Vandewal, avec l'assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe.

Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.17.0016.N
Date de la décision : 28/06/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-06-28;f.17.0016.n ?

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