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01/06/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0465.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 01 juin 2018, C.17.0465.F


N° C.17.0465.F
VLAAMSE MILIEUMAATSCHAPPIJ, dont le siège est établi à Alost, Dokter De Moorstraat, 24-26,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile,
contre

CHIMAC, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Seraing (Ougrée), rue de Renory, 26 (bte 2),
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre

l'arrêt rendu le 30 novembre 2016 par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de...

N° C.17.0465.F
VLAAMSE MILIEUMAATSCHAPPIJ, dont le siège est établi à Alost, Dokter De Moorstraat, 24-26,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile,
contre

CHIMAC, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Seraing (Ougrée), rue de Renory, 26 (bte 2),
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2016 par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 7 mai 2015.
Le 15 mai 2018, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat général Michel Nolet de Brauwere a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

L'article 10.2.2 du décret de la Région flamande du 5 avril 1995 contenant des dispositions générales concernant la politique de l'environnement confère à la demanderesse la mission de contribuer à la réalisation, d'une part, des objectifs de la politique de l'environnement, visée à l'article 1.2.1, § 1er, de ce décret, en prévenant, en réduisant et en supprimant les effets nocifs pour les systèmes d'eau et la pollution de l'atmosphère, d'autre part, des objectifs de la politique intégrée de l'eau, visée à l'article 5 du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 sur la politique intégrée de l'eau.
En vertu de l'article 10.2.3 du décret du 5 avril 1995, la demanderesse a pour mission de contribuer à la politique intégrée de l'eau, visée à l'article 4 du décret du 18 juillet 2003, et elle accomplit cette tâche en effectuant notamment les activités énoncées audit article 10.2.3.
Suivant l'article 6, 1°, du décret du 18 juillet 2003, lors de la préparation, l'établissement, l'exécution, le suivi et l'évaluation de la politique intégrée de l'eau, la Région flamande, les services et agences qui dépendent de la Région flamande, les administrations, ainsi que les personnes morales de droit public et de droit privé chargées dans la Région flamande de tâches d'utilité publique, tiennent compte du principe que le pollueur paie, sur la base duquel les frais des mesures en vue de la prévention, la diminution et la lutte contre les effets nocifs ainsi que les frais de réparation de ces dommages sont à charge du responsable.
Il s'ensuit que les frais de telles mesures ne doivent pas rester définitivement à charge de la demanderesse et qu'elle peut en réclamer le remboursement à l'auteur des actes de pollution.
L'arrêt attaqué énonce que la demanderesse réclame à la défenderesse la somme de 14.504 euros « représentant le coût des analyses sur des échantillons d'eau potabilisable effectuées jusqu'en septembre 2007 et d'heures et frais de déplacement surnuméraires de son personnel » et que cette demande est « justifiée [...] par la localisation des prélèvements d'échantillons et le résultat de leurs analyses après la pollution du 30 juillet 2007 jusqu'en septembre et [...] par les fiches de salaire de celui-ci ».
Après avoir relevé que la défenderesse estime que la demanderesse « n'aurait fait que réaliser son objet social légal précisé par l'article 10.2.2 du décret » du 5 avril 1995, il considère que « le fait que [la demanderesse dispose] d'un personnel chargé de la protection de l'environnement, [...] dans [le domaine] de l'eau potabilisable, n'implique pas la charge des prestations ‘extraordinaires' résultant d'une pollution causée par un tiers à charge pour [elle] de démontrer la réalité de celles-ci et leur lien causal avec la pollution », que « la règle de la réparation intégrale du dommage implique le rétablissement de la victime dans l'état où elle serait demeurée en l'absence de faute » et que la demanderesse « ne justifie aucunement du nombre et du lieu des prélèvements et analyses qu'elle aurait effectués en l'absence de la pollution causée par [la défenderesse], en manière telle qu'aucun dommage n'est prouvé dans son chef ».
Par ces énonciations, d'où il ressort qu'aux yeux de la cour d'appel, les frais litigieux ne constituent un dommage réparable que pour ce qui excède les frais que la demanderesse aurait de toute façon dû engager dans le cadre de sa mission légale, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision de déclarer non fondée la demande de la demanderesse de remboursement desdits frais.
Le moyen est fondé.

Sur le second moyen :

L'arrêt attaqué considère qu'« ont été expressément exclus de la cassation les dispositifs de l'arrêt [de la cour d'appel de Liège du 24 avril 2013] relatifs à la recevabilité de l'appel, à la faute de [la défenderesse] et à l'indemnisation des frais de traduction ‘demandée par la [...] demanderesse' », que « la cassation prononcée sur la base de la violation des articles 1382 et 1383 du Code civil vise à la fois le dommage et son lien causal avec la faute, éléments liés indivisiblement par le seul libellé de ces dispositions légales, indivisibilité confirmée par la cour d'appel de Liège au point 4 de sa décision : ‘quant au lien causal et au dommage' », et que « cette analyse ne vaut cependant que pour les demandes [de la Région flamande et de la demanderesse] relatives aux prestations de leur personnel et aux prélèvements et analyses de l'eau, seules visées par la cassation, en manière telle que la question des frais de traduction, dispositif distinct du dispositif cassé, est exclue de la saisine de la cour [d'appel de Mons] », et il déclare statuer « dans les limites de sa saisine ».
Il s'ensuit qu'en déclarant confirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit la demande de la demanderesse non fondée, l'arrêt attaqué ne confirme pas ce jugement en ce qu'il se prononce sur les frais de traduction.
Le moyen, qui procède d'une interprétation inexacte de l'arrêt attaqué, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il déclare non fondée la demande de la demanderesse en remboursement des frais de prélèvement et d'analyse et qu'il statue sur les dépens entre la demanderesse et la défenderesse :
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Condamne la demanderesse à la moitié des dépens ; en réserve l'autre moitié pour qu'il soit statué sur celle-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.
Les dépens taxés à la somme de huit cent soixante-cinq euros nonante-deux centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Didier Batselé, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du premier juin deux mille dix-huit par le conseiller faisant fonction de président Didier Batselé, en présence de l'avocat général Michel Nolet de Brauwere, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M.-Cl. Ernotte M. Lemal D. Batselé

