La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/06/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0422.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 juin 2018, C.17.0422.F


N° C.17.0422.F
S. D. C.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. L. D. M. et
2. F. D.,
défendeurs en cassation,
3. J. N.,
4. L. W.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les jugements rendus le 27 juin 2012 par le tribunal

de première instance de Charleroi et le 24 mai 2016 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant...

N° C.17.0422.F
S. D. C.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. L. D. M. et
2. F. D.,
défendeurs en cassation,
3. J. N.,
4. L. W.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les jugements rendus le 27 juin 2012 par le tribunal de première instance de Charleroi et le 24 mai 2016 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d'appel.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.

III. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée d'office au pourvoi par le ministère public conformément à l'article 1097 du Code judiciaire en tant qu'il est dirigé contre la défenderesse et déduite du défaut d'intérêt :

Le pourvoi ne critique pas la décision du jugement attaqué du 24 mai 2016 de déclarer irrecevables les appels incidents des troisième et quatrième défendeurs dirigés contre la défenderesse ni celle de déclarer non fondée la demande reconventionnelle de la demanderesse contre la défenderesse.
Même si le pourvoi dirigé contre le premier défendeur était accueilli, il n'en résulterait aucun effet quant à ces décisions.
La fin de non-recevoir est fondée.
Toutefois, l'appel de la défenderesse à la cause peut valoir demande en déclaration d'arrêt commun.

Sur le fondement du pourvoi :

Sur le premier moyen :

La nature indivisible du contrat de location implique uniquement que, lorsqu'un contrat de location est conclu par plusieurs preneurs ou bailleurs, les droits indivisibles résultant de ce contrat de location doivent être exercés ensemble par ces preneurs ou bailleurs à peine de non-validité de l'acte accompli.
De ce que deux personnes revendiquent la qualité de preneurs d'un bail à ferme dont l'existence est contestée par le bailleur, il ne se déduit pas que l'action de l'une d'elles en reconnaissance de ce bail constitue en soi l'exercice d'un droit indivisible.
Partant, la circonstance que l'action en reconnaissance d'un bail à ferme d'une de ces personnes soit déclarée irrecevable pour ne pas avoir été précédée de l'appel en conciliation prescrit par l'article 1345 du Code judiciaire n'entraîne pas nécessairement l'irrecevabilité de celle de l'autre.
Le moyen, qui repose sur le soutènement contraire, manque en droit.

Sur le second moyen :

