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08/06/2018 | BELGIQUE | N°C.18.0010.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 juin 2018, C.18.0010.F


N° C.18.0010.F
1. P. A. V. P. et
2. C. M. O. P. D. S.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Louvain, Koning Leopold I-straat, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

S. S.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 26 septembre 2016 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, statuant en degré d'appel.
Le président de section

Christian Storck a fait rapport.
Le premier avocat général André Henkes a conclu.

II. Le moyen de ca...

N° C.18.0010.F
1. P. A. V. P. et
2. C. M. O. P. D. S.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Louvain, Koning Leopold I-straat, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

S. S.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 26 septembre 2016 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, statuant en degré d'appel.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
Le premier avocat général André Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 3, 19, tant dans sa version antérieure que dans sa version postérieure à sa modification par la loi du 28 février 2014 modifiant l'article 19 du Code judiciaire relatif à la réparation d'erreurs matérielles ou d'omissions dans les jugements, ainsi qu'à l'interprétation des jugements, 794 et 794/1 du Code judiciaire ;
- article 3 de la loi du 28 février 2014 modifiant l'article 19 du Code judiciaire relatif à la réparation d'erreurs matérielles ou d'omissions dans les jugements, ainsi qu'à l'interprétation des jugements ;
- article 4 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires ;
- article 6 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué confirme le jugement entrepris sous la seule émendation qu'il condamne les demandeurs solidairement au paiement, au titre d'arriérés de loyers, de 3.750 euros majorés des intérêts judicaires du 12 novembre 2010 jusqu'au paiement, aux motifs suivants :
« 1. Qualité de locataire et authenticité du contrat de bail du 1er novembre 2009
[Les demandeurs] reconnaissent avoir occupé le bien litigieux en qualité de locataires mais contestent avoir signé le contrat de bail daté du 1er novembre 2009 ;
À la suite de la plainte avec constitution de partie civile qu'ils ont déposée le 24 juin 2010, les signatures figurant sur le contrat de bail ont été examinées par un expert graphologue ;
Dans son rapport du 20 octobre 2011, l'expert a conclu à l'authenticité des signatures [des demandeurs]. Ceux-ci ont invoqué la nullité de l'expertise mais l'argument a été écarté tant par la chambre du conseil que par la chambre des mises en accusation ;
Toutes deux ont estimé que l'instruction avait été complète et qu'il n'existait pas de charges suffisantes de l'infraction de faux et usage de faux en écritures imputée au [défendeur] ;
C'est dès lors en vain que [les demandeurs] persistent à nier l'authenticité du contrat de bail invoqué par [le défendeur] à l'appui de sa demande ;

2. Fin de bail - Arriérés de loyers - Indemnité de résolution
2.1. [Les demandeurs] soutiennent avoir procédé au paiement de la totalité des loyers dont le paiement leur est réclamé ;
Conformément à l'article 1315, alinéa 2, du Code civil, il leur incombe de rapporter la preuve des paiements qu'ils prétendent avoir effectués ;
Les règles légales de la preuve, et notamment l'article 1341 du Code civil, sont applicables non seulement à la formation du contrat mais aussi à l'extinction des obligations (Cass., 2 mars 1973, Pas., I, 1973, 617 ; J.P. Jumet, 29 septembre 1999, J.L.M.B., 2001, 909) ;
[Les demandeurs] ne produisent aucun écrit ni commencement de preuve par écrit des paiements qu'ils invoquent ;
La preuve par présomption n'est dès lors pas admissible ;
En outre, aucune présomption de paiement ne peut être déduite de l'article 4 du contrat de bail prévoyant que la remise des clés n'aura lieu qu'après le paiement du premier mois de loyer ;
2.2. Durant leur occupation du bien loué, [les demandeurs] n'ont payé aucun loyer. Ils ont quitté les lieux sans préavis et sans communiquer leur nouvelle adresse ;
Cette attitude fautive justifie que la résolution du bail soit prononcée à leurs torts et qu'ils soient condamnés au paiement de l'indemnité de relocation contractuelle de 2.250 euros ;
[Les demandeurs] affirment avoir quitté les lieux le 5 mars 2010 avec l'accord [du défendeur] ;
[Le défendeur] ne précise pas la date à laquelle il a réceptionné les clés, mais celle-ci est nécessairement antérieure au 16 avril 2010, date de la seconde lettre de son conseil ;
Il n'indique pas non plus la date de prise d'effet du bail conclu avec le locataire suivant, dont il ne produit pas de copie. La seule information dont dispose le tribunal à cet égard est qu'un état des lieux d'entrée locative a été établi avec celui-ci le 25 avril 2010 ;
[Le défendeur] ayant pu disposer du bien à partir du 1er avril 2010, le loyer de ce mois n'est pas dû par [les demandeurs] ».

Griefs

1. L'article 19 du Code judiciaire dispose :
« Le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi.
Le juge qui a épuisé sa juridiction sur une question litigieuse ne peut plus en être saisi, sauf exceptions prévues par le présent code ».
L'alinéa 2 de l'article 19 a été inséré par la loi du 28 février 2014 modifiant l'article 19 du Code judiciaire relatif à la réparation d'erreurs matérielles ou d'omissions dans les jugements, ainsi qu'à l'interprétation des jugements.
Cet alinéa est venu préciser et rappeler la règle du dessaisissement, selon laquelle le juge qui a épuisé sa juridiction sur une question litigieuse ne peut plus en être saisi.
Par épuisement de juridiction, il y a lieu de comprendre que, à peine d'excès de pouvoir, le juge ne peut faire droit qu'une seule fois sur le litige dont il est saisi. Cette règle s'adresse au juge et lui interdit de statuer à nouveau une fois sa décision prise sur une question litigieuse.
Ce principe du dessaisissement résultant d'un jugement définitif sur une question litigieuse est une règle d'ordre public.
2. L'alinéa 2 de l'article 19 du Code judiciaire est entré en vigueur le 3 février 2014 et ce, en vertu de l'article 3 de la loi du 28 février 2014.