Requête
POURVOI EN CASSATION

POUR : La VLAAMSE MILIEUMAATSCHAPPIJ, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0887.290.276, dont le siège est établi à 9300 Aalst, Dokter De Moorstraat 24-26,

Demanderesse en cassation, assistée et représentée par Me. Huguette Geinger, avocat à la Cour de Cassation, dont le ca¬binet est établi à 1000 Bruxelles, rue Quatre Bras 6, chez qui il est fait élection de domicile,

CONTRE: La société privée à responsabilité limitée CHIMAC, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0403.054.004, dont le siège est établi à 4102 Seraing (Ougrée), rue de Renory 26,b.1 (cette société est dénommée « SA Chimac » en l'arrêt entrepris, mais la « société anonyme » Chimac a été transformée en 2015 en une « société privée à responsabilité limitée » (Annexes de Moniteur belge du 17 avril 2015)),

Défenderesse en cassation.


* * *

A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Mes¬sieurs les Conseillers, composant la Cour de Cassation,

Messieurs,
Mesdames,

La demanderesse a l'honneur de déférer à la censure de Vo¬tre Cour l'arrêt, rendu le 30 novembre 2016 par la vingt et unième chambre de la Cour d'appel de Mons (2016/RG/103).

La demanderesse sollicite la cassation de l'arrêt de la Cour d'appel de Mons en ce qu'il statue sur sa demande. Le pourvoi ne concerne pas la décision concernant la demande de la Région flamande.

RETROACTES

1. La défenderesse est une entreprise de l'industrie chimique, qui produit des pesticides. Elle rejette ses eaux usées dans la Meuse, après que celles-ci aient été épurées via une station d'épuration, se trouvant sur son site d'exploitation.

Les installations de la défenderesse comprennent un COT-mètre, situé en aval des deux tours à charbon actif. Celui-ci prélève l'eau trai-tée et analyse la quantité de composés organiques totaux. En cas de dépasse¬ment de la valeur de 300 mg C/L, il génère une alarme et arrête automatique¬ment la station d'épuration.

Le 31 juillet 2007, à la suite d'un problème technique, le COT-mè-tre a continué à indiquer une valeur inférieure à 300 mg C/L et la station d'épuration ne s'est pas arrêtée automatiquement. L'eau polluée aurait dû être stockée dans le bassin d'homogénéisation, mais ce bassin avait été mis hors service en raison de travaux, de sorte que l'eau polluée a été directement re¬jetée dans la Meuse.

La pollution, entraînant des dégâts piscicoles très importants, a outrepassé les limites administratives de la région wallonne, amenant les auto¬rités flamandes à se prémunir au mieux des suites éventuelles qu'elle pouvait comporter.

La Vlaamse Milieumaatschappij (société flamande pour l'environnement), qui a la compétence décrétale de surveiller la qualité des eaux de surface en Flandre, a dès lors effectué une série de prélèvements d'échantillons et d'analyses supplémentaires dans les cours des eaux tou¬chés. Les monitorings pratiqués ont eu pour but de suivre la vague de pollu¬tion dans le temps et dans l'espace afin notamment de mettre le cas échéant hors service les installations de pompage de la sa Antwerpse Waterwerken qui potabilisent l'eau à Oelegem et Walem.

En outre et pendant plusieurs jours, les gardes des Eaux et Forêts (Agentschap voor Natuur en Bos) de la Région flamande ont dû assurer une permanence renforcée et avertir les pêcheurs de ne pas emporter leur prise.

2. Le 10 septembre 2010, la Région flamande et la Vlaamse Milieumaatschappij ont lancé citation contre la défenderesse afin d'obtenir réparation de leur dommage.

Le dommage de la Région flamande se concrétise par les démar-ches qui ont dû être réalisées pour procéder à la sensibilisation du monde de la pêche et des autres usagers des eaux, les patrouilles de surveillance, par le coût d'échantillons d'analyse et de déplacement de techniciens et biologistes sur place, les frais des expertises, ainsi que le coût de la coordination, de la direction et du suivi des différentes démarches. Le dommage de la Vlaamse Milieumaatschappij correspond aux coûts d'analyse, au coût surnumé¬raire du personnel ainsi qu'aux frais de déplacement.

En son jugement du 7 septembre 2011, le tribunal de première instance de Liège considéra que la responsabilité de la pollution incombe à la défenderesse sur la base de l'article 1382 du Code civil, mais décida que la Région flamande et la Vlaamse Milieumaatschappij ne démontrent pas avoir subi un dommage en lien causal avec la faute commise par la défenderesse. Le tribunal débouta partant la Région flamande et la Vlaamse Milieumaatschappij de leurs demandes.

3. La Région flamande et la Vlaamse Milieumaatschappij ont interjeté appel de ce jugement, que la Cour d'appel de Liège a déclaré partiellement fondé en son arrêt du 24 avril 2013.

La Cour d'appel condamna la défenderesse à payer 3.087,50 EUR, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 15 avril 2009, à la Région fla¬mande, et 2.318,11 EUR, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 16 juil¬let 2010, solidairement à la Région flamande et à la Vlaamse Milieumaatschappij.

4. La Région flamande et la Vlaamse Milieumaatschappij ont formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 24 avril 2013.