En vertu de l'article 11, alinéa 1er, du Code judiciaire, les juges ne peuvent déléguer leur juridiction.
Suivant l'article 962 du même code, le juge peut, en vue de la solution d'un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d'un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d'ordre technique.
La mission confiée à un expert doit dès lors se limiter à recueillir les éléments de fait nécessaires pour permettre au juge d'appliquer les règles de droit pertinentes ; le juge ne peut charger l'expert de donner un avis sur le bien-fondé de la demande.
Pour apprécier si le juge charge l'expert de procéder à des constatations ou de donner un avis technique ou s'il délègue sa juridiction en ce qui concerne l'appréciation du bien-fondé du litige, il y a lieu d'examiner la formulation de la mission dans son ensemble et de tenir compte de tous les éléments propres à l'expertise, comme les motifs du jugement qui l'ordonne, la technicité de la mission et le contexte dans lequel l'expert est chargé de celle-ci. Il peut advenir que la question à laquelle l'expert est chargé de répondre d'un point de vue technique se confonde avec celle que doit trancher le juge sur le plan juridique.
Il ressort des pièces de la procédure qu'à l'appui de son action en reconnaissance de l'existence d'un bail à ferme relatif aux parcelles litigieuses d'une superficie d'environ 1 hectare 98 ares appartenant à la demanderesse, le premier défendeur a fait valoir qu'il a été convenu entre les parties que « le fermage serait payé en nature ».
Par le jugement entrepris du 12 septembre 2008, le juge de paix a considéré qu'« il résulte des débats que la compensation de l'exploitation de la parcelle consistait en l'ensemencement et les travaux relatifs à 40 ares de maïs », que, si le fermage « peut être donné en nature », « il faut cependant que le fermage en nature corresponde à un prix sérieux » et qu'« il ne dispose cependant pas d'élément suffisant pour apprécier si cette compensation représente un fermage sérieux ou non » et a désigné un expert avec la mission « d'évaluer le fermage constitué par l'ensemencement et le traitement de 40 ares de maïs et de dire si ce fermage peut être considéré comme sérieux en compensation de l'exploitation d'une terre de 1 hectare 98 ».
Dans ce contexte et eu égard à la volonté exprimée par le juge de paix de disposer des éléments suffisants pour apprécier si le fermage en nature correspond à un prix sérieux, en confiant à l'expert la mission de donner une appréciation technique se confondant en partie avec l'appréciation juridique du caractère sérieux de ce fermage, le juge de paix n'a pas délégué sa juridiction.
Partant, en confirmant ce jugement au motif que « l'on n'aperçoit pas en quoi la mission confiée à l'expert L. par le jugement du 12 septembre 2008 lui aurait délégué le soin de trancher une question juridique, dès lors qu'il s'agissait pour l'expert, au premier chef, ‘d'évaluer le fermage constitué par l'ensemencement et le traitement de 40 ares de maïs' et de donner un avis sur son caractère sérieux ‘en compensation de l'exploitation d'une terre de 1 hectare 98', le caractère technique des données à recueillir s'imposant à l'évidence », et en se fondant ensuite notamment sur les conclusions de ce rapport d'expertise, le jugement attaqué du 24 mai 2016 ne viole pas les dispositions légales visées au moyen.
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur les demandes en déclaration d'arrêt commun :

Le rejet du pourvoi prive d'intérêt les demandes en déclaration d'arrêt commun.
Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi et les demandes en déclaration d'arrêt commun ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille cinq cent cinquante-six euros quarante-deux centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du quinze juin deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M. Lemal D. Batselé Chr. Storck


Requête

1er feuillet

00170439
REQUETE EN CASSATION
POUR : S. D. C.,
demanderesse en cassation,
assistée et représentée par Me Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation soussigné, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, avenue Louise, 149 (bte 20), où il est fait élection de domicile.
CONTRE : 1. L.D. M. et
2. F. D.,
défendeurs en cassation,
3. J. N.,
4. L. W.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées à la cause pour s'entendre déclarer commun l'arrêt de la Cour à intervenir.
* *
* 2ème feuillet

A Messieurs les premier président et président, Mesdames et Messieurs les conseillers composant la Cour de cassation de Belgique.
Messieurs,
Mesdames,
La demanderesse en cassation a l'honneur de déférer à votre censure les jugements rendus en sa cause, le 27 juin 2012 par la troisième chambre du tribunal de première instance de Charleroi (aujourd'hui tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi) et le 24 mai 2016 par la troisième chambre du tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi, statuant contradictoirement et en degré d'appel (R.G. n°10/3763/A).
1. Les faits de la cause peuvent être résumés comme suit.
2. Les défendeurs sub 1 et 2 ont occupé une parcelle d'environ 1 ha 98 a située dans le parc classé du château ..., qui appartient à la demanderesse. En contrepartie de cette occupation, ils procédaient gratuitement à l'ensemencement d'une parcelle de 40 ares en maïs destiné à nourrir le gibier.
3. Un litige survint entre parties lorsqu'en 2004, les défendeurs sub 1 et 2 constatèrent que les lieux étaient occupés par les consorts W., parmi lesquels le défendeur en cassation sub 4.
Après que le défendeur sub 1 eut appelé la demanderesse en conciliation conformément à l'article 1345 du Code judiciaire, les défendeurs sub 1 et 2 assignèrent la demanderesse ainsi que le défendeur sub 3 et les consorts W. devant le juge de paix du 3ème canton de Charleroi aux fins de se faire reconnaître un bail à ferme sur la parcelle litigieuse et de faire expulser ceux qui, selon eux, l'occupaient sans titre ne droit.
Par jugement du 12 septembre 2008, le juge de paix du 3ème canton de Charleroi dit la demande du seul défendeur sub 1 recevable, la défenderesse sub 2 n'ayant pas satisfait au prescrit de l'article 1345 du Code judiciaire. 3ème feuillet