Cet article 3 de la loi du 28 février 2014 se réfère à l'entrée en vigueur de la loi du 24 octobre 2013 modifiant le Code judiciaire concernant la réparation d'erreurs matérielles ou d'omissions dans les jugements ainsi que l'interprétation des jugements, elle-même entrée en vigueur dix jours après sa publication au Moniteur belge du 24 janvier 2014 en vertu de l'article 4 de la loi du 31 mai 1961, soit le 3 février 2014.
3. S'agissant d'une règle de procédure, l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire est, en vertu de l'article 3 de ce code, immédiatement applicable aux procédures en cours, étant entendues comme celles pour lesquelles une décision n'est pas encore rendue à la date d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
L'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire s'applique donc depuis le 3 février 2014 à toutes les procédures dans lesquelles une décision n'a pas encore été rendue à cette date.
4. Bien que, par jugement prononcé par défaut le 12 mai 2010, le juge de paix du premier canton de Bruxelles eût condamné solidairement les demandeurs au paiement de la somme de 5.250 euros à titre d'arriérés de loyers (mai 2010 inclus), eût prononcé la résolution du contrat de bail à leurs torts et griefs, les eût condamnés à déguerpir des lieux litigieux sous peine d'en être expulsés au besoin avec l'aide de la force publique et les eût condamnés solidairement au paiement de 2.250 euros à titre d'indemnité de résolution ainsi qu'aux intérêts judiciaires et aux dépens, le défendeur a introduit devant ce même juge de paix contre les demandeurs une nouvelle procédure ayant le même objet, à savoir le paiement d'arriérés de loyer et la résolution du bail en vertu du même contrat de bail relatif au même immeuble.
Alors qu'il était tenu de s'abstenir, en vertu de l'article 19, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire, de statuer une nouvelle fois sur les mêmes demandes du défendeur, sur lesquelles il s'était déjà définitivement prononcé et avait, partant, épuisé sa juridiction par son jugement du 12 mai 2010, le juge de paix a, par jugement du 15 mai 2014, déclaré la demande du défendeur recevable et a condamné les demandeurs.

6. Le jugement attaqué confirme la décision du juge de paix sous la seule émendation qu'il condamne solidairement les demandeurs au paiement, au titre d'arriérés de loyers, de 3.750 euros majorés des intérêts judicaires du 12 novembre 2010 jusqu'au paiement, alors qu'il devait constater que le juge de paix avait commis un excès de pouvoir, les alinéas 1er et 2 de l'article 19 du Code judiciaire ne permettant plus de statuer sur la demande du défendeur ayant le même objet que celle ayant déjà donné lieu au jugement par défaut du 12 mai 2010.
7. Il s'ensuit qu'en confirmant le jugement entrepris sous la seule émendation de l'importance des arriérés de loyers, le jugement attaqué s'accapare l'excès de pouvoir (violation de l'article 19, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire) dont est entaché le jugement entrepris, rendu après l'entrée en vigueur, le 3 février 2014 (violation des articles 794 et 794/1 du Code judiciaire, 3 de la loi du 28 février 2014 et 4 de la loi du 31 mai 1961), de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (violation de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, inséré par la loi du 28 février 2014), ce dernier étant une disposition d'ordre public (violation de l'article 6 du Code civil) et une loi de procédure immédiatement applicable (violation de l'article 3 du Code judiciaire).

III. La décision de la Cour

Le dessaisissement est l'effet qui s'attache au jugement par lequel le juge épuise sa juridiction sur une question litigieuse et qui, à peine de commettre un excès de pouvoir, lui interdit, dans la même cause et entre les mêmes parties, de statuer à nouveau sur cette question.
Cet effet se distingue de l'autorité de la chose jugée qui, aux conditions précisées à l'article 23 du Code judiciaire, permet à une partie de s'opposer à ce qu'il soit à nouveau statué sur une question litigieuse qui a déjà été jugée entre les mêmes parties dans une autre cause.

En insérant dans l'article 19 du Code judiciaire, après l'alinéa 1er, qui consacre l'effet de dessaisissement du jugement définitif, un deuxième alinéa aux termes duquel le juge qui a épuisé sa juridiction sur une question litigieuse ne peut plus en être saisi, sauf les exceptions prévues par ce code, l'article 3 de la loi du 28 février 2014 modifiant l'article 19 du Code judiciaire relatif à la réparation d'erreurs matérielles ou d'omissions dans les jugements, ainsi qu'à l'interprétation des jugements, n'a pas entendu modifier la notion du dessaisissement, qu'il n'a pu confondre avec l'autorité de la chose jugée, mais a souhaité rappeler cet effet du jugement définitif pour souligner la stricte interprétation qu'appellent les dispositions des articles 794 et 794/1 du même code qui permettent au juge qui a rendu ce jugement de l'interpréter, de le rectifier ou de le compléter.
Le moyen, qui soutient que l'effet de dessaisissement d'un jugement définitif s'étend à une cause autre que celle dans laquelle il a été rendu, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de trois cent quatre-vingt-neuf euros soixante-deux centimes en débet envers les parties demanderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du huit juin deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Lemal D. Batselé Chr. Storck


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C.18.0010.F
Date de la décision : 08/06/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Jugements et arrêts ; matière civile ; généralités


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-06-08;c.18.0010.f ?

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