Par arrêt du 7 mai 2015 (C.14.0011.F), Votre Cour a cassé l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel, qu'il statue sur la faute commise par la défenderesse et sur l'indemnisation des frais de traduction demandée par la Vlaamse Milieumaatschappij.

Votre Cour renvoya la cause, ainsi limitée, à la Cour d'appel de Mons.

5. En son arrêt du 30 novembre 2016, la Cour d'appel de Mons confirma le jugement dont appel en ce qu'il a reçu les demandes et dit la demande de la demanderesse non fondée. La Cour mit le jugement à néant pour le surplus et dit fondée la demande de la Région flamande. Elle condamna ainsi la défenderesse à payer à la Région flamande la somme de 7.843 EUR, majorée des intérêts moratoires au taux légal à dater de la mise en demeure du 15 avril 2009 jusqu'à complet paiement et des frais et dépens.

6. La demanderesse estime pouvoir présenter à l'encontre de l'arrêt du 30 novembre 2016 les moyens de cassation, développés ci-après.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Dispositions et principe général du droit violés

- les articles 1382 et 1383 du Code civil,
- l'article 6,5° du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 « betreffende het integraal waterbeleid » (décret relatif à la politique intégrée de l'eau),
- les articles 10.2.1, 10.2.2 et 10.2.3 du décret de la Région flamande du 5 avril 1995 « houdende algemene bepalingen inzake milieubeleid » (décret portant des dispositions générales en matière de politique environnementale),
- les articles 7 et 10 du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 « kaderdecreet bestuurlijk beleid » (décret-cadre sur la politique administrative),
- article 15 de l'arrêté du gouvernement flamand du 10 octobre 2003 « besluit van de Vlaamse regering tot regeling van de delegatie van beslissingsbevoegdheden aan de hoofden van de intern verzelfstandigde agentschappen van de Vlaamse overheid » (arrêté réglant la délégation de compétences des décision aux chefs des agences autonomes internes), tel qu'en vigueur avant son abrogation par l'arrêté du 30 octobre 2015,
- l'article 16 de l'arrêté du gouvernement flamand du 30 octobre 2015 « Besluit van de Vlaamse Regering tot regeling van de delegatie van beslissingsbevoegdheden aan de hoofden van de departementen en van de intern verzelfstandigde agentschappen » (arrêté réglant la délégation de compétences des décision aux chefs des départements et des agences autonomes internes),
- le principe général du droit du pollueur-payeur, selon lequel les frais de réparation des dommages causés à l'environnement sont à charge des responsables.

Décision attaquée

Dans l'arrêt du 30 novembre 2016, la Cour d'appel de Mons confirme le jugement dont appel, rendu par le tribunal de première instance de Liège en date du 7 septembre 2011, en ce qu'il déclare la demande de la demanderesse non fondée.

La Cour d'appel déclare ainsi non fondée la demande de la demanderesse tendant à entendre condamner la défenderesse à lui payer la somme de 14.504 EUR, à majorer des intérêts moratoires au taux légal à dater du 15 avril 2009, et fonde sa décision sur les motifs suivants :

« DISCUSSION

A. Les demandes actuellement réduites aux sommes principales de 7.843 euro pour (la région flamande) et 14.504 euro pour (la demanderesse).

1- Ces dépenses doivent-elles rester définitivement à charge (de la région flamande et de la demanderesse) ?

L'article 6,5° du décret la Région Flamande du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau consacre le principe du « pollueur-payeur » selon lequel « les frais de réparation des dommages causés sont à charge des responsables ».

(La défenderesse) estime qu'il ne s'agit pas d'une norme suffisamment claire et précise pour servir de base au recours d'un pouvoir public en réparation du dommage subi et que d'autres dispositions décrétales seraient nécessaires pour qu'elle devienne génératrice de droit, à défaut de reconnaissance d'une subrogation dans son chef.

Cette analyse méconnaît le principe général de droit d'ordre public écologique que constitue la règle du pollueur-payeur consacrée par plusieurs normes de droit international telles le traité CE (articles 191 §2) et la Directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

2-Sont-elles constitutives d'un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil ?

(La région flamande et la demanderesse), entités distinctes aux missions différentes précisées lors de leur création (...), estiment à juste titre que le fait qu'elles disposent d'un personnel chargé de la protection de l'environnement, la première dans le domaine de la pêche et des usagers des eaux et la seconde dans celui de l'eau potabilisable, n'implique pas la charge des prestations «extraordinaires » résultant d'une pollution causée par un tiers à charge pour elles de démontrer la réalité de celles-ci et leur lien causal avec la pollution.

Leurs réclamations se détaillent comme suit :

- Pour la Région Flamande, Agence de la Nature et des Forêts (...)

- pour (la demanderesse), Société flamande de l'Environnement créée par le décret du 7 mai 2004 modifiant celui du 5 avril 1995 avec pour mission notamment de réaliser les objectifs de la politique intégrée de l'eau en inventoriant les facteurs de pollution dans les systèmes d'eau et les sources de celle-ci : 14.504 euro représentant le coût des analyses sur des échantillons d'eau potabilisable effectuées jusqu'en septembre 2007 et d'heures et frais de déplacement surnuméraires de son personnel.

Ces demandes sont justifiées pour (la région flamande), par des relevés détaillés des prestations de son personnel et, pour la (demanderesse), par la localisation des prélèvements d'échantillons et le résultat de leurs analyses après la pollution du 30 juillet 2007 jusqu'en septembre et, pour (la région flamande et la demanderesse), par les fiches de salaire de celui-ci.

(La défenderesse) estime que certaines de ces prestations ne constituent pas un travail supplémentaire par rapport à l'activité régulière du personnel de l'ANB (lire : Agentschap voor Natuur en Bos, Agence de la Nature et des Forêts) et s'en tient au montant lui alloué par la cour d'appel de Liège.