Enfin, par jugement du 27 octobre 2010, le juge de paix du 3ème canton de Charleroi dit la demande du défendeur sub 1 fondée à l'égard de la demanderesse et des défendeurs sub 3 et 4.
Il condamnait dès lors la demanderesse et les défendeurs sub 3 et 4 à lui restituer les parcelles litigieuses.
4. La défenderesse releva appel de ces décisions devant le tribunal de première instance de Charleroi.
Elle faisait valoir notamment qu'en raison du caractère indivisible du contrat de bail, la demande était irrecevable, à défaut pour les défendeurs sub 1 et 2 d'avoir, ensemble, appelé leur prétendue bailleresse en conciliation.
Elle contestait par ailleurs l'existence d'un bail en faisant valoir, parmi d'autres moyens, que l'occupation se faisait sans contrepartie sérieuse.
Par un premier jugement du 27 juin 2012, le tribunal de première instance de Charleroi (aujourd'hui tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi) confirma le jugement a quo du 12 septembre 2008 et ordonna la comparution personnelle des parties.
Par jugement du 16 avril 2015, le tribunal ordonna une réouverture des débats.
Enfin, par jugement du 24 mai 2016, le tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi dit l'appel de la demanderesse non fondé, confirma les jugements dont appel et toutes leurs dispositions concernant la demanderesse et avant faire droit sur la demande du défendeur en cassation sub 3 ordonna une mission d'expertise.
5. Au soutien du pourvoi qu'elle forme contre les jugements attaqués des 27 juin 2012 et 24 mai 2016, la demanderesse a l'honneur d'évoquer les moyens suivants. 4ème feuillet

PREMIER MOYEN DE CASSATION (dirigé contre le jugement attaqué du 27 juin 2012)
Dispositions légales violées
- Article 1345 du Code judiciaire ;
- Articles 1217 et 1709 du Code civil ;
- Article 1er de la section 3 du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil (« des règles particulières aux baux à ferme »)

Décisions et motifs critiqués
1. Le jugement attaqué du 27 juin 2012 (p.7) confirme dès à présent le jugement dont appel du 12 septembre 2008 en ce qu'il a dit la demande du défendeur en cassation sub 1 « fondée » (lire recevable).
Il rejette ainsi le moyen par lequel la demanderesse en cassation avait fait valoir, dans ses conclusions additionnelles d'appel (pp. 4 et 5), que la demande des défendeurs en cassation sub. 1 et 2, tendant à la reconnaissance à leur profit d'un bail à ferme sur une parcelle d'environ 1 ha 98 ares appartenant à la demanderesse en cassation et située dans le parc de son château, était irrecevable dans son ensemble au motif que la défenderesse en cassation sub 2 n'avait pas appelé la demanderesse en cassation en conciliation, conformément au prescrit de l'article 1345 du Code judiciaire, alors cependant que le bail était indivisible.
Le jugement attaqué du 27 juin 2012 fonde cette décision sur les considérations suivantes :
« Dans son jugement du 12 septembre 2008, le premier juge, après avoir constaté que Madame F. D. n'avait pas, préalablement à la citation introductive d'instance, appelé en conciliation les défendeurs, ainsi que le prescrit l'article 1345 du Code judiciaire, a dit sa demande irrecevable.
Contrairement à ce que soutient Madame D. C., aucune disposition du Code judiciaire, ni de la législation relative au bail à ferme, n'énonce que toute action engagée en matière de bail à ferme pour faire valoir des droits communs doit l'être au nom des deux co-preneurs. 5ème feuillet

Monsieur D. M. ayant préalablement à l'introduction de la présente cause, appelé à en conciliation les défendeurs, c'est à juste titre que le premier juge a reçu sa demande » (p. 5 in fine).
Griefs
1. Le contrat de bail, et donc de bail à ferme, est de nature indivisible (articles 1217 et 1709 du Code civil et article 1er de la section 3, du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil.

