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19/06/2018 | BELGIQUE | N°P.15.1275.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 juin 2018, P.15.1275.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.15.1275.N
I. 1. Ö. A.,
2. A. A.,
3. S. M.,
4. Y. A.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Mes Hans Van Bavel et Elisabeth Baeyens, avocats au barreau de Bruxelles,
II. 1. ABSA, société anonyme,
2. M. SEDAT, société privée à responsabilité limitée,
3. ALNUR, société privée à responsabilité limitée,
prévenues et parties civilement responsable,
demandeurs en cassation,
Mes Hans Van Bavel et Elisabeth Baeyens, avocats au barreau de Bruxelles.



I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COU

R

Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 10 septembre 2015 par la cour d'appel d'Anvers, chambre corr...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.15.1275.N
I. 1. Ö. A.,
2. A. A.,
3. S. M.,
4. Y. A.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Mes Hans Van Bavel et Elisabeth Baeyens, avocats au barreau de Bruxelles,
II. 1. ABSA, société anonyme,
2. M. SEDAT, société privée à responsabilité limitée,
3. ALNUR, société privée à responsabilité limitée,
prévenues et parties civilement responsable,
demandeurs en cassation,
Mes Hans Van Bavel et Elisabeth Baeyens, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 10 septembre 2015 par la cour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.
Les demandeurs I et II invoquent deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Par arrêt du 7 juin 2016, la Cour a :
- déclaré irrecevables les pourvois des demandeurs dans la mesure où ils sont dirigés contre les acquittements prononcés en leur faveur ;
- posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.
Par arrêt C-359/16 du 6 février 2018, la Cour de justice a répondu à la question préjudicielle.
Les demandeurs I et II ont déposé une note en réponse à l'arrêt précité de la Cour de justice.
Le conseiller Antoine Lievens a fait rapport
L'avocat général Marc Timperman a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR
(...)
Sur le second moyen :

7. Le moyen est pris de la violation des articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après, « TFUE »), 4, § 3, du Traité sur l'Union européenne (ci-après, « TUE »), 13, § 1er, et 14, § 1er, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (ci-après, le règlement n° 1408/71), tel qu'applicable avant son abrogation par l'article 90, § 1er, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, 11, § 1er, sous a), du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (ci-après, le règlement d'application n° 574/72), tel qu'applicable avant son abrogation par l'article 96, § 1er, du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, 11, § 1er, et 12, § 1er, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après, le règlement n° 883/2004), 5 et 19, § 2, du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après, le règlement d'application n° 987/2009), 2, 3, 4, 5, 11, 12, 1°, et 13 à 18 de la loi du 30 avril 1999 relative à l'occupation des travailleurs étrangers, tel qu'applicable avant sa modification et son abrogation partielle par la loi du 6 juin 2010, 2, 4, 8 et 12bis de l'arrêté royal du 5 novembre 2002 instaurant une déclaration immédiate de l'emploi, en application de l'article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions (ci-après, l'arrêté royal du 5 novembre 2002), tel qu'applicable avant sa modification partielle par la loi du 6 juin 2010, 101, 175, § 1er, 181 et 223, § 1er, 1°, du Code pénal social, ainsi que de la méconnaissance du principe général de droit « fraus omnia corrumpit » : l'arrêt constate qu'un formulaire E 101 (aujourd'hui certificat A1) a été délivré à des travailleurs occupés en Belgique par l'intermédiaire de sociétés bulgares, et que les autorités belges n'ont pas complètement épuisé la procédure contentieuse, mais les juges d'appel ne se sont pas estimés liés par ces constatations qui ont été obtenues frauduleusement, par le biais d'une présentation des faits trompeuse, en vue de contourner les conditions auxquelles la réglementation communautaire subordonne le détachement ; un travailleur se déplaçant à l'intérieur de l'Union européenne est couvert par le régime de sécurité sociale d'un seul État membre ; en cas de détachement, il s'agit de l'État membre détachant ce travailleur ; à cette fin, l'institution désignée par l'autorité compétente de cet État membre établit un certificat concernant la législation à appliquer ; conformément au principe de coopération loyale, les institutions de l'État membre d'accueil sont liées par les informations contenues dans ce certificat ; lorsqu'une institution de l'État membre d'accueil a des doutes quant à la validité du certificat ou quant à l'exactitude des faits sur lesquels il est fondé, elle doit recourir à la procédure de dialogue et de conciliation prévue et, en cas d'échec, l'État membre d'accueil doit entamer une procédure d'infraction devant la Cour de justice ; l'effet contraignant du certificat ne peut être éliminé sans recourir à ces procédures ; en rejetant la validité et la véracité de la relation de travail attestée dans les certificats E101, alors qu'ils n'en avaient pas le pouvoir et étaient tenus d'en accepter l'exactitude, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision de déclarer établis les faits mis à charge des demandeurs.

8. Par l'arrêt C-359/16 du 6 février 2018, la Cour de justice a répondu comme suit à la question préjudicielle posée :
« L'article 14, point 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 631/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, et l'article 11, § 1er, sous a), du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque l'institution de l'État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l'institution émettrice de certificats E 101 d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et que l'institution émettrice s'est abstenue de prendre en considération ces éléments aux fins du réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, le juge national peut, dans le cadre d'une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de tels certificats, écarter ces derniers si, sur la base desdits éléments et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes, il constate l'existence d'une telle fraude ».