Quant à (la demanderesse) elle n'aurait fait que réaliser son objet social légal tel que précisé par l'article 10.2.2 du D.A.B.M.14 soit supprimer les effets nocifs pour les systèmes hydriques, la pollution de l'atmosphère et les nuisances environnementales en collectant les données et informations utiles.

La règle de la réparation intégrale du dommage implique le rétablissement de la victime dans l'état où elle serait demeurée en l'absence de faute.

En l'espèce, les pièces déposées par (la région flamande) et ses explications du modus operandi postérieur à la pollution constituent des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir que les prestations réclamées n'auraient pas été effectuées en l'absence de celle-ci.

Par contre, (la demanderesse) ne justifie aucunement du nombre et du lieu des prélèvements et analyses qu'elle aurait effectués en l'absence de la pollution causée par (la défenderesse) en matière telle qu'aucun dommage n'est prouvé dans son chef » (arrêt, pp. 5-7).

La Cour d'appel condamne la demanderesse à payer à la défenderesse les indemnités de procédure des deux instances liquidées à la somme de 2.200 EUR chacune.

Griefs

1.1 En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui cause à autrui un dommage par sa faute, est tenu d'indemniser intégralement ce dommage, ce qui implique le rétablissement du préjudicié dans la situation où il serait demeuré si l'acte dont il se plaint, n'avait pas été commis.

1.2 L'existence d'une obligation contractuelle, légale ou réglemen¬taire n'exclut pas l'existence d'un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil, sauf s'il résulte du contenu ou de la portée du contrat, de la loi ou du rè¬glement que la dépense ou la prestation doit rester définitivement à charge de celui qui s'y est obligé ou qui doit l'exécuter en vertu de la loi ou du règlement.

Il appartient au juge d'apprécier si, en fonction de la teneur ou de la portée du contrat, de la loi ou du règlement, les dépenses doivent, oui ou non, rester définitivement à charge de celui qui les a supportées.

1.3 La circonstance qu'une administration publique dispose de personnel chargé de la protection de l'environnement en cas de pollution, quelle qu'en soit la cause, n'implique pas que la charge des frais de protection de l'environnement doit être supportée par cette administration lorsque la pol¬lution est causée par la faute d'un tiers.

2. La Cour d'appel de Liège a décidé en son arrêt du 24 avril 2013 (pp. 4-5, n° 3) que la pollution litigieuse est due à la faute de la défenderesse :
« Il ne fait aucun doute que la responsabilité de (la défenderesse) est bien engagée sur la base de l'article 1382 du code civil.
En effet, c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le comportement de (la défenderesse) avait été particulièrement léger au regard du risque qu'elle prenait de fermer son bassin d'homogénéisation sans contrôler de manière suffisante les rejets d'eaux usées dans la Meuse, au point d'être restée plusieurs heures avant de se rendre compte du dysfonctionnement, laissant ainsi échapper plus ou moins 900 litres de produits nocifs lesquels auraient tué plus de 20 tonnes de poissons.
(...)
(la défenderesse) s'est rendue coupable d'une faute en ne prenant pas toutes les mesures adéquates pour éviter une pollution suite à la mise hors service du bassin d'homogénéisation et en ne contrôlant pas le COT mètre qui s'est avéré défectueux. Elle est responsable de la pollution qui résulte de plusieurs négligences dans le processus de stockage des produits extrêmement nocifs, de leur fabrication ou conditionnement et de l'absence de contrôle suffisant de ses installations d'épuration.
La faute (est) établie sur base de l'article 1382 du code civil (...) ».

Cette décision n'a pas été cassée par l'arrêt de Votre Cour du 7 mai 2015. La Cour d'appel de Mons constate à juste titre dans son arrêt du 30 novembre 2016 (p. 4, al. 5) que le dispositif de l'arrêt de la Cour d'appel de Liège relatif à la faute de la défenderesse a été expressément exclu de la cassation.

3. Dans ses « conclusions principales après renvoi » (pp. 7 et s.), la demanderesse exposa que
- Votre Cour estime qu'elle est fondée à réclamer le remboursement des prestations effectuées par la faute de la défenderesse, sauf si en fonction de la teneur ou de la portée du contrat, de la loi ou du règlement, les dépenses doivent rester à sa charge,
- la circonstance qu'une administration publique dispose d'un personnel chargé de la protection de l'environnement en cas de pollution n'implique pas que la charge des frais de protection de l'environnement doive être supportée par cette administration lorsque la pollution est causée par la faute d'un tiers.