Cette nature indivisible implique que, lorsqu'un contrat de location est conclu par plusieurs preneurs ou bailleurs, les droits indivisibles résultant de ce contrat de location doivent être exercés ensemble par ces preneurs ou bailleurs à peine de non validité de l'acte accompli.
Il suit de là que la demande tendant à la reconnaissance du bail à ferme litigieux devait être introduite par les défendeurs en cassation sub 1 et 2 et ce, dans le respect de la procédure de conciliation préalable prescrite par l'article 1345 du Code judiciaire.
2. En rejetant dès lors la fin de non-recevoir que la demanderesse déduisait du caractère indivisible du bail et de l'article 1345 du Code judiciaire au motif que « aucune disposition du Code judiciaire, ni de la législation relative au bail à ferme, n'énonce que toute action engagée en matière de bail à ferme pour faire valoir des droits communs doit l'être au nom des deux co-preneurs » alors que cette exigence résulte du caractère indivisible du bail, le jugement attaqué du 27 juin 2012 ne justifie pas légalement sa décision (violation de toutes les dispositions visées au moyen).

La cassation du jugement du 27 juin 2012 entraine, par voie de conséquence, l'annulation des jugements des 15 avril 2015 et 24 mai 2016 qui en sont la suite.
Développements
Voy. Cass. 28 juin 2013, Pas. 2013, n° 404 et les conclusions de M. l'avocat général Van Ingelgem publiés aux AC sous le n° 404. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 1057. 6ème feuillet

SECOND MOYEN DE CASSATION (dirigé contre le jugement attaqué du 24 mai 2016)
Dispositions légales violées
- Articles 11 alinéa 1er et 962 du Code judiciaire.
- Articles 1709 du Code civil et 1er de la section 3 du chapitre II du titre VIII du Livre III du Code civil (« des règles particulières aux baux à ferme »).

Décisions et motifs critiqués
1. Le jugement attaqué du 24 mai 2016 dit non fondé l'appel principal de la demanderesse en cassation et confirme en conséquence les jugements dont appel dans toutes leurs dispositions concernant la demanderesse (p. 5).
2. Le jugement attaqué fonde ces décisions sur les motifs suivants :
« Quant à la valeur de ce fermage acquitté en nature, le Tribunal se rallie aux conclusions de l'expert L. et aux motifs judicieux du premier juge, tant en fait qu'en droit : si le montant du service pour cette superficie de 40 ares a été évalué par l'expert à 76 % du fermage légal, ce taux reste néanmoins significatif et suffisamment sérieux, ce que l'expert a confirmé lors de son audition par le premier juge en date du 03.06.2010, sans être démenti par aucune contre-analyse technique.
L'on n'aperçoit pas en quoi la mission confiée à l'expert L. par le jugement du 12.09.2008 lui aurait délégué le soin de trancher une question juridique, dès lors qu'il s'agissait pour l'expert, au premier chef, « d'évaluer le fermage constitué par l'ensemencement et le traitement de 40 ares de maïs » et de donner un avis sur son caractère sérieux « en compensation de l'exploitation d'une terre de 1 hectare 98 », le caractère technique des données à recueillir s'imposant à l'évidence. 7ème feuillet

En fonction de ce qui précède, les jugements dont appel seront confirmés, en ce que le premier juge a dit pour droit qu'un bail à ferme existe entre Madame S. D. C. et Monsieur L. D. M. relativement à la parcelle litigieuse » (p.4, al. 2 à 4).
Griefs
1. En vertu de l'article 11, alinéa 1er du Code judiciaire, les juges ne peuvent déléguer leur juridiction.

Suivant l'article 962 du même code, le juge peut, en vue de la solution d'un litige porté devant lui, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d'ordre technique.
La mission confiée à un expert doit dès lors se limiter à recueillir les éléments de fait nécessaires pour permettre au juge d'appliquer les règles de droit pertinentes. Le juge ne peut charger l'expert de donner un avis sur le bien fondé de la demande.
2. Le contrat de bail, fût-il un bail à ferme, suppose le paiement d'un loyer sérieux (article 1709 du Code civil et article 1er de la section 3 du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil).