9. L'arrêt énonce les considérations suivantes :
- il ressort de l'enquête menée que les prévenus se sont délibérément prévalus, à titre abusif, des dispositions en matière de détachement afin de se soustraire frauduleusement à l'application du régime belge de sécurité sociale ;
- les quatre sociétés belges concernées, dirigées par les prévenus, occupaient des travailleurs bulgares en Belgique sous le prétexte qu'ils travaillaient pour des sociétés bulgares. Ces dernières travaillaient en sous-traitance pour les sociétés belges et détachaient les travailleurs concernés en Belgique alors qu'en réalité ces derniers étaient directement occupés par les sociétés belges, situation qui était camouflée par le système de fraude mis en place ;
- les travailleurs bulgares étaient détachés formellement, c'est-à-dire sur papier, sans que toutes les conditions requises à cet effet soient remplies. Ils n'avaient pas le lien organique requis avec la société détachante. La responsabilité du recrutement incombait aux sociétés belges, qui décidaient également du recrutement de personnel supplémentaire pour les sociétés bulgares. Ces dernières étaient des sociétés écrans, et les rôles d'employé et de gérant de ces sociétés étaient limités et purement administratifs. La nature du travail était exclusivement déterminée par les sociétés belges. Les salaires étaient également calculés et fixés en Belgique. Les sociétés bulgares n'exerçaient généralement pas d'activités, significatives ou non, en Bulgarie. Les factures de ces sociétés qui n'ont pas été adressées à l'une des sociétés belges représentent entre zéro et quelques pour cent seulement du chiffre d'affaires total ;
- il apparait qu'il existait bel et bien un lien de subordination entre les sociétés belges, qui avaient directement la possibilité d'exercer un contrôle et une surveillance hiérarchiques de l'exécution des prestations, et les travailleurs bulgares. Toutes les parties concernées savaient que le demandeur I.1 dirigeait les sociétés bulgares concernées dans les faits et sur le plan juridique et étaient largement informées de la réalité de la situation ;
- on ne peut raisonnablement admettre que tous les prévenus ne connaissaient pas les aspects essentiels de la construction frauduleuse mise en place, à laquelle ils ont tous, par l'intermédiaire des sociétés belges dont ils assuraient la gestion journalière, apporté sciemment et volontairement un concours direct et indispensable par leur comportement personnel ;
- il ne fait aucun doute qu'au stade de l'obtention de l'application de la réglementation communautaire concernée (dispositions en matière de détachement - certificats E 101) par les prévenus, ceux-ci ont agi frauduleusement de concert, de la manière et dans les circonstances spécifiques exposées ci-dessus, afin d'obtenir l'application de cette réglementation ;
- le droit objectif, à savoir l'acte juridique ou l'application des règles juridiques elles-mêmes, doit donc être complètement écarté sur la base du principe « fraus », de sorte qu'il ne peut en découler de droits subjectifs et que les prévenus ne peuvent se prévaloir en l'espèce du droit de l'Union européenne ;
- les certificats E 101 (A 1) invoqués ont été obtenus frauduleusement, au moyen d'une présentation des faits trompeuse et destinée à contourner les conditions auxquelles la réglementation communautaire subordonne le détachement ;
- malgré le respect formel des conditions imposées par le droit de l'Union européenne, l'objectif poursuivi par cette réglementation n'a pas été atteint et les prévenus ont agi dans le but d'obtenir l'avantage conféré par le droit de l'Union européenne en créant artificiellement des conditions ouvrant le droit à cet avantage ;
- est ainsi apparue une situation qui satisfaisait aux conditions d'un point de vue formel, mais sous le couvert de constructions frauduleuses dans le but d'en tirer un avantage que les prévenus n'auraient pas obtenu sans cette construction frauduleuse ;
- bien que, en l'espèce, le Service public fédéral sécurité sociale ait adressé en octobre 2012 à l'institution bulgare compétente une demande motivée de retrait des documents relatifs au détachement des travailleurs bulgares, l'institution requise n'a pas donné d'indication claire et motivée de sa décision de retirer ou non les documents, révélant ainsi le manque d'efficacité de la procédure en question, qui dépend largement de la bonne volonté de l'institution concernée. Les autorités bulgares compétentes ont pris un temps déraisonnablement long pour adopter une position motivée et n'ont produit qu'un rapport dénué de pertinence en l'espèce.

Il ressort de ces motifs que l'arrêt décide d'écarter les certificats E 101 à la suite d'une appréciation conforme aux critères énoncés dans l'arrêt C-359/16 de la Cour de justice du 6 février 2018, à savoir la composante objective et subjective de la fraude et de l'inaction des autorités bulgares et ce, dans une procédure au cours de laquelle les parties concernées ont pu faire valoir leurs moyens de défense. Ainsi, l'arrêt justifie légalement la décision.

Le moyen ne peut être accueilli.
(...)
PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Alain Bloch, Peter Hoet, Antoine Lievens et Erwin Francis, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-neuf juin deux mille dix-huit par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Marc Timperman, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.

Traduction établie sous le contrôle du conseiller Michel Lemal et transcrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.15.1275.N
Date de la décision : 19/06/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-06-19;p.15.1275.n ?

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