La demanderesse exposa qu'elle avait été créée par le décret du 12 décembre 1990 qui en faisait un Service public flamand et qu'elle a ensuite été transformée en une agence interne autonome par le décret du 7 mai 2004, et que les dispositions suivantes sont applicables :
- l'article 10.2.1 D.A.B.M. (décret du 5 avril 1995 portant des dispositions générales en matière de politique environnementale ; decreet houdende algemene bepalingen inzake milieubeleid), qui stipule que la demanderesse dispose de la personnalité juridique,
- l'article 10.2.2 D.A.B.M., suivant lequel la demanderesse a pour mission de contribuer à la réalisation des objectifs de la politique environnementale visée à l'article 1.2.1, §1er du D.A.B.M. en prévenant, en réduisant et en supprimant les effets nocifs pour les systèmes hydriques, la pollution de l'atmosphère, et la réalisation des objectifs de la politique intégrée de l'eau, visée à l'article 5 du D.I.W.B. (Décret du 18 juillet 2003 sur la politique intégrée de l'eau ; decreet betreffende integraal waterbeleid),
- l'article 10.2.3, §1er du D.A.B.M., qui stipule que la demanderesse doit notamment accomplir cette tâche en effectuant la collecte, l'évaluation et les traitements des données et d'informations,
- l'article 6,5° du décret du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau, qui stipule :
« Lors de la préparation, l'établissement, l'exécution, le suivi et l'évaluation de la politique intégrée de l'eau, la Région flamande, les services et agences qui dépendent de la Région flamande, les administrations, ainsi que les personnes morales de droit public et de droit privé chargées dans la Région flamande de tâches d'utilité publique, tiennent compte des principes suivants : (...)
5° Le principe que ‘le pollueur paie', sur base duquel les frais des mesures en vue de la prévention, la diminution et la lutte contre les effets nocifs ainsi que les frais de réparation de ces dommages sont à charge du responsable »,
- le décret-cadre sur la politique administrative (décret du 18 juillet 2003 - Kaderdecreet bestuurlijk beleid), qui dispose
- article10, §1er : Des agences autonomisées internes dotées de la personnalité juridique sont des personnes morales chargées de tâches de mise en œuvre de la politique, qui sont soumises à l'autorité du gouvernement flamand mais qui disposent d'une autonomie opérationnelle telle que visée à l'article 7 ;
- article 7 : Les agences autonomisées internes disposent d'une autonomie opérationnelle. (...)
2°. l'organisation de processus opérationnels en vue de la réalisation des objectifs convenus ;
(...)
4°. l'utilisation des moyens disponibles pour
a) le fonctionnement de l'agence ;
b) la réalisation des objectifs et des tâches l'agence »,
- l'article 15 de l'arrêté du gouvernement flamand du 10 octobre 2003 réglant la délégation de compétences de décision aux chefs des agences autonomisées internes (besluit van de Vlaamse regering tot regeling van de delegatie van de beslissingsbevoegdheden aan de hoofden van de intern verzelfstandigde agentschappen van de Vlaamse overheid ; aujourd'hui remplacé par l'article 16 de l'arrêté du 30 octobre 2015) :
« Le chef de l'agence a délégation pour
1°. commettre des avocats et pour approuver et payer le montant des honoraires et des frais indemnisables des avocats ;
2°. plaider, soit en demandant, soit en défendant, soit en intervenant, devant les cours et tribunaux, les collèges juridictionnels administratifs et la Cour des Comptes, à l'exception des actions en justice devant la Cour d'arbitrage ;
cette délégation comprend :
a) l'exercice d'actions en justice ;
b) tous les actes de procédure requis ;
c) le recours contre des jugements ou arrêts, ou éventuellement l'acquies-cement à des jugements ou arrêts ».

4. Il résulte des dispositions citées par la demanderesse en ses conclusions principales après renvoi, et plus particulièrement de l'article 6,5° du décret du 18 juillet 2003, qui consacre le principe général du droit du pollueur-payeur, que les dépenses effectuées par la demanderesse pour réduire et supprimer les effets nocifs pour les systèmes hydriques d'une pollution qui est due à la faute d'un tiers ne doivent pas rester définitivement à sa charge.

Il en résulte que la demanderesse a, en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, à charge de la défenderesse, droit à l'indemnisation des dépenses effectuées pour réduire et supprimer les effets nocifs résultant de la pollution due à la faute de la défenderesse, et ce nonobstant le fait que
- l'objet social de la demanderesse consiste à supprimer les effets nocifs pour les systèmes hydriques et de la pollution de l'atmosphère en collectant les données et informations utiles,
- la demanderesse est, en vertu de la loi/du décret, tenue à supprimer les effets nocifs pour les systèmes hydriques et de la pollution de l'atmosphère en collectant les données et informations utiles, et dispose de personnel pour ce faire,
- la demanderesse est, en vertu de la loi/du décret, même en l'absence de pollution, tenue de collecter des données et informations (faire de prélèvements et des analyses) et de disposer de personnel pour ce faire.

5.1 La Cour d'appel de Mons répond comme suit à la question « Ces dépenses (14.504 EUR pour la demanderesse et 7.843 EUR pour la Région flamande) doivent-elles rester définitivement à charge (de la demanderesse et de la région flamande) ? » :

« L'article 6,5° du décret la Région Flamande du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau consacre le principe du « pollueur-payeur » selon lequel « les frais de réparation des dommages causés sont à charge des responsables ».

(La défenderesse) estime qu'il ne s'agit pas d'une norme suffisamment claire et précise pour servir de base au recours d'un pouvoir public en réparation du dommage subi et que d'autres dispositions décrétales seraient nécessaires pour qu'elle devienne génératrice de droit, à défaut de reconnaissance d'une subrogation dans son chef.

Cette analyse méconnaît le principe général de droit d'ordre public écologique que constitue la règle du pollueur-payeur consacrée par plusieurs normes de droit international telles le traité CE (articles 191 §2) et la Directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux » (arrêt, pp. 5-6).

5.2 La Cour d'appel a ainsi — à juste titre — décidé que les dépenses de la demanderesse à concurrence de 14.504 EUR ne doivent pas définitivement rester à sa charge.