3. Il suit de la combinaison de ces principes que lorsque dans un litige tendant à faire reconnaître à l'occupation d'un bien rural le caractère d'un bail à ferme dont l'existence est, comme en l'espèce, contestée à défaut de prix sérieux, le juge ne peut, sans déléguer sa juridiction, confier à un expert le soin non seulement de déterminer la valeur d'une prestation en nature de l'occupant au profit du propriétaire et ce qu'elle représente par rapport au fermage légal mais encore de donner un avis sur le caractère sérieux de ce « fermage » en nature, donc sur sa qualification au regard d'une règle de droit.

4. La demanderesse faisait valoir dans ses conclusions tant avant qu'après réouverture des débats « qu'il est clair qu'un expert ne pouvait pas donner corps, en droit, à une considération d'ordre essentiellement juridique, voire jurisprudentielle ou doctrinale » (conclusions d'appel après réouverture des débats, p. 11, c, et conclusions additionnelles d'appel, p. 10, c).
8ème feuillet

Le premier juge avait en effet, dans son jugement du 12 septembre 2008, désigné un expert avec « mission d'évaluer le fermage constitué par l'ensemencement et le traitement de 40 ares de maïs et de dire si ce fermage peut être considéré comme sérieux en compensation de l'exploitation d'une terre de 1ha 98 ».
Le jugement attaqué du 24 mai 2016 déboute la demanderesse de son appel aux motifs que si la valeur de l'ensemencement de 40 ares représentait 76 % du fermage légal, ce taux reste sérieux, ce que l'expert a confirmé et que l'on n'aperçoit pas en quoi le jugement du 12 septembre 2008 aurait délégué à l'expert le soin de trancher une question juridique dès lors qu'il s'agissait « d'évaluer le fermage constitué par l'ensemencement et le traitement de 40 ares de maïs » et de donner un avis sur son caractère sérieux « en compensation de l'exploitation d'une terre d'1 hectare 98 », le caractère technique des données à recueillir s'imposant à l'évidence.
5. En considérant de la sorte que le premier juge n'avait pas délégué sa juridiction en confiant à l'expert le soin de donner un avis sur le caractère sérieux du fermage qui aurait résulté de la prestation en nature des défendeurs sub 1 et 2 au motif que l'on n'apercevait pas en quoi l'expert aurait été appelé à se prononcer sur une question d'ordre juridique et en s'appuyant sur l'avis de l'expert sur ce point, le jugement attaqué du 24 mai 2016 ne justifie pas légalement sa décision (violation de toutes les dispositions légales visées au moyen).

Développements
Voy. dans une espèce analogue à l'espèce actuelle, Cass. 19 février 2010, Pas., 2010, n°112. 9ème feuillet

PAR CES CONSIDERATIONS,
l'avocat à la Cour de cassation soussigné, pour la demanderesse en cassation conclut, Messieurs, Mesdames, qu'il vous plaise, recevant le pourvoi, casser les jugements attaqués, ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge des jugements cassés, statuer comme de droit quant aux dépens et renvoyer la cause devant un autre tribunal de première instance siégeant en degré d'appel.
Bruxelles, le 18 juillet 2017
Pour la demanderesse en cassation,
son conseil,
Paul Alain Foriers
1. Déclaration pro fisco établie conformément à l'annexe à l'arrêté royal du 12 mai 2015 établissant le modèle de déclaration pro fisco visé à l'article 269 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe et fixant la date d'entrée en vigueur de la loi du 28 avril 2015 modifiant le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe en vue de réformer les droits de greffe ;

2. Il sera joint à la présente requête en cassation, lors de son dépôt au greffe de la Cour, l'original de l'exploit constatant sa signification aux défendeurs en cassation.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C.17.0422.F
Date de la décision : 15/06/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Louage de chose ; bail à ferme ; notion ; nature de la législation


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-06-15;c.17.0422.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award