La Cour d'appel déclare néanmoins la demande la demanderesse non fondée parce que
- le fait qu'elle dispose d'un personnel chargé de la protection de l'environnement dans le domaine de l'eau potabilisable n'implique pas la charge des prestations « extraordinaires » résultant d'une pollution causée par un tiers, à charge pour elle de démontrer la réalité de celles-ci et leur lien causal avec la pollution (arrêt, p. 6, al. 4),
- la demanderesse réclame 14.504 EUR, représentant le coût des analyses sur des échantillons d'eau potabilisable, effectuées jusqu'en septembre 2007, et d'heures et frais de déplacement surnuméraires de son personnel et justifie cette demande par la localisation des prélèvements d'échantillons et le résultat des analyses après la pollution du 30 juillet 2007 jusqu'en septembre et par les fiches de salaire (arrêt, p. 7, al. 1-2),
- selon la défenderesse, la demanderesse n'aurait fait que réaliser son objet social légal, tel que précisé par l'article 10.2.2 du DABM, soit supprimer les effets nocifs pour les systèmes hydriques, la pollution de l'atmosphère et les nuisances environnementales en collectant les données et informations utiles (arrêt, p. 7, al. 4),
- la règle de la réparation intégrale du dommage implique le rétablissement de la victime dans l'état où elle serait demeurée en l'absence de faute (arrêt, p. 7, al. 5),
- la demanderesse ne justifie aucunement du nombre et du lieu des prélèvements et analyses qu'elle aurait effectués en l'absence de la pollution causée par la défenderesse, en manière telle qu'aucun dommage n'est prouvé dans son chef (arrêt, p. 7, al. 7).

La Cour d'appel décide ainsi que la défenderesse ne doit prendre en charge que les prestations « extraordinaires » résultant de la pollution causée par sa faute, c'est-à-dire les prestations (prélèvements et analyses ) que la demanderesse n'aurait pas effectuées en l'absence de cette pollution.

La Cour déclare non fondée la demande, tendant à entendre condamner la défenderesse à lui rembourser le coût des analyses sur des échantillons d'eau potabilisable jusqu'en septembre 2007 et des heures et frais de déplacement surnuméraires de son personnel, parce que la demanderesse ne justifie pas le nombre et le lieu des prélèvements et analyses qu'elle aurait faits en l'absence de la pollution, en d'autres termes, parce qu'elle n'établit pas que le montant réclamé concerne des prestations « extraordinaires » qu'elle n'aurait pas effectuées sans la pollution dont la défenderesse est responsable et n'établit partant pas que ses dépenses à concurrence de 14.504 EUR constituent un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil.

5.3 Alors que :
- la pollution litigieuse du 31 juillet 2007 est due à la faute de la défenderesse et que la défenderesse en est responsable en vertu de l'article 1382 du Code civil,
- la demanderesse réclame 14.504 EUR pour le coût des analyses sur des échantillons d'eau potabilisable effectuées après la pollution du 31 juillet 2007 jusqu'en septembre 2007 et les heures et frais de déplacement surnuméraires de son personnel,
- il résulte de l'article 6,5° du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 et du principe général du droit du pollueur-payeur que les dépenses de la demanderesse à la suite la pollution due à la faute de la défenderesse ne doivent pas rester définitivement à charge de la demanderesse,
il n'incombait pas à la demanderesse, afin d'obtenir réparation de la défenderesse pour ses dépenses à concurrence de 14.504 EUR, de justifier le nombre et le lieu des prélèvements et analyses qu'elle aurait effectuées en l'absence de pollution causée par la défenderesse.

L'arrêt entrepris viole partant les dispositions légales et le principe général du droit visés au moyen (plus particulièrement les articles 1382 et 1383 du Code civil et 6,5° du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau (decreet betreffende het integraal waterbeleid)), en ce qu'il déclare non fondée la demande de la demanderesse.

6. Il résulte des dispositions citées par la demanderesse en ses conclusions principales après renvoi, et plus particulièrement de l'article 6,5° du décret du 18 juillet 2003, qui consacre le principe général du droit du pollueur-payeur, que les dépenses liées à des prélèvements et analyses effectués par la demanderesse pour réduire et supprimer les effets nocifs pour les systèmes hydriques d'une pollution due à la faute d'un tiers ne doivent pas rester définitivement à sa charge, même s'il s'agit de dépenses liées à des prélèvements et analyses que la demanderesse aurait également effectuées en l'absence de pollution.

Si la décision de la Cour d'appel de Mons, déclarant la demande de la demanderesse non fondée, doit être interprétée en ce sens qu'il résulte des dispositions légales applicables — et plus particulièrement de l'article 6,5° du décret du 18 juillet 2003, qui consacre le principe général du droit du pollueur-payeur —
- que les dépenses de la demanderesse à la suite de la pollution due à la faute d'un tiers doivent rester définitivement à sa charge, ou
- que les dépenses de la demanderesse à la suite de la pollution due à la faute d'un tiers doivent rester définitivement à sa charge dans le mesure où il s'agit de dépenses qu'elle aurait également effectuées en l'absence de pollution,
l'arrêt entrepris viole les dispositions légales et le principe général du droit visés au moyen (plus particulièrement les articles 1382 et 1383 du Code civil et 6,5° du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau (decreet betreffende het integraal waterbeleid)).

Développements

La demanderesse se réfère à la jurisprudence de Votre Cour, aux termes de laquelle,
- d'une part, l'existence d'une obligation contractuelle, légale ou réglementaire n'exclut pas l'existence d'un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil, sauf s'il résulte du contenu ou de la portée du contrat, de la loi ou du règle¬ment que la dépense ou la prestation à intervenir doit rester définitivement à charge de celui qui s'y est obligé ou qui doit l'exécuter en vertu de la loi ou du règlement, et
- d'autre part, il appartient au juge d'apprécier, par l'interprétation du contrat, de la loi ou du règlement, si, en fonction de la teneur ou de la portée du contrat, de la loi ou du règlement, les dépenses faites doivent, oui ou non, rester définitivement à charge de celui qui a dû les effectuer, de sorte qu'il n'incombe pas aux parties de prouver si les dépenses effectuées doivent oui ou non rester définitivement tenues pour compte selon le contrat, la loi ou le règlement, ni, corrélativement, la qualification desdites dépenses comme dommage indemnisable (Cass. 18 septembre 2007, Pas. 2007, n° 412 ; Cass. 23 octobre 2012, Pas. 2012, n° 560).

Votre Cour décida en outre que la circonstance qu'une administra¬tion publique dispose d'un service chargé de l'administration et du contrôle des routes ainsi que des réparations de ces routes, quelle qu'en soit la cause, n'implique pas que la charge de ces réparations doit être supportée par cette administration lorsque le dommage est causé par la faute d'un tiers (Cass. 9 février 2006, Pas. 2006, n° 88 ; Cass. 18 octobre 1994, Pas. 1994, n° 437 ; Cass. 21 décembre 1993, Pas. 1993, 1089 ; Cass. 28 juin 1991, Pas. 1991, 938).

SECOND MOYEN DE CASSATION

Disposition légale violée

- l'article 1110 du Code judiciaire, tel qu'en vigueur avant et après sa modification par l'article 149 de la loi du 6 juillet 2017 portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice

Décision attaquée

Dans son arrêt du 30 novembre 2016, la Cour d'appel de Mons confirme le jugement dont appel — rendu le 7 septembre 2011 par le Tribunal de première instance de Liège — en ce qu'il a reçu les demandes et dit la demande de la demanderesse non fondée.

La Cour d'appel décide :

« I. FAITS & ANTECEDENTS DE PROCEDURE

Par citation du 10 septembre 2010, la région flamande et l'Autorité de la Région Flamande et de la Communauté Flamande Vlaamse Milieumaatschappij poursuivaient la condamnation de (la défenderesse) à leur payer respectivement les sommes principales de 10.517 et 18.393 euro en réparation des préjudices subis suite au déversement par celle-ci le 30 juillet 2007 de pesticides dans la Meuse ayant causé un préjudice environnemental matériel et halieutique majeur les ayant contraintes à des mesures de précaution et à des analyses.

Elles réclamaient en outre à leur bénéfice solidaire la somme de 3.778,18 euro représentant les frais de traduction des pièces de leur dossier.

Le premier juge dit ces demandes non fondées n'étant pas démontré que le dommage réclamé étant les salaires et frais de déplacement payés au personnel (de la région flamande et de la demanderesse), le coût de prélèvements et d'analyses de contrôle de la qualité de l'eau et celui de la traduction des pièces justificatives déposées résultait de la faute retenue dans le chef de (la défenderesse).

Par un arrêt du 24 avril 2013, la vingtième chambre de la cour d'appel de Liège reçut l'appel, le dit partiellement fondé et condamna (la défenderesse) à payer à la région flamande la somme de 3.087,5 euro représentant les heures et frais de déplacement supplémentaires payés à son personnel suite à l'incident du 30 juillet 2007 à majorer des intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 15 avril 2009 et solidairement (à la région flamande et à la demanderesse) celle de 2.318,11 euro étant les frais de traduction de certaines pièces de leur dossier à majorer des intérêts au taux légal depuis le décaissement du 16 juillet 2010.

(La défenderesse) était en outre condamnée à payer la moitié des frais de citation et de requête d'appel, le surplus des dépens étant laissé à charge de chacune des parties.

La Cour de cassation accueillit le pourvoi formé par (la région flamande et la demanderesse) contre cet arrêt sauf en tant qu'il « reçoit l'appel, statue sur la faute commise par la (la défenderesse) et sur l'indemnisation des frais de traduction demandée par la seconde demanderesse (la Vlaamse Milieumaatschappij), réservant les dépens et renvoyant la cause ainsi limitée à la cour de céans.

II. LA PORTEE DE L'ARRET DE LA COUR DE CASSATION

II appartient au juge de renvoi de définir les limites de sa saisine et, en règle, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement.

Toutefois, lorsqu'un lien d'indivisibilité unit deux dispositifs dont l'un n'a pas été attaqué, la cassation de celui attaqué s'étend à l'autre.

Pour fonder sa décision de rejeter les réclamations relatives aux heures prestées normalement par le personnel (de la région flamande et de la demanderesse) et aux analyses de l'eau et de n'accorder que les heures supplémentaires du personnel des eaux et forêts, la cour d'appel de Liège précisait notamment que la charge de la preuve de ce que ces dépenses ne devaient pas rester définitivement à charge (de la région flamande et de la demanderesse) leur appartenait.

Cette affirmation a été censurée pour violation des articles 1382 et 1383 du Code civil, la Cour de cassation rappelant que l'existence d'une obligation contractuelle, légale ou réglementaire n'exclut pas l'existence d'un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil sauf s'il résulte du contenu ou de la portée du contrat, de la loi ou du règlement que la dépense ou Ia prestation doit rester définitivement à charge de celui qui s'y est obligé ou qui doit l'exécuter en vertu de la loi ou du règlement et que l'appréciation de cette question appartient au juge, le demandeur en remboursement de dépenses effectuées en exécution d'obligations contractuelle, légale ou réglementaire ne devant prouver que leur réalité et leur lien de causalité avec l'acte illicite.

Ont été expressément exclus de la cassation les dispositifs de l'arrêt attaqué relatifs à la recevabilité de l'appel, à la faute de (la défenderesse) et à l'indemnisation des frais de traduction « demandée par la seconde demanderesse ».

(La défenderesse) en déduit que la cour de céans n'est pas saisie de la réclamation en ce qu'elle dépasse les sommes allouées par la cour d'appel de Liège, la cassation ayant porté exclusivement sur la question de la causalité et non sur celle du dommage réparable, la cour d'appel de Liège ayant à juste titre appliqué quant à ce la théorie de la différence négative selon laquelle seule doit être indemnisée la différence entre la situation du demandeur en l'absence de faute et celle résultant de celle-ci.

Selon elle, « l'analyse du contenu et de la portée des textes générant l'obligation de payer dans le chef (de la région flamande et de la demanderesse) permet de considérer que ces dépenses doivent rester définitivement à leur charge » et il n'y a pas de lien causal entre celles-ci et sa faute, le principe « pollueur-payeur » visé par l'article 6,5° du décret de la Région Flamande du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau ne constituant pas une norme suffisamment claire et précise pouvant servir de base au recours d'un pouvoir public, à défaut de toute reconnaissance d'un recours subrogatoire dans son chef.

(La région flamande et la demanderesse) estiment au contraire être fondées à solliciter de la cour de céans l'indemnisation totale de leur dommage à charge pour elles de démontrer son lien causal avec la faute de (la défenderesse), les dépenses résultant de celle-ci ne devant pas rester définitivement à leur charge.

La cassation prononcée sur la base de la violation des articles 1382 et 1383 du Code civil vise à la fois le dommage et son lien causal avec la faute, éléments liés indivisiblement par le seul libellé de ces dispositions légales, indivisibilité confirmée par la cour d'appel de Liège au point 4 de sa décision : « quant au lien causal et au dommage ».

Cette analyse ne vaut cependant que pour les demandes (de la région flamande et de la demanderesse) relatives aux prestations de leur personnel et aux prélèvements et analyses de l'eau, seules visées par la cassation en manière telle que la question des frais de traduction, dispositif distinct du dispositif cassé est exclue de la saisine de la cour de céans (...) » (arrêt, pp. 3-5).

Griefs

1. En vertu de l'article 1110 du Code judiciaire, tel qu'en vigueur avant et après sa modification par l'article 149 de la loi du 6 juillet 2017, la cassation avec renvoi remet les parties, dans les limites de la cassation, dans l'état où elles se trouvaient devant le juge dont la décision a été cassée.

Il appartient au juge de renvoi de déterminer lui-même, sous le contrôle de Votre Cour en cas de (nouveau) pourvoi, les limites de sa saisine.

La cassation est, en règle, limitée à la portée du moyen qui en est le fondement.

2. Par jugement du 7 septembre 2011, le tribunal de première instance de Liège avait déclaré les demandes de la demanderesse et de la Région flamande intégralement (c'est-à-dire, également en ce qu'elles concernaient des frais de traduction) non fondées.

En son arrêt du 24 avril 2013, la Cour d'appel de Liège a déclaré la demande de la demanderesse et de la Région flamande concernant les frais de traduction partiellement fondée et a condamné la défenderesse à payer, solidairement à la Région flamande et à la demanderesse, la somme de 2.318,11 EUR, à majorer des intérêts au taux légal depuis le décaissement du 16 juillet 2010.

La Cour d'appel de Liège a en outre condamné la défenderesse à payer 3.087,50 EUR, à majorer des intérêts, à la Région flamande et a débouté la Région flamande et la demanderesse pour le surplus.

La demanderesse et la Région flamande se sont pourvues en cassation contre l'arrêt du 24 avril 2013. Le moyen de cassation qu'elles ont formulé à l'encontre de cet arrêt ne concernait cependant pas la décision sur les frais de traduction.

Votre Cour a, par arrêt du 7 mai 2015, cassé l'arrêt rendu le 24 avril 2013 par la Cour d'appel de Liège « sauf en tant qu'il reçoit l'appel, qu'il statue sur la faute commise par la défenderesse (Chimac) et sur l'indemnisa-tion des frais de traduction demandée par la seconde demanderesse (Vlaam-se Milieumaatschappij) ».

La décision de la Cour d'appel de Liège qui - par réformation du jugement dont appel - condamne la défenderesse à payer 2.318,11 EUR, à majorer des intérêts, pour les frais de traduction à la demanderesse (et à la Région flamande), n'a partant pas été cassée.

3. La Cour d'appel de Mons décide en son arrêt du 30 novembre 2016 (p. 5) que seules les demandes de la demanderesse et de la Région flamande relatives aux prestations de leur personnel et aux prélèvements et analyses de l'eau sont visées par la cassation et que la question des frais de traduction, dispositif distinct du dispositif cassé, est exclue de sa saisine (arrêt, p. 5, al. 4).

Dans le dispositif de l'arrêt du 30 novembre 2016 (p. 8), la Cour d'appel de Mons confirme le jugement dont appel en ce qu'il a dit la demande de la demanderesse non fondée.

L'arrêt entrepris viole ainsi l'article 1110 du Code judiciaire, tel qu'en vigueur avant et après sa modification par l'article 149 de la loi du 6 juillet 2017, en ce qu'il confirme le jugement dont appel, rendu le 7 novembre 2011 par lequel le tribunal de première instance de Liège avait déclaré non fondée la demande de la demanderesse concernant les frais de traduction. La décision du tribunal de première instance concernant les frais de traduction avait en effet été réformée par la Cour d'appel de Liège en son arrêt du 24 avril 2013 et cet arrêt n'a, en ce qui concerne la demande quant aux frais de traduction, pas été cassé par l'arrêt de Votre Cour du 7 mai 2015.

PAR CES CONSIDERATIONS,

L'avocat à la Cour de Cassation soussignée conclut pour la de¬manderesse à ce qu'il Vous plaise, Mesdames et Messieurs, casser l'arrêt entrepris en ce qu'il statue sur la demande de la demanderesse, renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel, dé¬pens comme de droit.

Bruxelles, le 18 août 2017


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C.17.0465.F
Date de la décision : 01/06/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Environnement


Parties
Demandeurs : VLAAMSE MILIEUMAATSCHAPPIJ
Défendeurs : CHIMAC

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-06-01;c.17.0465.f ?

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